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Résumé

Le travail de Michel Foucault sur la prison s’articule à son travail sur la folie. Au carrefour de ces deux thèmes majeurs, les Dialogues écrits par Rousseau à la fin de sa vie, entre persécution et paranoïa, lui ont fourni une première matière à penser le biopolitique. On montre ici comment cette pensée s’est construite à partir de deux espaces profondément interpénétrés l’un par l’autre, l’espace de la prison et l’espace de la retraite.

Abstract

Between Prison and Retreat: Rousseau Juge de Jean-Jacques
Michel Foucault’s work on prison is connected with his history of madness. Crossing those two major themes, the Dialogues Rousseau wrote at the end of his life, experiencing both persecution and paranoïa, gave him stuff from which he could theorize biopolitics. This paper shows how this theory has been built upon two deeply interpenetrated spaces, the space of prison and the space of retreat.

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Références de l’article

Stéphane Lojkine, « Entre prison et retraite : Rousseau juge de Jean-Jacques », La Prison, Expériences, Imaginaires & Créations, dir. Makki Rebbai, Sfax, 2021, p. 245-259

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Ressources externes

Entre prison et retraite : Rousseau juge de Jean-Jacques

En 1962, Michel Foucault, qui vient de soutenir sa thèse, Folie et déraison : histoire de la folie à l’âge classique, publie une introduction à Rousseau juge de Jean-Jacques, le dernier grand texte autobiographique et paranoïaque du citoyen de Genève. Le thème de l’enfermement, déjà présent dans la thèse (du « grand renfermement » à « la grande peur »1), est à nouveau central ici, sous la forme de l’étouffement, de la pression et de la menace du silence dont Rousseau se décrit oppressé. Mais ce thème est désormais complètement intériorisé : il ne s’agit plus de décrire les mécanismes par lesquels une société administre ses hantises et pratique ses exclusions ; il s’agit d’une hantise de la hantise ou, autrement dit, d’un jeu entièrement virtualisé par l’écriture, opposant un espace de l’enfermement (de la persécution et de la vindicte contre les persécuteurs) à un espace de la promenade et de la rêverie. D’un côté la prison, mais une prison imaginaire, de l’autre la retraite, dont le fantasme pastoral ne se dit pas encore politique.

Entre prison et retraite, Rousseau juge de Jean-Jacques ouvre pour Michel Foucault un carrefour des possibles : d’un côté, la théorisation des dispositifs de surveillance, dans Surveiller et punir, naissance de la prison (1975) ; de l’autre la déconstruction de ces dispositifs, dans Sécurité, territoire, population (1977-1978). Nulle incohérence dans ce balancement : la machine biopolitique en devenir dont Foucault dessine les contours tout à la fois hérite de la prison des Lumières et marque son dépassement radical comme pouvoir sur la vie. On montrera ici comment cette contradiction fondatrice s’est préparée à partir de l’ambivalence et de la réversibilité historique de ces deux lieux, la prison et la retraite, dont Rousseau juge de Jean-Jacques décrit la conspiration désormais à l’œuvre.

La retraite forcée : contradiction de l’emprisonnement

Le §XXIX du traité Des délits et des peines de Cesare Beccaria est consacré à l’emprisonnement. Beccaria y constate une contradiction :

L’emprisonnement est une peine qui, à la différence de toute autre, doit nécessairement précéder la preuve du délit, mais cette particularité ne supprime pas le principe fondamental qui veut que la loi seule détermine les cas où un homme mérite d’être puni2.

Or la loi ne détermine ces cas qu’à l’issue d’une instruction judiciaire et d’un procès, c’est-à-dire non pas avant, mais après « la preuve du délit ». Fondamentalement, la prison n’est pas un châtiment mais une mesure de sûreté. Avant le procès, et pour les besoins de l’instruction, le « magistrat exécuteur des lois3 » ordonne l’emprisonnement d’un présumé coupable, afin de « le soumettre à un interrogatoire4 » et d’instruire l’affaire. L’emprisonnement précède donc la décision de justice, qui est, quant à elle, encadrée par la loi. Parce qu’elle précède la preuve du délit, ce qu’on appelle la détention préventive anticipe en quelque sorte la loi, car elle préjuge de ce qui n’est pas encore jugé. Et en même temps, il ne peut y avoir de jugement sans instruction, qui nécessite, ou prétend nécessiter, l’emprisonnement.

Par ailleurs, l’emprisonnement peut également être prononcé comme une peine, de sorte qu’un même lieu, la prison, une même mesure, peut signifier deux choses très différentes : la détention préventive ne préjuge pas en effet, ou n’est pas supposée préjuger de la décision de justice ; elle ne devrait donc être ni afflictive, ni infamante, au contraire de l’incarcération qui fait suite à une condamnation de justice, et constitue, ou en tout cas, peut constituer, un châtiment, une réparation, une peine.

