Souvent caricaturé sous les traits d’un barbon amouraché de Doña Sol, Don Ruy Gomez Da Silva, personnage créé par Victor Hugo pour son drame historique Hernani, a toutefois ceci d’admirable qu’il fait preuve d’un profond respect envers les obligations qui lui incombent du fait de sa noble lignée. Son sens de l’honneur se révèle avec brio à l’acte III de la pièce, dont le décor se compose d’une grande salle bordée par une « galerie des portraits de la famille da Silva1 ». Pour faire entendre au roi qu’il ne lui livrera pas le bandit Hernani, recueilli en sa demeure, le vieillard présente au monarque les portraits de ses aïeux, qualifiés de véritables « héros2 ». Il lui est impossible de faire offense à cette « race si haute3 », dont il est l’héritier, en s’abaissant à bafouer les règles de l’hospitalité. Au péril de sa vie, il refuse de céder aux caprices du roi d’Espagne.
Cet épisode célèbre a donné lieu à de nombreuses représentations dans les éditions illustrées de Victor Hugo parues tout au long du xixe siècle : on y voit Don Ruy qui, sous le patronage des portraits, affirme sa grandeur face à un Don Carlos outré de voir sa volonté ainsi contrariée [Fig. 1].
Le motif de la déambulation dans la galerie des illustres est tout à la fois ce qui permet de retracer l’aventure individuelle de la famille da Silva, mais aussi de glorifier une histoire commune. De la même façon, le livre illustré peut devenir le creuset d’une histoire partagée et proposer à ses lecteurs-spectateurs un panorama des grandes figures fondatrices d’une culture et d’un patrimoine collectif. Geste historiographique à part entière qui complète, modifie ou bien oriente la réception du texte, l’illustration construit donc un récit national, parfois narré comme dans Hernani à travers le prisme de figures étrangères, qui permet à la communauté de se rassembler autour de valeurs et de principes forts, précisément incarnés par des individus d’exception.
À la fin du xixe siècle, et alors que le sentiment national est de plus en plus exacerbé et nourri par des discours tout autant politiques que culturels4, un projet éditorial en particulier affiche nettement sa volonté de rendre hommage non seulement à l’auteur qui est élevé au rang d’écrivain national par la Troisième République5, mais de manière générale à toutes les personnalités phares de l’histoire de France : l’édition Nationale des Œuvres complètes de Victor Hugo. Publiée entre 1885 et 1895, l’entreprise bibliographique mobilise plus de deux cents artistes pour illustrer l’œuvre de celui qui, par sa longévité, est resté dans les mémoires comme « l’homme siècle ». Ce faisant, la publication tisse progressivement une fresque où la réalité historique rejoint la fiction. Rois et reines, hommes de la Révolution, philosophes des Lumières ou encore nouveaux personnages emblématiques du patriotisme peuplent les pages de cette édition-musée en haut de laquelle rayonne Victor Hugo en personne. Le programme éditorial participe en effet à l’inscription de l’auteur au cœur du Panthéon national.
Tout en revenant sur l’histoire quelque peu oubliée de cette édition, et afin de souligner l’orientation résolument patriotique assumée par ses dirigeants successifs, le présent article interroge les enjeux politiques et sociétaux d’une telle publication à travers l’étude des choix éditoriaux et artistiques qui président à la représentation des personnalités phares de l’histoire de France. À travers certains effets de tensions et de distorsion entre le texte et l’image, deux problématiques principales apparaissent en effet. D’une part se pose la question de la prise en charge de l’épaisseur temporelle de l’œuvre de Victor Hugo par l’illustration. Comment, en un sens, concilier temps de l’énonciation et temps de l’énoncé, royauté de jadis et République d’aujourd’hui, grandeur de l’Empire et souvenir des ignominies des coups d’État ? D’autre part, la puissance polémique du verbe de l’écrivain est-elle prise en charge par l’image ? Dans le contexte de la publication, la recherche du consensus et de l’installation pérenne de l’auteur au rang de figure nationale pourrait conduire à une invisibilisation de certains de ses combats et de ses prises de position, d’ailleurs souvent dénoncées par ses détracteurs comme instables et mouvantes.
Quand l’édition illustrée se fait Panthéon : l’ambition du monument national
En 1884, année où paraît le premier fascicule de l’Édition Nationale, les cérémonies en l’honneur de Victor Hugo font partie du quotidien des Français. Depuis son retour d’exil, les fêtes d’anniversaire, la reprise sur scène des grands drames romantiques, dans lesquels Sarah Bernhardt excelle, ou encore la publication d’ouvrages d’exception à la gloire de l’auteur6 nourrissent le sentiment d’hugomanie, volontairement soutenu par les dirigeants de la Troisième République. Dès les débuts de l’entreprise, les directeurs Jules Lemonnyer et Georges Richard7 cherchent donc à s’inscrire dans ce mouvement de canonisation, et à se faire une place dans le champ très concurrentiel des éditions illustrées hugoliennes8. Pour cela, ils voient les choses en grand : l’édition illustrée sera nationale, ou ne sera pas. Les termes du contrat signé avec Victor Hugo en personne précisent l’ampleur du projet éditorial. L’ambition première est de publier « tout Hugo », c’est-à-dire de donner à lire l’ensemble des œuvres écrites par l’écrivain, et cela, quel que soit leur genre littéraire. En fin de compte, après l’inclusion des œuvres désignées comme « inédites » par les signataires, ce sont quarante-trois volumes d’œuvres qui paraissent sur une période de dix années, sans compter les primes aux souscripteurs, elles aussi illustrées, qui viennent compléter cet ensemble d’exception. Pour qu’un tel projet voie le jour et parvienne à son terme, cela suppose la collaboration d’environ deux cents artistes, des illustrateurs, mais aussi des graveurs, en grande partie spécialistes de l’eau-forte. Plus de deux mille illustrations sont ainsi proposées au fil de la publication, un nombre d’autant plus remarquable que l’imagerie emprunte à tous les genres illustratifs de l’époque (portrait, scène, paysage, mais aussi simples ornements décoratifs). Certes, l’édition s’adresse aux amateurs de beaux livres, séduits par la qualité des tirages sur papiers précieux, ainsi que par la beauté des gravures, mais elle se présente très rapidement comme un bien commun offert à toute la population française. Le président Jules Grévy en personne salue d’ailleurs « cette grande et patriotique entreprise9 », apparemment conquis par le spécimen richement relié qui lui a été remis en main propre par les éditeurs.
Tout au long de la publication, les réclames vantent sans cesse la dimension « monumentale » du projet éditorial, une métaphore qui revient de manière récurrente dans les discours des journalistes, à l’instar de Jules Claretie dans un article de L’Illustration paru le 28 février 1885. Alors président de la Société des gens de lettres, Claretie décrit l’édition comme une « apothéose matérielle10 » étonnante, précisément car elle se réalise alors que Hugo est encore de ce monde, une prouesse que même Beaumarchais n’était pas parvenu à réaliser pour l’édition Kehl des œuvres de Voltaire – la comparaison est donc de taille ! Ségolène Le Men souligne d’ailleurs dans la prose du journaliste la triple image du monument, de l’apothéose, mais également du musée, concluant ainsi, dans un développement consacré à l’histoire des éditions illustrées hugoliennes, que « cette veine hugolâtre de l’édition d’amateur est liée au phénomène de Panthéon républicain et de la déification des hommes illustres11 ». L’édition Nationale des Œuvres complètes de Victor Hugo est donc perçue par ses contemporains comme un des produits issus de ce mouvement de célébration socioculturelle, tout autant que politique, qui met sur le devant de la scène le patriarche de la nation. En somme, le projet éditorial accompagne ce que Paul Bénichou nomme « le sacre de l’écrivain12 », et plus encore le met en scène à travers un dispositif iconographique qui place l’accent sur la popularité jugée incontestée et incontestable de l’écrivain illustré.
Pour asseoir sa légitimité et accroître sa visibilité, l’édition Nationale est également présentée aux lecteurs, et potentiels souscripteurs, comme une édition corollaire de l’Exposition universelle de 1889. Cette stratégie communicationnelle et commerciale repose sur l’importance et la popularité de l’événement qui s’organise à Paris cette année-là. Perçue comme une occasion de démontrer les talents ainsi que les savoir-faire spécifiquement français, la manifestation doit susciter l’admiration auprès des autres nations représentées, mais aussi assurer le rayonnement culturel de la France à l’international. Or l’édition Nationale pourrait bien s’avérer être la vitrine parfaite du pays :
Une édition des œuvres complètes de Victor Hugo, présentée au public en même temps que l’Exposition universelle de 1889, ne semble-t-elle pas un corollaire magnifique de cette grande fête nationale, une sorte de monument de notre littérature qui se dressera devant les étrangers en même temps que le monument de notre industrie ?
