Figurabilités du geste dansé
Introduction
La danse œuvre à même la figure humaine, que ce soit pour la configurer selon des typologies formelles (chorégraphies, danses de répertoire, danses sociales) ou pour la transfigurer dans ce que Paul Valéry appelait, pour caractériser le geste dansé, l’« acte pur des métamorphoses1 ». À cet égard, la danse manifeste toute l’ambivalence sémantique du terme de figure, qui ne cesse d’osciller entre type et invention, entre forme et force, entre référence et différence. Dans son avènement artistique (sa fabrique) comme dans son événement esthétique (son expérience affective), la danse est à nos yeux un véritable travail de la figure. Certes, avec les évolutions esthétiques que les danses dites modernes et contemporaines ont traversées depuis le début du XXe siècle en occident, le geste dansé s’est globalement affranchi de tout prétexte narratif, musical ou allégorique, autrement dit de toute figurativité. C’est pourquoi ce que nous appelons ici le travail de la figure est à penser suivant une approche moins figurative que figurale, en considérant le geste dansé dans ses puissances de figurabilité, selon ses ressorts mimétiques profonds et son nouage primordial avec la parole.
Pour déplier cette idée, notre article suit un parcours qui coupe à travers les approches disciplinaires. Il commence par une brève saisie du concept esthétique de figural. Puis, faisant une synthèse de l’évolution historique de la notion de figure chorégraphique, il l’introduit à la dimension d’intrigue sensible qu’elle prend au XXe siècle, avec le tournant de la modernité. Une approche plus phénoménologique de l’expérience esthétique de la danse en éclaire ensuite certains effets de voyance, lorsque le geste dansé rend son spectateur capable d’y apercevoir des « ressemblances » (Walter Benjamin), des « figures abstraites de relation » (José Gil) et jusqu’à une sorte de « parole physique » (Antonin Artaud). Ce ressort mimétique propre à la figure dansée est le geste même de la mimésis, telle qu’Aristote en décrit l’opération dans sa Poétique : un geste de déplacement analogique entre le voir, le mimer et le dire, dont le moteur est le rythme. Pour finir, une analyse des allures rythmiques conjointes aux mouvements de la parole et de la danse dans l’orchestique grecque permet de ressaisir la matrice de figurabilité en quoi consiste, depuis ses débuts, l’art chorégraphique.
La danse, au travail de la figure
On emprunte le terme de figurabilité à la traduction du concept freudien de Darstellbarkeit2, et en particulier à la lecture qu’en propose Jean-François Lyotard dans son ouvrage Discours, Figure3. Si, dans le vocabulaire de la psychanalyse, la figurabilité désigne les opérations psychiques qui rendent les pensées latentes du rêve « à même d’être représentées en images, surtout visuelles4 », Freud insiste pour dire que ces images n’illustrent pas le discours du désir qui cherche à s’exprimer dans le rêve, mais qu’elles le transforment, par des opérations de condensation, de déplacement, de substitution, de conversion5. Examinant à son tour les caractères plastiques de la figurabilité, Lyotard observe que ses opérations de transvaluations formelles et structurelles font des images du rêve une sorte de hiéroglyphe ou de rébus qui ne se lit pas comme un texte, mais comme une intrigue visuelle, qui débraye entre elles les valeurs picturales, spatiales, acoustiques ou verbales6.
C’est à partir des plasticités de la figuration psychique que Lyotard construit son concept de figural, en vue de décrire les puissances « libidinales » qui sont à l’œuvre dans la psychogénèse d’une image ou d’un signe (et nous y ajoutons, d’un geste), en les considérant sous le régime des forces dont les formes émergent, et selon les effets qu’elles produisent. Devant une œuvre de Cézanne ou de Paul Klee, le regard cesse soudain de lire l’image, et laisse à l’œil une chance d’être ému, ébranlé, ralenti ou accéléré, granulé de petites perceptions, rendu un instant à son état sauvage7. Reprenant à son compte le concept de figural, Gilles Deleuze en offre une définition limpide dans sa Logique de la sensation, lorsqu’il propose de distinguer (sans les opposer) la figure figurative comme « forme sensible rapportée à l’objet8 » et la figure figurale comme « forme sensible rapportée à la sensation9 ».
Ainsi, adopter une approche figurale du geste dansé demande d’appréhender celui-ci comme une forme émergente (forma formans plutôt que forma formata) et comme un événement affectif dans la perception. Pour enquêter dans les figurabilités du geste dansé, on s’intéressera donc aux effets d’allusion qu’il est capable de susciter, aux aperçus fugitifs qu’il exhale parfois, au sentiment de voyance que son spectacle lève dans le regard, quand la participation esthétique est à son comble.
Pour cela, il faut d’abord se ressaisir du terme même de figure, à partir de son ambivalence sémantique. Dans les nombreux champs lexicaux où on le rencontre, le terme de figure oscille en effet entre deux connotations contraires, que le philologue Erich Auerbach, dans son ouvrage de référence Figura, La loi juive et la promesse chrétienne, a bien résumé : tantôt la figure est formule codifiée, manière instituée, schématisme, imitation ; tantôt elle est forme dynamique, aspect changeant et variation, invention10. C’est singulièrement le cas dans le lexique chorégraphique usuel, où une figure désigne le plus souvent une séquence de mouvements identifiable, relevant d’un répertoire établi (comme dans la danse classique, les danses traditionnelles ou le hip-hop), ou de schèmes devenus canoniques à force de réitération (dans une certaine danse contemporaine stéréotypée). Cette définition archétypale de la figure chorégraphique traverse l’histoire culturelle occidentale sous la forme de fonctions symboliques instituées, comme c’est le cas en 1663 sous la plume de l’un des tous premiers chorégraphes français, le roi Louis XIV :
Par des mouvements étudiés, par des pas concertés, par des figures réglées, et par mille et mille démarches éloquentes, la Danse […] fait connaître la nature, la condition, l’état et la passion des personnes qu’elle représente11.
Alors qu’il vient de créer l’Académie royale de danse, Louis XIV exige de ses maîtres de ballet qu’ils constituent l’art chorégraphique par un règlement minutieux de « la plus noble partie » de la danse, à savoir son éloquence. Le discours corporel de la danse, par lequel le roi lui-même s’illustre sur la scène courtisane et diplomatique, jouera pour le pouvoir politique le rôle d’une « publicité de représentation12». Ainsi la vocation figurative de la danse doit-elle être instituée et codifiée, dans une fixation académique de ses figures.
L’enrôlement de la danse au service d’une orthopédie sociale est une tradition ancienne, qui remonte en effet à la Grèce des philosophes. Dans les Lois, Platon vante les mérites de la choreia (Lois 654b), les danses chorales qui accompagnent les rites de la cité, et dans lesquelles la communauté citoyenne reconnaît son unité. Platon voit dans le règlement orchestique des figures corporelles, spatiales et oratoires (skhèmata), une « écriture des corps » où se marquent les vertus cardinales de la cité. A l’inverse, les danses dionysiaques, et leurs transes sans mesure ni figures, représentent à ses yeux un danger d’anomie sociale.
Au Moyen Âge, les rares danses autorisées par le pouvoir religieux sont des danses géométriques inspirées par – ou dansées sur – les labyrinthes qui ornent le pavement des cathédrales. Ces labyrinthes décrivent les voies tortueuses du chemin de piété vers le salut. Le chœur des fidèles en suit les circonvolutions et l’on appelle figures ces tracés géométriques complexes, conçus pour écrire un discours symbolique spatialisé13.