La loi doit donc règlementer strictement cet emprisonnement préalable, qui porte au prisonnier un préjudice qu’aucune décision de justice n’a préalablement sanctionné. Mais ce nécessaire cadre règlementaire, même s’il peut limiter l’arbitraire de l’instruction, ne réduira jamais cette contradiction fondamentale qui fait de la prison à la fois une marque d’infamie, la trace qu’imprime la peine après la chose jugée, et un point originaire, l’origine du procès, le préalable du jugement. Quelle que soit la nature de l’emprisonnement, la scène judiciaire, avec sa barre, ses témoins, ses plaidoiries, avec son protocole théâtral et son public, est bien loin : la prison constitue l’envers de la scène judiciaire. Qu’il aille vers le procès ou qu’il en sorte, ou encore qu’il y soit maintenu indéfiniment dans les Limbes du non-droit, le prisonnier est suspendu hors du temps procédural, hors de la visibilité scénique du procès. La peine consiste dans cette suspension, mais définit dans le même temps un régime de représentation, qui est le régime de l’inassignable, c’est-à-dire non « de la Surveillance et du Signe5 », mais précisément de la virtualisation de la surveillance (je peux être surveillé n’importe quand, par n’importe qui, pour n’importe quoi) et de l’illisibilité des signes (je ne sais pas, ne veux pas, ne peux pas interpréter pourquoi je suis là, pour quelle raison, pour quel sens, pour quelle durée).

La prison supplée la justice tout en ouvrant la possibilité d’un espace de non-droit. Boucher d’Argis, à l’entrée « Jurisprudence » de l’article Prison de l’Encyclopédie, énumère les anciennes coutumes de France qui garantissent leurs citoyens de la prison6. Le droit s’affirme par exclusion de la prison. Affirmer la puissance publique de l’État suppose de réduire, de cantonner la prison. C’est ainsi qu’il ne peut y avoir de prison privée. L’Encyclopédie y insiste à l’article Prison7, et y revient dans un article spécifique :

Chartre privée signifie un lieu autre que la prison publique, où quelqu’un est détenu par force, & sans que ce soit de l’autorité de la justice. Il est défendu à toutes personnes, même aux officiers de justice, de tenir personne en chartre privée. L’ordonnance de 1670, tit. ij. art. 10. défend aux prevôts des maréchaux de faire chartre privée dans leurs maisons, ni ailleurs, à peine de privation de leurs charges, & veut qu’à l’instant de la capture l’accusé soit conduit dans les prisons du lieu, s’il y en a, sinon aux plus prochaines, dans vingt-quatre heures au plus tard. (Enc., III, 222)

La chartre est un vieux mot qui viendrait du latin carcer. C’est la prison médiévale, contre laquelle se construit le nouvel état de droit, régi notamment par les chartes, qu’on désigne parfois, par corruption, comme des… chartres8 ! La chartre désigne ainsi la loi et l’envers de la loi. Car c’est sans nul doute la chartre privée, c’est-à-dire l’emprisonnement hors de l’espace public de la prison et de son cadre règlementaire, que vise au premier chef le chapitre XXIX « De l’emprisonnement » du traité de Beccaria.

La chartre privée constitue le symptôme de la contradiction structurale de la prison : il y a détention, mais sans l’autorité de la justice ; l’officier de justice se prévaut de sa charge publique dans un espace qui échappe à la juridiction publique. Si l’injustice est ici patente, elle ne fait qu’accentuer le trait : fondamentalement, même placée sous administration publique, la prison constitue un espace hors-scène, radicalement soustrait à la visibilité théâtrale du procès.

L’autre retraite : effondrement du modèle humaniste

Au scandale, ou tout du moins au secret de la prison, s’oppose le prestige de la retraite9. La retraite engage pourtant la même exclusion de l’espace social, la même récession hors de la scène publique, la même condamnation au silence, voire à la clôture et au dénuement. Mais cette forclusion est désormais volontaire. La retraite peut s’inscrire dans une démarche spirituelle ; elle est alors sanctionnée par les vœux monastiques10. Mais il y a aussi une retraite laïque, assise sur une tradition philosophique antique forte : complémentaire de l’épreuve héroïque de la prison11, ou préparant celle-ci, l’ataraxie stoïcienne et épicurienne vise la position hautement morale du détachement vis-à-vis des passions et des cupidités mondaines.

Pour le sage stoïcien ou épicurien, il n’y a donc pas d’antinomie entre prison et retraite : l’exercice de l’une prépare à l’épreuve de l’autre ; toutes deux constituent et complètent la figure idéale de l’autonomie. Le justiciable frappé d’infamie ne s’oppose pas au sage auréolé de gloire : cette littérature morale antique ne connaît que des martyrs qui sont des philosophes, et le renversement de la prison subie en prison volontaire.

La révolte contre la prison comme affirmation philosophique d’une liberté qui serait aussi une sagesse constitue, avec les Lumières, un complet renversement du double héritage antique et chrétien. On peut observer ce renversement à l’œuvre dans les Dialogues de Rousseau, qui ne sont nullement des anti-confessions12, qui ne portent nullement le discours d’une conscience, même divisée, mais rendent compte du nouvel espace assigné à la conscience et portent cette découverte effarée d’un lieu à la fois complètement intime et outrageusement exposé. Il ne s’agit pas de ce que Rousseau a à dire, pas même de ce dont il pourrait témoigner. Il s’agit de cet espace dont il a fait, le premier, l’expérience, l’espace de la conscience contemporaine comme prison où s’éprouve la limite de la loi, entre fondation et châtiment.