L’idée est vraiment belle ; le nom choisi n’a point de rival et n’a nul besoin d’éloge ; il suffit de le prononcer : Victor Hugo13.
Le tapage médiatique associe donc l’entreprise éditoriale à la grande fête nationale qui célèbre cette année-là le centenaire de la Révolution française. Cinq ans après la parution du premier fascicule, l’édition Nationale concourt donc dans la classe 9 dédiée à l’Imprimerie et à la Librairie, et se voit décerner par le jury une médaille d’argent. Bien que le rapport insiste sur la jeunesse de la publication, et donc sur l’échantillon assez faible soumis à l’appréciation des juges, la maison est ainsi officiellement adoubée sur trois aspects : littéraire, artistique et typographique14. Même si le rapport pointe certaines inégalités de traitement entre les réalisations, une publication en particulier récolte tous les lauriers : les deux volumes de Notre-Dame de Paris illustré par Luc-Olivier Merson15 et gravé par Adolphe-Alphonse Géry-Bichard16. Or, la renommée officielle des artistes mobilisés pour ce projet en particulier n’est certainement pas étrangère à ce succès : le roman historique a été confié à deux grandes figures du monde académique, excellant pour l’un dans le domaine de la peinture d’histoire, et pour l’autre dans la reproduction des toiles des grands maîtres.
Convoquer « les sommités de l’art contemporain » : le choix de l’académisme
La construction du monument est méticuleusement confiée à des artistes désignés dans les documents officiels comme les « sommités de l’art contemporain17 ». En dépit de la diversité des profils et des carrières menées par les illustrateurs et les graveurs qui participent à l’entreprise, quelques lignes de force apparaissent. Ces dernières mettent l’accent sur le statut des créateurs, en grande partie reconnus au sein du « système académique18 » tel que défini par les travaux de Harrison et Cynthia White, spécialistes en sociologie de l’art. Incarnations de l’art français par excellence, ces artistes, formés dans la majorité des cas à l’École des beaux-arts, ont construit leur renommée au fil des Salons et des Expositions universelles, recevant de multiples récompenses, des médailles et des prix qui permettent de les distinguer au milieu de la production artistique de l’époque. Au total, les peintres-illustrateurs qui ont collaboré à l’édition Nationale cumulent cent trente et une médailles, toutes catégories confondues, et nombreux sont également ceux qui ont été décorés de la Légion d’honneur. On retrouve aussi, parmi les collaborateurs de l’édition illustrée, des professeurs de l’École des beaux-arts, qui enseignent principalement après la réforme de 186319 : Alexandre Cabanel20, Jean-Léon Gérôme21, Jean-Paul Laurence22 ou encore Jules Lefebvre23. C’est en grande partie grâce à leur participation à l’illustration de La Légende des siècles que les Œuvres complètes de Victor Hugo acquièrent leurs lettres de noblesse auprès des amateurs et des critiques.
Toutefois, la réussite de l’illustration ne dépend pas uniquement de leur talent, mais relève grandement de celui des graveurs et de leur finesse d’exécution. Ces derniers sont bien moins nombreux que leurs collègues illustrateurs (56 contre 137), car un même recueil peut être gravé par plusieurs artistes, tandis qu’au fil de la publication, Émile Testard24, qui reprend les rênes de l’entreprise dès 1886, fait le choix de ne nommer qu’un seul illustrateur par œuvre, soucieux d’offrir une certaine cohérence esthétique au sein d’un même volume. L’art de l’estampe bénéficie à cette période d’un intérêt sans précédent, ce dont se fait l’écho l’immense travail biographique mené par Henri Beraldi, Les Graveurs du xixe siècle25. À la fin du siècle, les graveurs sont désormais considérés comme des artistes à part entière, et plus uniquement comme des artisans, et cela se traduit à travers le nombre croissant de distinctions honorifiques qui leur sont attribuées. De grands noms de la gravure mettent ainsi le talent de leur pointe au service de la plume comme Félix Bracquemond, Léopold Flameng, ou encore Louis-Pierre Henriquel-Dupont, président de la Société française de gravure jusqu’en 1892.
Sous l’impulsion de Lemonnyer et Richard, puis d’Émile Testard, l’édition Nationale semble donc avoir relevé l’exploit de convoquer une grande partie de l’élite artistique officiellement reconnue par les différents cercles de légitimation. Le fait est en tout point remarquable, et peut-être même inédit. Toutefois, certaines participations, notamment pour les premiers volumes de poésie, remettent quelque peu en doute cette affirmation : qui se souvient désormais de Guillaume Alaux, en charge des Feuilles d’automne, ou de Paul-Henri Régereau, auteur de nombreuses gravures pour les Odes et Ballades ? Déjà à l’époque, des observateurs minutieux, à l’instar du bibliophile Octave Uzanne, ne se sont pas laissés abuser par la mention générique quelque peu trompeuse26.
Plus encore, l’académisme de la représentation entre parfois en contradiction avec la ferveur et l’audace du texte hugolien qui, en son temps, a suscité combats et batailles poétiques célèbres. Lorsque l’illustration se complaît dans des poncifs graphiques d’un goût douteux, réalisés par des artistes de second rang, la déception peut donc être de mise27. L’affirmation du système académique dans le processus de sélection des artistes favorise cependant la reconnaissance et l’identification de l’Édition Nationale, par le champ éditorial et artistique, comme un pur produit de l’art français, dédié à l’auteur national, Victor Hugo.
D’ailleurs, les artistes mobilisés dans l’aventure éditoriale ne sont pas en reste lorsqu’il s’agit de mettre leur talent au service de la nation et de son histoire. Il est intéressant de noter que la plupart des artistes qui ont œuvré pour la réalisation des fresques du Panthéon sous la direction artistique de Philippe de Gennevières dès 1874 ont aussi participé à l’entreprise éditoriale, à l’exception notable de Puvis de Chavanne28. Alexandre Cabanel est ainsi chargé de peindre la vie de Saint-Louis, Joseph Blanc et Henri Lévy celles de Clovis et de Charlemagne, sans oublier Jean-Paul Laurens pour le panneau représentant La Mort de Sainte-Geneviève : au début, c’est donc la France catholique et monarchique qui est ainsi glorifiée. Progressivement, le culte patriotique se déplace vers d’autres figures, des allégories de la République, ce dont témoigne la réalisation de plusieurs groupes de sculpture. L’édition illustrée est loin d’être hermétique à ce changement et porte en elle les traces de ces différentes marques d’allégeance. Et cela est d’autant plus vrai que l’œuvre de Victor Hugo navigue entre les siècles avec une facilité déconcertante.
L’illustration, ferment de la cohésion nationale
Victor Hugo, « l’homme siècle » ? L’expression apparaît comme galvaudée. Pourtant, elle dit quelque chose de fondamental du lien qui unit l’écrivain et son époque, ce que ne manque pas de rappeler Michel Winock pour qui Hugo « fait corps avec l’histoire du xixe siècle qui l’a vu naître en 1802 et mourir en 1885 : à lui seul il en est le résumé des avatars, des désastres et des espérances29 ». Hugo témoin et incarnation de son siècle, mais aussi acteur politique, si bien que les républicains l’instaurent progressivement comme point de repère de l’histoire de la France. Pourtant, la question historique dépasse le cadre même de la biographie : c’est toujours à l’intérieur de l’œuvre littéraire que se dévoilent les réflexions de l’auteur sur l’histoire. Que l’on pense aux romans, aux drames historiques, aux considérations philosophiques ou bien aux poèmes inspirés par la muse Clio, le questionnement sur l’histoire, et la loi du Progrès, traverse tous les genres littéraires auxquels Hugo s’adonne. L’œuvre littéraire se présente donc comme le creuset d’une mémoire collective transéculaire. Les artistes de l’édition Nationale ont ainsi comme difficile devoir de mettre en images cette fameuse « légende des siècles » tracée par l’auteur.
