Les amours de Pyrame et Thisbé et le divin
Les dieux ne font qu’une apparition tardive et furtive dans la version d’Ovide de la fable de Pyrame et Thisbé, au chant IV des Métamorphoses. Comme l’indique Françoise Graziani, le récit y occupe justement une place à part, car il n’y apparaît aucune figure divine identifiée, et que la métamorphose ne touche ni les dieux, ni les humains, mais un végétal, un mûrier blanc dont les fruits se teintent du sang des amants1. Les deux enfants de Babylone bravent l’interdit parental, déjouent la surveillance des gardes et quittent la maison paternelle pour se retrouver au tombeau de Ninus, à l’extérieur de la cité. Là, conjuguant les méprises, ils se suicident tour à tour. La prière de Thisbé adressée aux deux pères de les unir dans un même tombeau est entendue par des dieux anonymes, simples spectateurs d’un drame intime et familial. Dans une version plus ancienne et d’origine cilicienne, les amants sont respectivement transformés en source et en fleuve par les dieux, après avoir cédé à la tentation de la chair2. S’y découvrant enceinte de Pyrame, l’amante se donne la mort, suivie de près par l’amant. Partant, la tentation du divin qui irrigue nombre des représentations visuelles de la fable n’a de cesse d’étonner.
De fait, dès Augustin et les premiers siècles de l’ère chrétienne, un questionnement herméneutique spirituel s’ébauche autour du récit ovidien. La fusion d’Eros et Thanatos qui se noue au travers du double suicide en indexe la nature peccamineuse. D’ailleurs, dans De Ordine, le Père de l’Église condamne avec virulence la « passion furieuse des amants » et « ses feux empoisonnés3 » qui détournent de la vérité. Pourtant, ainsi que l’a relevé la recherche, dans la lignée de l’Ovide Moralisé, les réécritures médiévales christianisent le récit, insufflent le divin à toutes les pages et étirent l’exégèse biblique jusqu’à l’allégorie essentialisante. Les figures païennes sont métamorphosées en figures christiques. Le tournant spirituel donné à la fable contamine l’iconographie, et la recherche a fait la part belle à ces représentations allégoriques teintées de morale chrétienne dans les textes et les arts médiévaux.
Or, nous voudrions montrer ici que les affinités picturales entre les figures profanes de la fable et la spiritualité se prolongent et rayonnent bien au-delà du Moyen Âge. Un catéchisme des figures persiste à l’époque moderne. Il se perpétue à travers les siècles, les médiums, les courants artistiques et les courants de pensée. Le caractère hautement pictural de la fable n’a eu de cesse d’inspirer les artistes qui, bien qu’achoppant sur la morale judéo-chrétienne, esquissent et interrogent à répétition la présence d’une transcendance divine. Tout se passe comme si les figures y incorporaient l’épaisseur d’un questionnement métaphysique. Elles en appellent à l’énigme de la mort d’amour : s’agit-il de mourir pour l’autre ou pour soi ? S’agit-il encore de mourir en martyrs et de renaître en Dieu ? Quel après la perte de l’aimé(e) ? Elles se font le tremplin d’une recherche esthétique doublée d’un acte interprétatif sur la représentation de la finitude. Relais symboliques de l’intercession avec le divin, elles incarnent et libèrent tout un imaginaire chrétien, entretenu par une intericonicité religieuse prolifique, réassortie au fil du temps. Elles offrent la plasticité à travers les âges d’un va-et-vient entre des modèles antagoniques, tour à tour icônes de la foi ou icônes du paganisme. Les arts visuels s’en délectent, jouant du mystère des figures et de leur ambiguïté féconde.
L’ordre divin est bel et bien au centre du tableau « sublime » de Nicolas Poussin, Paysage orageux avec Pyrame et Thisbé (1651). Imprégnées d’influences théologiques, les représentations iconographiques de la fable se nourrissent des modèles anciens et les recyclent. Elles se rapportent à d’autres scènes, figures ou gestuelles emblématiques de l’iconographie chrétienne. Héritière de la tradition des scènes de déploration sur le Christ mort, La découverte de Pyrame et Thisbé (1635) de Pierre Mignard s’apparente à une scène de lamentations. Au XIXe siècle, les images d’Épinal sur lesquelles les figures ovidiennes sont massivement colportées s’inspirent directement des illustrations à caractère édifiant du Moyen Âge. Ainsi, les représentations à teneur spirituelle de la fable prolongent et renouvellent au fil du temps un dialogue intericonique riche et complexe.
Pour tenter d’offrir quelques clés d’interprétation, nous retracerons tout d’abord la genèse des représentations ancrées dans le religieux dès le bas Moyen Âge, en parallèle du remaniement chrétien que subissent les écrits d’Ovide. Pyrame, Thisbé, et les éléments de la fable (le lion, le voile taché de sang, le mûrier) deviennent figures du décor ecclésial. Nous observerons par quels procédés artistiques s'accomplit l’alignement des figures profanes en figures religieuses, ainsi que la tradition illustrative allégorique qui s’entérine, à partir du XIVe siècle, autour du succès de l’Ovide Moralisé et de ses multiples rééditions.
Nous nous pencherons sur le recyclage iconographique religieux qui se déploie par la suite, tant sur le plan synchronique que sur le plan diachronique. Si, à en croire Augustin, la passion des amants ovidiens détourne du divin, elle y reconduit inlassablement par de multiples chemins de traverse intermédiaux qu’il s’agira d’emprunter. Ils sont parfois insérés dans des tableaux bibliques, assimilables à de véritables paraboles picturales, ou dialoguent encore en miroir d’autres figures de la chrétienté, essentiellement mystiques.
Suivant les conseils de Georges Didi-Huberman4, nous nous attacherons ensuite aux espaces des figures, espaces dans lesquels le religieux affleure par différents biais. Les artistes s’en servent tout autant pour figurer la présence d’une transcendance que pour en souligner l’absence. Nous nous interrogerons enfin sur la persistance à travers les siècles du mystère transcendantal attaché aux représentations de la fable. L’herméneutique conviée se heurte à l’aporie d’un sens stable ; la figure déstabilise la perception. Elle induit toujours son Autre, comme si elle posait, portait et emportait avec elle son sempiternel secret. Après tout, la plasticité et le mystère de la figure sont peut-être la raison d’être de sa pérennité.
Genèse des représentations religieuses de la fabula païenne
La transposition des figures païennes en icônes de la chrétienté s'esquisse dès l’aetas ovidiana. Deux grandes orientations se dégagent, autour des dimensions éthique et théologique5. Un clerc anonyme rédige en ancien français le récit connu sous le nom de Piramus6 au XIIe siècle et fait des amants les parangons de l’innocence sacrifiée. À partir du XIVe siècle, s’ensuivent les nombreuses réécritures de l’Ovide Moralisé, qui représentent leur mort comme une allégorie du sacrifice christique dans laquelle Pyrame représente le Christ et Thisbé l’âme humaine7. L’allégorèse assimile l’amante à « l’amie du Créateur, pour laquelle le fils de Dieu accepta sans hésitation de souffrir la mort et la passion8 ». Les différents auteurs s’efforcent alors, ainsi que l’a commenté Emmanuèle Baumgartner, « d’acclimater à l’univers mental du Moyen Âge cet immense répertoire de mythes », cette « bible du paganisme9 » que sont les Métamorphoses. Les représentations iconographiques suivent pas à pas le remaniement chrétien des textes et incorporent la dimension religieuse. À moins que la primeur ne revienne à l’iconographie, comme le stipule Pietro Delcorno, dans son article sur les résurgences de la fable dans les sermons du XVe siècle. Il note que les représentations sur l’un des chapiteaux historiés de la cathédrale de Bâle, datées du XIIe siècle, constituent la plus ancienne trace d’idéologie chrétienne appliquée à la fable10 et qu’elle précède en cela les textes médiévaux à teneur spirituelle. Il n’en demeure pas moins que le cheminement christianisant se développe en parallèle sur le plan verbal et et sur le plan iconique au Moyen Âge. Le motif du moment prégnant de la double mort est une tradition iconographique identifiable dès le Ier siècle sur les murs de Pompéi11.