L’important n’est pas que Rousseau ait été réellement ou non persécuté par Diderot, Grimm, Mme d’Épinay, par cette coalition vague qu’il nomme « ces Messieurs »13. Dès qu’on sort d’une attente autobiographique que les Dialogues n’ont jamais prétendu satisfaire, la question de la paranoïa de Rousseau tombe14. L’enjeu n’est pas de savoir si ce qu’il dit est vrai, sincère ou exagéré. L’enjeu, c’est l’espace dans lequel les Dialogues décrivent et intsallent cette persécution : cet espace est – véritablement – le nouvel espace de la prison, confondue avec la retraite, et télescopant le public et l’intime.

Rappelons la structure des trois dialogues qui constituent le texte intitulé Rousseau juge de Jean-Jacques rédigé de 1772 à 1776. Le premier oppose Rousseau au Français. Rousseau désigne un lecteur de Rousseau, admirateur de ses œuvres, dont il ne connaît pas personnellement l’auteur. Le Français désigne un homme du monde très au fait de la cabale dont Jean-Jacques Rousseau fait l’objet, et tout à fait convaincu de la scélératesse du personnage. Le Français n’a pas lu les œuvres. Tous deux se quittent, l’un en promettant de lire, l’autre de rencontrer personnellement l’auteur. Le deuxième dialogue se situe après cette entrevue : Rousseau (le lecteur de Rousseau) a rencontré Jean-Jacques (l’auteur), désigné comme J.-J. dans le texte. Il se déclare conquis : J.-J. est bien l’homme de ses écrits ! Enfin, le troisième dialogue intervient après un long séjour du Français à la campagne, pendant lequel il a lu les œuvres. Rien d’étonnant selon lui à ce que J.-J. ait été persécuté : sa sincérité visait trop de monde !

On voit tout de suite qu’il ne s’agit nullement ici de poursuivre, de quelque manière que ce soit, des confessions : la conscience, l’intimité dont il s’agit, c’est celle de J.-J., auquel le texte ne nous donne jamais accès directement. Ce qui est en jeu, c’est la manière dont cette conscience, retirée, emprisonnée, constitue un espace à la fois complètement public (J.-J. occupe le terrain médiatique, on ne parle que de lui) et totalement incommunicable. J.-J. pourrait être ici la forme que prend la lettre pour signifier la schize du sujet, la division du je en l’auteur des crimes et l’auteur des écrits, qui est la division de départ, la structure sur laquelle s’appuie Rousseau (le lecteur de Rousseau) dans le 1er dialogue15. Et sans doute la forme de J.-J. épouse-t-elle parfaitement cette structure liminaire. Mais l’invention de J.-J. comme figure absolument retranchée dessinant un espace à la fois public et incommunicable, à la fois de jugement et hors jugement, c’est déjà l’invention du matricule comme marque de la singularité quelconque du post-sujet dans la communauté qui vient16 : le balbutiement d’un je, le retrait de la parole dans moins que je, et en même temps le caractère indistinct de ce je, non différenciable à force de singularité.

J.-J. vit retiré : « il aima la retraite, non pour y vivre seul, mais pour y joindre les douceurs de l’étude aux charmes de l’intimité » (R. I, p. 7517). C’est l’otium honestum ou studiosum d’un Cicéron et d’un Pline18, dont l’humanisme de la Renaissance a fait l’horizon idéal de la vie de l’intellectuel et le socle éthique de sa réflexion. Une des premières étapes de la persécution a consisté à pervertir cette retraite :

Devenu l’objet de l’horreur publique, il s’est vu par là celui19 des attentions de tout le monde. C’était à qui le fêterait, à qui l’aurait à dîner, à qui lui offrirait des retraites, à qui renchérirait d’empressement pour obtenir la préférence. (F. I, p. 114)

Le Français fait ici notamment allusion à l’Ermitage que Mme d’Épinay offrit à Rousseau au fond de son parc de Montmorency : retraite pervertie, car elle comportait une contrepartie courtisane implicite20. Rousseau se retirait, mais devait paraître dans le cercle de Montmorency ; il devait s’afficher dans le monde comme s’étant retiré ; la retraite était supposée devenir une sorte de marque de fabrique de la secte des philosophes, un logo mondain, autrement dit le contraire même de la retraite. On voit ici se dessiner la mise en contradiction de la retraite avec elle-même, contradiction similaire à celle de la prison, comme lieu de la mise à la marge de la loi, de la mise en œuvre d’une publicité et d’un incommunicable.