L’enjeu est de taille : la quête du grand récit national est en partie nécessaire à la conservation de la Troisième République, certes installée depuis quelques années déjà au moment où l’édition illustrée paraît, mais qui ne cesse d’être fragilisée. La crise boulangiste, puis la violence de l’assassinat du président Sadi Carnot le 24 juin 1894, ainsi que les commencements de l’affaire Dreyfus en sont certainement les symptômes les plus vifs. Quant aux relations de la France avec l’international, elles sont perturbées : l’hostilité à l’égard de l’Allemagne grandit de jour à jour et attise l’esprit de revanche. L’illustration des recueils comme L’Année terrible et le troisième volume des Actes et Paroles rend d’ailleurs compte de la blessure infligée par le conflit franco-prussien. Les mises en scène du deuil national se superposent aux caricatures de l’ennemi prussien, tandis que la violence de la Commune est passée sous silence, comme si l’oubli était la condition nécessaire à la réparation30.
L’édition illustrée n’est donc pas hermétique à cet environnement social et politique : elle se doit d’assurer la cohésion du sentiment national et de mettre en scène des personnalités au pouvoir fédérateur qui valorisent le grand roman de l’histoire de France.
Portrait des grands hommes ou autoportrait de l’auteur ?
Dès la composition de ses premières odes héroïques, la figure du grand homme obsède Victor Hugo et ne cesse de parcourir son œuvre. Un ensemble de portraits émaille donc l’illustration des œuvres complètes, mais c’est bien la question de leur traitement graphique qui nous intéresse tout particulièrement. En effet, la fascination qu’exercent ces personnalités sur l’écrivain dépend de l’évolution idéologique de ce dernier, qui justifie d’ailleurs ses changements d’opinion dès 1834 dans la célèbre introduction de Littérature et philosophie mêlées. Or, l’image peut-elle réellement distinguer les « contradictions31 » et « les idées divergentes32 » de « la pensée unique et centrale33 » de l’auteur, ou bien au contraire a-t-elle tendance à figer les postures ? Ou, pour le dire autrement, comment l’iconographie peut-elle faire coexister le jeune royaliste et le génie républicain désormais patriarche adoubé par la nation ? Il semble que face à la mutabilité des postures politiques adoptées par Victor Hugo au cours de sa vie, l’image ait tendance à opérer certains partis-pris interprétatifs qui ont pour conséquence de brouiller, par moment, la charge critique portée par la parole auctoriale.
Atténuer la nostalgie du royalisme
Élevé par une mère royaliste et un père capitaine de l’Empire, le jeune Hugo est tiraillé dès son enfance par diverses aspirations, autant d’hésitations et d’incohérences qui deviennent rapidement la cible privilégiée de ses détracteurs. Le recueil des Odes et Ballades reflète les mouvances ultra du jeune poète qui se met au service « des idées monarchiques et des croyances religieuses34 ». Les poèmes rendent hommage aux têtes couronnées de ce siècle : Louis XVIII [Fig. 2], Henri IV ou encore Charles X – dont Hugo assiste au couronnement dans la cathédrale de Reims aux côtés de Charles Nodier –, sans oublier le Duc de Bordeaux et le Duc de Berry [Fig. 3].
Dans l’édition Nationale, ces pièces se dotent d’une iconographie on ne peut plus classique, pour ne pas dire désuète par moments, qui cumule tous les symboles de la royauté. Les portraits sont ornés, parfois à l’excès, de fleurs de lys, de trompettes de la gloire, d’écussons ou encore d’armoiries. Ces éléments décoratifs ont pour effet de mettre à distance la célébration en rattachant ces figures à un temps qui semble désormais révolu. Par ailleurs, aucun de ces protagonistes ne fait l’objet d’une gravure hors-texte ; leur représentation se cantonne à l’en-tête des poèmes. Faut-il y voir une précaution politique de la part des éditeurs qui souhaitent davantage célébrer le Hugo républicain que le Hugo royaliste ? C’est bien probable en effet. Quoiqu’il en soit, le discours épidictique du poète se trouve, par l’image, figé dans un lointain passé, dépassionné et obsolète, comme si l’édition bibliophilique cherchait à se prémunir des relents légitimistes ou orléanistes qui pourraient lui être associés.
La représentation de ce même personnel historique diffère toutefois si l’on s’attache aux volumes consacrés aux drames. Dans ses pièces, Hugo dévoile les plus sombres facettes des monarques : François Ier devient sous sa plume un vulgaire coureur de jupons ; Louis XIV, en adolescent fétiche, n’a pas encore l’aura du Roi Soleil ; et Marie Tudor est prête à condamner un innocent dans le simple but de sauver son amant. Pourtant, délaissant en partie la polémique, les illustrateurs ne boudent pas le plaisir que leur offre la mise en scène de ce personnel haut en couleur : l’apparition des figures royales autorise pleinement l’exploration de la veine pittoresque. Les illustrations présentes dans l’édition perpétuent ainsi en cette fin de xixe siècle la tradition du genre historique qui renouvelle dans les années 1830 l’esthétique de la peinture d’histoire en plaçant au cœur de la représentation les acteurs du passé national35. Le spectateur est ainsi invité à pénétrer au plus près de l’intimité des grands de ce monde. Georges Moreau de Tours36 s’empare ainsi des échanges enflammés entre Marie Tudor et celui qu’elle aime, le jeune Fabiani [Fig. 4] :
Fabiani : Je ne puis être heureux qu’avec toi, Marie. Je n’aime que toi.
La reine : Bien sûr ? regarde-moi. Bien sûr ? Oh ! je suis jalouse par instants ! je me figure, – quelle est la femme qui n’a pas ces idées-là ? – je me figure quelquefois que tu me trompes.
[…]
Mon Dieu, mylord, que vous êtes jeune ! les beaux cheveux noirs et la charmante tête que voilà ! – Revenez dans une heure37.
Cette scène dévoile la manière dont le perfide amant se joue de la reine, une reine qui pourtant se montre inflexible envers ses sujets. Or l’illustration autorise précisément ce glissement entre grande peinture d’histoire et scène de badinage, sans pour autant que la charge politique qui dénonce l’absolutisme de sa posture ne fasse l’objet d’une représentation.
En somme, dans l’édition Nationale, la représentation de la royauté est détachée de la charge critique que peut adopter Hugo à l’égard des représentants de ce système politique. Ce qui compte avant tout c’est le pouvoir évocateur qu’induisent ces figures : entre grandeur passée et source possible de spectaculaire. En fait, l’illustration se focalise de préférence sur les figures qui ont joué un rôle dans l’avènement de la République, au premier rang desquelles doit surgir Voltaire, père de la Révolution.
Nourrir le culte de la pensée critique
Pour Hugo, Voltaire est un « flambeau38 », un modèle qui l’inspire et l’embrase tout au long de sa vie. Certains écrits de jeunesse toutefois font part d’une certaine méfiance à l’égard du philosophe. Dans Littérature et philosophie mêlées, Voltaire est en effet critiqué pour le « frivole et funeste emploi39 » de son génie qui est jugé en partie responsable des exactions commises pendant la Révolution, et notamment du vandalisme – une accusation somme toute courante sous la Restauration. Sur le plan littéraire, Hugo n’est pas tendre non plus, comme en témoignent certains passages de la Préface de Cromwell. Il décrit Voltaire comme un des représentants d’un classicisme suranné qui doit précisément être combattu par la nouvelle génération romantique. Pourtant, l’illustration de l’édition Nationale passe sous silence ces récriminations pour se concentrer sur les ressemblances entre les deux hommes. Les deux gravures imaginées par Ferdinand Gueldry40 et Paul Merwart41 pour accompagner le texte « Sur Voltaire42 » mettent en scène deux anecdotes de la vie du philosophe : l’insulte publique du chevalier de Rohan devant l’hôtel de Sully, ainsi que l’enfermement à la Bastille [Fig. 5].
L’image propose ainsi une vision éminemment romantique du philosophe des Lumières : rejeté, conspué, mis au ban de la société, mais s’opposant sans relâche pour dénoncer l’injustice grâce à sa plume acérée. L’iconographie conduit donc à faire de Voltaire l’alter ego de Hugo. Le processus d’identification est d’autant plus efficace que le surnom d’« homme siècle » est attribué aux deux écrivains, chacun d’eux incarnant pour la population française le siècle dans lequel il a vécu.
