Le terme « figure » tire son origine du domaine de l’art plastique. Cependant, le philologue allemand Erich Auerbach a analysé son utilisation dans la littérature occidentale1. Selon lui, la notion de figure représente une convergence entre deux traditions : la tradition grecque et la tradition judéo-chrétienne. Alors que la tradition grecque a contribué à la dimension allégorique, les Pères de l’Église ont adopté cette approche pour interpréter les textes bibliques. Ainsi, le terme « figure » englobe également une dimension herméneutique, désignant un sens littéral qui conduit à un sens spirituel par le biais d’une approche symbolique. L’évolution du mot « figura » a permis à Auerbach de développer une méthode d’interprétation « figurative » qui englobe deux dimensions fondamentales : la dimension littéraire et la dimension exégétique.
Moïse, en tant que prophète juif et auteur présumé de l’Ancien Testament2, se prête particulièrement bien à une interprétation « figurative ». Dans la tradition allégorique du christianisme, Moïse est considéré comme l’une des préfigurations3 de Jésus-Christ. Les épisodes de l’Ancien Testament, par leurs résonances avec les réalités du Nouveau Testament, permettent d’anticiper le sens symbolique dans l’exégèse de l’auteur de l’ouvrage littéraire. Cette approche révèle également un lien spirituel profond entre Moïse et la Bible.
Pétrarque4, en décrivant Moïse comme un grand homme, apparaît comme le précurseur d’un nouveau type de construction culturelle due à l’humanisme de la Renaissance. Son traité De vita solitaria5 loue Moïse comme l’une des grandes figures de la vie solitaire, aux côtés des héros païens, des personnages bibliques et des saints chrétiens. Dans la deuxième version de son ouvrage De viris illustribus6, Pétrarque adopte la forme biographique pour reconstituer la vie de héros romains et de personnages bibliques. Moïse y occupe une position centrale en tant que dernière et plus éminente des huit figures bibliques qui nous y sont représentées.
Personnage de l’histoire sacrée, la figure de Moïse subit une transformation en grand homme au sein des textes littéraires grâce à l’œuvre de Pétrarque. Notre objectif est d’examiner l’image de Moïse dans les écrits de Pétrarque en adoptant le point de vue figuratif, à savoir faisant de ce personnage de l’Ancien Testament hébraïque une préfiguration, à travers ses deux traités, en explorant la combinaison de deux dimensions : la dimension littéraire et l’aspect exégétique.
L’interprétation « figurative »
Erich Auerbach explore l’histoire de l’évolution du terme « figura » dans la culture occidentale en adoptant une approche étymologique. Cette évolution du mot « figura » a suivi deux branches distinctes : l’une dans la culture païenne et l’autre dans le monde chrétien. Dans la culture païenne, ce terme a d’abord pris le sens de « copie », puis il a intégré le domaine de la rhétorique. Auerbach explique ainsi la notion de la « figure rhétorique » chez Quintilien :
Il sépare les tropes des figures : plus spécifique, le trope ne renvoie qu’à l’emploi non propre de mots et de tournures ; en revanche toute mise en forme du discours qui s’écarte de l’usage courant et direct est une figure7.
En revanche, dans le monde chrétien, « figura » a été incorporé dans le champ de l’herméneutique. Au début du christianisme, l’utilisation de ce terme a engendré un débat entre l’interprétation historique et l’interprétation allégorique de l’Ancien Testament. Tertullien, l’un des premiers Pères de l’Église, accordait une grande importance à la valeur littéraire et historique des textes, tandis qu’Origène, un théologien grec d’Alexandrie, privilégiait une interprétation allégorique et morale. Augustin d’Hippone a réussi à concilier ces deux perspectives, redéfinissant ainsi les trois niveaux de signification associés au concept de « figura » : d’abord, celle de la « loi ou de l’histoire juive », ensuite, celle de « l’Incarnation » du Christ, enfin, celle de la « réalisation future des événements promis8 ». Ainsi, dans la culture païenne, « figura » se rapporte davantage à une valeur littéraire, tandis que dans le monde chrétien, il revêt une dimension exégétique englobant plusieurs niveaux de signification dans la tradition allégorique du christianisme.
Ainsi, l’évolution du terme « figura » offre à Auerbach l’occasion de développer une méthode d’interprétation « figurative », fusionnant solidement la tradition chrétienne occidentale avec la culture païenne. Dans son application à l’analyse littéraire, Auerbach se réfère spécifiquement à son étude de la Divine Comédie de Dante.
Cette interprétation « figurative » constitue un outil analytique permettant d’explorer la convergence entre la théologie chrétienne et le monde païen. D’un côté, comme le souligne Hayden White, le modèle du « figuratism » s’avère particulièrement utile dans « l’étude des styles et des genres littéraires9 », éclairant les liens génériques entre les textes littéraires. D’un autre côté, cette interprétation « figurative » demeure pertinente pour déchiffrer le processus de rencontre entre la substance théologique chrétienne et l’univers païen, influençant profondément l’évolution de la littérature à l’époque de la Renaissance. Cette dynamique met en évidence comment la théologie chrétienne a été « sécularisée et recontextualisée10 ».
L’interprétation « figurative » comprend deux aspects essentiels : la dimension littéraire et exégétique. La dimension littéraire englobe le genre et le style, tandis que l’approche exégétique intègre la riche tradition de l’interprétation allégorique chrétienne ainsi que la vision personnelle de l’auteur. En d’autres termes, l’auteur sélectionne un épisode spécifique de la vie d’un personnage biblique, puis l’incorpore habilement dans son texte en tenant compte du genre et du style littéraire, conférant ainsi au personnage une toute nouvelle signification. L’image finale ne se contente pas de reproduire fidèlement l’image biblique d’origine, mais elle compose une interprétation libre qui fait fusionner à la fois une dimension exégétique et une invention littéraire.
Nous envisageons d’utiliser cette méthode d’interprétation pour examiner la représentation de Moïse dans les œuvres de Pétrarque. En premier lieu, Moïse occupe une position centrale en tant qu’auteur du Pentateuque de l’Ancien Testament, se distinguant également en tant que prophète, législateur et libérateur dans l’histoire d’Israël. Il revêt une importance particulière non seulement dans le cadre de l’exégèse chrétienne, mais est également présenté par Paul comme une préfiguration de Jésus dans l’Ancien Testament, et les premiers Pères de l’Église le considèrent comme un modèle spirituel pour les chrétiens11. Il est également introduit dans la société romaine par les juifs résidant à Alexandrie, devenant ainsi une figure notable de la littérature judéo-chrétienne12. Pétrarque se démarque comme le précurseur de la Renaissance en réinterprétant Moïse dans le contexte renouvelé par lui de la rencontre entre le christianisme et la culture païenne13.