Cette conception de la figure chorégraphique comme texte spatial est encore celle de Raoul-Auger Feuillet lorsqu’en 1701, le maître à danser de la cour établit son système de notation chorégraphique : « Chorégraphie ou l’art de décrire la danse, par caractères, figures, et signes démonstratifs avec lesquels on apprend facilement de soi-même toutes sortes de danses14 ». Feuillet appelle figures les évolutions spatiales du danseur, telles qu’elles dessinent au sol (et sur la page de la partition) « un chemin tracé avec art », c’est-à-dire aussi lisible qu’un texte. Dans l’écriture de ces figures, le danseur articule « positions » et « pas », selon un répertoire fixé15. Au cours du XVIIIe siècle, Louis de Cahusac et Jean-Georges Noverre entérinent une conception mimétologique du geste dansé en l’adossant à la représentation picturale. Les figures chorégraphiques sont celles d’un « tableau vivant16 » capable d’exprimer les émotions et les pensées humaines :
Lorsque les danseurs animés par le sentiment se transformeront sous mille formes différentes avec les traits variés des passions […] tout parlera, chaque mouvement dictera une phrase ; chaque attitude peindra une situation ; chaque geste dévoilera une pensée ; chaque regard annoncera un nouveau sentiment ; tout sera séduisant parce que tout sera vrai et que l’imitation sera prise dans la nature17.
Cette tradition mimétologique accompagne tout l’essor du ballet d’action puis du ballet romantique, dans lequel le terme de figure désigne tantôt les éléments du vocabulaire chorégraphiques (pas, positions, mouvements et expressions codifiées), tantôt les typologies de personnage (la figure de la Sylphide).
Nouvelles intrigues du geste
Or, au tournant du XXe siècle, la notion de figure en danse prend une nouvelle dimension. L’art chorégraphique participe alors du changement de régime artistique qui prend le nom de modernité, et que le philosophe Jacques Rancière a identifié comme le passage d’un régime de la représentation à un régime esthétique de l’art : l'art n’a plus vocation à imiter la nature ou les passions humaines, mais s'attache au contraire à en épouser les puissances propres. L'art devient l'expression de sa propre « phusis » : sa « pure puissance de produire ou de disparaître dans sa production », comme le dit Rancière18. La danse incarne singulièrement ce moment « moderne », lorsque les pionnières Loïe Fuller, Isadora Duncan, Rudolf Laban ou Mary Wigman libèrent la figure chorégraphique de toute assignation à l'intrigue narrative ou à la conduite musicale19. La figure chorégraphique, qui était figure de renvoi à un sens établi, se met à chercher le secret du sens en elle-même.
Un exemple canonique suffit à incarner ce changement de régime de la figure dans l’art chorégraphique du début du XXe siècle. L’œuvre de Doris Humphrey est exemplaire d’une danse moderne qui affirme son autonomie artistique et entend s'émanciper de tout argument extrinsèque. Pourtant, comme celles de ses contemporaines, les danses de Humphrey conservent et assument une vocation figurative : elles délaissent simplement la figuration narrative pour une figuration allégorique. Water Study (1928) emprunte le format de l’étude aux arts visuels, et les mouvements chorégraphiques figurent de façon impressionniste les ondulations de la mer, les vagues déferlantes, l’écume retirée, le vent, etc. Cette figuration n’emprunte plus à des formes codifiées, elle invente des formes de vitalité. Ainsi, les images océaniques que donnent à voir Water Study procèdent d’un schème tonique, celui du fall and recovery, rythme essentiel de la chute et du rétablissement, conflit gravitaire où la chorégraphe puise la source du mouvement20. Avec leurs phrasés paraboliques, décrivant une courbe ascensionnelle, un point d’orgue et un déclin rapide, les danses de Humphrey donnent à voir le profil même de l’élan vital traversant la matière : le gonflement et l’effondrement des vagues, la croissance biologique et la soudaineté de la mort, l’excitation sexuelle, le paroxysme orgastique et sa petite mort, etc. Dansée sans musique, Water Study ouvre également un espace allégorique au souffle même des corps. Non seulement le souffle se rend visible dans les expansions et les contractions du geste, mais il se rend audible dans le silence : ses augmentations successives deviennent « la métonymie, et non la mimétique, de la rumeur des flots, note Laurence Louppe. C’est le redevenir océanique du corps. Et la chute accompagnée d’un petit tapotement des doigts, l’écroulement de la vague sur les galets21. »
Avec la danse moderne et la danse d'expression (Ausdruckstanz), l’intrigue du geste change donc de régime poétique. La danseuse moderne intrigue dans la sensation. Dans les auto-affections qui émergent du travail du poids, du souffle, du rythme, de l’articulation, elle sonde les ressorts mêmes de son expressivité. Certes, le geste chorégraphique moderne ne cesse jamais complètement d'être figure de renvoi (il conserve au moins un thème ou un motif symbolique), mais il entend d'abord se montrer et se signifier dans son autopoïèse, dans la jouissance de son acte de production. Cet autotélisme fascine les poètes et les philosophes contemporains de ce nouveau régime esthétique de l'art. Mallarmé cherche dans la figure de la danseuse « le signe pur de l'éparse beauté générale22 ». Paul Valéry admire la suffisance de la danseuse, qui n'a point de « dehors » : « Rien n’existe au-delà du système qu’elle forme par ses actes23 ». Elle est envoûtée dans sa propre « sphère de vie lucide et passionnée », vie intérieure « toute construite de sensations de durée et de sensations d’énergie qui se répondent et forment comme une enceinte de résonance24 ».
Mais sous le refoulement culturel de l'ancienne vocation figurative, insiste une force irrépressible, qui est celle de la figurabilité. Lorsque Paul Valéry dit de la danse qu'elle est un art « déduit de la vie même », il faudrait aussitôt préciser que cet art est déduit de la vie humaine en tant que celle-ci est mimétique. Le geste dansé est toujours déjà pris dans une ressemblance première, où miroitent l'un sur l'autre des semblables : danseureuses et spectateurices. La danse se déduit donc d’une matrice de ressemblance, et c'est à cette dimension première que doit être élargie l'« enceinte de résonance » dont parle Valéry : non plus subjective, mais bijective. Élargie à la communauté humaine, cette enceinte de résonance prend le nom de « champ mimétique 25» et le geste dansé s'y étoffe de nouvelles intrigues : les intrigues de la ressemblance.
Dans L’âme et la danse26, un dialogue socratique de fiction, Valéry prête à l’un de ses personnages, le poète Phèdre, un regard de spectateur plein d’appétit pour la floraison des ressemblances. Il « dévore de ses yeux [587] » la danseuse Athitkté, qui lui semble obéir « à des figures invisibles [587] » : « Mille flambeaux, mille péristyles éphémères, des treilles, des colonnes... Les images se fondent, s’évanouissent… [578] ». « Elle cueille une fleur, qui n’est aussitôt qu’un sourire !… [589] ». Si Phèdre voit dans cette danse la figure de l’amour, ce n’est pas sous la forme d’un mime d’aventures ou de personnages, mais parce qu’elle rend visibles « ses beaux actes » : « … Elle était jeux et pleurs, et feintes inutiles ! Charmes, chutes, offrandes ; et les surprises, et les oui et les non, et les pas tristement perdus… [592] ». Ainsi, en lui présentant une foule d’analogies, la danse enseigne à Phèdre comment il perçoit et comment il pense : « Mais moi, Socrate, la contemplation de la danseuse me fait concevoir bien des choses, et bien des rapports de choses, qui, sur-le-champ, se font ma propre pensée […] Je me trouve des clartés que je n’eusse jamais obtenues de la présence toute seule de mon âme [591]. »
Le parti-pris figural des modernes se fonde donc sur cette double ouverture du concept de figuration corporelle : l'intrigue narrative y est dépassée d'un côté par les intrigues de la sensation, et de l'autre par les intrigues de la ressemblance. Dans ces deux régimes de la figure, l'intrigue du geste n'est jamais résolue, ni dans une signification, ni selon une valeur symbolique déterminée. C'est au contraire son indétermination qui en fait la valeur esthétique. La figure figurale n'est jamais rapportée à une forme particulière, mais à l'événement de sa voyance, et à son retentissement affectif.