Les honneurs rendus au philosophe par l’illustration enrichissent la portée de ce que Raymond Trousson nomme le « mythe mobilisateur43 » que constitue le récit de la vie de Voltaire dans cette société républicaine de la fin du xixe siècle pour qui la laïcité est un des maîtres mots. Le centenaire de la mort de Voltaire prend précisément place dans un contexte de lutte contre le pouvoir ecclésiastique. En 1878, Victor Hugo prend la parole lors de la célébration organisée par la Société des gens de lettres au Théâtre de la Gaieté. Il salue non pas l’écrivain ou le dramaturge, mais bien le défenseur de l’affaire Calas et du chevalier de La Barre, celui qui a permis à l’humanité de suivre la loi du Progrès :
Il a vaincu la violence par le sourire, le despotisme par le sarcasme, l’infaillibilité par l’ironie, l’opiniâtreté par la persévérance, l’ignorance par la vérité.
Je viens de prononcer le mot, le sourire, je m’y arrête. Le sourire, c’est Voltaire.
Disons-le, messieurs, car l’apaisement est le grand côté du philosophe, dans Voltaire l’équilibre finit toujours par se rétablir. Quelle que soit sa juste colère, elle passe, et le Voltaire irrité fait toujours place au Voltaire calmé. Alors, dans cet œil profond, le sourire apparaît44.
Le sourire de Voltaire, quintessence de l’esprit voltairien, n’a pas échappé au crayon de Louis-Édouard Fournier pour illustrer ce discours des Actes et Paroles [Fig. 6].
Au centre de la composition, le philosophe, confortablement installé à sa table de travail, regarde droit dans les yeux le lecteur, son fameux sourire au coin des lèvres. Il a délaissé sa perruque et troqué ses habits d’apparat pour une modeste chemise de nuit, et pourtant son large front orné d’un rayon de lumière fait signe vers son génie. Toujours en pleine activité intellectuelle, Voltaire ainsi représenté attise la sympathie des lecteurs auprès de qui il apparaît comme l’emblème de la liberté d’expression et de la tolérance. L’édition illustrée rejoue donc en un sens le geste de panthéonisation de 1791 et alimente le culte qui lui est rendu.
Célébrer la rhétorique révolutionnaire
Dans l’histoire telle qu’écrite par Victor Hugo, la Révolution a toujours été synonyme de liberté, cependant ce n’est qu’à partir des années 1850 qu’elle est clairement assimilée à la République. À la fin du xixe siècle, les figures mémorables de 1789 font partie d’une mythologie républicaine où les tribuns apparaissent comme des colosses, parfois aux pieds d’argile. Malgré le traumatisme que constitue cet événement qualifié par Hugo d’« horrible » puis de « sublime45 », l’écrivain est fasciné par les orateurs révolutionnaires, hommes de théâtre qui manient l’art du verbe et du geste. Une figure en particulier attire l’attention de l’écrivain, Honoré de Mirabeau. Le physique spectaculaire de ce dernier – une stature immense et difforme, alliée à un visage ravagé par la petite vérole – n’est certes pas sans effet sur son auditoire, mais c’est surtout « sa voix rude et âpre, et sa parole toujours tonnante46 » qui suscite l’admiration. Comparée à un « torrent », son éloquence se dévoile à la tribune avec virtuosité :
Tout en lui était puissant. Son geste brusque et saccadé était plein d’empire. À la tribune, il avait un colossal mouvement d’épaules comme l’éléphant qui porte sa tour armée en guerre. Lui, il portait sa pensée. Sa voix, lors même qu’il ne jetait qu’un mot de son banc, avait un accent formidable et révolutionnaire qu’on démêlait dans l’assemblée comme le rugissement du lion dans la ménagerie. Sa chevelure, quand il secouait la tête, avait quelque chose d’une crinière. Son sourcil remuait tout, comme celui de Jupiter, cuncta supercilio moventis. Ses mains quelquefois semblaient pétrir le marbre de la tribune. Tout son visage, toute son attitude, toute sa personne était bouffie d’un orgueil pléthorique qui avait sa grandeur. Sa tête avait une laideur grandiose et fulgurante dont l’effet par moments était électrique et terrible47.
Le portrait en acte s’attache à rendre dans les moindres détails la transfiguration épique de l’orateur. Le député d’Aix-en-Provence se mue en un être exceptionnel, se métamorphosant tour à tour en éléphant, en lion et en dieu de l’Antiquité. Sublime, Mirabeau accède grâce à sa parole à une « laideur grandiose ». Pour illustrer ce texte, le peintre d’histoire François Schommer48 représente l’homme politique en pleine invective [Fig. 7].
Mirabeau plaide avec véhémence à la tribune, son corps tout entier investi dans l’actio : la théâtralité de sa posture est à son comble. L’effet dramatique de son discours est d’ailleurs accentué par la présence de perruques blanches qui entourent l’homme « tempête », autant de visages sur lesquels on peut lire l’admiration, l’attention, et peut-être aussi une certaine crainte. Bien que la personne à qui s’adresse l’invective soit placée hors du champ de la gravure, il est fort probable que l’image fasse référence à la célèbre scène de confrontation entre Mirabeau et Dreux-Brézé, un épisode pleinement ancré dans l’imaginaire collectif notamment grâce aux peintures de Joseph-Désiré Court, Alexandre-Évariste Fragonard ou encore Eugène Delacroix.
Dans l’édition Nationale, la mise en scène des « hommes de la révolution49 » se double donc d’une représentation des pouvoirs de la rhétorique révolutionnaire. Orateurs amoureux du verbe et de l’emphase, adversaires redoutables lorsqu’ils pratiquent l’art de l’attaque ad hominem, et maîtrise du jeu théâtral, ainsi sont les traits caractéristiques des tribuns de la grande histoire de France. Le triumvirat emblématique de la Révolution, mis en scène par Victor Hugo dans son roman Quatrevingt-treize, n’échappe pas à cette règle. La réunion secrète de Marat, Danton et Robespierre dans l’arrière-chambre du cabaret de la rue du Paon donne lieu à une scène, reprise de nombreuses fois par les illustrateurs au fil des éditions illustrées, où les frontières entre fiction et histoire se brouillent : aucun indice graphique ne vient signaler au lecteur-spectateur la distinction entre les personnages inventés par Hugo et les figures mythiques qu’il mobilise dans son récit [Fig. 8].
En somme, l’image scénarise, dramatise et mythifie le bouleversement historique et fondateur que fut la Révolution.
Valoriser la figure du patriote
D’autres figures viennent compléter le grand récit national que tisse l’iconographie de l’édition illustrée hugolienne, notamment pour leur conscience aiguë du bien commun. On peut relever à titre d’exemple signifiant le cas de Giuseppe Garibaldi, une des rares personnalités politiques étrangères qui figure dans l’édition Nationale. Si une telle faveur lui est accordée, c’est notamment parce qu’il s’est imposé à la fin du xixe siècle comme une figure phare du patriotisme, à la fois en France et en Italie. Fervent défenseur de la République française, engagé dans les rangs de la Commune, Garibaldi est particulièrement apprécié par le peuple français qui d’ailleurs le nomme député en février 1871, sans même qu’il ne se soit présenté. Pour rendre hommage au combattant du Risorgimento, l’artiste Eugène Chaperon50 compose un hors-texte qui revient sur l’épisode mythique de l’expédition des Mille [Fig. 9].
Au milieu de la foule de ses « brigands », Garibaldi est immédiatement reconnaissable grâce à sa barbe fournie, sa chemise bouffante, sa cape et son célèbre couvre-chef. Le bras-tendu vers le Royaume des Deux-Siciles, il est représenté comme le meneur d’hommes, celui qui les exhorte à combattre pour la liberté. L’esthétique réaliste met l’accent sur une certaine simplicité et modestie de Garibaldi qui convergent avec la description que Hugo fait de son camarade italien : « Garibaldi. Qu’est-ce que Garibaldi ? C’est un homme, rien de plus. Mais un homme dans toute l’acception sublime du mot. Un homme de la liberté ; un homme de l’humanité. Vir, dirait son compatriote Virgile51 ». L’apparition de Garibaldi au cœur de la fresque de l’édition Nationale a de quoi surprendre cependant, car le récit qui se déploie au fil des volumes se concentre principalement sur une histoire nationale, francocentrée. Dire que sa représentation au cœur des Actes et Paroles suscite un élan d’internationalisme serait donc en partie caricatural, mais elle signale l’attachement à certaines luttes quasi mythiques qui ont permis aux nations étrangères de se constituer en républiques, à l’image de la France.
La galerie de portraits proposée ainsi aux lecteurs de l’édition Nationale construit une identité nationale centrée autour de l’idée de République. Cependant, la scénarisation de l’histoire par l’image tord en partie le grand récit narré par Victor Hugo pour le faire converger vers la pensée républicaine. Mais quelle place peut être accordée à l’Empire au milieu de ce récit qui lie les Lumières, la Révolution et la République ? Comment concilier la grandeur de l’Empereur et le sombre souvenir de celui qui fut surnommé Napoléon le Petit ? Si l’on feuillette les quarante-trois volumes de l’édition illustrée, un constat s’impose : la présence des deux empereurs est comme volontairement estompée, voire estropiée.