Les deux traités, De vita solitaria et De viris illustribus, examinent divers aspects du personnage de Moïse sous un double perspective, à la fois littéraire et exégétique. En analysant la représentation de Moïse dans ces écrits de Pétrarque, nous pouvons ainsi appréhender le fonctionnement du mode d’interprétation figurative au sein de l’œuvre de cet auteur de la Renaissance.
De vita solitaria : Moïse comme solitaire
Le De vita solitaria (La Vie solitaire) est un traité moral de Pétrarque adressé à son ami Philippe de Cabassole, évêque de Cavaillon. Dans cet ouvrage, Pétrarque encourage son lecteur à s’éloigner des préoccupations quotidiennes pour adopter une vie dévouée à l’étude et à la méditation solitaire. La composition de ce traité débute au printemps 1346 pour s’achever vers 1370. Il est structuré en deux parties distinctes : la première expose les objections à l’idée de solitude idéale, tandis que la seconde présente des personnalités illustres ayant adopté ce mode de vie. Selon Kenelm Foster, cet humble ouvrage représente « une nouvelle phase » dans laquelle Pétrarque parle « explicitement comme chrétien14 ». Dans cette œuvre, Moïse est présenté comme un grand personnage biblique incarnant la pratique de la solitude. Les épisodes de sa vie sont utilisés comme des exemples illustrant les avantages de « la vie solitaire » selon Pétrarque. Moïse nous guide à travers les dialogues entre la tradition chrétienne et le monde païen dans ce traité, offrant ainsi un aperçu spirituel de l’univers de Pétrarque.
Tout d’abord, Moïse émerge comme l’un des personnages bibliques qui embrassent la solitude, et son rôle en tant que prophète met en lumière la dimension sacrée de cet état. Dans le Livre I, Pétrarque évoque l’épisode où Moïse traverse la mer Rouge pour souligner la présence constante de Dieu, un thème central de la vie solitaire. Avant même de formuler une prière verbale, le cri silencieux de Moïse atteint l’oreille divine : illustrant l’idée que Dieu « nous entend avant même que nous parlions15 ». Ainsi, Moïse devient un exemple inspirant de communion avec Dieu au sein de la solitude. Dans le Livre II, Pétrarque dresse une brève biographie de Moïse en tant que prophète, le qualifiant de « familier de Dieu16 » et mettant en avant son intimité spirituelle ainsi que sa vie exemplaire en solitaire dans le désert.
Pétrarque s’efforce de démontrer que Moïse acquiert la capacité de réaliser des miracles et remporter des victoires grâce à la solitude. Sa narration met en évidence deux événements miraculeux dans le désert : la descente de la manne nourricière du ciel et le coup porté au rocher qui fait jaillir l’eau17. Le peuple d’Israël et ses adversaires deviennent, d’une certaine manière, le contexte de la vie personnelle de Moïse. Cependant, derrière ces victoires miraculeuses et la communication avec Dieu, la solitude demeure au cœur de tout. Pétrarque conclut que « la solitude est aimée pour ses bienfaits et ses échanges divins, elle est prisée pour ses grandes assemblées d’anges18 ! » L’expérience prophétique de Moïse met en évidence le lien étroit entre la solitude et une communication surnaturelle avec Dieu. Comme le souligne Armando Maggi, la nouvelle conception de la « solitude » selon Pétrarque implique davantage « un dialogue intime avec un ami qui poursuit les mêmes idéaux intellectuels et spirituels 19».
En outre, la mort de Moïse symbolise la conclusion d’une vie en solitude, puisque Dieu lui ordonne de monter sur la montagne d’Abarim et d’y mourir dans la solitude20. Pour Pétrarque, la « mort glorieuse » de Moïse signifie que la solitude lui est destinée « au moment de s’éloigner des hommes21 ». Ainsi, l’expérience prophétique de Moïse illustre comment la solitude favorise une communication ininterrompue avec Dieu tout en symbolisant le concept d’un dialogue intime avec un ami partageant des idéaux intellectuels et spirituels similaires. Cette solitude, vécue en communion, représente la vie glorieuse d’un homme d’exception.
Deuxièmement, la vie du prophète Moïse démontre que la communion en solitude est une démarche active. Pétrarque cherche à dissiper la fausse notion de la solitude en tant qu’état passif en utilisant l’exemple du prophète pour montrer qu’elle implique une communication active avec Dieu.
Pétrarque énumère les miracles de trois prophètes bibliques vivant en solitude : Moïse, Élie et Élisée. Il souligne que ces trois prophètes étaient « actifs dans leur isolement et étaient accompagnés dans leur solitude22 », citant ainsi saint Ambroise. Ensuite, il offre des exemples spécifiques de conversations avec Dieu dans la solitude pour chaque prophète. L’expérience de Moïse comprend trois aspects majeurs : converser avec Dieu comme avec un ami, crier vers Dieu et triompher de ses ennemis en élevant les mains. Ces trois actions démontrent que la solitude est une communion active.
Après avoir relaté les expériences de ces trois prophètes, Pétrarque commence à démontrer comment le héros romain Scipion l’Africain reproduit leurs actions, même sans avoir connaissance de ces prophètes. Selon Pétrarque, l’élément crucial réside dans le fait que « cette imitation » de la solitude biblique n’ampute pas, en règle générale, les actions humaines de leur part de gloire et de renommée23. En d’autres termes, l’imitation de la vie solitaire des prophètes bibliques confère également une renommée distincte.
Ainsi, Pétrarque énonce une règle universelle : il aspire à une solitude active et fructueuse, un loisir qui, loin d’être inactif ou vain, engendre des avantages bénéfiques pour un grand nombre de personnes24. Pétrarque élève ainsi la solitude, qu’il associe aux figures bibliques, au rang de modèle indirect pour les héros romains et, par extension, pour les grands hommes du monde entier. En d’autres termes, le mode de vie solitaire qu’il préconise est positif, utile et applicable à tous, et les textes bibliques servent à établir cet idéal particulier de solitude.