Les artistes médiévaux conservent ce modèle antique mais modifient le sens des figures au profit du spirituel.
Des murs de Pompéi au chapiteau de la cathédrale de Bâle, le remaniement spirituel des figures voit le jour. La nudité des figures païennes des fresques est infléchie ; les amants sont revêtus d’atours médiévaux. Au face à face charnel se substitue une autre posture. L’histoire racontée sur le chapiteau prend quelques libertés avec la fable ovidienne : Pyrame y est représenté combattant la lionne et Thisbé y retrouve son amant pendu. L’épilogue visuel ci-dessus les représente tous deux dans la même position, sur la dernière face de la corbeille du chapiteau. À moins que les corps ne soient plutôt suspendus, allégorisant ainsi l’élévation au paradis, ainsi que l’interprète Cristina Noacco12. Cela irait de pair avec la volonté de reprendre le motif antique de la double mort tout en lui donnant un sens chrétien. D’ailleurs, les deux lignes parallèles des corps transpercés par la même épée forment un angle droit avec l’épée, imitant le symbole de la croix en contrebas de la sculpture. La figure de l’amante semble presque interchangeable avec celle de l’amant, et les figures accolées forment un tout scellé dans la mort comme dans la pierre. Comme le signale Nathalie Le Luel dans son passionnant article « Résurgences d’un thème iconographique dans la sculpture du XIIe siècle : la métamorphose de Pyrame et Thisbé », la composition et le sens spirituel recherché semblent suivre de très près la réécriture du clerc anonyme. Il s’agit de mettre en exergue l’union dans la mort. Les figures sur le chapiteau reflètent ainsi « le déplacement iconographique du mythe d’un contexte civil antique à la sphère chrétienne médiévale », et permettent l’assimilation de la fable païenne à la théologie chrétienne13. Le geste de tendresse des amants sur la sculpture dresse un parallèle et se fond avec le geste de prière : amour profane et amour divin entrent en parfaite adéquation. L’amant prend d’ailleurs une tournure bien plus chevaleresque, il a vu et combattu la lionne et meurt en brave. Les figures sont ainsi pliées pour se conformer aux modèles de l’amour courtois, car il s’agit de représenter tout à la fois la fin’amor médiévale et la métamorphose de l’amour Eros en Agapè. Le filtre chrétien se double du filtre de l’amour courtois.
En parallèle, le récit se répand : la recherche a établi l’usage de la fable dans les écoles médiévales14 ainsi que dans de nombreux sermons15. La représentation allégorique de l’union éternelle, celle du renoncement des amants à la vie terrestre pour s’abandonner à Dieu, s’avère pérenne : on observera avec intérêt la présence des figures sur une sculpture qui orne les portes de bronze de la basilique Saint-Pierre de Rome, réalisée par le sculpteur florentin Antonio Filarete.
Le programme iconographique reprend, au XVe siècle, le schéma de composition élaboré au Moyen Âge central. Sur la porte gauche de la basilique vaticane, l’amante se donne, là aussi, la mort sur l’épée sortant du dos de l’amant.
Si, par la suite, les figures quittent majoritairement l’édifice religieux, elles retrouvent un biais artistique spirituel dans les enluminures des réécritures chrétiennes d’Ovide autour des XIV-XVe siècles. L’allégorie biblique en image s’y façonne et entérine une véritable tradition illustrative. Les enluminures des manuscrits se présentent généralement sous la forme de rébus exégétiques qui recyclent le modèle illustratif pompéien mais en opérant un changement axiologique d’importance. En voici un exemple représentatif :
La gravure centrale est ici une illustration à lire, un récit exégétique illustré qui tente de contenir toute la fable en une image. Les figures de Pyrame et Thisbé au premier plan sont inscrites dans une chronologie picturale : la lecture doit se faire du haut vers le bas. Les illustrations suivent l’exégèse allégorique pas à pas, figure après figure. Une forteresse domine le haut de l’image, vient ensuite Thisbé qui se cache de la lionne puis, au premier plan, la jeune femme se donnant la mort sur le corps de Pyrame. Le couple forme un triangle central, et toute la composition est organisée autour d’une orientation ascensionnelle par le truchement de la verticalité dupliquée par les arbres, la tour, l’épée. À quelques infimes détails près, ce schéma de composition sera reproduit dans les illustrations des différentes réécritures christianisantes de la fable16.
L’image suit le texte de l’Ovide Moralisé au plus près. Émilie Deschelette retrace la signification allégorique de chaque élément comme suit : le mûrier devient le symbole de la Croix, la mûre, teinte par le sang des amants, admet l’analogie avec la Passion du Christ, dont le sang a maculé le bois de la Croix17. L’illustration en conserve l’exact paradigme et exacerbe le caractère herméneutique : un sens est à déceler derrière chaque figuré de l’illustration. La lionne qui s’enfuit signe le départ symbolique du mal, et le suicide est transfiguré en acte de sacrifice pour conserver pureté et chasteté. La tournure sacrificielle de la double mort est mise en exergue visuellement par la présence imposante de la fontaine et de ses eaux aux vertus purifiantes.
Le processus de christianisation des figures se dessine en miroir de la christianisation des écrits. Basil Nelis retrace ainsi l’empreinte des manuscrits de l’Ovide Moralisé dans les gravures des éditions des Métamorphoses au XVIIe siècle :
Cette christianisation d’Ovide se remarque non seulement dans le texte, mais encore dans l’image. Les enluminures des manuscrits de l’Ovide moralisé ont bien souvent été négligées par les philologues, si bien qu’on a pu parler de « préjugé textologique ». Or, les illustrations sont également un vecteur important de l’allégorisation des fables. Dans certaines illustrations, Pyrame et Thisbé sont représentés comme des martyrs chrétiens. On est bien loin de l’imaginaire païen et d’une simple histoire d’amour malheureux. L’histoire devient celle d’un sacrifice à dimension chrétienne et Pyrame et Thisbé apparaissent comme des figures de saints.18
Les deux illustrations proposées par Basil Nelis, qui appartiennent à deux pages en regard l’une de l’autre, montrent parfaitement l’ampleur du processus d’allégorisation illustrative des figures, leur « conversion visuelle19 ». À y regarder de plus près, la deuxième vignette ne représente pas véritablement les amants, mais plutôt deux figures masculines de martyrs. Ce sont l’association et la proximité visuelles des miniatures et du texte sur le feuillet qui auréolent les amants de sainteté : l’iconographie amplifie l’exégèse textuelle20. Il insiste encore sur les « continuités iconographiques saisissantes qui prennent leur origine dans les enluminures médiévales et parcourent l’histoire des éditions illustrées des Métamorphoses21 ». Cette assertion, tout à fait juste, reste à élargir, car nous verrons que l’empreinte spirituelle déborde largement du cadre de l’illustration. Les figurations religieuses de la fable conservent une certaine pérennité tandis que les résurgences écrites ont tendance à laïciser les figures. Que l’on songe, par exemple, à la tragédie qu’en propose le dramaturge libertin Théophile de Viau, Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé (1621), qui se clôt sur l’accusation sans appel de l’amant, « vous êtes de faux Dieux22 » dans un monde où règne l’immanence.
Aux temps modernes, c’est principalement dans les arts visuels que le religieux poursuit ses incursions autour des figures de la fable. La tentation du divin essaime dans les œuvres iconographiques bien au-delà du remaniement chrétien médiéval. Les artistes d’époques et de courants tout à fait divergents, ancrent, à répétition, les amants dans la sphère spirituelle. Si l’intericonicité qui se dessine reste bel et bien héritière des différents modèles exégétiques du Moyen Âge, qui forment une source d’inspiration durable, elle puise également ses sources dans de nombreux thèmes et sujets de l’iconographie chrétienne au gré de ses mutations historiographiques.