La confusion de la retraite et de la prison s’opère quand l’héritage humaniste de la communication intime est remplacé par l’organisation de l’incommunicable :

On a recommandé à tout ce qui l’entoure de veiller particulièrement à ce qu’il peut21 écrire. On a même tâché de lui en ôter les moyens, et l’on était parvenu dans la retraite où on l’avait attiré en Dauphiné à écarter de lui toute encre lisible, en sorte qu’il ne pût trouver sous ce nom que de l’eau légèrement teinte, qui même en peu de temps perdrait toute sa couleur. (F. I, p. 121)

On empêche J.-J. d’écrire, non en le lui interdisant formellement, mais en pervertissant les voies de la diffusion de ses écrits : non seulement J.-J. est surveillé, mais l’encre de ses pages pâlit au fur et à mesure qu’elles se diffusent. L’espace intime, l’espace plein du discours de la confession, devient page blanche. La parole est neutralisée : ce n’est pas simplement là un grand écrivain subversif qu’on empêche de parler ; ce n’est pas cette configuration politique là, il ne faut pas oublier que les philosophes sont ici les persécuteurs. Ce qui se joue ici, c’est une certaine modernité dont ils sont les porteurs et dont J.-J. fait les frais : c’est la mise en œuvre du nouvel espace de la singularité quelconque, où blanchissent toutes les écritures de la différence22.

Seule, sans amis, cette singularité blanche, sans contenu, est désormais exposée à la vindicte publique. Rousseau désigne alors celui qui est le théoricien de cette nouvelle sociabilité médiatique innommable :

J’ai vu pour la première fois cette nouvelle doctrine dans un discours publié par le Philosophe Diderot précisément dans le temps que son ami J.-J. s’était retiré dans la solitude. Il n’y a que le méchant, dit-il, qui soit seul23. Jusqu’alors on avait regardé l’amour de la retraite comme un des signes les moins équivoques d’une âme paisible et saine exempte d’ambition, d’envie et de toutes les ardentes passions filles de l’amour-propre, qui naissent et fermentent dans la société. Au lieu de cela, voici par un coup de plume inattendu, ce goût paisible et doux jadis si universellement admiré, transformé tout d’un coup en une rage infernale ; voilà tant de Sages respectés et Descartes lui-même, changés dans un instant en autant de misanthropes affreux et de scélérats. […]

Je crois bien que des solitaires qui le sont par force, peuvent, rongés de dépit et de regrets dans la retraite où ils sont détenus, devenir inhumains, féroces, et prendre en haine avec leur chaîne tout ce qui n’en est pas chargé comme eux. Mais les solitaires par goût et par choix sont naturellement humains, hospitaliers, caressants. (R., II p. 200)

La doctrine de Diderot est celle de Dumarsais à l’article Philosophe de l’Encyclopédie : c’en est fini de la retraite humaniste, le temps est venu de s’engager dans les affaires de la cité24. Rousseau insiste au contraire sur le caractère paisible de l’ancienne retraite : « un des signes les moins équivoques d’une âme paisible », « ce goût paisible et doux ». Le terme caractérisait dès les premières pages J.-J. : « homme paisible et doux » (Dialogues, op. cit., p. 75), « il était naturel que, battu, fatigué de tant d’orages, il désirât de finir ses malheureux jours dans une paisible captivité » (p. 162), « son naturel aimant et paisible » (p. 279).

Cette paix à vrai dire n’est pas tant celle des livres que de la nature. Le modèle qui affleure est celui de la pastorale : au paisible berger en promenade s’oppose la « rage infernale » des solitaires « inhumains, féroces »25. À vrai dire, Rousseau ne parle pas d’opposition, mais de transformation : le solitaire est animalisé, il devient le chien féroce du berger, qui se retourne contre lui. La représentation de la retraite se trouve ainsi insidieusement contaminée : de la librairie à la bergerie, du berger à l’animal féroce, de la retraite désirée aux chaînes d’un emprisonnement forcé, on perd, dans le flux des images, l’articulation logique de l’opposition, a priori nette et irréconciliable, entre la bonne et la mauvaise retraite, entre celle que Rousseau appelle de ses vœux et celle que Diderot réprouve. De fait, la réprobation de Diderot pervertit à jamais l’ancienne retraite, qui devient la nouvelle prison. Dans le monde contemporain à venir, il n’y aura plus de retraite possible : c’est de cette diabolique nouvelle que Diderot s’est fait le coryphée.

La prison intérieure

Par un processus implacable de la nouvelle sociabilité qu’inaugurent les Lumières, l’ancienne retraite prônée par J.-J. l’a mené à la nouvelle prison :

Je l’ai vu, serré dans leurs lacs26, se débattre très peu pour en sortir, entouré de mensonges et de ténèbres attendre sans murmure la lumière et la vérité, enfermé vif dans un cercueil s’y tenir assez tranquille sans même invoquer la mort. Je l’ai vu pauvre passant pour riche, vieux passant pour jeune, doux passant pour féroce, complaisant et faible passant pour inflexible et dur, gai passant pour sombre, simple enfin jusqu’à la bêtise, passant pour rusé jusqu’à la noirceur. Je l’ai vu livré par vos Messieurs à la dérision publique, flagorné persiflé moqué des honnêtes gens, servir de jouet à la canaille, le voir le sentir en gémir, déplorer la misère humaine et supporter patiemment son état. (II, p. 243)

Il faut prêter attention à la ponctuation et à la syntaxe très particulière de ce texte, qui exténue le souffle de la phrase dans une parataxe angoissée, où les virgules sautent : « flagorné persiflé moqué », « le voir le sentir en gémir ». Le tableau de l’enfermement, de l’asphyxie progressive, se renverse en exposition publique, manifestant ce paradoxe d’un espace qui est à la fois celui de la soustraction au public pour purger sa peine et de l’exhibition au public pour instruire son procès. Serré et livré27 : la contradiction du public et de l’intime, de la prison et de la chartre privée, est en même temps la contradiction du rapport à la loi.