En troisième lieu, Moïse est décrit comme un libérateur qui a ouvert la mer Rouge pour sauver le peuple d’Israël. En présentant à son ami, l’évêque de Cavaillon (destinataire de ce bref traité), la montagne à Vaucluse comme l’endroit saint de la solitude, Pétrarque établit une comparaison entre l’ancien évêque de Cavaillon, Véran, dont la tombe se trouve dans la montagne à Vaucluse, et Moïse, le libérateur du peuple d’Israël.
Pétrarque entreprend de convaincre son ami de rejoindre le lieu sacré de la solitude en racontant l’histoire de la montagne à Vaucluse. Ce lieu tire sa sacralité de la tombe de l’évêque Véran, qui a ouvert la voie à d’autres en quête de vie solitaire. Après avoir triomphé d’un dragon, il érige un petit sanctuaire en l’honneur de la Vierge Marie et aménage sa modeste cellule. Véran est ainsi un pionnier, ayant rendu accessible cette montagne en taillant la roche dure de ses propres mains25. Pétrarque relate même un miracle : après le décès de Véran, son manteau transporte son corps jusqu’à l’endroit où il souhaitait être inhumé. Selon Pétrarque, le manteau de Véran accomplit un prodige comparable à celui du bâton de Moïse ouvrant la mer Rouge26.
À travers cette comparaison, le rôle de Véran est assimilé à celui de Moïse pour le peuple d’Israël, l’évêque de Cavaillon devenant le libérateur des individus aspirant à la vie solitaire. Son manteau est investi d’une onction divine, permettant à son corps de retourner à la terre sainte de la solitude, à savoir la montagne sacrée de Vaucluse. Cette analogie vise à glorifier les effets miraculeux de la vie solitaire et à conférer une aura mystérieuse à la montagne, établissant ainsi un lien sacré avec la solitude. Cette perspective pourrait être liée à l’expérience personnelle de Pétrarque au sommet du Mont Ventoux27. Comme l’explique Jean-Claude Margolin, la « métaphore de la montagne » symbolise souvent « l’échelle des perfections28 ». Pétrarque confère ainsi une valeur spirituelle et mystique à la vie solitaire, évoquant l’expérience surnaturelle de l’évêque Véran. Cette histoire peut être interprétée comme une christianisation de « la solitude lettrée29 » de Pétrarque, réunissant une communauté en quête de perfection intellectuelle et spirituelle.
L’exemple de Moïse dans la perspective de la solitude selon Pétrarque illustre une conception profonde de la vie solitaire. La solitude, selon lui, constitue à la fois une forme de communication active, intellectuelle et spirituelle, tout en servant de source d’inspiration pour des actions mystérieuses. Cette expérience n’est pas réservée uniquement aux prophètes bibliques, mais s’étend également aux héros romains, ce qui signifie que n’importe quel individu peut en tirer inspiration. À travers l’image de Moïse, Pétrarque invite à embrasser l’idéale de vie des intellectuels, qui consiste en un petit groupe partageant et se développant dans la solitude. Cependant, cette vie solitaire renferme également un aspect spirituel. L’exemple de l’expérience mystique personnelle de Moïse peut être interprété comme une métaphore ou compris comme un désir d’expériences mystiques. Après tout, Pétrarque lui-même aspirait à vivre une expérience mystique similaire à celle de saint Augustin. Néanmoins, la conception de la vie en solitaire chez Pétrarque s’apparente davantage à un idéal humaniste. Comme le souligne Dolora Chapelle Wojciehowsk, l’imagination de Pétrarque concernant « une petite communauté d’amis unis dans les activités intellectuelles et spirituelles » se distingue nettement « des communautés religieuses médiévales30 ». Ainsi, l’image de Moïse transcende son rôle de prophète biblique pour devenir un symbole de la vie solitaire, accessible à l’ensemble de l’humanité.
De viris illustribus : Moïse comme un héros chrétien
Dans le De viris illustribus, Pétrarque rédige une biographie détaillée de Moïse, poursuivant l’objectif d’offrir des exemples inspirants pour encourager ses lecteurs à aspirer à la grandeur humaine31. Dans sa longue préface, il expose les raisons qui l’ont motivé à entreprendre cette tâche, notant que ses contemporains manquent « à la fois de volonté et de capacité pour la grandeur32 ». Parallèlement, il met en lumière la distinction entre ceux qui ont de la chance et les véritables hommes illustres. La richesse et le pouvoir peuvent résulter du hasard, tandis que les hommes illustres émergent grâce à « la gloire » et à « la vertu » qu’ils ont cultivées33.
Cependant, le plan de cet ouvrage reflète l’évolution de la conception des héros chez Pétrarque. Au début de sa carrière, il envisage de créer une épopée et une biographie servant d’« apologie de Rome34 ». Ainsi, la première version du De viris illustribus en 1337, conçue comme un complément de l’épopée Africa, débutait par la biographie de Romulus et s’articulait autour d’un plan centré sur la République romaine. Au fil du temps, cette série s’est élargie pour inclure les héros de « tous les âges35 » dans la deuxième version. Toutefois, c’est la deuxième version qui demeure la plus connue et c’est sur elle que nous nous concentrerons. Ainsi, la structure globale de l’ouvrage englobe douze personnages, dont huit figures proviennent de la Bible : Adam, Noé, Nemrod, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph et Moïse.
Pétrarque met en avant deux dimensions distinctes dans l’image de Moïse : la gloire et la vertu. La gloire est associée à la grandeur d’un héros romain, tirant sa puissance militaire de la présence divine. Moïse est ainsi présenté comme un héros qui recourt aux miracles pour remporter ses batailles. Parallèlement, la vertu renvoie aux traits chrétiens présents dans le caractère de Moïse, tels que la patience et l’amour. Ainsi, Moïse est dépeint comme à la fois un chef militaire et un guide spirituel, comparé par Pétrarque à un berger conduisant le troupeau de Dieu.
L’image de Moïse est principalement construite à partir des textes bibliques, où Pétrarque écarte les éléments surnaturels pour le présenter comme un homme extraordinaire prospérant malgré des épreuves difficiles. Pour dépeindre Moïse en tant que chef exemplaire confronté à des épreuves, Pétrarque préfère suivre le cadre narratif de la Vulgate de Jérôme36 et ignore les anecdotes de l’historien Flavius Josèphe. La représentation de Moïse avec des cornes recevant les tables de la Loi traduit cette admiration de Pétrarque pour Jérôme.