L’intericonicité religieuse des figures
En explorant les transpositions visuelles de la fable avec un empan chronologique large, il ressort en effet que le religieux instruit les représentations par-delà le Moyen Âge ; la recherche a donné une place établie au spirituel attaché aux figures dans le contexte du remaniement chrétien, mais n’a pas, à notre connaissance, exploré l’atavisme religieux accolé aux figures de la fable en dehors du processus illustratif des Métamorphoses. Il ne s’agit nullement de proposer un catalogue exhaustif des résurgences visuelles teintées de spirituel, mais de parcourir certains modèles prégnants, qui proposent un jeu d’intericonicité religieuse potentiellement opaque pour un spectateur contemporain. Il s’agira de mettre au jour l’influence des modèles médiévaux tout comme l’empreinte des variations de l’iconographie religieuse au fil du temps.
Prenons tout d’abord les images d’Épinal dans lesquelles les amants rencontrent un succès phénoménal au XIXe siècle. Le site du Musée de l’image ne recense pas moins d’une quarantaine de références. Les planches présentent des analogies très fortes avec le modèle médiéval de l’illustration allégorique sous les atours de récit pictural édifiant. L’image d’Épinal glorifie une fidélité à toute épreuve, c’est d’ailleurs le titre de l’une des estampes, « Exemple de fidélité et d’amour de Pyrame et Thisbé ». À l’instar des incunables, la gravure centrale est accompagnée du texte, et le schéma de composition suit de très près celui des enluminures médiévales.
Le programme iconographique condense à nouveau le récit en une image, et présente des analogies multiples : s’y retrouvent la double mort au premier plan, la lionne au second, la fontaine aux côtés des amants, tandis que le bras et le regard levés vers le ciel de Thisbé invitent le divin dans le hors-champ. La ligne de force remonte le long du corps de l’amant, de l’épée puis du bras de l’amante, et tire le regard vers le haut. Les techniques d’impression mécanique permettront de reproduire ce modèle par centaines23. Les figures des amants circulent de façon massive au XIXe siècle, la base de données Gallica renvoie à de nombreuses occurrences des images d’Épinal de Pyrame et Thisbé dans de nombreux écrits et revues de l’époque, notamment dans L’Almanach, qui donnent à voir le processus de réception des figures par les contemporains. Dans une édition de la revue datée de 1871, la fable est relatée comme suit par Eugène Muller, prêtre catholique alsacien :
— Tiens, tiens ! vous savez cette histoire ?
— Comment l’ignorer ? Si nous n’avions appris à l’école le charmant récit d’Ovide, est-ce que les naïfs imagiers d’Épinal et de Montbéliard n’eussent pas été là pour nous apitoyer sur les malheurs de Pyrame et de Thisbé, dont la poignante représentation illustre les murs de nos plus humbles chaumières, en compagnie d’Henriette et Damon, d’Héloïse et Abailard ? A vrai dire, dans la douloureuse aventure des deux amants assyriens, destinée à émouvoir un public chrétien, nos artistes ont bien pu omettre le détail tout mythologique qui lui valu d’être narrée par le poète des Métamorphoses24.
Les visées édifiantes d’éducation des jeunes gens sont précisées par le prêtre ; la métamorphose étiologique se voit escamotée du récit pictural pour en évacuer le caractère païen25. Les images moralisantes des amants circulent dans l’imagerie populaire, tout comme ces images colorées véhiculent une propagande chrétienne à bon marché. Ces iconotextes recyclent la fonction mnémotechnique26 des figures connues et reconnues des illustrations médiévales qui jouent, là encore, un rôle d’instruction morale et religieuse. Sermon illustré hors-les-murs de l’église, prédication visuelle aux couleurs chatoyantes, qui prône la fidélité en amour à un public large, exaltant le bon sentiment et une morale facile à comprendre, touchant aisément une population pour partie non lettrée. Le filtre du remaniement chrétien d’Ovide au Moyen Âge a laissé des traces durables et perceptibles dans les arts visuels : le catéchisme des figures se voit réactualisé quelques siècles plus tard sur l’imagerie populaire.
Les figures de Pyrame et Thisbé prennent parfois une épaisseur spirituelle par un jeu d’intericonicité, en tant que sujets bibliques. Renvoyant à des modèles connus de l’iconographie religieuse, elles s’apparentent alors à d’autres figures emblématiques de la Bible ou de la chrétienté. C’est le cas dans le tableau de Pierre Mignard, La découverte de Pyrame et Thisbé (1635) :
L’artiste se situe cette fois-ci en aval, après la double mort, et imagine, en quelque sorte, la suite de la fabula ovidienne. Les amants sont entourés d’une foule de personnages qui, on peut le supposer, représentent les familles de Pyrame et Thisbé se lamentant sur leur mort. La scène s’apparente à une scène biblique rappelant les lamentations sur le Christ mort évoquées dans de nombreuses toiles du Grand Siècle. Rappelons que la scène de déploration est, elle aussi, une création artistique : déduite de la scène de la descente de la croix, elle n’apparaît pas en tant que telle dans la Bible27. Représentée par déduction, celle-ci a pris tant de place dans l’univers pictural, qu’elle a valeur de réalité, comme si elle était bel et bien présente dans la source biblique. Du modèle à la copie, l’intericonicité joue à plein des anamorphoses.
Les gestes des spectateurs rappellent ceux des personnages des tableaux représentant les proches du Christ. Certaines figures ressemblent à des apôtres, le personnage sur la droite du tableau pourrait s’apparenter à St Jean, malgré l’absence d’auréole. La figure féminine éplorée en rouge et bleu, les bras tendus vers le ciel, ressemble fortement à Marie. C’est d’ailleurs elle qui, par son geste, en appelle à l’au-delà. Didi-Huberman nous éclaire sur la signification des couleurs des vêtements de la Vierge, choisis « par égard à cette dialectique même du céleste et du terrestre, que suppose d’emblée le mystère de l'Incarnation28 ». L’incarnation implicite n’est pas uniquement celle de la Vierge ici, car Pyrame porte une tunique mauve29 parfaitement semblable à celle dont les peintres revêtaient traditionnellement le Christ. À nouveau, la figure masculine recouvre une dimension christique qui fait écho aux réécritures médiévales du mythe30.
À l’épisode de la Passion du Christ répond en écho l’épisode de la Passion des amants, martyrs sacrifiés pour sauver l’humanité. Le sentier qui mène vers le point d’eau et s’élève vers la cime enneigée aimante le regard du spectateur et semble refléter la pureté de leur amour. Les figures de Pyrame et Thisbé seraient ici des avatars de Jésus et Marie-Madeleine31 qui auraient sublimé leur amour humain en amour divin. Certains traits de l’Ovide Moralisé sont reflétés, mais pourvus d’une nuance toute baroque, celle de la profusion du pathos, chorégraphié sur la toile. Bruno Restif retrace le processus de mutation de l’iconographie religieuse au début du XVIIe siècle :
La première moitié du XVIIesiècle présente, surtout à partir de 1620 et à travers la peinture sur toile, une nette diversification des gestes et postures de prière qui vise à̀ traduire l’intériorisation et la transcendance (plus que la médiation). Bras écartés, doigts posés sur la poitrine, tête inclinée, yeux fermés ou dirigés vers la lumière, larmes, prosternations, usages de la discipline, position assise de méditation renvoient aux modifications majeures que constituent l’application de la Réforme catholique, la diffusion de courants spirituels, le développement de la peinture sur toile et les modifications sociales de la commande32.