Reléguer Bonaparte dans les marges de l’histoire
Dans l’édition Nationale, la discrétion de la présence de Napoléon Ier a de quoi surprendre, car la légende de l’Empereur fascine Hugo, et ce dès son plus jeune âge. Dans l’ode « à mon père » notamment, le poète révèle l’émerveillement de l’enfant pour Léopold Hugo, général des armées, dont l’absence est justifiée par sa participation à la grande geste impériale. Quelques années plus tard, le mythe bonapartiste est réactivé afin d’être mis au service de la nouvelle génération romantique. Franck Laurent analyse en détail les différents « aspects du Napoléon de Victor Hugo » dans l’œuvre de Hugo d’avant l’exil52. Il explique ainsi que l’Empereur incarne aux yeux de l’auteur la grandeur de l’individu dans l’histoire, et que le culte qui lui est rendu possède une véritable utilité au sein de la société. Ce dernier assure la cohésion du corps social qui se tourne vers un seul homme, nouvelle divinité laïque et populaire.
L’imagerie de l’édition illustrée garde la trace de ce culte, et peut-être séduit-elle par ce biais une partie du lectorat toujours fasciné, à la fin du siècle, par ce César des temps modernes. Elle se cantonne toutefois à une série de clichés qui gauchissent la célébration. Bien souvent, Napoléon devient une simple silhouette au-dessus de la colonne de la place Vendôme, ou apparaît de manière fantomatique au milieu des nuages qui entourent l’île d’Elbe [Fig. 10].
On est donc assez loin des grands tableaux d’histoire à la gloire de l’Empereur et des combats qui ont forgé sa légende. D’ailleurs, la seule bataille représentée dans toute l’édition, la bataille d’Eylau, s’écarte du mythe pour mieux l’interroger. Pour illustrer le poème de La Légende des siècles, Julien Le Blant53 prend le contre-pied de la toile composée par Antoine-Jean Gros en 1808 : nul empereur ne vient sauver, sur son cheval de guerre, les troupes de la débâcle ; seuls trois survivants se retrouvent au centre d’un paysage désolé, composé de cadavres : le capitaine, l’enfant et le sergent [Fig. 11].
La critique de l’épopée est portée par le texte hugolien mais trouve aussi écho dans le contexte politique de la publication de l’édition Nationale. Comme l’explique l’historien René Rémond en effet, le mouvement bonapartiste s’essouffle progressivement, si bien qu’en 1899, il n’y a plus aucun représentant bonapartiste à la Chambre54.
À cette méfiance généralisée s’ajoute celle de Hugo lui-même dont l’œuvre complète rend compte de l’évolution de sa pensée à l’égard du grand homme. L’écrivain est en effet convaincu que le culte rendu à l’Empereur, bien que légitime, a en partie encouragé la montée au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte, piètre caricature de son aïeul. L’évocation du Second Empire peut donc fonctionner comme un repoussoir : légende dorée et légende noire ne forment plus qu’un seul et unique récit. L’illustration réalisée par François Flameng55 pour le poème « L’Expiation » rend compte de cette complexité [Fig. 12].
On y voit Napoléon, dans son cercueil, soudainement éveillé par une figure spectrale qui lui rappelle son crime originel : le coup d’état du 18 brumaire. Depuis plus de douze années, l’Empereur repose en paix sous le dôme doré des Invalides, mais l’épisode du 2 décembre 1851 vient mettre fin à ce repos. Napoléon ne peut soutenir le regard de l’apparition divine qui accuse son péché d’être la cause de la piètre parodie jouée par son neveu :
Pareils aux mots que vit resplendir Balthazar,
Deux mots dans l’ombre écrits flamboyaient sur César ;
Bonaparte, tremblant comme une enfant sans mère,
Leva sa face pâle et lut : – Dix-huit Brumaire56 !
La dimension dramatique de la scène est traduite dans l’image grâce à une composition pyramidale où l’allégorie du châtiment divin se dresse au-dessus de Napoléon, en habit militaire, prostré de honte et de peur. Cette vision dégradée de l’Empereur, autrefois tout-puissant et désormais châtié, fonctionne comme une mise en garde à l’égard du pouvoir : l’orgueil a fait chavirer les empires, que la République ne succombe pas à cette tentation. Qu’en est-il à présent du traitement réservé par l’édition Nationale à la représentation de Napoléon III ?
Dénoncer la petitesse ?
En dépit de la violence des attaques proférées à l’encontre de Louis-Napoléon Bonaparte dans l’œuvre de Victor Hugo, l’illustration se montre relativement frileuse. L’audace du texte est rarement retranscrite à sa juste mesure par l’image. Le recueil des Châtiments, qui paraît en 1886, mobilise ainsi dans la composition des en-têtes une succession de motifs particulièrement macabres : les crânes, les tombes, les ossements mais aussi les poignards – arme du traître par excellence – se succèdent, composant ainsi au fil du volume une fresque aux allures baroques, qui frôle parfois la caricature [Fig. 13].
Le lecteur-spectateur est ainsi obligé de déchiffrer les signes qui lui sont donnés à interpréter, puisque l’image privilégie le mode indiciel pour évoquer les atrocités commises. Par exemple, dans l’en-tête du poème « La Reculade », le crime du 2 décembre est simplement suggéré par la présence de deux empreintes de mains qui entachent le drapeau porté par un soldat de la Grande Armée [Fig. 14].
Le souvenir de Bonaparte est donc souillé par l’ignominie du crime du neveu. Si la dimension critique du recueil est en partie atténuée, c’est également parce que l’illustration, qui se refuse à un certain réalisme documentaire, tend à brouiller les frontières temporelles. L’histoire flirte avec le légendaire, comme dans le hors-texte composé par Léon Glaize57 où Napoléon III, assis sur son trône, est mis en scène dans un décor apocalyptique habité par des figures allégoriques qui s’enchevêtrent à l’excès.
L’illustration de Napoléon le Petit privilégie en revanche une représentation davantage réaliste et historique des faits évoqués. Le récit repose sur une chronologie précise des événements, tendue vers le massacre de la nuit du 4 décembre décrit comme l’acmé de l’horreur, et la preuve absolue de l’illégitimité de la prise de pouvoir du prince-président. Pour accompagner la parole de Hugo, Émile Testard fait appel aux services de Lucien Métivet58, un jeune artiste qui n’a pas connu les épisodes décrits par l’auteur, mais qui a très certainement été sollicité pour ses talents de caricaturiste. Il est en effet un collaborateur régulier de la presse satirique de la fin du xixe siècle, et est salué par toute la profession pour son sens aigu de l’observation qui excelle à donner vie aux grandes figures de son époque59. Le frontispice du recueil donne un premier aperçu de ses talents [Fig. 15].
Sur celui-ci, Louis-Napoléon Bonaparte trône au centre de la composition, vêtu comme un bourgeois ; il est entouré de douze personnages, que leur présence même rend immédiatement complices du crime commis. Si l’artiste n’explore pas véritablement la veine caricaturale, le blâme est tout de même présent : les sbires rejouent sur un mode héroï-comique la réunion des douze apôtres autour du Christ. De plus, en plaçant le général Roquet et le Pape Pie IX au premier plan, l’artiste dénonce la compromission du pouvoir militaire et du pouvoir religieux.
S’il est donc assez rare que les attaques ad hominem soient reprises par l’illustrateur, certaines hardiesses affleurent par moment, comme dans l’en-tête qui surmonte le chapitre « Le conseil d’état et le corps législatif », où trois personnages personnifient le gouvernement de Louis-Napoléon. Le rire provoqué par la représentation décrédibilise le régime et dénonce son absurdité. Pour autant, il semble que la figure de l’empereur soit épargnée : aucune gravure ne témoigne véritablement du caractère « vulgaire, puéril, théâtral et vain60 » de l’Empereur. Mais Lucien Métivet semble avoir d’autres cordes à son arc pour dénoncer la félonie du personnage. Le récit de l’élection présidentielle du 20 décembre 1848 est surmonté d’une gravure qui retranscrit l’atmosphère sépulcrale de la scène :
Il était environ quatre heures du soir, la nuit tombait, l’immense salle de l’Assemblée était plongée à demi dans l’ombre, les lustres descendaient des plafonds, et les huissiers venaient d’apporter les lampes sur la tribune. Le président fit un signe et la porte de droite s’ouvrit.
