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Résumé

Julien Delval est né en 1972 à Paris. Après des études aux arts décoratifs, il apprend son métier d’illustrateur en travaillant dans le milieu du jeu de rôle pour les éditions Multisim.
Les rencontres qu’il y fait le mèneront à réaliser de nombreuses couvertures de romans adulte ou jeunesse. Toujours présent dans le monde ludique, auprès de l’éditeur Days of Wonder et Sand Castle game principalement, et après un passage dans la bande dessinée, il se consacre depuis une dizaine d'années à des œuvres plus personnelles, soutenu par la galerie Daniel Maghen qui lui a consacré une grande exposition en 2023.
Il met en scène des mondes antiques, mythologiques et fantastiques inspirés de la peinture classique et de l’imagerie du XXe siècle.
Ses œuvres ont été également exposées au Mudaac d'Épinal et à la BMI en 2021.
Une monographie de son travail est sortie en 2019 aux éditions Caurette.
Chez le même éditeur, il illustre Othello de Shakespeare, publié en 2022.
Instagram@juliendelval.art

Julien Delval was born in Paris in 1972. After studying at the École des Arts Décoratifs, he learned his illustrating profession by working in the role-playing game industry for Multisim Editions.
The encounters he made there led him to design numerous covers for adult and children's novels. Still active in the gaming world, mainly with publisher Days of Wonder and Sand Castle game, and after a spell in comics, he has been devoting himself for the past ten years to more personal works, supported by the Daniel Maghen gallery, which devoted a major exhibition to him in 2023.
He stages ancient, mythological and fantastical worlds inspired by classical painting and twentieth-century imagery.
His work has also been exhibited at the Mudaac in Épinal and at the BMI in 2021.
A monograph of his work was published in 2019 by Editions Caurette.
For the same publisher, he is illustrating Shakespeare's Othello, published in 2022.

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Références de l’article

Julien Delval, , mis en ligne le 12/08/2024, URL : https://utpictura18.univ-amu.fr/rubriques/numeros/shakespeare-if-that-an-eye-may-profit-by-a-tongue/entretien-julien-delval

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© Julien Delval

Pourquoi avoir illustré Othello ? Est-ce le début d’un cycle shakespearien ?

JD. Je voulais une pièce connue mais aussi qui résonne avec notre époque.
Les décors possibles ont fini par me convaincre.
J’espère en faire au moins deux autres, Le Songe d’une nuit d’été et La Tempête. Leurs histoires correspondent bien à mes univers graphiques.

Vous avez dit qu’Othello « résonne avec notre époque ». Qu’entendez-vous par là ?

JD. Le sujet du racisme et de la violence faite aux femmes me semble assez actuel.

Cette pièce se prête-t-elle particulièrement bien à un traitement par l’image ?

JD. Particulièrement, je ne suis pas sûr.

Pourquoi ?

JD. L'intrigue est quand même très psychologique, mais c’est ça qui est intéressant.
Il a fallu aller au-delà du texte. Ce qui m’a motivé visuellement à la première lecture, c’est Venise, la mer, le château de l'île de Chypre.

Comment s’est fait le choix de la traduction ? Pourquoi ne pas avoir choisi une traduction plus récente ?

JD. Tout simplement pour des questions de droits mais j’aime bien les anciennes versions avec ce côté un peu suranné ampoulé, qui correspond à mon envie de baroque.

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre de Shakespeare ?

JD. Mes premiers souvenirs de Shakespeare viennent des adaptations en film. Ma mère nous emmenait beaucoup au cinéma avec mes sœurs. Elle avait fait un peu de théâtre et adorait ça. Les libres adaptations de Kurosawa d'abord, puis j'ai adoré celles de Kenneth Branagh qui sont des délices, j’ai aussi aimé Looking for Richard de Pacino. Ces dernières années j’ai eu la chance de voir plusieurs pièces se jouer dans les jardins de Cambridge. Je crois que j'aime la manière de parler au théâtre, la manière de dire les choses poétiquement et le souffle qui s'en dégage. En termes d'illustration, j'admire le travail qu'ont pu faire Rackham et Dulac autour de Shakespeare, j'aimerais suivre leurs traces.