Si l’intériorisation demeure ambivalente dans le tableau de Mignard, la prière s’exhibant dans un ballet de gestes et de postures de déploration, les représentations iconographiques christianisées de la fable rencontrent en effet dans le courant baroque un succès incontestable. Jean-Eudes Bergé nous rappelle en effet le goût prononcé de la peinture baroque pour ce moment dramatique de la mort du Christ, où se joue cette « alliance de la vie et de la mort33 ».
N’est-on pas devant cette tragédie dans le même paroxysme que les extases mystiques ? L’art baroque qui agit sur la pluralité, la contradiction, montre parfois les deux versants d’un même état : le réel est indissociable du rêve, comme la vie l’est de la mort.
Pour l’Église, la mort est la rencontre avec Dieu, l’ultime but de la vie, à la fois souffrance suprême et délivrance. À travers cette légende antique réactualisée, c’est cette contradiction profonde que le peintre veut exprimer. Il en fait une image propre à̀ frapper les imaginations34.
La double mort des amants s’y déploie avec connivence sur de nombreux supports artistiques, reflet de « l’invasion mystique »35, dont les teintes se laissent encore deviner sur cette sculpture en albâtre datée du XVIIIe siècle.
La sculpture met en avant les drapés et les corps des amants rejetés en arrière de part et d’autre dans un mouvement d’abandon total. Ce n’est plus l’union parfaite et identique des représentations précédentes, mais un relâchement charnel parfaitement rendu par le travail de l’artiste. La corporalité à l’œuvre, les expressions, la bouche entrouverte de l’amant, le putto ou petit cupidon potelé caché malicieusement sous les jupes de l’amante, tout invoque une dimension extatique qui n’est pas sans rappeler la célèbre sculpture du Bernin, L’extase de Sainte Thérèse (1647-1652). L’érotisme du mourir en Dieu s’esthétise dans la focalisation sur les corps voluptueux qui prennent tout l’espace du support médiatique. Les veinures de l’albâtre sur la droite forment d’ailleurs un arc de cercle qui s’abat, tels des rayons de lumière divine, sur les figures. L’alliance du spirituel et du charnel recadre ici les amants dans la lignée d’autres figures mystiques.
À la matérialité des corps lourds et charnus s’oppose parfois la légèreté de l’envol. On retiendra, comme exemple parlant, à la Renaissance, l’œuvre du Tintoret qui représente Thisbé prenant son envol avant de s’abattre sur l’épée sortant du dos de Pyrame.
Le programme iconographique ressemble fortement à celui présent sur les portes de bronze de la basilique Saint-Pierre de Rome. À nouveau, la posture des personnages vient corriger la dimension érotique des fresque pompéiennes. Le mouvement ascensionnel attire d’ailleurs le regard vers les nuées célestes au-dessus de la figure féminine. Ses bras en croix dans les airs et les vêtements qui flottent à l’arrière lui conférent une apparence angélique. La posture sera dupliquée dans maintes toiles à travers les époques.
Ces quelques exemples montrent que les figures païennes continuent à être revisitées sous un prisme judéo-chrétien dans les arts visuels. Les représentations à teneur spirituelle de la fable perdurent par-delà le Moyen Âge, et puisent également leurs sources dans l’iconographie religieuse de leur temps. Les figures de la fable y trouvent des affinités marquées avec la spiritualité tandis que l’inverse tend à s’opérer dans les autres médiums. Le religieux s’écarte, par exemple, des résurgences lyriques, à l’instar des opéras et cantates dans lesquels les amants ovidiens rencontrent un succès notable au XVIIIe et XIXe siècles. Camille Guyon-Lecoq retrace ainsi, à travers les adaptations de la fable en musique, le processus de « laïcisation de la scène lyrique36 ». L’iconographie offre, en revanche, d’une œuvre à l’autre, un jeu de miroir intericonique à teneur dévotionnelle. La dimension spirituelle se dessine aussi et surtout à l’intérieur des œuvres, par l’entremise de l’espace, dans lequel le divin, souvent, affleure.
Topologie des figures : dans les traces du divin ?
L’espace sera tout d’abord celui très concret, matériel, du support médiatique. Pyrame et Thisbé, nous l’avons vu, ornent à partir du Moyen Âge, vitraux, chapiteaux, tympans ou portes d’église. L’espace du médium donne parfois, par son essence même, une aura religieuse à la représentation des figures. Dans la même veine, on notera la persistance à travers le temps et les différents courants picturaux du recours au modèle du diptyque37 ou du triptyque. Si les figures des amants y relèvent du monde profane, l’objet artistique fortement connoté entrouvre une dimension sacrée.
Au niveau intra-diégétique de l’œuvre picturale, en son cadre, c’est très souvent par le truchement de l’espace que se laisse deviner la transcendance, par le jeu du hors-champ convoqué par les regards vers le ciel dans de nombreuses représentations, mais aussi par celui des proportions. Dans le parcours de toiles rencontrées représentant le sujet ovidien, le tableau de Nicolas Poussin se détache par l’importance donnée au paysage.
La description ekphrastique qu’en propose Poussin dans une lettre écrite l’année de sa composition38, sous-entend que le choix de représenter une tempête l’a amené à la représentation du couple ovidien comme illustration d’une forme de tempête, humaine cette fois-ci. Les figures sont ici un détail de l’image, elles accompagnent le sujet. Dans le panorama aux dimensions gigantesques, les figures paraissent en effet, par contrepoint, infimes. Le paysage ne correspond d’ailleurs en rien à la description ovidienne, et le regard du spectateur est amené à faire un va-et-vient entre les différents éléments de la toile afin de réfléchir aux liens qui les unissent.
Le dérèglement de la nature induit un questionnement sur la colère divine, l’orage étant de tout temps associé à une manifestation du divin. Dès l’ancien testament et le livre de l’Exode, il est appréhendé comme le « signe de la manifestation de Dieu39 », à l’instar de la théophanie décrite au psaume 28 sur le Sinaï. Le jeu de correspondances associe donc ici le mythe païen à une manifestation à la symbolique transcendantale. Une forme de télépathie, de communication secrète et non verbale semble se disséminer entre le terrestre et le céleste, le profane et le sacré, à l’image de la « contiguïté universelle » qui régit l’univers ovidien. Celle-ci était perçue au Moyen Âge comme relevant de forces malignes ainsi que nous le rappelle Emmanuèle Baugmartner :
Un monde surtout dans lequel la loi qui préside à la création des êtres et des choses, et à la l’incessante circulation dans laquelle ils sont pris, est celle de la métamorphose, qui suppose le mélange des règnes, la perméabilité des frontières entre l’humain et le végétal, et dont les théologiens médiévaux dénoncent depuis saint Augustin le caractère diabolique40 ?
Poussin s’inscrit dans la droite ligne de la source antique en représentant un monde dans lequel tous les éléments entrent en communication, bien que la perméabilité relève ici d’un ordre différent. Le peintre synchronise la déchirure des éclairs avec une épiphanie profane, convoquant par l’intermédiaire de cette duplication la question de la Providence. La foudre divine provoque le tremendum fait de stupeur et de fascination, à l’instar de celui provoqué sur l’amante et, par ricochet, sur le spectateur du tableau, dans ce face à face avec la mort.
L’œuvre, qui ne relève pas de l’iconographie religieuse, a pourtant été présentée dans le cadre de l’exposition « Poussin et Dieu », comme relevant des paysages sacrés, comme le relève François Trémolières41. L’artiste utilise des figures qu’il dévoie de leurs origines païennes pour les réintégrer à un questionnement hautement spirituel. C’est encore l’impression que renvoie la présence inattendue à l’arrière-plan de la tour de Babel qui n’apparaît pas en tant que telle dans la fable des origines. Déroutante, car sa ressemblance avec le Colisée, ainsi que le souligne Louis Marin, en fait un référent instable. La collusion entre l’exégèse biblique et sa présence détonante sur le tableau redouble le mystère de sa présence, et sous-tend -- au sens architectural comme au sens figuré -- la question de la transcendance :
La parole divine est l’arche de toute architecture : le plan de l’édifice est révélé, venant d’en haut, épiphanie de la transcendance qui trouve une matière, prend une forme, s’enclôt dans une exacte limite42.