Figures abstraites de relation
Laurence Louppe, autrice d’une remarquable Poétique de la danse contemporaine27, est une spectatrice singulièrement « voyante » des figurabilités du geste dansé. Experte dans la lecture kinésiologique du geste, elle en connaît parfaitement les modulations musculaires, pondérales, pneumatiques, et par-dessus tout auto-affectives. C’est ainsi, par exemple, qu’elle se montre particulièrement sensible au chant du tonus [16228] ou à la climatique du souffle, montrant comment, chez certaines danseuses, « le geste révèle la respiration intérieure dont il est la face visible [86] ». Ce sont les « puissantes variations d’énergie dans la systole du respir [71] » chez Martha Graham, ou « les intermittences de l’instable, l’abandon infini du thorax dans l’invitation à la chute [71] » chez Doris Humphrey. On a vu plus haut comment, dans Water Study de Humphrey, Louppe entendait dans le souffle des danseurs « la métonymie, et non la mimétique, de la rumeur des flots [304]. » Ce sont parfois de véritables « abstractions symboliques » que Louppe sait extraire du geste dansé. Ainsi, quand elle aperçoit un « corps absent à tout conflit » dans la « qualité de ouaté » du geste de Trisha Brown (Accumulations) : dans « la douceur de chaque énoncé » et dans l’« égalisation du tonus », elle repère l’isomorphisme abstrait d’un corps « politique » : « un corps sans hiérarchie » qui ne se reconnait « plus de relation réelle à aucun système », et qui se contente de « fluer dans le monde, sans l’occuper, sans le dominer [166-167] ». Remarquons encore la délicate attention qu’elle prête aux colloques des « petits gestes graphiques » dans la danse de Dominique Bagouet. Le phrasé bagouetien dessine en effet des inflexions rythmiques qui semblent celles d'une parole articulée à même la danse, comme si un vouloir-dire motivait le geste, et en faisait l'avatar visible de la voix29. Ces petits gestes graphiques, souvent périphériques, montent vers une « suspension interrogative [73-74] », comme si « l’émotivité intérieure » y était « sans cesse questionnée », écrivant dans l’air « l’énigme d’une question sans réponse [121] ». La Poétique de la danse contemporaine regorge de ces notations figurales, par lesquelles l’auteure enquête dans l’intrigue du geste, à partir de ses propres « réactions émotives [20]». Si le geste dansé est, comme elle l’écrit, l'« émanation visible d’une genèse corporelle invisible [107] », Laurence Louppe nous rend voyants, à notre tour, des allures par lesquelles une sensation devient image de sensation dans le geste, et figurabilités dans le regard.
À quoi tiennent les figuralités interrogatives que Laurence Louppe aperçoit dans la suspension du « petit geste graphique » de Bagouet ? Ressent-elle dans ce geste suspendu une résonance du sentiment intérieur de suspension que suscite l’état d’irrésolution d’une question, et qu’exprime parfois un haussement corporel (des épaules, des sourcils) ? Y voit-elle une allusion graphique au signe de l’interrogation dans l’alphabet latin, qui dessine une courbe déployant un arrondi ouvert au-dessus d’un point fixe ? Les analogies expressives dont Louppe se fait ici la voyante prennent le nom d’isomorphismes dans le lexique de la psychologie de la forme (Gestaltpsychologie) proposé par Wolfgang Köhler. Pour le psychologue allemand, un certain « isomorphisme psychophysique » décrit les rapports de conversion et de transposabilité entre le déploiement des formes et celui des processus perceptifs30. Köhler décrit en effet la perception comme la psychogénèse d'une assimilation d'objet, ou l'expression de l'animation intérieure que les aspects de l'objet (ou de la forme dynamique) émule en nous. Pour se convaincre de cette animation intérieure, il suffit de se rapporter à notre langage ordinaire : quand nous disons que la nuit tombe, alors même que nous voyons l'obscurité s'élever dans le ciel, nous ne décrivons pas le phénomène physique tel que nous le percevons, mais selon l'impression que la nuit fait sur nous : elle fait peser certaines angoisses immémoriales et annonce la chute dans le sommeil.
De son côté, le philosophe portugais José Gil parle de « figures abstraites de relations » pour décrire ces échanges isomorphiques entre formes du sentir et formes de vitalité. C’est ainsi, dit-il, que nous assimilons la déception à une chute ("les bras m'en tombent") parce que, au plus profond de notre espace corporel, l'angoisse du démembrement précède l’émotion liée à l'absence d'une réponse espérée. De la sorte, nous redoublons tout « rapport de rapport » en « figure abstraite d'une relation », telle qu'elle a d'abord été encodée par l'espace corporel : une chose est dans une autre, distante d'une autre, après une autre (consécutive), parce qu'une autre (conséquente), plus grande ou plus petite qu'une autre, etc. Pour José Gil, ces correspondances ne sont pas conceptuelles, mais somatiques : « l'analogie, la similitude, l'opposition, la dissemblance, avant d'être pensées comme concepts, sont données dans les formes mêmes de l'espace du corps31. » C’est ainsi que certaines communautés de structures psychophysiques induisent la « tristesse » du saule pleureur : la longue flexion de ses branches déclinantes, leur poids suspendu au ras du sol, imposent au regard une physiognomie de la tristesse. En outre, Köhler ne pense pas la valeur expressive des formes comme une attribution, mais comme une « réquisition » (requiredness) : La ligne verticale nous élève, la roche compacte nous rassemble, les grands espaces nous dilatent, les lignes brisées nous éclatent, car nous ré-articulons en nous, en impulsions le plus souvent muettes, l’apostrophe physique que nous adressent les formes de vitalité. Comme le dit la chercheuse en danse Alice Godfroy :
L’aperception d’un grand cyprès n’est pas autre chose que l’impression en moi d’un tropisme d’élancement. Le spectacle d’un lac l’égalisation de mes mers intérieures et le mouvement d’une décroissance tonique. Plus que quiconque, les enfants savent prêter leur corps mimeur à ce modelage du dehors en eux : tout le sensible leur “parle”, êtres animés comme inanimés, et engage un dialogue de gestes. Les danseurs aussi, qui ont aiguisé leur empathie kinesthésique, et partagent avec les enfants cette capacité à former et déformer le diagramme des lignes tensionnelles de leur corps pour épouser les formes du dehors et savoir y répondre32.
Sensibles aux formes de vitalité qui retentissent en eux, les enfants leur répondent sous les espèces de gestualités et de vocalisations spontanées qui s’adressent moins aux êtres ou aux choses qu’à leurs mouvements expressifs. Dans sa brève Théorie de la ressemblance, Walter Benjamin décrit avec justesse le dialogue tonique que l’enfant entretient avec le monde, lorsqu’il en imite les forces plutôt que les formes :
Les jeux des enfants abondent en conduites mimétiques, dont le champ ne se limite nullement à l’imitation d’un individu par un autre. L’enfant ne joue pas seulement au marchand ou au maître d’école, il joue aussi au moulin et au chemin de fer. Il faut alors se demander : de quel profit lui est cet apprentissage de la faculté mimétique33 ?