Vous mentionnez Rackham et Dulac. Êtes-vous également influencé par Gustave Doré ? (ses illustrations pour la Tempête, par exemple)

JD. Oui bien sûr, c'est formidable, mais je connais moins ses illustrations pour Shakespeare.

Pensez-vous que le dessin parvienne à exprimer des choses que le texte fait ressentir sans réussir à les dire et que l’illustrateur perçoit ?
En quoi l’image peut-elle être supérieure au texte ?

JD. Le texte de Shakespeare pourrait se suffire à lui-même. Mon idée est d’apporter la musique, le décor, les costumes. Puis de renforcer les symboliques, ma volonté et de magnifier la pièce pour en faire un opéra.
L’image permet de rentrer plus facilement dans le texte, elle séduit plus rapidement.

À votre avis, qu’est-ce qu’un illustrateur apporte à un texte (de théâtre ou non) ? Et sert-il le texte ou s’en sert-il pour créer autre chose ?

JD. L’image magnifie le texte et lui apporte une atmosphère, une couleur, une musique. C'est un travail de mise en scène.

L'image doit suivre le texte et aller au-delà. Je pense que l'illustrateur doit s'appuyer dessus et s'en éloigner pour apporter sa propre vision, il doit chercher les parties de l'histoire juste évoquées et s'en servir pour étoffer l'univers.

Est-ce que l’idée de « fidélité » à un texte fait sens à vos yeux ?

JD. On ne peut pas faire d’infidélité au sens, au fond, mais on peut en faire sur la forme. On peut transposer, inventer les à-côtés.
Ce qui est dit doit être respecté, mais il faut chercher des espaces de liberté. Le théâtre le permet, le dialogue est intouchable, mais tout le reste l'est.

Quelle importance accordez-vous aux détails lors d’une composition graphique ?

JD. J'aime bien l'idée que l'on puisse passer du temps sur mes illustrations, les détails permettent cela, ils sont aussi source de vibrations. Pour autant l'image doit fonctionner avec ses grandes masses, je réalise les recherches en petit format pour justement ne pas être happé par les détails. Ils sont importants mais ne doivent pas troubler la composition.

Quelles sont les erreurs qu’un illustrateur ne doit pas commettre ?

JD. À mon avis l'illustratrice ou l'illustrateur ne doit pas être juste "illustratif". Il doit choisir un point de vue et ne doit pas être uniquement descriptif de la scène. Il doit la dézoomer ou alors en trouver l’essence et la traduire graphiquement. Rien que le style graphique utilisé est déjà une interprétation.

Qu’est-ce qu’une bonne illustration ?

JD. Pour ma part ce serait une illustration qui se lit simplement au premier regard, où l’action est évidente. Puis en prenant son temps on doit découvrir d’autres choses. Ensuite il y a tous les critères graphiques, qui ne sont, bien sûr, pas objectifs. Même s'il existe des règles de composition, d'harmonies des couleurs, de perspective…

Comment représenteriez-vous les sorcières de Macbeth ?

JD. C'est drôle car je les ai dessinées il y a peu, pour une édition brésilienne dans laquelle j'ai illustré uniquement les personnages en noir et blanc.
J'ai fait des sorcières assez classique, plutôt chamanique avec os et plumes mais je ne sais pas si c'est la bonne approche. Le personnage de la sorcière est toujours compliqué car beaucoup représenté, avec une vision collective assez précise. S'en affranchir peut être casse gueule, je me suis plus intéressé du coup à la composition.

Questions spécifiques sur Othello

Pourquoi avoir choisi un griffon (est-ce bien un griffon ?) pour figurer sur la première page ? (et pourquoi sa queue se transforme-t-elle en serpent ?) Est-ce une allusion à l’Afrique d’où est originaire Othello ? Le griffon revient très souvent dans vos illustrations de cette pièce. Pourquoi cette récurrence ?