La tour matérialise sur la toile le péché humain, lieu de désobéissance des hommes envers Dieu, lieu de la rupture de l’unité où périt la langue adamique dans la perspective judéo-chrétienne. La révélation d’un mystère semble être le cœur du parcours herméneutique proposé par Poussin. D’autres interprétations proposent une relecture des éléments de la toile sous l’égide de l’exégèse biblique du Moyen Âge43. Le peintre cherche, assurément, à décentrer le regard de la passion amoureuse et mortifère qui entraîne malheur et destruction, et rappelle le pouvoir souverain de la philosophie qui préside au cœur de la toile dans la figure du lac impassible. Le spectateur est amené à réfléchir à la démesure de la nature, et entrevoit une sacralité diffuse à l’œuvre.
A contrario, l’espace des figures joue parfois le rôle inverse et permet à l’artiste de défigurer la transcendance. L’espace s’obstrue et extrait toute possibilité d’un au-delà. C’est le cas, par exemple, dans l’eau-forte réalisée par André Masson, peintre surréaliste, pour illustrer Les Amants célèbres (1977) de Louis Aragon.
Miroir inversé de l’œuvre de Poussin, l’œuvre se focalise sur les amants. Masson renoue avec le motif de la double mort, et représente la figure de l’amante en train de mettre fin à ses jours. Les corps exsangues et le décor aux allures rupestres subvertissent le paradigme adamique et réfutent les représentations religieuses de la fable. L’espace prend des valeurs centripètes et claustrophobiques, car le cadre n’offre plus aux regards du spectateur qu’une plongée à l’horizontale dans un fouillis de figures informes. Les amants ne sont plus que deux corps disproportionnés, pris au piège d’un espace menaçant aux couleurs sombres et sanguinolentes. La perméabilité ovidienne resurgit là aussi, mais avec un sens différent : les traits et les contours des figures se brouillent et se dotent d’une tournure inquiétante ne permettant plus de différencier l’humain de l’animal. La forme derrière l’amant serait peut-être celle de la lionne sur le point de se repaître des cadavres, voire celle d’une hyène à la bestialité inquiétante. La mort des amants est une mort de chair, d’os et de sang, un engloutissement dans un trou noir où gisent corps et crânes anonymes. Aragon s’interroge, « Comment / Supporter Pyrame mort…/le corps étendu de l’aimé n’est plus que l’écriture pâle du mourir44 » (III). La mort est une fin en soi, sans perspective de transcendance. L’écriture poétique et le dessin imitent conjointement l’absence d’ouverture, de ligne de fuite, le regard s’enfonce dans la fosse commune. Les figures se meurent, humaines trop humaines, et l’illustration met en images « l’impossible immanence de l’amour45 » sur laquelle bute le poète après la mort de l’aimée.
Figures du mystère, mystère des figures
La transposition des figures antiques dans un cadre profane qui exclut toute transcendance, réactive leurs affinités avec le spirituel, dans un rapport d’exclusion : Masson comme Aragon boute le religieux hors du champ de la représentation. Nonobstant, persiste la capacité des figures à faire sens au-delà du visible, à invoquer un mystère, ne serait-ce que pour le dénier. Voici le commentaire qu’en propose Alain Trouvé :
Si le peintre, contrevenant au principe formulé par Lessing selon lequel la peinture serait un art de l’espace et non du temps, introduit dans ses images la dimension du futur, comme le poète, c’est aussi parce que sa vision des mythes en extrait le noyau d’inconscient, porteur d’érotisme et de mort, de décomposition et de recomposition potentielle46.
Les figures ont partie liée au secret, à l’irreprésentable de la mort. Elles se situent dans cet entre-deux mis en relief par Didi-Huberman, entre figuration et défiguration. Aragon le pressent avec poésie, et se sent attiré par le « secret des images » du peintre qui forment un langage dont il essaye de « surprendre [...] le murmure des mots Mystérieux47 ». Les figures, comme les images, renouent le dialogue, intercèdent avec l’Absent(e). Elles déploient ce dialogue dans des orientations antagoniques qui recèlent une similitude, celle du secret. La plasticité des figures de la fable leur permet de se mouvoir aux antipodes, dans un espace aux accents prélapsaires ou postlapsaires, dans un monde de la transcendance comme de l’immanence. Ces pôles antagoniques sont consentis par le par-delà des figures, leur instabilité inhérente, l’incertitude des possibles qu’elles recréent. Elles servent de tremplin à une interrogation fondamentalement métaphysique. Rappelons d’ailleurs que l’ambigüité de la fable et de ses figures était déjà contenue en germes chez St Augustin dans De l’Ordre48 : les amants ovidiens y sont utilisés à plusieurs reprises pour avertir des errements de la passion qui détournent de la foi, mais ces mêmes errements autorisent un dépassement à la faveur duquel le religieux fait retour :
Allez donc en attendant retrouver vos muses. Toutefois, savez-vous ce que je veux que vous en fassiez ? – Commander ce qu’il vous plaira. – Dès que Pyrame se sera donné la mort et que sa folle amante se sera tuée sur son corps expirant, à ce moment douloureux votre poème devrait être plein de la plus violente émotion, celle-là pour vous l’occasion la plus favorable. Montrer l’horreur de cette passion furieuse et de ses feux empoisonnés qui produisent de si affreux ravages ; puis élevez votre esprit et chanter les louanges de cette amour pur et véritable qui, au moyen de la philosophie, attache à l’intelligence les âmes riches de la science, embellies par la vertu, et qui non seulement évitent la mort, mais jouissent déjà d’une vie parfaitement heureuse.
Lorsque en effet l’amour de la vérité est dans le cœur, que ne regardent pas, où ne se promènent pas les regards pour découvrir la beauté de la raison souveraine qui règle et gouverne toutes les créatures, soit qu’ils connaissent, soit qu’ils ignorent son action, et qui partout où elle veut qu’on la cherche, attire à elle les esprits attentifs et à la découvrir et à la suivre ? En effet, dans quels événements et dans quels endroits n’en peut-on pas apercevoir les traces49 ?
Dans le tableau de Nicolas Poussin, les figures minuscules des amants condensent la fable tout entière et permettent par contrepoint d’élever l’esprit, de percevoir les traces du divin.
« Pyrame » et « Thisbé », ces deux noms à la fois résument tout le reste de l'œuvre peinte et l'ensemble des figures qu'elle expose à la vue et, par le renvoi à l'« histoire » qu'ils présupposent (ou dont ils présupposent la connaissance chez le spectateur du tableau), en donnent l'explication iconographique, l'exégèse morale et l'interprétation philosophique50.
Dans une dialectique jamais résolue d’attraction-répulsion, les figures éloignent et rapprochent du spirituel, par leur dépassement. Elles rappellent les perceptions trompeuses, interrogent le destin et le hasard, et entrouvrent la béance de l’altérité. L’intercession offerte par les figures ne se départit pas de son ambiguïté. Parfois, des figures curieuses envahissent le décor. Le tympan de l’abbaye de Saint-Géry à Cambrai propose une entité parfaitement mystérieuse au-dessus des amants dans l’enchevêtrement de nature qui suscite nombre d’interprétations variées.