Comme le souligne Anne Boissière dans un commentaire de ce texte, « l’enfant vit dans un monde où les choses ne sont pas encore des objets, mais des êtres dotés de mouvement et de vie. Il y a pour lui une expression des choses ; celles-ci lui parlent et il leur répond34. » L’enfant met dans ses réponses ses facultés synesthésiques et ses talents de danseur, jouant de profils d‘activation et de déplacements analogiques entre formes, sons, et gestes. Pour décrire les ressorts sensibles de cette réponse mimétique, Benjamin parle aussi d'innervation : « Chaque geste enfantin est une innervation créative en exacte correspondance avec l’innervation réceptive35 ». Si Benjamin dit de cette innervation qu’elle est « créative », c’est pour faire la distinction entre la réponse typique de l'animal, réponse réflexe, fermée et courte, et la réponse spécifique de l'enfant humain, réponse ouverte, évolutive, et curieuse d'elle-même.
Dans sa dimension strictement réceptive, cette innervation est aujourd'hui mesurée par les neurosciences et en particulier par la découverte des neurones miroirs, qui montrent que nous esquissons en nous les gestes, les intentions et les émotions de nos semblables36. Tout agir observé chez autrui est simulé chez celui qui l'observe sous les espèces d'un agir fantôme37. Or, cette simulation est également émulée, quoique de façon non homologique, pour des mouvements perçus avant toute reconnaissance d'objet, sous le mode de ce que le psychiatre Daniel Stern appelle des « affects de vitalité38 ». Plus précoces et primordiaux que les émotions catégorielles, les affects de vitalité se rapportent aux caractères cinétiques et dynamiques des formes du sentir, et sont vécus sur le plan de l’intermodalité perceptive et énactive. C’est ainsi que lorsque les mouvements du monde innervent en profondeur le corps impressif de l'enfant, il répond à ce retentissement intérieur par une « innervation créative » : un mimétisme expressif fait de gestes, de vocalises et de danses.
Une parole d’avant les mots
Walter Benjamin voyait dans la danse la survivance du plus ancien « don mimétique » de l'humanité, celui qui consiste à « voir et à produire les ressemblances39» :
La nature crée des ressemblances. Il n’est que de songer au mimétisme animal. Mais c’est chez l’homme qu’on trouve la plus haute aptitude à produire des ressemblances. Le don qu’il possède de voir la ressemblance n’est qu’un rudiment de l’ancienne et puissante nécessité de s’assimiler, par l’apparence et le comportement. Il ne possède peut-être aucune fonction supérieure qui ne soit conditionnée de façon décisive par le pouvoir d’imitation40.
Benjamin place ce pouvoir d'imitation à la racine de l'expression gestuelle et de l'expression parlée : « le langage parlé n’est qu’une forme d’un instinct animal fondamental : l’instinct d’un mouvement expressif mimétique par le moyen du corps41 ». Si Benjamin appréhende ici le langage depuis sa performance parlée, c’est pour prévenir toute conception idéaliste du langage comme système logique ajouté au monde sensible. Pour lui, le langage parlé procède au contraire d’un dialogue mimétique entre les impressions affectives que le monde fait au corps, et les expressions, indissociablement gestiques et vocales, qu’il leur rend. C’est pourquoi la danse est pour Benjamin le nom de baptême d’une parentèle étroite entre le geste et la parole. Il voit en elle la matrice de l’ancien pouvoir de ressemblance qu’avait la parole, quand elle offrait aux mots, non pas de ressembler aux choses, mais de ressembler aux relations que nous avions avec les choses42.
De façon spéculative, Benjamin associe ce don mimétique archaïque, commun à la parole et à la danse, au régime des savoirs magiques : comme l'astrologie, la danse est une « voyance », elle a le pouvoir d'imiter les affinités entre différents ordres hétérogènes d'objets ou d'êtres, en vertu d'assimilations qui sont moins homologiques que physiognomoniques. Ni les mots ni les gestes, ni les signes que l’univers envoie aux sorciers, ne ressemblent aux êtres ou aux objets qu’ils nomment, mais ils ressemblent aux expressions analogiques, aux diagrammes de force ou aux schèmes moteurs qu’ils ont en partage, sous l’œil voyant de l’homme. Un geste d’imitation se trouve donc à la naissance de la parole, dont le langage verbal n’abrite plus que des « ressemblances insensibles ». Pour retrouver ces pouvoirs de voyance perceptive (« voir et produire les ressemblances »), il reste néanmoins un site d’expérience : la danse est le conservatoire de ce don mimétique que la parole a perdu en devenant langage.
Le poète Antonin Artaud partage avec Benjamin une intuition commune quant à l’hypothèse d’une liaison génétique entre le geste et la parole, que seule la danse conserve le pouvoir de manifester. Quand Artaud découvre les danses balinaises lors de l’exposition coloniale de Paris en 1931, il est saisi d’une véritable innervation créative, « sous l’angle de l’hallucination et de la peur43 ». Dans le texte qu’il tire de son expérience de spectateur, Sur le théâtre balinais, la force voyante de ses descriptions témoigne du puissant effet figural qu’ont sur lui ces danses. Elles remuent en lui le « manifesté » d’une véritable « parole physique » ; une parole qui rompt « enfin l’assujettissement intellectuel au langage » – gestes et signes y sont de nouveau « élevés à la dignité d’exorcismes particuliers44. » Devant les articulations de son « alphabet roulant [102] » et de ses « signes efficaces », Antonin Artaud sent retentir en lui, comme réponse mimétique à cette danse, « une impulsion psychique secrète qui est la Parole d’avant les mots45. » Le geste dansé lui apparait comme l’énonciation d’une sorte de voix qui « projette des visions » et trace dans « l'air scénique » le « jeu psychique [...] qui existe entre les membres d'une phrase écrite [95]. » « Hiéroglyphes qui vivent et se meuvent [93] », les gestes dansés lèvent dans le regard des figurabilités sans termes où « les correspondances les plus impérieuses fusent perpétuellement de la vue à l’ouïe, de l’intellect à la sensibilité, du geste d’un personnage à l’évocation des mouvements d’une plante, à travers le cri d’un instrument [85]. » Ces impérieuses correspondances ne sont pas sans évoquer celles que décrivait plus haut la psychologie de la forme, en termes d’isomorphismes transposables ou de « figures abstraites de relations ». En se faisant voyant des analogies entre un geste, un mouvement végétal et un cri, Artaud dévoile l’arcane profonde de la mimésis, en tant qu’elle est l’articulation schématique du voir, du mimer et du dire.
C’est en effet sous cette trilogie que la philosophe Catherine Perret récapitule l’opération fondamentale de la mimésis : au-delà de l’imitation, de l’expression ou de la représentation, la mimésis « suppose la transposition d’un geste visuel en geste mental, de ce geste mental en geste physique et de ce geste physique lui-même en geste verbal. Elle met en œuvre une logique de traduction ou d’interprétation d’un acte par un autre. L’unité de cette sphère mimétique renvoie ultimement à une pratique fondamentalement double ou duelle dont la simulation serait le ressort ultime : simulation du voir par le mimer, du mimer par le dire… 46».