La prison n’est pas seulement publique. Elle est le public. Elle se manifeste à l’endroit par excellence où se constitue le nouvel espace public, au théâtre :

« Voyez-le entrant au spectacle entouré dans l’instant d’une étroite enceinte de bras tendus et de cannes dans laquelle vous pouvez penser comme il est à son aise ! À quoi sert cette barrière ? S’il veut la forcer résistera-t-elle ? Non sans doute. À quoi sert-elle donc ? Uniquement à se donner l’amusement de le voir enfermé dans cette cage, et à lui bien faire sentir que tous ceux qui l’entourent, se font un plaisir d’être, à son égard, autant d’argousins et d’archers. Est-ce aussi par bonté qu’on ne manque pas de cracher sur lui, toutes les fois qu’il passe à portée, et qu’on le peut sans être aperçu de lui ? » (II, p. 305)

L’enceinte de la prison, ce sont les bras tendus de la foule au parterre qui environne Jean-Jacques, les uns lui montrant le poing, les autres le menaçant de leur canne. Cette enceinte n’est pas absolue, il pourrait la franchir. Mais souple, sans cesse reformée, elle lui indique l’hostilité continuée du public, elle fait peser constamment le verdict de sa condamnation28.

De cette universelle condamnation procède une jouissance : une communauté perverse se constitue, qui se nourrit de la surveillance et de la condamnation, qui jouit de la cage montrée et soustraite, du monstre et de sa neutralisation. Le mur de la prison est en même temps le lien de la communauté et la parole mensongère qui scelle l’emprisonnement :

Ils ont beau renfermer la vérité dans de triples murs de mensonges et d’impostures qu’ils renforcent continuellement, ils tremblent toujours qu’elle ne s’échappe par quelque fissure. L’immense édifice de ténèbres qu’ils ont élevé autour de lui ne suffit pas pour les rassurer. (R. III, p. 38029)

L’image de la lumière de la vérité perçant à travers la muraille des mensonges vient se superposer à celle de J.-J. emprisonné dans l’enceinte vivante mise en place par la conspiration de ces messieurs, de sorte que J.-J. devient le corps glorieux de la vérité. La crainte de ces Messieurs ne préjuge d’aucun renversement, d’aucun espoir d’un retour en arrière : elle constitue le ressort et le frisson de la jouissance et en entretient la communauté complice. Quant à la vérité enclose, son rayonnement, à supposer même qu’il diffuse à la faveur d’une faille, n’est plus le développement d’une parole. La vérité se donne simplement comme une présence enclose qui n’est pas, ne devrait pas être donnée à voir, et qu’on jouit de voir malgré tout. Ainsi s’ordonnent ce que Michel Foucault désigne comme « les moyens du bon dressement » :

L’exercice de la discipline suppose un dispositif qui contraigne par le jeu du regard ; un appareil où les techniques qui permettent de voir induisent des effets de pouvoir, et où, en retour, les moyens de coercition rendent clairement visibles ceux sur qui ils s’appliquent. […] un art obscur de la lumière et du visible a préparé en sourdine un savoir nouveau sur l’homme, à travers des techniques pour l’assujettir et des procédés pour l’utiliser30.

Cette discipline devient ce que le philosophe est sommé de dénoncer et de combattre. Elle ne saurait être identifiée à la discipline de l’ascèse et du renoncement de soi qui propulse le sage, le mystique, le simple promeneur de l’âge classique vers l’autonomie d’une libération paradoxale. À ce renversement symbolique s’ajoute le fait que la nouvelle discipline est aussi une architecture, que matérialise l’architecture des nouvelles prisons que l’état moderne construit. Une architecture intérieure, une muraille virtuelle a précédé ces constructions visibles. On ne doit pas s’y tromper pourtant : si la prison moderne semble panoptique31, si elle semble organiser une transparence absolue des singularités visibles qui y sont enfermées, cette transparence repose sur une base fondamentale d’invisibilité. Contre la scène classique du discours politique, contre sa rhétorique judiciaire, elle définit le nouvel espace où se joue l’articulation de l’intime et du politique comme espace de la chambre soustrait à tous les regards, semblable au château-miroir du magicien Atlant, dans le Roland furieux :

Se dresse en son centre un rocher dont le sommet
D’un beau mur d’acier est tout bardé ;
Et contre le ciel il est si sublime
Que tout ce qui est autour, il le laisse en dessous.
Qui ne vole n’imagine pas même y aller ;
Car ses efforts seraient pure perte
Brunel dit : voilà où sont les prisonniers,
où le mage retient les dames et les chevaliers32.