On vit alors entrer dans la salle et monter rapidement à la tribune un homme jeune encore, vêtu de noir, ayant sur l’habit la plaque et le grand cordon de la Légion d’honneur61.
L’artiste fige le moment précis où le président prête serment devant l’Assemblée ; mais par ce geste, l’ombre de sa silhouette cache le mot « liberté » inscrit sur le frontispice de la tribune [Fig. 16].
Le clair-obscur permet ainsi de mettre en scène, de manière symbolique, la tyrannie à venir. La tonalité pamphlétaire n’est donc pas prédominante – sauf peut-être à considérer que figurer l’empereur en chemise de nuit devant sa cheminée est déjà un signe de protestation –, pour autant l’image ne voile pas la réalité historique et la violence des exactions commises, comme l’ouvrier jeté du haut du Pont-au-Change.
Gardienne d’une histoire collective, l’édition illustrée met en scène différentes personnalités qui ont marqué l’histoire de la France, même si certaines d’entre elles portent une ombre au grand récit national. Malgré l’attention portée à toutes ces figures historiques, l’illustration fait cependant une place de choix à Victor Hugo qui devient un personnage essentiel de la narration proposée par l’image.
Assurer la pérennité du consensus
Dans l’édition illustrée, les scénographies de la consécration de Victor Hugo sous la Troisième République sont déclinées sous toutes leurs formes. Véritable rite républicain, l’hommage rendu à l’auteur participe au mouvement de « starisation » ou de « vedettarisation62 » de la personne de l’écrivain, pour reprendre les termes de José‑Luis Diaz. L’entrée de Victor Hugo au Panthéon le 1er juin 1885 constitue certainement le point d’orgue de ce processus de sacralisation, l’image de l’Arc-de-Triomphe en deuil s’inscrivant durablement dans la mémoire collective comme une des grandes pages de l’histoire de France [Fig. 17].
Pour Avner Ben-Amos, les funérailles de l’auteur signent même « l’apothéose de l’événement spectacle », un événement qui s’est affirmé dans l’histoire nationale comme « une explosion et une pédagogie de la mémoire63 », où progressivement la foule prend le pas sur la personne qu’elle commémore. Les illustrateurs offrent ainsi des scénographies dans lesquelles le patriarche est acclamé par ses contemporains, des figures tantôt anonymes, comme la foule qui l’accueille Gare du Nord lors de son retour à Paris le 5 septembre 1870, tantôt célèbres, comme Sarah Bernhardt qui salue le poète à l’occasion du dîner d’Hernani. Cela est d’autant plus aisé que, avec Hugo, histoire intime et histoire de la nation se confondent inexorablement, comme à l’occasion des funérailles de son fils Charles. Le 18 mars 1871, les fédérés alors en plein affrontement contre le gouvernement versaillais cessent le combat pour faire une haie d’honneur au corbillard suivi par l’écrivain et ses proches. Pour composer l’en-tête qui précède l’oraison funèbre du père par le fils, André Slomszynski64 s’inspire de la série de dessins composée par Daniel Vierge pour la publication du recueil de L’Année terrible chez Michel Lévy en 1874. La foule est venue de tout Paris soutenir le poète dans cette terrible épreuve et le deuil est vécu comme un moment de communion [Fig. 18].
L’illustration participe donc à la fabrique de l’écrivain national, et plus encore officialise sa présence au sein même de l’espace public en multipliant les motifs de statufication. En effet, Victor Hugo n’échappe pas à la vague de « statuomanie65 » dont Maurice Agulhon a montré le lien consubstantiel, idéologique et politique, avec la Troisième République. Les illustrateurs s’inspirent ainsi des bustes réalisés du vivant de l’auteur, comme celui d’Alexandre Schoenewerk, ou bien après sa mort, la version réalisée par Auguste Rodin étant peut-être la plus célèbre. Le motif devient ainsi synonyme de gloire et apparaît de manière parfois arbitraire, comme dans l’en-tête du poème « Tout pardonner, c’est trop ; tout donner, c’est beaucoup ! ». D’autres fois, Hugo lui-même convoque le motif de la sculpture. Ainsi dans Les Quatre Vents de l’Esprit imagine-t-il sa transfiguration en une figure d’outre-tombe qui sonde désormais les vérités terrestres :
Je suis fait d’ombre et de marbre.
Comme les pieds noirs de l’arbre,
Je m’enfonce dans la nuit.
J’écoute ; je suis sous terre ;
D’en bas je dis au tonnerre :
Attends ! ne fais pas de bruit66.
Pour représenter cet être fait d’obscurité et de minéralité, Louis-Édouard Fournier met en scène l’adoubement du poète : l’allégorie de la Gloire vient délicatement poser une couronne de laurier sur le buste de l’auteur déposé sur un socle [Fig. 19].
La célébration atténue ainsi quelque peu la dimension funeste et sépulcrale qui jaillit du poème.
Dans l’iconographie de l’Édition Nationale, l’auteur fait donc pleinement partie de la lignée des hommes illustres. Reste que le phénomène de patrimonialisation ainsi mis en scène entre en contradiction avec la politisation de l’auteur. C’est précisément ce qu’observe Jordi Brahamcha-Marin dans un article qui oppose la « réception patrimoniale » et la « réception politique67 » de Victor Hugo au début du xxe siècle. En privilégiant les scènes de célébration, l’illustration ne cesse de tirer Hugo du côté du consensus, à rebours des nombreuses polémiques qui ont émaillé ses prises de position publiques tout au long du siècle68. Elle joue donc un rôle de premier rang dans le mythe unificateur de la gloire, en apparence unanime, de l’écrivain. Par conséquent, dans l’Édition Nationale, une maigre place est faite aux représentations de Hugo en tant que pair de France, député, ou encore sénateur, comme si la prise en charge par l’image de son parcours politique pouvait rompre le consensus, ou pire, réactiver les méfiances qui se sont érigées envers lui, parfois même à l’intérieur de son propre camp69. Gommer les aspérités, se prémunir contre les attaques d’un « Hugo girouette70 », assurer l’union nationale en privilégiant la posture de l’écrivain à celle de l’homme politique, telles sont en quelque sorte les grandes lignes éditoriales de cette vaste entreprise.
Déambuler dans la galerie des illustres de l’Édition Nationale, c’est entrer dans une narration tourbillonnante où la représentation des régimes politiques se succèdent tout en étant contenue par un traitement graphique qui privilégie une certaine atemporalité, laquelle inscrit la série de portraits davantage dans un temps mythique et, de facto, empêche l’actualisation des idées politiques pourtant ouvertement exprimées par Victor Hugo dans ses œuvres. En cette fin de xixe siècle, le temps n'est plus à la controverse mais à la recherche de figures consensuelles et conciliantes sur laquelle la Troisième République tente de fonder ses origines. Au sein de ce processus, Hugo apparaît donc comme le chaînon essentiel qui assure la cohérence du récit national : il fait le lien entre les grandes figures historiques du passé et le déploiement d’une idéologie politique républicaine, encore en construction, dont il devient l’emblème.
Notes
Victor Hugo, Hernani, dans Œuvres complètes : théâtre I, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 587.
Ibid., p. 609.
Ibid.
Voir Sylvain Venayre, « Nos origines : une quête sans fin », dans Jean-Noël Jeanneney (dir.), Le Récit national. Une querelle française, Paris, Fayard, 2017, p. 21‑40.
L’Édition Nationale participe donc activement à ce que la sociologue Anne-Marie Thiesse nomme « la fabrique de l’écrivain national », puisque, à travers l’édition et son iconographie, Victor Hugo apparaît comme « une figure hybride entre culture et politique, individualité créatrice et identité collective », (Anne-Marie Thiesse, La Fabrique de l’écrivain national. Entre littérature et politique, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 2019, p. 11).
Voir notamment Émile Blémont (dir.), Le Livre d’or de Victor Hugo, par l’élite des artistes et des écrivains contemporains, Paris, H. Launette, 1883. La publication s’impose rapidement comme modèle de célébration littéraire où le discours biographique, résolument hagiographique, est soutenu par une riche iconographie.