En parlant de la mimésis comme d’une « pratique », Catherine Perret se réfère explicitement à Aristote, qui décrit en effet de façon pragmatique cette logique de simulation analogique. Au chapitre XVII de la Poétique, le philosophe grec explique comment faire la mimésis : le poète tragique doit se mettre « la scène sous les yeux (pro tôn ommatôn tithestai)47 », il doit voir le drame qu'il compose, de façon à ce que le public puisse se faire voyant de ses mots, et « récupérer le voir derrière le dire48 ». Pour cela, dit Aristote, le poète doit « élaborer une forme achevée en recourant aux gestes (tois schêmasin sunapergazomenon)49 ». Les gestes qui sont ici recommandés aux poètes sont ceux de l’acteur ou de l’orateur, « formes de l’élocution » ou « figures de l’expression » (schêmata tês lexeôs) qui « montrent les choses en actes » dans la parole50 : par exemple, dit Aristote, l'ordre, la question, la prière, la narration, la menace, la réponse « et toutes choses de ce genre51 ». Pour nommer ces gestes oratoires, ou « figures de l’expression », Aristote emploie le radical skhèma, qui désigne à la fois un geste du corps et un geste de l’esprit :
En grec, skhèma désigne d’abord la posture, l’attitude du corps, et cette première valeur demeure perceptible dans les skhèmata rhétoriques, expression verbalisée, volontaire ou involontaire, d’un èthos. Entre le langage du corps, les poses de l’athlète, du danseur ou de l’orateur, et les poses oratoires qu’adopte le langage, aucune discontinuité52.
Les rhéteurs latins traduiront skhèma par figura, gestus, habitus, forma, exornatio, ornamentum..., affirmant ainsi la richesse sémantique du terme, qui enveloppe différents régimes de formes expressives, du trope poétique au geste oratoire. Dans son De Oratore, Cicéron évoque ces « figures que les grecs appellent skhèmata, comme s’il s’agissait des gestes du discours… 53». Dans l’Institution Oratoire, Quintillien détaille l’immense variété de ces figures rhétoriques : figures de pensée (figurae sententiae ; allusion, prolepse, prosopopée, aposiopèse, ironie, apostrophe, fausse interrogation, etc.) et figures de mots (figurae verborum ; répétition, asyndète, paronomase, solécisme, antithèse, etc.54), mouvements tropologiques qui créent dans le langage des « figures abstraites de relation » entre gestes de pensée et gestes de parole.
Aux yeux des grecs et des latins, l’exercice des affinités tropologiques entre le geste poétique et le geste corporel a un nom : il s’agit de l’orchestique, autrement dit l’art de la danse dans son union intime avec la poésie et la musique. Dans Les Lois, Platon prétend que l’art de la danse a pour origine « l’imitation des paroles par les figures » (7.816), et vante plus spécifiquement les vertus de l'hyporchème, une danse où « l'on se servait des skhemata seulement en tant que signes de ce qui était chanté55 » (14.628). Dans ses Propos de table (9-15) Plutarque indique que « l’orchestique et la poétique ont une entière affinité et une intimité parfaite ». Il distingue en effet dans l'orchestique trois éléments distinctifs, qui ont tous trois un équivalent dans la poétique : la phora (le port ou les pas) désigne dans la danse les mouvements, ou déplacements du corps, qui conduisent le regard d'une figure à une autre, d'une pose à une autre. Dans la poésie, la phora désigne le fil du discours, qui conduit l'écoute du début à la fin du poème. Les Schemata (ou figures) désignent dans la danse les poses corporelles ou figures imitatives « plastiquement imprimées » aux corps des danseurs, et dans la poésie les métaphores, les épithètes, les inventions ou figures de style. La deixis (désignation, démonstration) définit pour la danse les signes symboliques conventionnels, faits le plus souvent avec les mains, et dans la poésie la désignation conventionnelle dont sont faits les mots et plus particulièrement les noms propres56.
L’orchestique est donc l’art qui consiste à composer entre elles les allures rythmiques du discours, de la musique et de la danse. C’est par leurs rythmes en effet que s’articulent les « figures abstraites de relation » qui sont susceptibles de lever des ressemblances schématiques entre les énonciations de la parole et du geste.
Donner figure à des rythmes
Dans la culture grecque, le rythme est un concept structurant pour la dialectique de l’ordre et du désordre, de la mesure et de la démesure. Lorsque Platon expose sa conception du rythme, c’est souvent à partir du modèle chorégraphique qu’il le fait. Dans les textes du Philèbe (17 d), du Banquet (187 b) et des Lois (665 a), c'est le modèle de la musique et de la danse qui permet à Platon de définir le rythme en termes d’ « harmonie », de « consonance », d' « accord » et d'« ordre dans le mouvement ». Platon identifie le rythme à « la forme du mouvement que le corps humain accomplit dans la danse et à la disposition des figures en lesquelles ce mouvement se résout57 ». Dès la première page de sa Poétique, Aristote propose une définition de l’art chorégraphique qui semble matricielle pour sa philosophie de la mimésis : c’est « au moyen du rythme seul », écrit Aristote, que « l’art des danseurs représente : en effet, c’est en donnant figure à des rythmes qu’ils représentent caractères, émotions et actions (dia tôn skhèmatizomenon ruthmôn)58. »
Remarquons au passage que le philosophe emploie ici aussi le radical skhèma pour parler de cette figure donnée au rythme. Soulignons aussi la précision de la formule : Aristote ne dit pas que les danseurs donnent rythme à des figures, ce qui supposerait que les figures sont déjà fixées dans un répertoire, et que l’orchestique leur ajoute le rythme. Aristote dit au contraire que les danseurs donnent figure à des rythmes, ce qui veut dire que c'est depuis les modulations et les accents d’un phrasé qu'émerge la formation de figures.