D’aucuns y voient une figure divine, d’aucuns une figure diabolique. D’autres encore l’interprètent comme celle de Marc dans un possible amalgame avec Tristan et Iseut. N. Le Luel n’est convaincue par aucune des interprétations proposées jusqu’ici. Il ne s’agirait selon elle ni d’un démon, « ni d’un messager découvrant les deux victimes d’une lamentable erreur51 », mais plutôt d’une « allégorie personnifiée de la nature52 ». D’ailleurs, dans le tableau de Mignard, le ballet des éplorés laisse entrapercevoir une figure mystérieuse dans le prolongement du paysage à l'arrière-plan, entre les deux femmes éplorées et les deux hommes vêtus de bleu. L’herméneutique s’enlise à nouveau, s’agit-il d’une figuration divine aux colorations panthéistes ? L’espace semble s’imprégner du mystère des figures. Une seule certitude demeure, l’incertitude. Et la figure d’emporter avec elle son secret.
Le parcours herméneutique autour des figures de la fable était déjà celui de Françoise Graziani, pour qui « l’absence des dieux chez Ovide fait problème53 ». Elle rattache ainsi la fable à une possible hiérogamie, certaines figures à des divinités, comme la lionne à la Grande Déesse Ishtar, ou le nom de Ninus à la déesse proto-sumérienne de l’Amour, Ninni. Les figures, sont dès Ovide, à déchiffrer, car derrière elles, « les dieux cachés resurgissent54 ».
Le mystère serait d’ailleurs le propre de la figure elle-même qui, à répétition, porte son Autre. L’épaisseur de l'ambiguïté transparaît sur le vitrail55 de l’église de Patrixbourne ci-dessous :
Thisbé apparaît enceinte sur le vitrail, son ventre arrondi étant souligné par une ceinture orangée. Le costume de Pyrame et le cheval blanc dans le décor rappelle le cycle des romans arthuriens. La blancheur de la tenue de la figure féminine associée au vêtement qui forme deux renflements semblables à des ailes dans son dos lui confèrent une aura angélique. La figure fait-elle référence à la version de la fable dans laquelle Thisbé se retrouve enceinte de Pyrame ? Elle ne semble pourtant pas sur le point de se donner la mort, mais plutôt de donner la vie56. L’acte interprétatif achoppe sur une aporie logique. Les ambivalences des représentations à visée religieuse ne se défont pas. Les figures de la fable portent en elles-mêmes leur double, ici le fruit défendu de l’union en dehors des liens sacrés du mariage. D’ailleurs, dans l’orfèvrerie, de nombreux coffrets de mariage représentent les corps superposés des amants, étrange combinaison entre des figures profanes à l’hymen impossible et un support qui glorifie justement l’alliance maritale sacrée et indissoluble devant Dieu.
Les figures mettent à distance tout en conservant le contenu latent. L'équivoque transparaît pleinement dans l’union post-mortem du dessin suivant du préraphaélite Edward Burne-Jones :
L’artiste britannique y dépeint un mariage céleste qui s’apparente à une union dans la mort. Les amants se tiennent de part et d’autre d’une figure angélique. Les grandes ailes de l’ange encadrent les figures qui semblent purifiées par sa présence, brebis égarées réintégrées dans le giron de la foi. Dans une version précédente intitulée Mystic Marriage (1866) le peintre avait déjà représenté un mariage céleste57 analogue, à un détail d’importance près : l’ange y avait les yeux bandés, comme s’il s’était laissé prendre de pitié et réalisait leur vœu dans l’au-delà, au mépris des préceptes de la religion.
Quelques années plus tard, lorsqu’il revient sur ces figures unies dans la mort, l’ange ne se cache plus les yeux et accueille les amants sans retenue. Par ce biais, le jugement des âmes induit par les yeux bandés est bel et bien escamoté. La vision béatifique n’y rencontre nul détour ou obstacle : les figures sont accueillies dans le royaume des cieux sans avoir à passer par la case du purgatoire. Les voici unies à, et dans, l’éternité. Les figures permettent la (ré)conciliation impossible entre profane et sacré, entre religieux et irréligieux. En cela, elles créent un pont entre le terrestre et le céleste, elles offrent une intercession avec l’ordre divin. Mais d’une œuvre à l’autre, la figure se regimbe ; le sens n’en est jamais contenu. La représentation ne parvient à figer durablement l’étendue de sa signification, et son mystère hante l’imaginaire de l’artiste. Pétri de religion et de médiévalisme, Burne-Jones redonne à la figure des amants toute son ambiguïté de sens, son incertitude exégétique.
Le dialogue prolifique entre iconicité de la fable et religion serait à saisir par les figures. Happées par le religieux, elles ne cessent de convoquer un imaginaire chrétien saturé de contradictions : tantôt interprétées en martyrs dont le sacrifice est nécessaire, tantôt en contre-exemples dans la lignée de Augustin. L’ambivalence du sens moral persiste dans le temps. Si l’ambiguïté de la fable fait, comme le constate Nathalie Le Luel, qu’elle « ne parvient pas à s’imposer dans un contexte ecclésial58 », ses figures trouvent et retrouvent dans les arts visuels le statut de figurae, partie prenantes chez Georges Didi-Huberman d’une exégèse qui « tirait l’ordre naturel vers celui du mystère » et qui « plus qu’une méthode, fut […] une poétique productrice d'énigmes »59.
Les figures libèrent, comme dans le cas du tableau de Poussin, une « théologie muette60 », rappelant le processus que décrit l’historien de l’art, au sujet des fresques de Fra Angelico : « la pensée visuelle laisse des traces et des marques qui invoquent une pensée non visuelle d'ordre théologique61 ». L’héritage spirituel médiéval a laissé à l’époque moderne des traces persistantes dans les arts visuels, nourries par les évolutions historiographiques de l’iconographie religieuse. Les figures de la fable continuent à interroger la perception, butant perpétuellement sur une interprétation univoque. Le questionnement réitéré qu’elles induisent, illustre celui du père de l’église s’adressant à son disciple Licentius :
Dieu gouverne tout avec ordre.
Bien que vous me traitiez de questionneur importun, lui dis-je (car, puis-je ne pas l’être, puisque j’ai fait cesser vos entretiens avec Pyrame et Thisbé), je continuerai toutefois à vous interroger dans quel but cette nature, où vous voulez voir un ordre si admirable, sans parler ici d’une infinité d’autres choses, a-t-elle produit ses arbres qui ne porte pas de fruits62 ?
Les figures de la fable détournent du divin tout en relayant un questionnement spirituel. Postes d’observation du mystère de la passion profane, elles interrogent le pourquoi de l’incarnation. Elles se nouent et se renouvellent autour des concepts de perception et distance car, à travers elles, l’irreprésentable de la mort est à la fois tout près et inatteignable.
À la différence des autres supports médiatiques, elles portent, dans les arts visuels, une empreinte spirituelle qui persiste à travers le temps. Après tout, les amants de Babylone reflètent la signification première du toponyme, Babylone signifiant « porte des Dieux » en akkadien. Elles sont, elles aussi, « portes du temple », seuil vers le divin. Au sens littéral, pourrait-on ajouter, dans le cas des figures ovidiennes ornant les portes de bronze du portail central de la basilique Saint Pierre de Rome. Elles portent en latence le mystère de la mort et de l’incarnation. Elles sont en cela figures d’intercession vers un questionnement métaphysique. L’acte-même de leur représentation pose et recompose la question d’un au-delà.
Notes
Françoise Graziani, « Pyrame et Thisbé », dans Pierre Brunel dir., Dictionnaire des mythes littéraires, Paris, éd. Du Rocher, 1988, p. 1164.
Voir Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 1951 ; 1969, p. 402-403.
Saint Augustin, De l’ordre, (386 ap. J.-C.), chapitre VIII, dans Œuvres complètes de saint Augustin. Tome 2, éd. L. Vivès, Paris, 1869-1878, p. 518. http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30038763, consulté le 19 mars 2024.
« Ovidius Ethicus und Ovidius Theologus » (Franz Schmitt-Von Mühlenfels, Pyramus und Thisbé: Rezeptionstypen eines Ovidischen Stoffes in Literatur, Kunst und Musik, Heidelberg, Carl Winter, 1972, p. 26-65).