JD. En fait, il s’agit du lion ailé symbole de Venise. Le lion effectivement rappelle l’origine africaine d'Othello, il porte une épée soulignant le statut militaire du Maure.
Comme il s’agit d’une histoire de jalousie, « le monstre qui naît de ses propres entrailles » comme il est dit dans le texte, j’ai eu cette idée de cette queue qui se transforme en serpent et qui étouffe Othello. Serpent aussi évoqué dans le texte. Le lion est le symbole d'Othello et la biche celui de Desdémone. On les retrouve donc dans les illustrations.

p21. Les personnages semblent minuscules dans les décors de Venise. Pourquoi cette importance donnée à la ville ? Sur la scène élisabéthaine il n’y avait pas de décor. Avez-vous voulu inverser ce constat en faisant du lieu un ‘personnage’ ?

JD. Ma volonté était de faire une version opéra, baroque de cette pièce.
J’ai une grande fascination pour les décors d’opéra et de théâtre du 19ème siècle, pleins de détails et fantastiques. 
Je ne passe pas au Musée d'Orsay sans aller voir les petites maquettes de décors.
Mon travail de peinture, en général, est plus porté sur le paysage et l'architecture que sur les personnages.
L'avantage du dessin, c'est d'avoir un budget illimité pour les costumes et les décors (que n'ont pas les troupes de théâtre), autant y aller à fond !

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© Julien Delval

p35. La scène du récit de la vie d’Othello semble se dérouler à l’extérieur. Est-ce vraiment le cas ou bien avez-vous déplacé la scène à l’intérieur du récit qui la fait naître ? Pourquoi Othello tourne-t-il le dos à Brabantio et Desdémone ? Et pourquoi a-t-il mis un pied sur le tabouret ?

JD. C’est une vision fantasmée. Othello raconte ses histoires, Desdémone se les imagine et se retrouve plongée dedans.
Othello se tourne vers nous comme il le ferait au théâtre, il joue ses aventures. Il met son pied sur le tabouret comme pour prendre la pose sur le ponton d'un navire, en poupe, tourné vers l’horizon.

p75. Pourquoi avoir associé Iago à des éléments diaboliques ou maléfiques, comme des diables volants et des serpents (et l’ombre diabolique p145) ? (Les diables apparaissent aussi dans l’illustration qui figure p94.) L’illustration p126 semble présenter des âmes tourmentées. Pourquoi avez-vous accordé autant d’importance à l’enfer et aux démons ?

JD. Je voulais matérialiser les démons intérieurs de Iago et ceux qui assaillent Othello, qui lui chantent une mélopée tragique et influencent son comportement.
Ils sont souvent cités en symbolique dans le texte. Cela permet une vision palpable du mal

© Julien Delval

p109. Le mouchoir semble devenir un décor de théâtre ou une toile qui met en valeur les silhouettes d’Othello et Desdémone. Pourriez-vous commenter ce choix ? Avez-vous hésité avec d’autres idées en ce qui concerne le mouchoir ?

JD. J'aimais bien cette histoire de sorcière égyptienne juste évoquée ; cela me permet de créer de l'exotisme, d'utiliser le jardin comme lieu fantastique d'où des statues égyptiennes émergent et font la transition avec un décor de bord de Nil fantasmé. Avec comme idée toujours d'enrichir la vision du texte.

Pourquoi Desdémone semble-t-elle porter des cornes de cerf ? Est-ce pour la lier à Othello (le cocu) ?

JD. Les cornes du cerf rappellent la biche et oui les cornes du cocu aussi.

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© Julien Delval

p177. La mort de Desdémone semble être une éruption volcanique (volcan déjà présent p35). Pourriez-vous commenter ce choix ? Et pourquoi avoir placé le meurtre au second plan ? Il semble effacé par le meurtre de la biche tuée par le lion au-dessus du lit…

 

JD. Leur monde s'écroule, le lion, Othello, a cédé aux démons. Des ailes de chauve-souris ont poussé ainsi que des cornes de diable. Le feu, le sang, encore des symboles. Je ne voulais pas montrer juste Othello étranglant Desdémone. Je voulais une fin apocalyptique.

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