Pour se « mettre sous les yeux » ce que décrit Aristote, il faut se souvenir du dispositif théâtral et orchestique dont il extrait cette proposition. Le théatron s’arrondit en demi-cercle autour de l’orchestra, où convergent tous les regards : c'est là que prend forme le véritable spectacle (opsis) que viennent voir les grecs. Ce qui s'y exhibe, c'est le chœur, avec ses amples mouvements graphiques et rythmiques, avec ses chants qui montent jusqu'aux collines ; mais c'est aussi, plus fondamentalement, le lieu où est orchestrée la mimésis, en tant que liaison figurale de la danse, de la musique, et de la poésie. Tandis que les protagonistes, au loin sur la scène, représentent les dialogues et les plaintes des héros, avec une gestique que l'on peut supposer minimale, le chœur dans l'orchestra donne à voir, de façon ample et rythmique, le spectacle de la mimèsis. Pour que les danseurs puissent représenter « caractères, émotions et actions en donnant figure à des rythmes », il faut que cette mimésis ait des moyens spécifiquement orchestiques. Quels sont-ils ? Le texte d’Aristote ne délivrant pas de description spécifique, supposons ces moyens par un exemple :
Dans Les Perses, la tragédie d'Eschyle créée en - 472, la Reine Atossa exhorte le chœur et lui demande d'évoquer l'ombre de Darius59. Ce verbe renvoie au rite archaïque de l'évocation des morts, qui consiste à les appeler, au moyen de louanges et d'actions rituelles, pour les faire remonter au jour sous forme d'ombres (eidolon), le temps de leur demander conseil. Dans le rite, cette « évocation » exige des offrandes, des libations, mais surtout que l'on frappe la terre du pied pour l'entrouvrir, et que l'on invoque le mort par des plaintes aiguës, des gémissements lugubres (thrènes) qui imitent la lamentation des âmes dans les ténèbres. Lorsque le fantôme de Darius sort de la skéné et s’avance sur le proskenion, il remercie le chœur d'avoir accompli ces rites. Il dit qu'il a bien reçu les libations, et qu’il a entendu dans le thrène « les plaintes aiguës évocatrices des morts qui pitoyablement l'appellent (686-688) ». Pourtant, quelque chose manque à cette représentation. A lire le « Chant de l'évocation » qu'Eschyle a écrit pour le chœur, on ne trouve aucune mention didascalique des actions rituelles, et rien n'indique, dans le texte, que le chœur en accomplisse l'imitation théâtrale. Lors de la représentation donnée au festival d'Athènes en - 472, sous la conduite chorégraphique d'Eschyle lui-même, a-t-on vu les choreutes frapper la terre de leur pas, pousser des plaintes aiguës et des gémissements lugubres ? Sans doute cette attente figurative est-elle une projection anachronique, induite par notre culture moderne de la représentation théâtrale. A l’époque d’Eschyle, l’art tragique ne consiste pas encore à montrer l’action, mais à la donner à voir. Le chœur n'imite pas le rituel d'invocation sous forme de gestes et de cris, il l'évoque de telle manière qu'il le « met sous les yeux » des spectateurs, comme le dit Aristote. Et c’est par les moyens propres au chant lyrique qu’il fait cette mimésis : « anaphores, répétitions, exclamations intercalées, usage du refrain, échos entre strophe et anti- strophe, fréquence des hiatus, contrastes de sonorités éclatantes et sourdes, de séries de syllabes longues et brèves, etc60. »
Eschyle, comme les auteurs tragiques de son temps, règle lui-même les chorégraphies du chœur. Il écrit les chants et les pas en suivant des règles métriques dont les traditions remontent au dithyrambe, et à la relation analogique que cette procession instaurait entre les rythmes du poème et ceux de la marche. Sans entrer dans le détail technique de ces règles, retenons simplement que les vers d’Eschyle sont conçus, de façon classique, sur la métrique iambique (trimètres iambiques et tétramètres trochaïques61). Or, ce mètre iambique, dont Aristote dit qu’il est « celui qui s’accorde le mieux au parlé62 » est éminemment ambulatoire : un iambe est en effet un pied composé de deux syllabes, une brève et une longue. C'est la forme rythmique du pas humain qui foule le sol : talon, déroulé du pied63. Par extension, un iambe est aussi un vers dont le second, le quatrième et le sixième pied ont cette même forme rythmique, une brève et une longue. On parle aussi de pieds légers et de pieds lourds dans la scansion du vers. Pour se figurer la correspondance rythmique entre la métrique poétique et la trame chorégraphique, il faut donc imaginer les mouvements du chœur écrivant dans l’espace la scansion des vers.
Supposons encore un exemple générique64 : tandis que le coryphée chante une strophe de trois, six ou huit pieds, le chœur part du pied droit pour tourner vers la gauche, et avance au rythme des iambes (une brève et une longue) ou des anapestes (deux pieds légers, un pied lourd). Au bout de la strophe, on tourne (strophè, en grec, signifie « se tourner »). Le chœur pivote, et parcourt l'antistrophe, symétrique en tous points à la strophe : du pied droit, on repart vers la gauche, on prend à rebours les pas de la strophe, on y répond par des rimes internes. Dans ces aller-retours, les choreutes dessinent des figures de danse, qui se répondent elles aussi en symétrie et en rythmes. Au temps médian du vers, après un pied accentué, on suspend le pas sur la césure. Puis vient l'épode, on pose les pieds, le chœur fait halte et le rythme iambique s'étend alors aux proportions d'un distique, c'est-à-dire un vers long de six iambes, suivi d'un vers plus court, de quatre iambes. Le chœur est maintenant à l'arrêt, mais le rythme de la marche s'entend encore dans les accents de la prosodie.
Voici donc quels sont les moyens orchestiques qui permettent aux danseurs de donner figure à des rythmes. Ils consistent à accorder les mouvements de la parole et de la danse dans leurs tournures et leurs allures conjointes. Avec leurs tours et détours, les skhémata que donnent à voir les danses chorales sont donc bel et bien des figures tropologiques : tournures de langage dans le corps, et tournures de corps dans le langage. Ces tournures sont conduites par les gestes de conversion, de transposabilité et d’analogies que fait l’esprit lorsqu’il veut « voir et produire les ressemblances », selon l’expression de Benjamin. Et si le rythme agit avec force sur ces « rapports de rapports », c’est parce qu’il embraye les unes aux autres les allures du geste et de la parole, et leurs ressemblances analogiques, ou isomorphismes abstraits. Parce qu’il est à la fois flux, récursivité et enchainement, c’est à même les logiques de la répétition et de la différence que le rythme manifeste les logiques mimétiques. Comme répétition, le rythme est « pure reprise et pure imitation de lui-même », écrit Jean-Christophe Bailly, et à cet égard il s’inscrit dans le « régime général de la reconnaissabilité65 ». Mais comme différence, il est mutation du semblable au différent, transport du même à l’autre. C’est dans ce mouvement de transport et d’altération que le concept de figure trouve l’une de ses définitions les plus profondes, celle que propose Erich Auerbach lorsqu’il écrit que la figure est « mouvance au sein d’une essence qui se maintient », ou encore « mutabilité dans la permanence66 ».
La parenté profonde que le concept de skhema noue entre le geste et la parole est bien davantage qu'une analogie. C'est un rapport d'engendrement mutuel : le geste fait la parole et la parole fait le geste. On se souvient que Benjamin voyait la danse comme l'exercice résiduel de l'ancien pouvoir de ressemblance de la parole, quand le langage n'obligeait pas encore à distinguer les catégories de geste et de graphe, de voix et de verbe. Ce pouvoir offrait alors aux mots, non pas de ressembler aux choses, mais de ressembler aux relations que nous avons avec les choses. Aux yeux de la linguistique structurale, ce pouvoir de ressemblance est réputé perdu pour le langage : le signe linguistique (union du signifié et du signifiant) est arbitraire, c’est-à-dire sans attache sensible ni motivation quant à la référence67. Néanmoins, on l’a vu, ce pouvoir de ressemblance insiste dans la danse. Il en est la puissance figurale, celle qui permet au geste dansé de former des signes sensibles, au moyen de figures abstraites de relation.
Conclusion
L’art chorégraphique est au travail de la figure humaine. Mais loin d’être réductible à la figurativité, ce travail prend la voie figurale dès lors que le geste dansé ne vise aucune imitation d’objet, mais plutôt une mimétique des relations. Quand le geste dansé s’émancipe de toute intrigue narrative, c’est dans les intrigues de la sensation et de la ressemblance qu’il peut commencer à travailler les puissances de figurabilité du corps. En réponse aux formes de vitalité que le danseur reçoit du monde, ses phrasés gestuels en formulent les analogies sensibles. Pourvu que la spectatrice entre en résonance pathique avec le geste dansé, l’intrigue perceptive est telle qu’un sentiment de voyance peut lui donner à voir des ressemblances diaphanes, des motifs imperçus, des images de sensation faites figures. Rapports de rapports entre les allures sensibles et rythmiques du monde, du geste et de la parole.