Voir Emmanuèle Baumgartner, Pyrame et Thisbé, Narcisse, Philoména, Trois contes du XII siècle français inspirés d’Ovide, Paris, éd. et trad. E. Baumgartner, Gallimard, 2000.
Sur les relectures christianisantes de la fable au Moyen Âge, voir Christine Ferlampin-Acher, « Piramus et Tisbé au Moyen Âge : le vert paradis des amours enfantines et la mort des amants », in E. Bury. Lectures d’Ovide, publiées à la mémoire de Jean-Pierre Néraudau, Les Belles Lettres, p. 115-148, 2003. Voir aussi Cristina Noacco, « L’amour, la mûre et la mort. Résurgences littéraires du mythe de Pyrame et Thisbé (XIIe-XVIIe siècles) », dans Présences ovidiennes, Rémy Poignault et Hélène Vial (dir.), Clermont Ferrand, Centre de Recherches A. Piganiol-Présence de l’Antiquité, 2020, p. 407-425. De son côté, Christine de Pizan intègre ce mythe amoureux à son Epistre Othea dans la seconde moitié du XIVe siècle. Elle s’attache aussi au personnage de Thisbé dans la Cité des Dames (1405), qui décrit des femmes au parcours exemplaire.
Voir l’Ovide Moralisé, Livre IV, v. 1260-1262. Cité par Émilie Deschelette, qui retrace la transposition des figures païennes en figures christologiques comme suit : Thisbé y est rattachée à « la fiancée du Cantique des Cantiques », en tant que « métaphore de l’âme humaine », tandis que Pyrame s’allégorise en « une figure christique » (Émilie Deschelette,« Le récit ovidien de Pyrame et Thisbé, revu par le Moyen Âge », in Camenulae, novembre 2010, p. 11 ; https://lettres.sorbonne-universite.fr/sites/default/files/media/2020-06/deschellettes_revu-2.pdf, consulté le 19 mars 2024).
Emmanuèle Baumgartner, dans la préface de Pyrame et Thisbé, Narcisse, Philoména, op. cit., p. 12.
Pietro Delcorno, « La parabola di Piramo e Tisbe. L’allegoria della fabula ovidiana in una predica di Johann Meder (1494) », Schede Umanistiche, 23, 2009, p. 67-106, p. 24. https://www.academia.edu/7249096/La_parabola_di_Piramo_e_Tisbe_L_allegoria_della_fabula_ovidiana_in_una_predica_di_Johann_Meder_1494_, consulté le 19 mars 2024. Il signale que le schéma de composition de la sculpture de la cathédrale de Bâle sur laquelle Pyrame apparaît pendu est repris par la suite par Pierre Bersuire (1290-1362), moine bénédictin, dans son interprétation des figures du panthéon païen « De formis figurisque deorum ». Voir aussi Pietro Delcorno, « “Christ and the Soul are like Pyramus and Thisbe” : An Ovidian story in Fifteenth-Century sermons », Medieval Sermon Studies, 60 (1), 2016, p. 37-61 ; http://dx.doi.org/10.1080/13660691.2016.1225386, consulté le 19 mars 2024.
Il faut bien garder en tête que la fresque présentée ci-dessus est dupliquée à quelques infimes détails près sur plusieurs murs pompéiens. Le magnifique ouvrage de Pascale Linant de Bellefonds et Évelyne Prioux revient sur les premières traces iconographiques de Pyrame et Thisbé et sur la genèse du schéma de composition des représentations romaines, directement basé sur le texte ovidien. Une variante est proposée dans les mosaïques chypriotes à Paphos (époque sévérienne, vers 220-230) qui traitent de la légende cilicienne dans laquelle les amants sont transformés en source et en fleuve (Pascale Linant de Bellefonds et Évelyne Prioux, Voir les mythes. Poésie hellénistique et arts figurés Avec la collaboration de Christophe Cusset et de Claude Pouzadoux, Paris, Picard, Antiqua, 2017). Sur l’iconographie antique, voir aussi l’article d’Ida Baldassarre, « Piramo e Thisbe : dal mito all'immagine » dans L'Art décoratif à Rome à la fin de la République et au début du principat, Table ronde de Rome (10-11 mai 1979), Publications de l'École française de Rome, 55, Rome, École Française de Rome, 1981, p. 337-351. https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_55_1_1479, consulté le 19 mars 2024.
C’est l’interprétation qu’en propose Cristina Noacco dans l’introduction de Piramo e Tisbe, Traduzione, introduzione e note di Cristina Noacco, Rome, Carocci, coll. « Biblioteca medievale », n° 102, 2005.
Nathalie Le Luel, « Résurgence d’un thème iconographique antique dans la sculpture du XIIe siècle : La Métamorphose de Pyrame et Thisbé », dans Claude Andrault-Schmitt, Edina Bozoky et Stephen Morrison (éd.), Des nains ou des géants, Emprunter et créer au Moyen Age, (coll. Culture et société médiévales, 28), actes du colloque international, 2011, Poitiers, Turnhout, Brepols, 2016, p. 233-274, p. 270. https://www.academia.edu/40819969/Résurgence_d_un_thème_iconographique_antique_dans_la_sculpture_du_XIIe_siècle_La_Métamorphose_de_Pyrame_et_Thisbé, consulté le 19 mars 2024.
Voir à ce sujet Christopher Lucken, « Le suicide des amants et l'ensaignement des lettres. Piramus et Tisbé ou les métamorphoses de l'amour », Romania, tome 117 n° 467-468, 1999. p. 363-395 ; URL : https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1999_num_117_467_1505, consulté le 19 mars 2024. Il cite notamment Robert Glendinning, et la « place privilégiée dans le curriculum d'un certain nombre d'écoles importantes en France, en Allemagne et probablement en Angleterre, durant les décennies qui précédèrent et suivirent l'an 1200 », occupée par la fable, Robert Glendinning, « Piramus and Thisbe in the Medieval Classroom », dans Speculum, t. 61/1, 1986, p. 51-78, p. 71. URL : https://www.jstor.org/stable/2854536, consulté le 19 mars 2024.
P. Delcorno retrace la présence de Pyrame et Thisbé dans les sermons du franciscain Johann Meder à la fin du XIVsiècle, dans « La parabola di Piramo e Tisbe. L’allegoria della fabula ovidiana in una predica di Johann Meder (1494) », art. cit.
Voir par exemple le dossier histoire des arts que propose la bibliothèque de Toulouse au sujet d’une autre gravure sur bois datée de 1493, tirée de la Bible des poètes : les Métamorphoses d’Ovide moralisées d’Antoine Vérard. URL : https://www.bibliotheque.toulouse.fr/wp-content/uploads/2018/12/classpat_pyrame_et_thisbe.pdf
Émilie Deschelette, « Le Récit ovidien de Pyrame et Thisbé, revu par le Moyen Âge », art. cit., p. 8.
Basil Nelis, « D’un Ovide chrétien à un Ovide burlesque, du Moyen Âge au Grand Siècle : continuités et changements dans la traduction et dans l’illustration des Métamorphoses perçus à travers deux éditions du xvii siècle », Anabases, 30, 2019, p. 143-160, p. 147 ; URL : https://doi.org/10.4000/anabases.10008, consulté le 19 mars 2024. Sur les illustrations des manuscrits, voir aussi Romaine Wolf-Bonvin, « Les Minéides au fil de leur conte. Une iconographie entre lumière et ombres (Ovide moralisé, livre IV, manuscrit Rouen, Bm. O 4) », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 30, 2015, p. 91-112. URL : https://doi.org/10.4000/crm.13885, consulté le 19 mars 2024.
