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Références de l’article

Stéphane Lojkine, « La Folie de Roland », Le Roland furieux de l’Arioste : littérature, illustration, peinture (XVIe-XIXe siècles), cours donné au département d’histoire de l’art de l'université de Toulouse-Le Mirail, 2003-2006.

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La folie de Roland, détail de la gravure de l’édition Valgrisi pour le chant XXIV
La folie de Roland, détail de la gravure de l’édition Valgrisi pour le chant XXIV

L’épisode de la folie de Roland, qui débute à la fin du chant 23 et occupe tout le début du chant 24, est l’épisode central de l’épopée de l’Arioste. Il lui a donné son nom.

Comment représenter la folie ? La folie ne se manifeste pas comme discours habité par la déperdition du sens ; la folie est furia, déchaînement d’une force brutale, muette et sauvage ramenant l’homme à l’état de bête. Il faut distinguer la « douleur » de Roland, qui se manifeste à la fin du chant 23 par sa complainte, de la « furie  » de Roland, qui le conduit à arracher ses vêtements, à éparpiller ses armes, à massacrer les paysans, à manger avec les mains indifféremment le cru et le cuit, à combattre au corps à corps les bêtes sauvages. Chacun de ces actes vise le code chevaleresque, retourne la distinction du chevalier en indistinction bestiale : les vêtements et les armes sont la première marque distinctive du chevalier. C’est parce qu’il s’est emparé des vêtements et des armes du chevalier vermeil que Perceval, chez Chrétien de Troyes, peut être adoubé par Arthur.

La sélection des adversaires est la deuxième marque distinctive du chevalier : le chevalier ne doit jamais combattre un vilain ; exterminer ls paysans est une vilenie (on se souvient des scrupules de Roger face au vilain d’Armide au chant VIII) ; c’est devenir vilain soi-même, comme combattre les ours au corps à corps, c’est devenir ours soi-même (comme le figure la gravure de Gustave Doré). Roland revient à la terre et à la nature, il quitte la culture, la distinction chevaleresque.

La participation aux banquets est la troisième marque distinctive du chevalier, par quoi est signifiée son appartenance à la communauté. Manger le cru, dans des maisons désertées, c’est la négation même de cette sociabilité courtoise, de cette marque de distinction.

Plusieurs éditions illustrées mettent en avant un détail particulièrement atroce de ce déchaînement furieux : Roland décapite un paysan et, prenant son corps par le pied, il l’utilise comme une massue (éditions Valgrisi, Valvassori et Franceschi). Cette image de Roland brandissant le corps qu’il a saisi par le pied vient se confondre avec elle d’Hercule, l’autre grand « furieux », massacrant Lichas, son ami fdèle qu’il ne reconnaît plus (la sculpture de l’Hercule de Canova s’inspire semble-t-il des Rolands furieux de la Renaissance). La fureur d’Hercule, brûlant sous l’effet du sang empoisonné dont la tunique de Nessus était teinte, était un exemplum à la mode chez les néo-platoniciens du quinzième siècle : pour eux, Hercule brûlant en punition de ses péchés de chair allégorisait la quête spirituelle de l’âme, qui doit se débarrasser du corps pour accéder au monde des idées : la furia est une ascèse.

Rien de tel chez l’Arioste qui semble chercher précisément à renverser radicalement une telle lecture : la folie de Roland ne l’élève en rien ; il devient au contraire un pur corps, il déchoit de l’humanité. « Pris dans l’amoureuse glu », comme un oiseau pris dans la colle d’un piège de paysans, Roland se débat mais ne fait pas sens.

La lecture allégorique de la fureur n’est donc plus opératoire ici, tandis que la récupération de la folie par le langage (le discours baroque du fou) n’est pas encore de mise.

La suite du chant 24 semble sans rapport avec la folie de Roland. Dans le texte d’ailleurs la rupture narrative est très nette : on passe de l’histoire de Roland à celle de Zerbin. Pourtant les deux personnages ne sont pas sans rapport et ce n’est pas un hasard si le dispositif du récit consiste à juxtaposer folie de Roland et mort de Zerbin. Les deux chevaliers se caractérisent par un respect scrupuleux des règles de la chevalerie et de la courtoisie. Zerbin, qui a grâcié Médor au chant XIX (mais en pure perte puisque celui-ci reçoit alors le coup de lance d’un compagnon de Zerbin, coup de lance qui par référence à la Passion du Christ signifie la traîtrise par excellence), qui pardonne ici aux traîtres, à Odoric qui avait tenté de violer Isabelle au chant XIII, et à Gabrine qui l’avait dénoncé au chant XXIII à Anselme. C’est enfin Zerbin qui, ramassant pieusement les armes de Roland éparpillées sur le sol, les rassemble en un trophée qu’il défend jusqu’à la mort contre Mandricard, lorsque celui-ci s’empare de Durandal.

Les destins de Roland et de Zerbin sont étroitement noués dans ce chant XXIV : l’inscription de Zerbin sur le trophée, ARMATURA DI ORLANDO PALATINO, répond aux inscriptions d’Angélique et de Médor, trouvées par Roland dans la même prairie ; elle supplée au défaut de chevalerie, elle répare la déconstruction du genre épique en pastorale, de la geste épique en folie de Roland. Mais le trophée lui-même fait écho au mausolée de Rodomont, auquel Roland parvient au terme de son errance, mausolée qui n’est pas nommé dans le texte (il faudra attendre le chant XXXI), mais que les illustrations des éditions Valgrisi et Franceschi représentent explicitement. Rodomont y accumule les armes des chevaliers qui se trouvent face à lui, en réparation de la mort d’Isabelle qu’il a séquestrée après la mort de Zerbin. Isabelle est morte de désespoir et Rodomont tente par le mausolée qu’il lui a érigé de réparer sa perte, de réparer la faute commise contre le code de courtoisie. Trophée de Roland et mausolée de Rodomont se font ainsi face comme deux monuments impossibles, deux réparations illusoires d’une mise en défaut de l’épopée. On touche ici à ce qui fonde le dispositif de récit : le récit n’enchaîne pas linéairement des événements ; il juxtapose des séquences destinées à se répondre, à constituer un réseau.

Voir les notices du chant XXIV.

Référence de l'article

Stéphane Lojkine, « La Folie de Roland », Le Roland furieux de l’Arioste : littérature, illustration, peinture (XVIe-XIXe siècles), cours donné au département d’histoire de l’art de l'université de Toulouse-Le Mirail, 2003-2006.

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