Avec ses « hiéroglyphes qui vivent et se meuvent », la danse a le pouvoir d’élaborer les signes allusifs d’un « jargon gestuel », ainsi que le nomment les danseuses Mathilde Papin et Emma Bigé68. Lorsqu’elle se met au travail de ses figurabilités, la danse est en effet capable de proposer une herméneutique sauvage, faite de signes mutants et de syntaxes mobiles, une « parole physique » capable de dire les allures sensibles et rythmiques du monde, et les réponses expressives que leur fait le corps. Les figures figurales que manifeste alors le geste dansé sont peut-être celles d’une « impulsion psychique secrète, qui est la Parole d’avant les mots69 ».
Notes
Paul Valéry, L’Âme et la Danse, in Numéro spécial de la Revue musicale du 1er décembre 1921 : Le Ballet au XIXe siècle, Nouvelle Revue française, repris dans Œuvres, Tome 1, Paris, La Pochothèque / Le Livre de poche, 2016,p. 593.
Sigmund Freud, L'Interprétation des rêves [1900], trad. I. Meyerson révisée par D. Berger, Paris, PUF, 1967.
Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Sous la direction de Daniel Lagache, Paris, Presses Universitaires de France, 1967, 1981, p. 159.
Le travail du rêve (Traumarbeit) « ne pense pas, ne calcule pas, en règle générale, ne juge pas : il se borne à transformer » (Freud, L'Interprétation des rêves, op. cit., p. 432).
« L'œil existe à l'état sauvage », André Breton, Le Surréalisme et la peinture, [1928], Paris, Gallimard, 1965, p. 1.
« Le figuratif (la représentation) implique en effet le rapport d'une image à un objet qu'elle est censée illustrer ; mais elle implique aussi le rapport d'une image avec d'autres images dans un ensemble composé qui donne précisément à chacune son objet. La narration est le corrélat de l'illustration. Entre deux figures, toujours une histoire se glisse. » Gilles Deleuze, Logique de la Sensation, Paris, La Différence, 1981. p. 10.
« Il y a deux manières de dépasser la figuration (c'est-à-dire à la fois l'illustratif et le narratif) : ou bien vers la forme abstraite, ou bien vers la Figure. Cette voie de la Figure, Cézanne lui donne un nom simple : la sensation. La Figure, c'est la forme sensible rapportée à la sensation ; elle agit immédiatement sur le système nerveux, qui est de la chair. » Deleuze, Logique de la Sensation, op. cit., p. 28.
Lettres patentes du Roy pour l’établissement de l’Académie Royale de Danse en la ville de Paris, 30 mars 1662, Pierre Le Petit, Paris, 1663, p. 4-5.
Jürgen Habermas, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. Marc de Launay, Paris, Éditions Payot, 1988.
À ce sujet, voir Mark Franko. La danse comme texte. Idéologie du corps baroque. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sophie Renaut, Paris, Kargo, L’éclat, 2005. Et Marie Françoise Christout, Le Ballet occidental. Naissance et métamorphoses, XVe - XXe siècles, Paris, Desjonquères, 1995.
Raoul-Auger Feuillet, Chorégraphie, ou L'art de décrire la dance par caractères, figures et signes démonstratifs, 1700. BNF, catalogue : https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30432725f
« Cinq bonnes positions » de pied et treize types de pas implémentent les évolutions possibles du corps dans l’espace : plié, élevé, sauté, cabriolé, tombé ou glissé, tourné d’un quart de tour, d’un demi-tour, de trois quarts de tour, ou d’un tour. Terminaison du pas avec le pied en l’air, pointe de pied posée, ou talon posé.
Louis de Cahusac, La Danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse, La Haye, 1754, Paris, Desjonquères, 2004, p. 234.
Jean-Georges Noverre, Lettres sur la danse et sur les ballets, Stuttgart /Lyon, Aimé Delaroche, 1760, p. 122.
Jacques Rancière, Aisthesis, Scènes du régime esthétique de l'art, Paris, Galilée, 2011, p. 133. Dans cet ouvrage, Jacques Rancière définit le tournant « moderne » du XXe siècle comme « cet âge où les artistes s’emploieront à déchaîner les puissances sensibles cachées dans l’inexpressivité, l’indifférence ou l’immobilité, à composer les mouvements contrariés des corps dansant mais aussi bien de la phrase, du plan ou de la touche colorée qui arrêtent l’histoire en la racontant, suspendent le sens en le faisant passer ou dérobent la figure même qu’ils désignent », p. 28.
« Le développement de la danse moderne [...] met l’accent sur la danse elle-même, rendant accessoires musique et intrigue. » John Martin, La danse moderne [1933], trad. de Jacqueline Robinson et Sonia Schoonejans, préf. de Murray Louis, Arles : Actes Sud, 1991, p. 28.
« Cette dynamique désigne de manière générale une intensification lente et tenue, une « augmentation extatique du tonus » (Louppe) aboutissant à un bref moment de suspension, d’acmé, à laquelle succède un « lâcher », générant un accroissement de la vitesse, similaire à l’ouverture d’une valve qui laisserait s’échapper l’énergie préalablement retenue, « chute » qui n’en est pas véritablement une puisqu’elle se termine toujours par un rebond qui relancera le mouvement sans cesse dans sa propre énergie, dans une circularité dynamique toujours recommencée. Le recovery étant anticipé dans le fall et inversement, c’est moins dans un « tomber » que se projettent les corps humphreyiens que dans un « tendre vers », dans un désir mouvementé sans terme. » Katharina Van Dyk, Ravir par-delà le temps. Poétique de la danse des anges dans ‘Air for the G String’ de Doris Humphrey, revue La Licorne, n°107, « Les Figures du ravissement », Presses Universitaires de Rennes, juin 2014, p. 191-216.
Laurence Louppe, Poétique de la danse contemporaine, Poétique de la danse contemporaine [1997], Bruxelles, Contredanse, 2004, p. 304.
Stéphane Mallarmé, Crayonné au Théâtre [1897], Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 1945, p. 295.
Paul Valéry, Philosophie de la danse [1936], Œuvres, Tome 2, La pochothèque/Le livre de poche, 2016, p. 931.
Nous empruntons l'expression au titre d'un ouvrage de Jean-Christophe Bailly, Le Champ mimétique, Paris, Seuil, « Librairie du XXIe siècle », 2005, qui informera plus loin nos analyses sur les relations du rythme et de la figure dans la pensée aristotélicienne.
Paul Valéry, L’Âme et la Danse, op. cit., p. 563-608. Les citations suivantes seront signalées entre crochets dans le texte.
Laurence Louppe, Poétique de la danse contemporaine, op. cit. Les citations suivantes de cet ouvrage seront indiquées entre crochets.
« Si le déplacement de poids parle au corps de l’autre (et le parle) sur le plan symbolique, presque sur celui d’une construction représentative (fût-elle, bien entendu, non figurative), la modulation tonique, elle, ne représente rien, elle chante. »
C’est sans doute l’effet d’une transvocalisation que perçoit Laurence Louppe dans ce récitatif gestuel de la pensée. La transvocalisation est un concept crée par Michel Bernard pour décrire un phénomène de simulation perceptive selon lequel les énonciations de la perception, de l’action et de la parole se réfléchissent les unes sur les autres. Michel Bernard, « L'avènement de la danse ou l'ivresse des métamorphoses », in De la création chorégraphique, Pantin, Centre national de la danse, 2001, p. 83-84.