La géniale fantasmagorie du poète italien préfigure la prison biopolitique contemporaine dont Rousseau a vécu et décrit, dans l’épouvante et dans la hantise, l’avènement : une prison où il ne serait plus besoin d’enfermer car chacun s’y trouverait astreint de son propre fait, pris aux rets et aux mirages des propres désirs que la machine sociale aurait forgés pour lui ; une prison dont l’enceinte extérieure serait un gigantesque miroir d’acier réfléchissant, déformant jusqu’à la nausée la propre image de soi, le J.J. où se précipiter et se vomir, où désirer et se désespérer. Face à cette prison mondialisée, jamais l’appel de Rousseau à « joindre les charmes de l’étude aux charmes de l’intimité » (p. 75) n’a été aussi pressant ; jamais il n’a été aussi politique.

Notes

On ne pouvoit pas non plus mettre en prison un habitant de la ville de Saint-Géniez, en Languedoc, pour des délits légers, s’il donnoit caution de payer ce à quoi il seroit condamné.

De même à Villefranche en Périgord, on ne pouvoit pas arrêter un habitant, ni saisir ses biens, s’il donnoit caution de se présenter en justice, à moins qu’il n’eût fait un meurtre ou une plaie mortelle, ou commis d’autres crimes, emportant confiscation de corps & de biens.

Les habitans de Boiscommun & ceux de Chagny, jouissoient du même privilege. » (Encyclopédie, XIII, 386b)

1

Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1972, « Tel », 1976, p. 56 et p. 373. Le livre est une réécriture, dix ans plus tard, de la thèse.

2

Cesare Beccaria, Des délits et des peines [1765], traduit de l’italien par Maurice Chevallier, Genève Droz, 1965, GF Flammarion, 1991, p. 136.

3

« Le sentiment de la sécurité personnelle étant le but de la société, c’est par une erreur contraire à ce but, mais très répandue, qu’on laisse au magistrat exécuteur des lois le pouvoir d’emprisonner un citoyen » (ibid.).

4

« La loi doit donc indiquer sur quels indices il faut emprisonner un accusé, le soumettre à un interrogatoire et à un châtiment » (ibid.)

5

Michel Foucault, « Introduction », in Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques. Dialogues, Paris, A. Colin, coll. « Bibliothèque de Cluny », 1962, p. VII-XXIV, repris dans Dits et Écrits, I, texte n°7, Gallimard, Quarto, 2001, p. 211.

6

« On voit par les anciennes ordonnances, que les habitans de certains pays avoient autrefois des privileges pour n’être pas emprisonnés ; par exemple, on ne pouvoit pas arrêter prisonniers les habitans de Nevers, s’ils avoient dans la ville ou dans le territoire des biens suffisans pour payer ce à quoi ils pouvoient être condamnés ; & au cas qu’ils n’en eussent pas, en donnant des ôtages ; ils pouvoient cependant être constitués prisonniers dans le cas de vol, de rapt, & d’homicide, lorsqu’ils étoient pris sur le fait, ou qu’il se présentoit quelqu’un qui s’engageoit à prouver qu’ils avoient commis ces crimes.

7

« Quoique par les lois de Trajan & des Antonins les prisons domestiques, ou ce que nous appellons chartres privées, fussent défendues, il étoit cependant permis en certains cas, à un pere de tenir en prison chez lui un fils incorrigible, à un mari d’infliger la même peine à sa femme, à plus forte raison un maître avoit-il ce droit sur ses esclaves : le lieu où l’on mettoit ceux-ci s’appelloit ergastulum. » (Enc., XIII, 385) Voir également Montesquieu : « Les Romains ne bâtirent point d’abord des prisons. Cela eut des inconvénients : il fallut établir la chartre privée. Les débiteurs furent retenus dans les maisons des créanciers ; d’où suivirent mille cruautés. » (Montesquieu, Dossier de l’Esprit des lois, in Œuvres complètes, éd. R. Caillois, Gallimard, Pléiade, 1951, t. 2, p. 1002. Cette ébauche de chapitre « Des Prisons » n’a pas survécu dans la rédaction définitive.)

8

8« Chartre, (Jurisprud.) se dit par corruption pour charte, & néanmoins l’usage a prévalu. Ce terme signifie ordinairement des titres fort anciens, comme du x. xj. xij. & xiij. siecle, ou au moins antérieurs au xv. siecle. Voyez ci-devant Charte. (A) » (Enc., III, 220b, A est la signature de Boucher d’Argis).

9

Sur la comparaison de la prison et du cloître, et sur l’hésitation de Michel Foucault à ce sujet, voir Julie Claustre, « De l’usage des prisons médiévales en histoire médiévale », Ménestrel, 2015, http://www.menestrel.fr/?De-l-usage-des-prisons-medievales-en-Histoire-….