Le poète omet délibérément le succès de Moïse en Égypte, ainsi que sa sagesse acquise dans le palais égyptien. De plus, il ne relate pas l’anecdote de « l’amour d’une fille du roi des Éthiopiens pour Moïse », présente chez Josèphe et Virgile37. Ces éléments légendaires sont négligés par Pétrarque pour éviter que Moïse ne soit perçu comme un homme fortuné. Au contraire, l’accent est mis sur les difficultés de Moïse à diriger le peuple dans le désert, et le texte se consacre minutieusement à décrire les défis individuels auxquels le chef juif est confronté lors du voyage collectif dans le désert. Les événements clés, tels que la transformation des eaux amères en eau douce, la guerre avec les Amalécites, la remise des Tables de la Loi, ainsi que les révoltes du peuple contre Moïse, sont tous soigneusement préservés dans le récit.
Sur le plan exégétique, Pétrarque ne s’attarde pas particulièrement sur l’allégorie pour établir un lien entre Moïse et Jésus. Il se concentre sur l’aspect humain de Moïse, l’utilisant comme exemple pour raconter l’évolution d’un grand homme dans le but d’inspirer l’émulation et l’apprentissage chez ses lecteurs.
Comme l’exprime Pétrarque dans sa préface, les hommes illustres sont « les produits de gloire et de vertu38 ». Les épreuves endurées par Moïse sont révélatrices de sa gloire unique et de ses vertus précieuses. L’auteur utilise plusieurs événements clés pour illustrer l’ascension de Moïse39, mettant en avant à la fois sa gloire et son caractère moral. Le récit de la vie de Moïse est structuré autour de quatre grandes épreuves, chacune soulignant étroitement le lien entre la gloire et la vertu, bien que chaque événement mette en évidence des aspects différents de sa personnalité. Par exemple, la traversée de la mer Rouge met particulièrement en lumière la capacité de Moïse à accomplir des miracles, démontrant ainsi sa force, synonyme de gloire. En revanche, l’épreuve dans le désert met en évidence la vertu de Moïse face à un peuple rebelle. Tout au long de sa vie, les compétences et le caractère de Moïse ne cessent de croître.
La gloire de Moïse se manifeste à travers deux aspects essentiels : sa capacité à vaincre ses ennemis par le biais de miracles, reflétant ainsi sa force, et son lien intime avec Dieu.
En tant que libérateur d’Israël, Moïse détient une puissance singulière qui lui permet de défier ses adversaires en réalisant des prodiges40. Pétrarque souligne la responsabilité unique de Moïse au sein du peuple. En qualité d’« interlocuteur » de Dieu41, Moïse apaise les plaintes humaines et transmet les commandements divins, une charge qui constitue également sa gloire unique. L’épisode du combat contre les Amalécites illustre cette singularité de la gloire de Moïse, avec l’emploi répété du terme « seul » : « les mains nues d'un seul vieux » ou « lui-même tout seul42». Cela se manifeste de manière particulièrement remarquable lors de l’épisode de la traversée de la mer Rouge, où la compétence au combat de Moïse est mise en avant. Alors que le peuple d’Israël est poursuivi par l’ennemi, le « lever de la main de Moïse la main de Moïse43 » provoque le recul de la mer. À mesure que les Israélites traversent le fleuve à pied, la mer retrouve son niveau naturel « par ordre de la même main », engloutissant ainsi leurs poursuivants44.
Le deuxième élément de la gloire de Moïse réside dans sa relation intime et singulière avec Dieu, découlant de son rôle de prophète. Un exemple particulièrement frappant de cette relation se trouve dans l’épisode de la promulgation des tables de la Loi, offrant deux moment significatifs45. D’abord, lors de cet événement, le peuple se tient au pied du mont Sinaï tandis que Moïse monte « les pentes de la haute montagne »46. Dans cette situation, Dieu lui parle directement et face à face47. Ensuite, lors de la conversation avec Dieu au mont Sinaï pendant quarante jours, Pétrarque décrit Moïse comme s’adressant à Dieu presque comme « à un ami »48. Bien que cette expérience soit jalonnée de difficultés, elle apporte une gloire tangible sous la forme d’un signe étonnant : « des cornes insolites »49. Ainsi, malgré les défis qui l’entourent, Moïse bénéficie d’un échange intime avec Dieu dans l’exercice de son ministère, ce qui le soutient dans l’accomplissement d’actes illustres en tant que chef du peuple juif.
Les vertus de Moïse émanent de Dieu, lui permettant ainsi d’accomplir son service divin, le rapprochant en quelque sorte de Dieu lui-même.
Initialement, Pétrarque décrit la genèse singulière des vertus de Moïse en tant que serviteur de Dieu. L’auteur délibérément omet les anecdotes sur les succès de Moïse à la cour de Pharaon50, excluant ainsi la possibilité de dépeindre les vertus naturelles acquises pendant son enfance et son adolescence. La description des vertus de Moïse commence avec le miracle du sceptre51. Ces vertus ne sont en aucun cas d’origine humaine, le sceptre étant « comme preuve de la vertu divine » destinée à « montrer des prodiges »52. Après avoir reçu le sceptre, Moïse entame son ministère en tant que prophète, et c’est dans l’adversité que ses vertus se manifestent pleinement. Ainsi, Pétrarque relate le processus de la genèse des vertus de Moïse, soulignant qu’elles sont des dons célestes octroyées par Dieu à un moment précis pour accomplir son dessein divin, excluant ainsi toute contribution humaine à leur émergence.
Les vertus de Moïse se manifestent ensuite à travers ses actions au service de Dieu, soulignées par Pétrarque à deux reprises par des exclamations.
La première mention met en avant « la douceur et la modestie53 », illustrées par la manière dont Moïse accepte les conseils de son beau-père54 et sa soumission aux commandements divins sur la montagne du Sinaï55. Ces deux aspects constituent une représentation parfaite de cette vertu. La deuxième mention souligne « la patience » et « l’amour56 » de Moïse à travers ses prières pour le peuple et ses adversaires, illustrant sa tolérance envers le peuple de Dieu57 et reflétant le zèle divin envers les rebelles58. Pétrarque crée ainsi une réussit une dichotomie narrative en établissant deux groupes opposés, où les vertus de Moïse correspondent au sens primitif de la Bible.