Avant d’exercer à Paris, Jules Lemonnyer (1840-1894) fait ses armes à Rouen en tant que libraire-éditeur spécialisé dans les fac-similés d’ouvrages bibliophiliques du xviiie siècle. À partir de 1882, il se fait rapidement un nom dans la capitale grâce à la publication des Œuvres de Molière illustrées par Jacques Léman. En 1884, il s’associe à Georges Richard, fondateur de l’imprimerie filigranique et artistique située au 5 rue de la Perle, pour fonder la Société de l’Édition Nationale. Il occupe le poste de directeur de vente, tandis que Richard assure celui de directeur de la fabrication. Ainsi commence l’aventure de l’Édition Nationale des œuvres de Victor Hugo, laquelle est officialisée le 14 janvier 1884 par la signature d’un premier contrat de cession des droits.
À la même époque en effet, l’édition illustrée hugolienne se déploie sous toutes ses formes : populaire, avec l’édition Eugène Hugues (une entreprise titanesque commencée dès 1876, mais qui ne prendra fin qu’en 1897), ou encore bibliophilique, chez l’éditeur Alphonse Lemerre qui propose entre 1875 et 1888 vingt-trois volumes d’œuvres illustrés, principalement des recueils poétiques.
« Choses et gens », Le Matin, 24 mars 1885, p. 3.
Jules Claretie, L’Illustration, 28 février 1885, article cité par Ségolène Le Men, « L’édition illustrée, un musée pour lire », dans Pierre Georgel (dir.), La Gloire de Victor Hugo, Paris, Réunion des musées nationaux, 1985, p. 561.
Ibid.
Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, José Corti, 1973.
La Gironde, « Bibliographie – Œuvres complètes de Victor Hugo – Édition Nationale », 27 novembre 1884, p. 3.
Voir René Fouret, « Classe 9. Imprimerie et librairie », Exposition universelle internationale de 1889 à Paris : rapports du jury international, vol. « Groupe II. 2e partie. Matériel et procédés des arts libéraux. Classes 9 à 16 », Paris, Imprimerie nationale, 1891.
Luc-Olivier Merson (1846-1920) : peintre et dessinateur français, spécialiste de la peinture d’histoire et de la peinture religieuse, il obtient le prix de Rome en 1869 et une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1889. En 1894, il devient professeur à l’École des beaux-Arts et se montre fervent défenseur du classicisme. Il compose pour Notre-Dame de Paris dix hors-textes et soixante-et-un en-têtes.
Adolphe-Alphonse Géry-Bichard (1841-1926) : dessinateur et graveur à l’eau-forte. Il fournit plusieurs vignettes et frontispices pour les éditions Quantin et grave également les compositions de Jacques Léman pour les Œuvres de Molière publiées par Jules Lemonnyer.
Maison de Victor Hugo, Paris, boîte « Contrats d’éditeur », « Contrat du 14 janvier 1884 », préambule.
Harrison et Cynthia White, La Carrière des peintres au xixe siècle. Du système académique au marché des impressionnistes [1965], Flammarion, coll. « Champs Arts », 2009, traduit de l’anglais par Antoine Jaccottet. À la croisée entre sociologie et histoire de l’art, les deux chercheurs anglo-saxons étudient l’évolution de la carrière des artistes français au cours du xixe siècle, laquelle serait marquée par le passage du « système académique » au système moderne du « marchand-critique ».
Sur les tenants de cette réforme qui modifie en profondeur l’enseignement artistique, notamment grâce à la création d’ateliers pratiques au sein de l’école des beaux-arts, voir Alain Bonnet, L’Enseignement des arts au xixe siècle. La réforme de l’École des beaux-arts de 1863 et la fin du modèle académique, Presses universitaires de Rennes, coll. « Art et Société », 2006.
Alexandre Cabanel (1823-1889) : prix de Rome en 1845, il entre à l’Institut en 1863 et se distingue par des portraits de grande qualité ainsi que par des toiles aux sujets historiques et mythologiques. Il reçoit de nombreuses commandes de Napoléon III et s’oppose ouvertement aux peintres impressionnistes. Pour l’Édition Nationale, il compose le hors-texte « Le Titan », poème de La Légende des siècles.
Jean-Léon Gérôme (1824-1904) : d’abord attiré par les sujets antiques, il est séduit par l’exotisme de ses voyages en Égypte, en Turquie et en Algérie. Ses toiles d’obédience orientaliste rencontrent un grand succès au Salon et auprès du public. Professeur à l’École des beaux-arts à partir de 1863, il se présente comme défenseur de l’art officiel. Il compose pour l’Édition Nationale le hors-texte « Le Sultan Mourad », autre poème de La Légende des siècles.
Jean-Paul Laurens (1838-1921) : peintre d’histoire qui reçoit de nombreuses distinctions et devient professeur à l’École des beaux-arts après avoir enseigné pendant de nombreuses années à l’Académie Julian. En plus de ses fresques pour le Panthéon, il créé aussi des peintures murales pour l’Hôtel de Ville de Paris. Il réalise le hors-texte pour le poème « Le Parricide » de La Légende des siècles.
Jules Lefebvre (1834-1912) : prix de Rome en 1861, il est lui aussi un représentant de l’académisme français, élu en 1891 à l’Académie des beaux-arts. Il compose le hors-texte pour le poème « Petit Paul » de La Légende des siècles.
Émile Testard (1855-1895) devient directeur de l’édition aux côtés de Jules Lemonnyer dès 1886. Quelques mois plus tard, il sauve l’entreprise de la faillite et devient seul maître d’œuvre de l’Édition Nationale jusqu’à sa mort. Fils d’une famille de brocheurs, collectionneur passionné d’estampes, et auteur de contes facétieux sous le pseudonyme d’Émile Dartès, Émile Testard instaure au fil des années un dialogue riche avec les artistes chargés de l’illustration, et se forge rapidement un nom dans le milieu de l’édition d’amateurs. Soucieux de diversifier l’offre de sa maison, il publie, en parallèle des Œuvres de Victor Hugo, des auteurs contemporains dans sa « Collection artistique », et consacre une partie de son catalogue à la fresque des Rougon-Macquart.
Henri Beraldi, Les Graveurs du xixe siècle. Guide de l’amateur d’estampes modernes, Paris, Librairie L. Conquet, 12 vol., 1885-1912.
Octave Uzanne, commentateur assidu de l’Édition Nationale, n’est pas tendre avec les éditeurs au début de l’entreprise : « À cette œuvre nationale, il fallait des artistes nationaux, depuis Meissonier jusqu’à Detaille, depuis Baudry jusqu’à Chaplin : toute la palette française, comme on dit, toute la lyre devait se trouver au rendez-vous des éditeurs, il fallait ne point ménager l’or pour ne point épargner les talents, ce monument ne pouvait être rapetissé ; il l’est hélàs ! dans le médiocre et dans le laid. » (Le Livre, Paris, 1885, p. 338-339). Le critique se montrera plus indulgent avec les publications menées sous la direction d’Émile Testard, en particulier à partir de la publication des volumes consacrés à La Légende des siècles.
C’est le cas notamment pour un certain nombre d’en-têtes, comme celui qui surmonte le poème « La douleur du Pacha » dans le recueil des Orientales : deux petits angelots potelés viennent recouvrir d’un voile noir le tigre de Nubie, une apparition surprenante qui dénote avec l’esthétique orientaliste promue par le recueil.
Sur l’histoire des œuvres réalisées pour le Panthéon, voir François Macé de Lépinay, Peintures et sculptures du Panthéon, Paris, éditions du Patrimoine, 1997.
Michel Winock, Le Monde selon Victor Hugo. Pensées, combats, confidences, opinions de l’homme-siècle, Paris, Éditions Tallandier, 2018, p. 7.
Pour une analyse détaillée de ces phénomènes, voir Camille Page, « Illustrer L’Année terrible », Nouveaux cahiers de Marge, 5 | 2022.
Victor Hugo, Littérature et philosophie mêlées, Œuvres complètes : critique, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 47.
Ibid.
Ibid.
Victor Hugo, Odes et Ballades, Œuvres complètes : poésie I, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 54.
Sur le lien entre « genre historique » et « genre anecdotique », voir Stephen Bann, « Au fil de l’histoire : généalogie des genres “anecdotique” et “historique” », dans Stephen Bann et Stéphane Paccoud (dir.), L’Invention du passé, t. II Histoires de cœur et d’épée en Europe, 1802-1850, Paris / Lyon, Hazan / Musée des Beaux-Arts de Lyon, 2014, p. 13-25.
Georges Moreau de Tours (1848-1901) : élève d’Alexandre Cabanel, il est spécialiste des scènes militaires et des scènes de genres. Nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1892, il compose pour l’Édition Nationale quatre gravures hors-textes et huit en-têtes afin d’illustrer Marie Tudor et Amy Robsart.