10

La distinction entre prison et retraite n’est pas toujours nette alors, comme le souligne l’article Prison de l’Encyclopédie : « des abbés non contens de renfermer leurs religieux dans d’affreuses prisons, les faisoient mutiler, ou leur faisoient crever les yeux. Charlemagne par ses capitulaires, & le concile de Francfort en 785, condamnerent ces excès par rapport à l’abbaye de Fuldes. C’est ce qui fit qu’en 817, tous les abbés de l’ordre, assemblés à Aix-la-Chapelle, statuerent que dorenavant dans chaque monastere, il y auroit un logis séparé pour les coupables, consistant en une chambre à feu, & une antichambre pour le travail ; ce qui prouve que c’etoit moins une prison qu’une retraite. » (Enc., XIII, 385-386).

11

Voir cet éloge de la prison chez Sénèque : « Peut-il t’arriver, si l’on te condamne, une peine plus cruelle que d’être envoyé en exil, ou conduit à la prison (ut ducaris in carcerem) ? Peut-on craindre pis que le bûcher, qu’une mort violente ? Représente-toi chacune de ces épreuves, puis évoque ceux qui les bravèrent : tu auras moins à chercher qu’à choisir. Rutilius reçut sa condamnation en homme qui n’y voyait de déplorable que l’injustice de l’acte. Métellus supporta l’exil avec fermeté, Rutilius avec une sorte de joie. L’un fit à la République la concession de son retour ; l’autre refusa le sien à Sylla auquel alors on ne refusait rien. Socrate disserta dans sa prison (in carcere Socrates disputavit) ; il pouvait fuir, on lui offrait de le sauver, il ne le voulut pas et resta, pour ôter aux hommes leurs deux grandes terreurs, qui sont la mort et la prison (metum… mortis et carceris). » (Lettres à Lucilius, III, 24, 3-4, trad. Joseph Baillard, Hachette, 1914).

12

« Ce sont des anti-Confessions. » (Michel Foucault, Dits et écrits, op. cit., p. 200).

13

Michel Foucault met en relation la persécution de ces messieurs avec « le rôle des révérends pères des Provinciales » de Pascal, c’est-à-dire avec l’ancien modèle de la répression claustrale. (Dits et écrits, op. cit., p. 210).

14

Michel Foucault traite cette question à la fin de son introduction sous la forme d’un dialogue aporétique. Voir Dits et écrits, op. cit., p. 215-216).

15

« L’Auteur des Livres et celui des écrits vous paraît la même personne ; je me crois fondé à en faire deux » (Rousseau, Dialogues, éd. Erik Leborgne, GF Flammarion, 1999, Premier dialogue, p. 73, c’est Rousseau qui parle. Dans les citations suivantes, Rousseau et le Français seront abrégés R. et F., suivis du numéro du dialogue en chiffres romains et de la page dans cette édition). Voir également « sa vie est coupée en deux parties qui semblent appartenir à deux individus différents » (R., I., p. 75) ; « ces deux êtres si différents, si contradictoires dans lesquels vous l’avez ci-devant divisé » (F., I, p. 148).

16

Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque, Seuil, 1990.

17

Pour les abréviations, voir note 14.

18

Voir Cicéron, Brutus, 8 et Pline le jeune, Lettres, I, 9, 5 (« mecum et cum libellis loquor »).

19

Celui = l’objet. Comprendre : comme on avait livré Rousseau à l’horreur publique, du coup tout le monde s’est intéressé à lui.

20

Rousseau, Confessions, livre IX, in Œuvres complètes, éd. Gagnebin et Raymond, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 410. Voir également la version que Mme d’Épinay donne de cet épisode dans l’Histoire de Mme de Montbrillant, éd. Elisabeth Badinter, Mercure de France, 1989, p. 1100-1102 (Rousseau y est nommé René, Diderot, Garnier, et Mme d’Épinay, Mme de Montbrillant) : René s’y montre fort habile en matière de persiflage mondain et le motif de la brouille serait sa jalousie à l’encontre de Diderot.

21

« à ce qu’il peut » et non « à ce qu’il puisse ». Comprendre : de surveiller et de limiter ce qu’il peut et ce qu’il ne peut pas écrire.

22

« … la vie dans sa nudité, le pur incommunicable, où sa honte [celle du petit-bourgeois] peut enfin trouver la paix » (Giorgio Agamben, La Communauté qui vient, op. cit., p. 66).

23

En fait de discours, il s’agit, dans Le Fils naturel [1757], de la tirade de Constance à Dorval, pour le persuader de l’épouser et le dissuader de se retirer du monde. « C’est à une femme qui vous aime à vous arrêter parmi les hommes. […] Vous, renoncer à la société ! J’en appelle à votre cœur, interrogez-le, et il vous dira que l’homme de bien est dans la société, et qu’il n’y a que le méchant qui soit seul. » (DPV X 62, acte IV, scène 3) Rousseau qui venait de se retirer à l’Ermitage de Montmorency s’imagina, à tort ou à raison, que cette phrase le visait personnellement et en fut mortellement blessé (Confessions, op. cit., IX, p. 455). Diderot et Rousseau, qui étaient très liés, ne se remirent jamais de la brouille qui s’ensuivit.