En outre, Pétrarque compare la bienveillance du chef à l’ingratitude du peuple, montrant Moïse comme le chef illustre d’un peuple ingrat, tout en révélant comment il surmonte les épreuves grâce à son expérience, dans le cadre de son objectif pédagogique.
Ainsi, dans le De viris illustribus, Pétrarque présente Moïse comme un héros humain dont l’accomplissement repose sur une assistance divine, en s’appuyant principalement basée sur la Vulgate de Jérôme. Plutôt que de mettre l’accent sur Moïse en tant que préfiguration de Jésus, Pétrarque le modèle comme un grand homme de l’histoire, espérant que son public puisse s’en inspire. Dans ce processus de création du personnage, il intègre ses propres réflexions exégétiques et sa compréhension littéraire à l’image de Moïse. Pétrarque cherche à dépeindre à la fois la gloire et la vertu, conférant ainsi deux dimensions distinctes à l’image de Moïse : l’une profane, emprunté à la tradition des héros romains, mettant l’accent sur la gloire, et l’autre chrétienne, se concentrant sur le caractère et les vertus de Moïse, notamment la patience et l’amour, qui s’opposent aux traits généraux des héros romains, mais s’alignent avec les vertus chrétiennes traditionnelles.
Cette biographie unique conduit Pétrarque à s’appuyer sur les événements clés de la vie de Moïse et à mettre en lumière son aspect héroïque, quitte à faire du prophète un héros chrétien.
Conclusion
L’approche « figurative » éclaire la fusion des dimensions littéraire et exégétique dans les œuvres de Pétrarque consacrées à Moïse. L’exégèse pétrarquienne, ancrée dans une perspective historique, présente Moïse comme un grand homme éminent dans l’histoire humaine. Dans le De vita solitaria, Moïse devient l’incarnation de la solitude préconisée par Pétrarque, réinventant ce mode de vie comme une nouvelle modalité culturelle à des fins personnelles. D’autre part, dans le De viris illustribus, Moïse illustre comment la gloire et la vertu d’un grand homme s’accroissent. La distinction entre ces deux aspects se reflète dans chaque ouvrage. Comme le soulignent deux spécialistes, le De viris illustribus peint « la fusion traditionnelle du passé biblique et romain59 », tandis que le De vita solitaria exprime le besoin d’« un homme d’âge mûr d’accorder ses dernières lectures de textes chrétiens à ce qui est important à ses yeux sur le plan historique60 ». En parallèle, la forme littéraire de la biographie fournit des critères pour la création de l’image de Moïse, transformé en « grand homme » selon la nouvelle idéologie de la Renaissance humaniste, en tant qu’écrivain exceptionnel utilisant les événements de la vie de Moïse pour servir sa propre vision humaniste de l’être-humain et du monde.
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Voir Moïse, figures d’un prophète, Anne Hélène Hoog, Matthieu Somon et Matthieu Léglise, dir., Paris, Flammarion, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 2015.
La « préfiguration » est liée à la méthode typologique de l’exégèse chrétienne. Voir Amsler Samuel. « Où en est la typologie de l’Ancien Testament ? », Études théologiques et religieuses 3, 1952, p. 75-81. Voir aussi Henri de Lubac, SJ, Exégèse médiévale : les quatre sens de l’Écriture, Paris, Cerf, DDB, 1993 (1959).
La place de Pétrarque est présentée de manière approfondie par Ugo Dotti dans son ouvrage Pétrarque, trad. de l’italien par Jérôme Nicolas, Paris, Fayard, 1991 ; ou Pierre Marchaux, « François Pétrarque », in Colette Nativel, dir., Centuriae latinae : cent une figures humanistes de la Renaissance aux Lumières offertes à Jacques Chomarat, Genève, Droz, 1997, p. 607-612.
Pétrarque, De vita solitaria, La vie solitaire, édition bilingue latin-français, trad. par Christophe Carraud, Grenoble, Éditions Millon, 1999.
Francesco Petrarca, De viris illustribus. Adam-Hercules, éd. par Caterina Malta, Università degli studi di Messina, Centro interdipartimentale di studi umanistici, 2008.
Voir Hayden White, « Auerbach’s literary history: Figural Causation and Modernist Historicism », in Seth Lerer, dir., Literary History and the Challenge of Philology: The Legacy of Erich Auerbach, Stanford University Press, Stanford, California, 1996, p. 128 : « The model is most pertinently utilizable in the study of literary styles and genres » (« Le modèle est le plus pertinemment utilisable dans l’étude des styles et des genres littéraires »). Sauf mention contraire, les traductions sont les nôtres tout au long de l’article.
Rachel Darmon, « Figuration fable et théologie dans les traités de mythographie », Réforme, Humanisme, Renaissance, 2013, n° 77, p. 49-50.
L’apôtre Paul écrit dans le Nouveau Testament, 1 Corinthiens 10, 2 : « ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer ». Les premiers Pères de l’Église qui considèrent Moïse comme un exemple spirituel sont Grégoire de Nysse et Clément d’Alexandrie. Pour en savoir plus, voir l’œuvre de Grégoire de Nysse, La vie de Moïse, trad. par Jean Daniélou, Paris, Éditions du Cerf, 1968.
Voir le philosophe juif Philon d’Alexandrie, De vita mosis : I-II, Paris, Éditions du Cerf, 1967. Voir aussi l’historien Flavius Josèphe, Histoire ancienne des Juifs. Livres I-V, Clermont-Ferrand, Éditions Paleo, 2014.
Voir Alain Michel, Pétrarque et la pensée latine : tradition et novation en littérature, Avignon, Aubanel, 1974.
Kenelm Foster, Petrarch: poet and humanist, Edinburgh, Edinburgh university press, 1984, p. 9 : « showing Petrarch entering a new phase in his development as a writer… written for the public, spoke out explicitly as a Christian » (« montrant Pétrarque entrant dans une nouvelle phase de son développement en tant qu’écrivain… écrit pour le public, s’est exprimé explicitement en tant que chrétien. »)
Pétrarque, De vita solitaria, La vie solitaire, édition bilingue latin-français, trad. par Christophe Carraud, Grenoble, Éditions Millon, 1999, Livre Premier, V, 8, p. 102-103 : « Videt Ille igitur nos auditique prius etiam, quam loquamur. » ; « Il nous voit, Il nous entend avant même que nous parlions. » Cet événement précède le passage de la mer Rouge, tel qu’évoqué dans Exode 14, 14-15 : « Moïse dit au peuple : L’Éternel combattra pour vous ; et vous, gardez le silence. Dieu dit à Moïse : Pourquoi ces cris ? Parle aux enfants d’Israël, et qu’ils marchent ».