Victor Hugo, Marie Tudor, Œuvres complètes : théâtre I, op. cit., p. 1117-1118.
« Jean-Jacques, ce tison, Voltaire, ce flambeau » dans Victor Hugo, « France et âme », La Légende des siècles, édition intégrale d’Arnaud Laster, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 2002, p. 724.
Victor Hugo, « Sur Voltaire », Littérature et philosophie mêlées, Œuvres complètes : critique, op. cit., p. 142.
Ferdinand Gueldry (1858-1945) : élève de Jean-Léon Gérôme, il débute au Salon de 1885 et obtient une médaille d’argent à l’Exposition universelle de 1889. Ses compositions s’intéressent à la vie des travailleurs à l’atelier et à l’usine. Il réalise également quelques paysages d’eau et des marines.
Paul Merwart (1855-1902) : artiste polonais, il est élève à l’académie de Vienne avant de participer pour la première fois au Salon de 1879 à Paris. Il compose l’ensemble des illustrations pour le recueil Littérature et philosophie mêlées de l’Édition Nationale.
Ibid., p. 139-145.
Raymond Trousson, Visages de Voltaire (xviiie‑xixe siècles), Paris, Honoré Champion, coll. « Les Dix-huitièmes Siècles », 2001, p. 155. Au xixe siècle, « il est désormais moins question de le lire que de l’exalter ou de le maudire ; catalysant les passions, dans un sens ou dans l’autre, il est devenu un mythe mobilisateur d’une rare efficacité ».
Victor Hugo, « Le centenaire de Voltaire – 30 mai 1878 – Discours pour Voltaire », Actes et Paroles IV, Œuvres complètes : politique, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 987.
« L’effet historique de la révolution a d’abord été horrible, puis terrible, puis discuté, puis grand, puis immense, puis sublime. La monarchie présente une mise en perspective inverse », Victor Hugo, « Le Temps présent V », Choses vues, Œuvres complètes : histoire, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 1308.
Victor Hugo, « 1834 – Sur Mirabeau », Littérature et philosophie mêlées, Œuvres complètes : critique, op. cit., p. 234.
Ibid., p. 228.
François Schommer (1850-1935) : peintre d’histoire, élève d’Isidore Pils et d’Henri Lehmann, il expose au Salon à partir de 1879 et reçoit une médaille à l’Exposition universelle de 1889.Il devient professeur à l’École des beaux-arts et décore les plafonds de la Nouvelle Sorbonne à Paris et de l’Hôtel-de-Ville de Tours. Ce hors-texte est son unique composition pour l’Édition Nationale.
Ibid., p. 234.
Eugène Chaperon (1857-1938) : peintre de genre, illustrateur et collaborateur de nombreux journaux illustrés, il fut l’élève d’Isidore Pils aux beaux-arts, et expose au Salon à partir de 1878. Il est notamment célèbre pour ses compositions de scènes militaires.
Victor Hugo, « Rentrée à Jersey », Actes et Paroles II, Œuvres complètes : politique, éd. cit., p. 517.
Franck Laurent, « Le Napoléon de Victor Hugo dans l’œuvre d’avant l’exil », communication au Groupe Hugo du 16 septembre 2020.
Julien Le Blant (1851-1936) : peintre français qui étudie chez Ernest Girard et débute au Salon de 1874. Il reçoit une médaille à l’Exposition universelle de 1889. Ce hors-texte est sa seule participation à l’Édition Nationale.
René Rémond, Les Droites en France, Paris, Aubier, coll. « Collection historique », 1954, p. 149.
François Flameng (1856-1923) : fils du graveur Léopold Flameng, il a pour maîtres Alexandre Cabanel et Jean-Paul Laurens. Il débute au Salon de 1875 et son œuvre est rapidement appréciée du grand public. En 1905, il est nommé professeur à l’École des beaux-arts.
Victor Hugo, « L’Expiation », Les Châtiments, Œuvres complètes : poésie II, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 135.
Léon Glaize (1842-1832) : peintre d’histoire et de sujets allégoriques, il est élève de Gérôme lorsqu’il entre à l’École des beaux-arts en 1863. Il reçoit de nombreuses distinctions et devient officier de la Légion d’honneur en 1906.
Lucien Métivet (1863-1932) : peintre, affichiste et dessinateur, il fréquente l’atelier de Jules Lefebvre puis de Cormon. Il illustre de nombreuses œuvres chez les éditeurs Plon, Dentu, Flammarion et est un collaborateur régulier de la presse illustrée, comme le journal Le Rire pour lequel il fournit plusieurs caricatures. Il est chargé par Émile Testard de réaliser l’illustration du recueil Napoléon le Petit.
Voir la notice qui lui est consacrée, dans Emmanuel Bénézit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays par un groupe d’écrivains spécialistes français et étrangers, nouvelle édition, Paris, Librairie Gründ, 1976, t. 7, p. 358.
Victor Hugo, Napoléon le Petit, Œuvres complètes : histoire, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 14.
Ibid., p. 4.
José-Luis Diaz, L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, coll. « Romantisme et modernité », 2007, p. 3.
Avner Ben-Amos, « Les funérailles de Victor Hugo. Apothéose de l’événement spectacle », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. I, La République, Gallimard, coll. « Quarto », 1997, p. 425-464. Pour l’historien, la spécificité des funérailles hugoliennes résulte de la conjonction de divers éléments dont : la personne même de Hugo, la situation politique de la Troisième République qui cherche à affirmer son unité, une tradition scolaire qui inscrit l’apprentissage des poèmes de Hugo au cœur des programmes d’éducation, et le développement, dans la presse, de la pratique du reportage.
André Slomszynski (dit Slom), (1844-1909) : peintre et dessinateur polonais autodidacte qui travaille pour de nombreux périodiques parisiens. Ami de Gustave Courbet aux côtés duquel il s’engage pendant la Commune. Sa réputation sulfureuse contraste avec l’académisme et la notoriété de la grande majorité des artistes qui collaborent à l’Édition Nationale. Il réalise l’illustration des trois volumes des Actes et Paroles.
Voir notamment Maurice Agulhon, « La “statuomanie” et l’histoire », Ethnologie française, n° 2/3, 1978, p. 145-172. L’historien rappelle que le phénomène, qui prend racine dans la Révolution, se fonde sur une idéologie en particulier, celle de « l’humanisme libéral » dont « la démocratie sera l’extension la plus naturelle ». Par conséquent, la statuomanie refait surface à chaque fois qu’un régime libéral, laïque, patriotique et pédagogue succède à un régime de contrainte et d’autorité. La Troisième République, en tant que triomphe des idéaux de 1789 et 1830, a donc « statufié à tour de bras pas seulement les grands hommes, mais aussi les “braves gens” – prêtant ainsi le flanc aux railleries et aux critiques les plus virulentes ».
Victor Hugo, « Je suis fait d’ombre et de marbre », Les Quatre Vents de l’Esprit, Œuvres complètes : poésie III, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 1295.
Jordi Brahamcha-Marin, « Victor Hugo entre réception patrimoniale et réception politique (1902-1944) », Culture & Musées [en ligne], n° 38, 2021. Les bornes chronologiques choisies sont postérieures à notre étude. Pour autant, les phénomènes décrits corroborent l’analyse proposée dans l’article, même si la question du consensus autour de la figure hugolienne n’est pas encore au cœur des débats entre hugophiles et hugophobes, comme ce sera le cas au début du xxe siècle. Pour le chercheur en effet, le phénomène de patrimonialisation s’accélère considérablement à partir de 1902, notamment parce que la République a résisté aux crises des dernières décennies du siècle précédent et qu’elle peut désormais désigner ses icones. C’est précisément en réaction à ce phénomène qu’une repolitisation forte de Hugo s’opère à cette époque.
Sur ce sujet, voir Claude Millet, « Actualité de Victor Hugo : réflexion sur le succès du bicentenaire de 2002 », Revista da Universidade de Aveiro - Letras, n° 19/20, 2002/2003.
Guy Rosa, « Hugo politique – 1872-1880 », communication au Groupe Hugo du 17 mars 1989.
L’expression est celle d’Edmond Biré, auteur de droite farouchement opposé à Hugo qu’il accuse d’avoir sans cesse changé de camp au gré des situations politiques. Voir Edmond Biré, Victor Hugo avant 1830, Paris, Jules Gervais libraire-éditeur, 1883.
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