24

Dès le début de cet article, Dumarsais fustige la retraite : « Il n’y a rien qui coute moins à acquérir aujourd’hui que le nom de philosophe ; une vie obscure & retirée, quelques dehors de sagesse, avec un peu de lecture, suffisent pour attirer ce nom à des personnes qui s’en honorent sans le mériter. » Contre la retraite, l’article Philosophe prône la vie en société : « L’homme n’est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer, ou dans le fond d’une forêt : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire ; & dans quelqu’état où il puisse se trouver, ses besoins & le bien être l’engagent à vivre en société. […] Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde » (Enc., XII, 510a)

25

De la même manière, dans la Deuxième Promenade des Rêveries, Rousseau attaqué par un gros chien danois devient lui-même, par renversement et sous l’effet de la calomnie, l’animal féroce : « C’est ainsi que la droiture et la franchise en toute chose sont des crimes affreux dans le monde, et je paroitrois à mes contemporains méchant et féroce, quand je n’aurois à leurs yeux d’autre crime que de n’être pas faux et perfide comme eux. » (Œuvres complètes, op. cit., I, p. 1008)

26

Comparer avec : « Ainsi, plus il se débat dans leurs lacs, et plus il les resserre. » (p. 125) et « la manière dont j’étais enlacé ne me laissait plus le moyen d’aborder personne autre » (p. 411). Mais serrer, dans la langue classique, a également un autre sens : « Serrer, signifie aussi, Enfermer, arranger mettre à couvert, en lieu sûr. » (Dictionnaire de Trévoux, 1738-1742) Serrer veut alors dire le contraire de livrer, auquel il fait écho ici : « Je l’ai vu, serré…. Je l’ai vu livré… »

27

On peut comparer ce nouvel espace à ce que Philippe Renard, à propos de Pavese, appelle la « prison imaginaire » : « il commence par enrober son héros d’un espace qui ne le quitte jamais ; tout au cours du roman on se heurte avec Stefano à ses parois de verre : la mer est “la quatrième cloison de sa cellule”, “il vivait au milieu de parois d’air”, “Stefano se voyait seul et précaire, douloureusement isolé par ses parois invisibles, parmi ces gens provisoires” ; “ses parois invisibles étaient devenues intrinsèques à son propre corps” […]. Le paysage s’emboîte en prisons successives qui partent toutes de la prison du corps de Stefano pour aboutir à la généralisation latente […] : “Il imaginait le monde entier comme une prison où l’on est renfermé pour des raisons les plus diverses mais toutes vraies, et il y trouvait un réconfort”. » (Philippe Renard, Pavese. Prison de l’imaginaire, lieu de l’écriture, Presses de la Sorbonne nouvelle, 1996, p. 44, à propos de Cesare Pavese, La Prison [1949], in Avant que le coq chante, trad. Nino Franck, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2007)

28

Voir de même : « À force d’outrages sanglants mais tacites, à force d’attroupements, de chuchotements, de ricanements, de regards cruels et farouches, ou insultants et moqueurs, ils sont parvenus à le chasser de toute assemblée de tout spectacle, des cafés des promenades publiques, leur projet est de le chasser enfin des rues, de le renfermer chez lui, de l’y tenir investi par leurs satellites, et de lui rendre enfin la vie si douloureuse qu’il ne la puisse plus endurer. » (II, p. 341)

29

Rousseau reprend une métaphore du deuxième dialogue : « Malgré la triple enceinte de ténèbres qu’ils renforcent sans cesse autour de lui, toujours ils trembleront qu’un trait de lumière ne perce par quelque fissure et n’éclaire leurs travaux souterrains. » (R. II, p. 340) Cette métaphore fait suite à l’« œuvre de ténèbres », qui était la formulation des Confessions (« Ici commence l’œuvre de tenebres dans lequel depuis huit ans je me trouve enseveli », au début du livre XII, voir Œuvres complètes, op. cit., I, p. 589)

30

Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975, « Tel », 1993, IIIe partie, chap. 2, p. 200.

31

Foucault fait remonter le dispositif panoptique au XVIIe siècle, dans les règlements sur l’inspection des villes en période de peste, « chacun enfermé dans sa cage, chacun à sa fenêtre, répondant à son nom et se montrant quand on le lui demande » (Surveiller et punir, op. cit., III, 3, p. 229). Mais le dispositif trouve son expression la plus éclatante dans le Panopticon [1786-1791] de Jeremy Bentham (p. 233-239).

32

« Vi sorge in mezzo un sasso che la cima | d’un bel muro d’acciar tutta si fascia ; | e quella tanto inverso il ciel sublima, | che quanto ha intorno, inferïor si lascia. | Non faccia, chi non vola, andarvi stima ; | che spesa indarno vi saria ogni ambascia. | Brunel disse : Ecco dove prigionieri | il mago tien le donne e i cavallieri. — » (Arioste, Roland furieux, IV, 12, éd. A. Rochon, Le Belles Lettres, 1998, t. I, p. 63, je traduis).

Référence de l'article

Stéphane Lojkine, « Entre prison et retraite : Rousseau juge de Jean-Jacques », La Prison, Expériences, Imaginaires & Créations, dir. Makki Rebbai, Sfax, 2021, p. 245-259

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