Wolfgang Köhler, Gestalt Psychology, 1929. Traduction française La psychologie de la forme, Gallimard, Paris, 1964. Voir aussi V. Rosenthal et Y.-M. Visetti, Köhler, Paris, Les Belles Lettres, 2003 : « Pour les psychologues de la Gestalt, les formes se manifestent dans la détermination réciproque de leurs parties et de leur entour ; et ce sont aussi, en tant que telles, des configurations transposables à travers une pluralité de situations. Les formes sont transposables parce qu’elles sont faites de relations physiques dynamiques susceptibles de se réaliser en différents champs (et d’un certain point de vue, le concept d’isomorphisme est une dérivation d’un tel concept de transposabilité, radicalisé par exemple par la possibilité de conversion entre aspects spatiaux et temporels des structures). Ainsi un ordre expérimenté dans l'espace doit se retrouver, mais en un sens abstrait, fonctionnel, et nullement naïvement topographique, dans l'analyse des processus sous-jacents. Il faut souligner que l'isomorphisme köhlerien est d'abord un isomorphisme abstrait. » (José Gil, Métamorphoses du corps, Paris, La Différence, 1995, p. 124).
Alice Godfroy, « Infra-danse et pré-verbal : le chantier des gestualités invisibles », Stefano Genetti éd., Gestualités/Textualités en danse contemporaine, Colloque de Cerisy, Paris, Hermann, 2018, p. 25.
Walter Benjamin, « La théorie de la ressemblance », Cahier de L’Herne 104 : Benjamin, dirigé par Patricia Laville, Paris, Editions de L’Herne, 2013, p. 120.
Anne Boissière, « Le mouvement expressif dansé : Erwin Straus, Walter Benjamin », in Approche philosophique du geste dansé, dir. Anne Boissière, Catherine Kintzler, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2006, p. 121.
Walter Benjamin, « Programme d’un théâtre prolétarien pour enfants », Gesammelte Schriften II, p. 766 (traduit et cité par Peter Szendy, in Le supermarché du visible, Paris, Minuit, 2017, p. 83).
Le neurophysiologiste Alain Berthoz décrit cette « simulation incarnée », comme une fonction qui permet « au cerveau d’émuler intérieurement un corps fantôme doté de toutes les propriétés dynamiques du corps physique, pour anticiper les conséquences de la commande motrice avant même que celle-ci soit produite » (Alain Berthoz, La Décision, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 309).
Daniel Stern, Le Monde interpersonnel du nourrisson [1985/1989]. Trad. A. Lazartigues et D. Cupa-Pérard, Paris, Presses Universitaires de France, 1989.
Walter Benjamin, « Sur le pouvoir d’imitation », Oeuvres II, Traduction Maurice de Gandillac et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, Folio essais, 2000, p. 360.
Walter Benjamin, « Problèmes de sociologie du langage » (1935), Œuvres III, Traduction Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, Folio essais, 2000, p. 41.
Dans son ouvrage Walter Benjamin sans destin, Catherine Perret rappelle que pour Benjamin, l’essence du langage n’est pas dans le rapport du mot à la chose, mais « dans le rapport qui unit le mot et la manière dont la chose est visée » (Catherine Perret, Walter Benjamin sans destin, La lettre volée, Bruxelles, 2007, p. 45).
Antonin Artaud, Sur le théâtre balinais [1931, 1re édition in La Nouvelle revue française, N°217, octobre 1931), in Le Théâtre et son double, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1964, p. 81. La pagination des citations suivantes sera indiquée entre crochets dans le texte.
Antonin Artaud, « Le théâtre de la cruauté. Premier manifeste » in Le Théâtre et son double, op. cit., p. 140.
Catherine Perret, « Voir, Mimer, Dire », Les Porteurs d’ombre, Paris, Belin, « L’extrême contemporain », 2001, p. 268.
Aristote, La Poétique, XVII, 55 a 26, texte, traduction, notes par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, Editions du Seuil, 1980, p. 93.
Silvia Montiglio, « Paroles dansées en silence : l’action signifiante de la pantomime et le moi du danseur » In Phoenix 53, journal of the Classical Association of Canada, 1999, p. 263-280.
« en effet, à égalité de dons naturels, les plus persuasifs sont ceux qui vivent violemment les émotions, et celui qui est en proie au désarroi représente le désarroi de la façon la plus vraie, celui qui est en colère représente l'emportement de la façon la plus vraie. » Aristote, La Poétique, XVII, 55 a 32, op. cit., p. 93. Dans son article, « La fiction, ou l'image de personne », Catherine Perret a bien décrit comment cette manière de « produire des métaphores vivantes » place la faculté imaginaire au rang d'une « technique de corps » (Catherine Perret, « La fiction, ou l'image de personne », Littérature, n°123, 2001. Roman Fiction. p. 86-100).
Aristote, La Poétique, XIX « Des pensées et de l'élocution dans la tragédie », 56 b 8-13, op. cit., p. 101.
M. S. Celentano, P. Chiron et M.-P. Noël, « Avant-propos », Skhèma/Figura. Formes et figures chez les Anciens. Rhétorique, philosophie, littérature, Actes du colloque « Skhèma/Figura » (Paris-Créteil, 27-29 mai 1999), textes édités par M. S. Celentano, P. Chiron et M.-P. Noël, Paris, Éditions Rue d'Ulm, PÉNS, 2004, p. 10.
Cité par Silvia Montiglio, « Paroles dansées en silence : l’action signifiante de la pantomime et le moi du danseur », op. cit.
À ce sujet, voir Jean Nogué, « Pas et figures dans la danse grecque antique », Bulletin de correspondance hellénique, Vol. 61, 1937. p. 79-85.
Platon cité par Émile Benveniste in « La notion de “rythme” dans son expression linguistique », (1951), Problèmes de linguistique générale, T.1, Paris, Gallimard, 1966, p. 333 et 335.
Aristote, La Poétique, I, 47 a 26, op. cit., p. 33. Aristote dit « au moyen du rythme seul, sans la mélodie », par opposition à l’art des musiciens dont il a parlé auparavant.
Nous nous appuyons ici sur l’étude et la traduction de François Jouan, « L’évocation des morts dans la tragédie grecque » in Revue de l'histoire des religions, tome 198, n°4, 1981. p. 403-420. Voir aussi Patricia Vasseur-Legagneux, « Des fantômes épiques aux fantômes tragiques : héritage, transformations, inventions dans l’antiquité grecque » in Dramaturgies de l'ombre. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005. p. 15-29.
François Jouan, « L’évocation des morts dans la tragédie grecque », art. cit., p. 420.
Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Sous la direction de Daniel Lagache, Paris, Presses Universitaires de France, 1967, 1981, p. 159
À ce sujet, voir Anne-Iris Muñoz, « Métrique et tropos dans deux tragédies d’Eschyle : Les Sept contre Thèbes et Les Perses », Classica, v.25, n.1/2, 2012, Sociedade Brasileira de Estudos Clássicos. http://hdl.handle.net/10316.2/36287
À ce sujet, voir les travaux du chercheur et metteur en scène Philippe Brunet, dont « La philologie à l’épreuve de la scène : métrique et chorégraphie du grec ancien », VIS, Revista do Programa de Pós-graduação em Arte da UnB, V.13 nº2/julho-dezembro de 2014, Brasilia [2015], p. 36-46.
À défaut d’avoir pu trouver une étude détaillée de la métrique dans le deuxième stasimon des Perses (l’évocation de Darius), nous proposons cet exemple générique, conçu à partir de règles générales. Il paraîtra sans doute simplificateur aux spécialistes.
Figures et images. De la figura antique aux théories contemporaines ?
1|2024 - sous la direction de Benoît Tane
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