Ibid., Livre Second, III, I. p. 196-197 : « Ubi erat ille familiarissimus Deo vir Moyses » ; « Où était ce familier de Dieu, Moïse » Voir Exode 15, 22 : « Moïse fit partir Israël de la mer Rouge. Ils prirent la direction du désert de Schur ; et, après trois journées de marche dans le désert, ils ne trouvèrent point d’eau. »
Ibid. : « quando in castris coturnices ortigias affatim celo lapsas populus legit esuriens et de rupe percussa dulcis aque copiam sitiens bibit » ; « quand le peuple affamé ramassa, entre les tentes, toutes ces cailles tombées à profusion du ciel ; quand, assoiffé, il but à satiété l’eau fraîche qui sourdait du rocher que Moïse avait frappé. »
Ibid. : « Vides, ut solitudo divinis beneficiis atque colloquiis et angelicis sit amica congressibus ! » ; « Vois comme la solitude est aimée des bienfaits et des entretiens divins, aimée des grands concours d’anges ! »
Armando Maggi, « “You Will Be My Solitude”: Solitude as Prophecy (De Vita Solitaria) », in Victoria Kirkham et Armando Maggi, dir. A Critical Guide to the Complete Works, Chicago, University of Chicago Press, 2009, p. 180 : « but rather intimate dialogue with a friend who pursues the same intellectual and spiritual ideals » (« mais plutôt un dialogue intime avec un ami qui poursuit les mêmes idéaux intellectuels et spirituels »).
Voir Deutéronome 32, 48-50 : « Ce même jour, l’Éternel parla à Moïse, et dit : Monte sur cette montagne d’Abarim, sur le mont Nebo, au pays de Moab, vis-à-vis de Jéricho ; et regarde le pays de Canaan que je donne en propriété aux enfants d’Israël. Tu mourras sur la montagne où tu vas monter, et tu seras recueilli auprès de ton peuple… ». Voir la « Mort de Moïse » réalisée par J. Bondol en 1372 (en ligne sur Utpictura18).
Pétrarque, op. cit., Livre Second, III, I. p. 196-197 : « Quo minus miror, ut preclare vite viri illius sic et gloriose morti solitudinem deputatam, dum ex hominibus migraturo, quod fratri eius iam antea acciderat » ; « Aussi regardé-je sans étonnement qu’à la mort glorieuse comme à la vie lumineuse de Moïse c’est la solitude qui fut assignée, quand, au moment de s’éloigner des hommes [comme son frère, déjà, l’avait fait] ».
Ibid., Livre Second, XIII, 15, p. 350-351 : « quos fuisse vult ante Africanum diu et in otio negotiosos et in solitudine comitatos » ; « il veut qu’ils aient été avant lui actifs dans le loisir et accompagnés dans leur solitude ».
Ibid., Livre Second, XIII, 16, p. 352-353 : « … nulla prorsus interveniente notitia omnis cesset imitatio, quam de rebus humanis laudum fameque particulam delibare atque decerpere solitam non nego ? » ; « et qu’on ne peut donc parler d’imitation dans son cas – cette imitation dont je ne nie pas qu’elle retranche d’ordinaire aux actions humaines quelques bribes de gloire et de renom ? »
Ibid., Livre Second, XIV, I, p. 352-353 : « … volo solitudinem non solam, otium non iners nec inutile, sed quod e solitudine prosit multis » ; « je veux une solitude qui ne soit pas seule, un loisir qui ne soit ni inactif ni inutile, mais tire de la solitude un bénéfice dont beaucoup puissent profiter ».
Ibid., Livre Second, XIV, 13, p. 368-369 : « Hunc ipse montem pervium fecit et hanc montanam preduramque silicem perforavit suis, ut aiunt, minibus, opus fervoris atque otii igentis » ; « … Il rendit cette montagne accessible et, dit-on, creusa de ses mains cette roche très dure : ouvrage qui demande une grande ardeur et un loisir considérable ».
Ibid., Livre Second, XIII, p. 368-369 : « quod olim in transitu Maris Rubri viventis Moyseos virga potuerat, hoc, siqua fides, in transitu fluminum Verani pallium posset extincti » ; « ce que le bâton de Moïse vivant put faire autrefois lors du passage de la Mer Rouge, le manteau de Véran mort l’accomplit au passage des fleuves ».
Voir Donald Beecher, « Petrarch’s “Conversion” on Mont Ventoux and the Patterns of Religious Expérience », Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme, vol. 28, no. 3, 2004, p. 55-75.
Jean-Claude Margolin, « Contemplation et vie solitaire chez Français Pétrarque et Charles de Bovelles », in Frank La Brasca et Christian Trottmann, dir., Vie solitaire, vie civile, l’humanisme de Pétrarque à Alberti, Paris, H. Champion, 2011, p. 106.
Jean Meyers, op. cit., p. 222-223 : « … la solitude lettrée est, par la lecture et l’écriture, un combat permanent des vices et des vertus, semblable à celui mené par les ermites dans le désert ou par les saints dans la retraite des monastères. En se comparant à eux, Pétrarque christianise un otium cum litteris d’inspiration antique et l’assimile à une forme de sainteté ».