Nous renvoyons à l’article de Romaine Wolf-Bonvin qui détaille les onze illustrations consacrées à l’épisode de Pyrame et Thisbé dans le manuscrit de la Bibliothèque municipale de Rouen (entre 1315 et 1325). La dernière miniature (fol. 96, v. 1178, fig. 36), présente en effet des analogies frappantes : on y voit deux hommes sur le point d’être lapidés et décapités. R. Wolf-Bonvin souligne que le texte se rapporte à la lapidation, mais aucunement à la mort par l’épée. Voir Romaine Wolf-Bonvin, « Les Minéides au fil de leur conte », art. cit, p. 101.
On rappellera que la gravure au bois de fil exige un savoir-faire complexe, ce qui explique que les modèles existants soient repris avec d’infimes modifications.
Almanach de France et du Musée des familles, 1871, publié par la Société nationale, p. 78-79. Consultable sur Gallica.
Sur le choix et les effets de sens de la place donnée à la métamorphose étiologique dans les relectures médiévales, voir Anne-Marie Cadot, « Du récit mythique au roman : étude sur Piramus et Tisbé » dans Romania, tome 97 n°3 88, 1976, p. 433-461, en ligne.
Sur le sujet, voir l’article de Stefania Cerrito, « La forme et figure de ceulx et celles que les Anciens cuiderent estre dieux» : le “ De formis figurisque deorum ” de Pierre Bersuire traduit en français », Studi Francesi, 192 (LXIV, III), 2020, p. 522-529. URL : https://journals.openedition.org/studifrancesi/41623, consulté le 19 mars 2024.
La scène de déploration n’existe pas en tant que telle dans les Évangiles canoniques, ni dans les évangiles apocryphes.
Il s’agirait peut-être d’un mélange de rouge et de bleu : « le violet (résultat du mélange du bleu et du rouge) de la tunique du Christ représente sa double nature (bleu : caractère divin / rouge-sang : caractère humain) » commentaire du Musée de Caen sur Le Christ et la Samaritaine (v. 1648-1650) de Philippe de Champaigne (en ligne, consulté le 19 mars 2024).
Le parcours du musée de Louvre autour des œuvres de Mignard est à cet égard riche en similitudes car le Portement de Croix (1684) met en scène le Christ vêtu d’une tunique mauve très semblable à celle que porte Pyrame, et la figure de Marie dans La Vierge à la grappe (vers 1640-1650) ressemble fortement à celle du tableau.
La couleur rousse des cheveux de Thisbé sur le tableau conforte ce sentiment, Marie-Madeleine étant la plupart du temps représentée avec cet attribut qui était fréquemment associé aux prostituées au début de l’ère chrétienne.
Bruno Restif, « Les gestes et postures de la prière individuelle dans la production iconographique française, du milieu du XV au milieu du XVIIsiècle », Europa Moderna, Revue d'histoire et d'iconologie n° 5, 2015.
Conseil du Musée de l’Échevinage de Saintes, dans l’article consacré à « Pyrame et Thisbé : la représentation de l’amour transcendé dans la tradition picturale du XVII siècle », p. 6, URL : http://www.alienor.org/publications/pyramethisbe/texte.pdf
L’expression est celle d’Henri Brémond dans Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Paris, Armand Colin, 1968.
Camille Guyon-Lecoq, La vertu des passions : L’esthétique et la morale au miroir de la tragédie lyrique (1673-1733), Paris, Honoré Campion, 2002, p. 800-801.
Parmi les résurgences contemporaines, on regardera avec intérêt l’œuvre de Luciano Fabro (Turin, 1936- Milan, 2007), artiste italien, associé au mouvement artistique Arte Povera, qui propose le diptyque Piramo e Tisbe (1986). URL : https://www.galleriesnow.net/shows/luciano-fabro-carlo-guaita-john-murphy-gianni-caravaggio/. Œuvre troublante, à la fois vide de figures et pourtant singulièrement porteuse de leur absence et, par ce biais, d’un questionnement métaphysique.
Lettre recopiée par Félibien dans ses Entretiens (IV, p. 127, VIII entretien) : « J'ai essayé de représenter une tempête sur terre, […] Sur le devant du tableau, l'on voit Pyrame mort et étendu par terre, et auprès de lui Thisbé qui s'abandonne à la douleur ». Voir la citation complète dans l’article de Louis Marin, « La description du tableau et le sublime en peinture », Communications, 34, 1981, Les ordres de la figuration, p. 61-84, p. 62.
Michel Feuillet, « Lexique des symboles chrétiens », Que sais-je ?, 4e éd., mars 2017, entrée « orage ».
François Trémolières, « La beauté de l’ordre », in Dix-septième siècle, n 1, n° 274, 15 février 2017, p. 69-78. L’exposition « Poussin et Dieu » s’est tenue au Louvre en 2015.
C’est la lecture qu’en propose Enrica Zanin : « Dans cette scène, donc, le lion qui a empêché l’union entre les amants devient le fauve qui terrasse le troupeau, évoquant, dans l’allégorie, le Malin, qui détruit le travail de l’homme et disperse les brebis. Si le premier plan rend compte de l’impossibilité de l’amour des amants, les figures au second plan expliquent cette impossibilité en termes spirituels : le Malin menace l’homme et disperse les brebis en quête de salut. Enfin, l’arrière-plan manifeste la nature cosmique de ce déchirement : la Création est ici menacée par un orage qui risque de détruire l’harmonie se reflétant dans les eaux du lac », dans « Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé : le théâtre du monde à l’heure de la fiction », Littératures classiques, 2016/3 (N° 91), p. 119-131, p. 122.
Louis Aragon, « Cantate à André Masson », publiée dans Les Amants célèbres d’André Masson, Berlin, Propylaen, 1979.
Titre de l’article de Paule Pouvier, « L’impossible immanence de l’amour dans le Fou d’Elsa », dans Le rêve de Grenade : Aragon et le fou d’Elsa : actes du colloque de Grenade, Publication de l’université de Provence, 1996, p. 265-273.
Alain Trouvé, Aragon, Cantate à André Masson : Ultime variation sur l’art et la totalité, dans Lire l’humain : Aragon, Ponge : esthétiques croisées, Lyon : ENS Éditions, 2018, consultable en ligne.
N. Le Luel, cite Jacques Vanuxem, « La sculpture du XII siècle à Cambrai et Arras », Bulletin monumental, CXIII (1955), p. 7-35.
Ce sont en réalité des verrières achetées chez des antiquaires et données en 1837 par la marquise Coyningham, qui n’ont sans doute pas été conçues pour une église. Il n’en demeure pas moins que leur présence dans le lieu de culte interroge.
Rappelons que dans cette version, c’est parce qu’elle se retrouve enceinte que Thisbé se donne la mort la première, suivie par l’amant.
Le mystère perdure quant au lien entre le tableau et la fable, voir à ce sujet le catalogue raisonné des œuvres du peintre en ligne. URL : https://www.eb-j.org/browse-artwork-detail/MjAxOTk=
Nathalie Le Luel, « Résurgence d’un thème iconographique antique dans la sculpture du XIIe siècle : La Métamorphose de Pyrame et Thisbé », art. cit., p. 271.
L’expression est de Charles Le Brun, elle est citée par Louis Marin dans « La lecture du tableau d'après Poussin », Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 1972, n° 24, p. 251-266, p. 265.
Figures et images. De la figura antique aux théories contemporaines ?
1|2024 - sous la direction de Benoît Tane
Figures et images. De la figura antique aux théories contemporaines ?
Présentation du numéro
Figures et figuration. Le modèle exégétique
Le « peuple figuratif », entre lecture figurale et anthropologie structurale
La figure de Moïse comme grand homme chez Pétrarque
Les amours de Pyrame et Thisbé et le divin
Représentation visuelle, représentation textuelle
La figure de la licorne
Fonction de l’image dans les descriptions jésuites de la Chine et des Indes orientales
Marqué d’une croix : l’espace de la figure dans la poésie de Jørn H. Sværen
L’épopée figurale des corps dans Tombeau pour cinq cent mille soldats et Éden, Éden, Éden de Pierre Guyotat