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Corésus et Callirhoé : introduction
1. La scène de Fragonard
2. Dispositif de la caverne
3. Dispositif du texte
4. La scène de Diderot
5. Le travail de Fragonard
Annexe 1 : Le texte de Diderot
Annexe 2 : Le texte de Pausanias
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Stéphane Lojkine

L’année 1765 marque en quelque sorte pour Fragonard le début de sa carrière parisienne, au
retour d’un long séjour à l’étranger, d’abord en Italie (décembre 1756 - septembre 1761), puis
en Hollande (1761-1765) : c’est cette année en effet qu’il décide de solliciter son agrément à
l’Académie royale de peinture, première étape avant la réception, qui fera de lui, à son tour,
un académicien . Comme cela est prévu dans les statuts de l’Académie, Fragonard présente au jugement des
académiciens, avec un échantillon de sa production, ce que l’on pourrait appeler, dans la tradition
médiévale, un chef-d’œuvre, c’est-à-dire un tableau où il est censé concentrer tout
son art. Pour ce faire, il choisit, au sommet de la hiérarchie des genres, la grande peinture d’histoire, et, pour s’y
distinguer, un sujet rare, pour ainsi dire jamais représenté en peinture avant lui : c’est l’histoire de
Corésus et Callirhoé, que Pausanias rapporte dans son Itinéraire de la Grèce, au chapitre qu’il
consacre à la toute petite ville de Calydon (VII, 21, 1). L’Itinéraire de la Grèce, sorte de guide
archéologique de la Grèce hellénistique écrit au Ier siècle avant Jésus-Christ, avait
été traduit en français en 1731, par l’abbé Nicolas Gédoyn, chanoine à la Sainte-Chapelle,
puis à l’abbaye de Beaugency, et membre de l’Académie des inscriptions depuis 1711. On ne connaît pas
d’autre source antique pour cette légende : la Callirhoé ; de Chariton d’Aphrodisias, un roman alexandrin
contemporain de Pausanias, n’a aucun rapport avec l’histoire qui nous intéresse.
Fragonard est agréé le 30 mars, « avec applaudissements », « avec une
unanimité et un applaudissement dont il y a peu d’exemple ». Cochin, secrétaire de l’Académie,
propose de faire acheter le tableau par le roi, pour qu’il soit tissé aux Gobelins, et de commander au jeune peintre un pendant.
L’atelier laissé vacant au Louvre par la mort de Deshays lui sera attribué de préférence à Brenet et
à Lépicié, au mépris de la hiérarchie et de l’ancienneté. C’est dire à quel
point l’apparition du Corésus et Callirhoé de Fragonard sur la scène parisienne fut un
événement.
On connaît au dix-huitième siècle l’histoire de Corésus et Callirhoé par un
opéra, composé en 1712 par Destouches sur un livret de Pierre-Charles Roy, qui a connu un certain succès : il est
rejoué en effet de 1731 à 1743, puis en 1773. Cet opéra fait lui-même suite à une tragédie
d’Antoine de La Fosse, représentée en 1704. Roy résume ainsi l’argument, dans la préface du livret :
« Coresus, grand Prêtre de Bacchus dans la Ville de Calydon, aima passionément la jeune Callirhoé. Il se flatoit de l’épouser ; mais il n’en reçût que des mépris, & les témoignages d’une haine, dont il se trouva si blessé, qu’il en demanda vangeance au Dieu qu’il servoit. Cette vangeance fût prompte & terrible. Tous les Calydoniens se sentirent saisis d’une yvresse qui les armoit les uns contre les autres, & contr’eux-mêmes. On eût recours aux Oracles, pour sçavoir la cause & le remede de tant de malheurs. On apprit que la colere de Bacchus en étoit la source ; qu’elle ne pouvoit estre arrestée amoins que Coresus ne luy immolât Callirhoé, ou quelqu’un qui s’offriroit pour elle. Personne ne se presenta. Elle attendoit à l’Autel le coup fatal, lorsque Coresus la sauva en se sacrifiant luy-même. »
Le tableau de Fragonard représente ce sacrifice, que Roy caractérise, avec les catégories de la Poétique
d’Aristote, comme « la Catastrophe ».
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