Dolora Chapelle Wojciehowski, « Francis Petrarch: First Modem Friend », Texas Studies in Literature and Language, vol. 47, n° 4, 2005, p. 277 : « He imagines a tiny community of friends joined in intellectual and spiritual pursuits – a quite different arrangement from medieval religious communities. » (« Il imagine une petite communauté d'amis unis dans des activités intellectuelles et spirituelles – une disposition tout à fait différente des communautés religieuses médiévales. »)
Patricia Eichel-Lojkine met en lumière la signification du De viris illustribus dans Le siècle des grands hommes : les recueils de vies d’hommes illustres avec portraits du XVIe siècle, Louvain, Sterling, Peeters, Paris, Peeters France, 2001, p. 32 : « Premier ouvrage de la Renaissance consacré à l’histoire romaine, ce recueil est aussi la première tentative littéraire de faire renaître le genre antique des Vies, et de laïciser le modèle des collections hagiographiques. »
Benjamin G. Kohl, « Petrarch’s Prefaces to de Viris Illustribus », History and Theory, Vol. 13, n° 2, 1974, p. 136 : « Petrarch found them lacking both will and ability for greatness » (« Pétrarque les trouva dépourvus à la fois de volonté et de capacité pour la grandeur. »)
Ibid., p. 140 : « while the illustrious ones are the product of glory and virtue » (« tandis que les illustres sont le produit de la gloire et de la vertu. »)
Voir François Fabre, « Pétrarque et saint Jérôme », in Maurice Brock, Francesco Furlan, Frank La Brasca, dir., La bibliothèque de Pétrarque : livres et auteurs autour d'un humaniste, Turnhout, Brepols, 2008, p. 143-160. Voir la représentation de Moïse aux cornes, en communication avec Dieu et recevant les Tables de la Loi, dans la miniature intitulée « Moïse reçoit les Tables de la Loi » réalisée par Jean Bondol en 1372 (en ligne sur Utpictura18).
Dans la longue préface de De viris illustribus, voir Benjamin G. Kohl, op. cit., p. 140 : « the product of glory and virtue » (« le produit de la gloire et de la vertu »).
Dans l’exégèse chrétienne, le Père de l’Église Grégoire de Nysse établit une tradition en faisant de Moïse le modèle parfait de la perfection. Voir Grégoire de Nysse, La vie de Moïse ou Traité de la perfection en matière de vertu, éd. par Jean Daniélou, S.J., Paris, Éditions du Cerf, 1968. Selon Grégoire de Nysse, en tant qu’« ami de Dieu », Moïse devient un archétype dont la vie représente l’élévation « jusqu’à la limite extrême de la perfection » (II, 319, p. 325). Selon Jean Daniélou, la vie de Moïse symbolise trois étapes du chemin spirituel qui rappellent les pensées d’Origène : « passer des ténèbres de l’ignorance à la lumière, puis, au-delà de la lumière, entrer dans la nuée, et dans la nuée, se laisser guider vers “ la ténèbre plus que lumineuse ” » (p. 37).
Voir Patricia Eichel-Lojkine, op. cit., p. 66 : « En fait, la gloire littéraire et la gloire militaire ne sont pas ressenties comme incompatibles, ou même comme essentiellement différentes par la majorité des humanistes (mis à part l’exception notable d’Erasme) ».
Francesco Petrarca, De viris illustribus. Adam-Hercules, a cura di Caterina Malta, Università degli studi di Messina, Centro interdipartimentale di studi umanistici, 2008, 25, p. 72 : « Deo collocutore et si dici licet consiliario fretus … » ( [Moïse] s’en remettant à Dieu comme interlocuteur et, s’il est juste de le dire, conseiller…). Voir Exode 18, 13 : « Le lendemain, Moïse s’assit pour juger le peuple, et le peuple se tint devant lui depuis le matin jusqu’au soir ».
Ibid., 24 : « quam unius senis nude manus et ad celum erecte de tot armatis hostium milibus peperere, quando, Iosue exercitui preposito, ipse cum fratre solus et amico in verticem montis ascendit et inde precibus piis pugnans stravit exercitum Amalech ? » (« que les mains nues d’un seul vieux, levées vers le ciel, remportèrent sur tant de milliers de soldats ennemis, lorsque, étant Josué chef de l’armée, lui-même tout seul avec son frère et un ami atteignit la sommité de la montagne et d’ici se battant avec les prières pieuses terrassa l’armée d’Amelech ? »). Voir Exode 17, 11-12 : « Lorsque Moïse élevait sa main, Israël était le plus fort ; et lorsqu’il baissait sa main, Amaleck était le plus fort. Les mains de Moïse étant fatiguées, ils prirent une pierre qu’ils placèrent sous lui, et il s’assit dessus. Aaron et Hur soutenaient ses mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre ; et ses mains restèrent fermes jusqu’au coucher du soleil ».
Ibid., 20, p. 70 : « quando mosayce manus obtentu mare vidit et fugit… » (« lorsque, au lever de la main de Moïse, [le pharaon] vit la mer et fuit... »). Voir Exode 14, 21 : « Moïse étendit sa main sur la mer. Et l’Éternel refoula la mer par un vent d’orient, qui souffla avec impétuosité toute la nuit ; il mit la mer à sec, et les eaux se fendirent. »
Ibid., 20 : « eiusdem manus imperio, in naturam propriam versa… » (« par ordre de la même main, [la mer est] revenue à sa forme naturelle »). Voir Exode 14, 27 : « Moïse étendit sa main sur la mer. Et vers le matin, la mer reprit son impétuosité, et précipita les Egyptiens au milieu de la mer ».
Voir Exode 19, 20 : « Ainsi l’Éternel descendit sur le mont Sinaï, sur le sommet de la montagne ; l’Éternel appela Moïse sur le sommet de la montagne. Et Moïse monta. »
Francesco Petrarca, op. cit., 26, p. 72 : « et universo populo audient colloquium Dei et hominis ac stupente ad radices populo unum Moysen, vocante Deo, scandentem convexa montis aerii… » (« et, tandis que tout le peuple écoutait la conversation de Dieu et de l’homme et s’émerveillait aux pieds [de la montagne], Moïse tout seul à la demande de Dieu, montait les pentes de la haute montagne. »)
Voir Exode 20, 21 : « Le peuple restait dans l’éloignement ; mais Moïse s’approcha de la nuée où était Dieu ».
Francesco Petrarca, op. cit., 28, p. 74 : « rursum quoque Moysen coram facie ad faciem cum Deo quasi cum amico colloquentem… » (« et encore une fois Moïse se trouve directement devant Dieu, comme s’il parlait presque à un ami »). Voir Exode 34, 28 : « Moïse fut là avec l’Éternel quarante jours et quarante nuits. Il ne mangea point de pain, et il ne but point d’eau ».
Ibid., 28 : « … et a colloquio Dei redeuntis insolitis prodigiosam cornibus effigiem. » (« et l’image prodigieuse de celui qui revenait du colloque avec Dieu avec des cornes insolites »). Voir Exode 34, 29 : « Moïse descendit de la montagne de Sinaï, ayant les deux tables du témoignage dans sa main, en descendant de la montagne ; et il ne savait pas que la peau de son visage rayonnait, parce qu’il avait parlé avec l’Éternel ».
L’historien Flavius Josèphe relate plusieurs anecdotes, notamment celle où Moïse jette le diadème de Pharaon à terre. Voir Flavius Josèphe, Histoire ancienne des Juifs. Livres I-V, Clermont-Ferrand, Éditions Paleo, 2014, Livre II, Chap IX, 7, p. 115.
Dieu ordonne à Moïse de réaliser des miracles avec sa verge de berger. Voir Exode 4, 17 : « (Dieu dit à Moïse) Prends dans ta main cette verge, avec laquelle tu feras les signes ».
Francesco Petrarca, op. cit., 18, p. 70 : « … quando virgam illam, quam in manu gestabat, non iam pastoralis pedi sed divine virtutis officium gerere voluit in faciendis monstris… » (« lorsqu’il voulut utiliser la verge qu’il avait entre ses mains non pas comme un bâton de berger, mais comme preuve de la vertu divine, pour montrer des prodiges… »)
Ibid., 25, p. 72 : « Iam quis illam mansuetudinem ac modestiam non miretur… » (« et alors qui n’aura pas d’admiration pour la douceur et la modestie [de Moïse]… »)
Ibid., 25 : « cognati multo imparis consilium tam dignanter amplexus est ut… » (« [Moïse] accepta le conseil d’un parent de loin inférieur avec tant de courtoisie »). Voir Exode 18, 21 : « [Le beau-père de Moïse lui dit] : Choisi parmi tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des hommes intègres, ennemis de la cupidité ; établis-les sur eux comme chefs de mille, chefs de cent, chefs de cinquante et chefs de dix ».
Ibid., 29, p. 74 : « … et delectatum Dominum perfecti decore operis, ac diurnam nubem ignemque nocturnum incumbentum tabernaculo divinamque maiestatem circum ac supra sacrum edificium visibiliter coruscantem, ita ut ipse quoque Moyses ingredi non auderet. » (« et le Seigneur fut satisfait de la magnificence de l'œuvre achevée, de la nuée qui s'étendait sur le tabernacle le jour, du feu qui planait dessus la nuit, et de la majesté divine qui rayonnait, aux yeux de tous, autour et au-dessus de l'édifice sacré. À tel point que Moïse lui-même n'osa pas en franchir le seuil. ») Voir Exode 40, 35 : « Moïse ne pouvait pas entrer dans la tente d’assignation, parce que la nuée restait dessus, et que la gloire de l’Éternel remplissait le tabernacle ».
Ibid., 30, p. 74 : « et inter hec omnia quanta ducis patientia, quantus amor, ut et pro populo et pro emulis exoraret… » (« et dans toutes ces circonstances, combien de patience de la part du guide [Moïse], combien d’amour, au point de prier sans cesse tant pour le peuple que pour ses rivaux… ») Voir Nombres 11.
Ibid., 31 : « dum ne universum populum perderet exoratus Deus iussisset populum ab impiis segregari… ». (« Lorsque Moïse pria Dieu de ne pas détruire tout le peuple, Dieu ordonna que le peuple soit séparé des impies… ») Voir Nombres 16, 20-24 : « Et l’Éternel parla à Moïse et à Aaron, et dit : Séparez-vous du milieu de cette assemblée, et je les consumerai en un seul instant. Ils tombèrent sur leur visage, et dirent : O Dieu, Dieu des esprits de toute chair ! un seul homme a péché, et tu t’irriterais contre toute l’assemblée. L’Éternel parla à Moïse, et dit : Parle à l’assemblée, et dis : Retirez-vous de toutes parts loin de la demeure de Koré, de Dathan et d’Abiram. »
Ibid., 35, p. 76 : « … ubi notare est mitissimi ducis acrimoniam… » (« et là on peut remarquer la dureté de ce chef si pacifique… ») Voir Nombres 31, 14 : « Et Moïse s’irrita contre les commandants de l’armée, les chefs de milliers et les chefs centaines, qui revenaient de l’expédition. Il leur dit : Avez-vous laissé la vie à toutes les femmes ? Voici, ce sont elles qui, sur la parole de Balaam, ont entraîné les enfants d’Israël à l’infidélité envers l’Éternel, dans l’affaire de Peor ; et alors éclata la plaie dans l’assemblée de l’Éternel. Maintenant, tuez tout mâle parmi les petits enfants, et tuez toute femme qui a connu un homme en couchant avec lui ; mais laissez en vie pour vous toutes les filles qui n’ont point connu la couche d’un homme. »
Hans Baron, From Petrarch to Leonardo Bruni: studies in humanistic and political literature, Chicago, London, University of Chicago Press, 1968, p. 27: « … the traditional commixture of the biblical and the Roman past… » ( « la fusion traditionnelle du passé biblique et romain »).
Ronald G.Witt, « The Rebirth of the Romans as Models of Character (De viris illustribus) », in Victoria Kirkham et Armando Maggi, dir. Petrarch: A Critical Guide to the Complete Works, Chicago, University of Chicago Press, 2009, p. 110 : « As awakening in the middle-aged man a need to integrate his recent readings in Christian literature with his conception of the historically important » (« En éveillant chez un homme d’âge mûr un besoin d’accorder ses dernières lectures de textes chrétiens à ce qui est important à ses yeux sur le plan historique. »)
Figures et images. De la figura antique aux théories contemporaines ?
1|2024 - sous la direction de Benoît Tane
Figures et images. De la figura antique aux théories contemporaines ?
Présentation du numéro
Figures et figuration. Le modèle exégétique
Le « peuple figuratif », entre lecture figurale et anthropologie structurale
La figure de Moïse comme grand homme chez Pétrarque
Les amours de Pyrame et Thisbé et le divin
Représentation visuelle, représentation textuelle
La figure de la licorne
Fonction de l’image dans les descriptions jésuites de la Chine et des Indes orientales
Marqué d’une croix : l’espace de la figure dans la poésie de Jørn H. Sværen
L’épopée figurale des corps dans Tombeau pour cinq cent mille soldats et Éden, Éden, Éden de Pierre Guyotat