Le « peuple figuratif », entre lecture figurale et anthropologie structurale
« Énée ressemble-t-il à l’un ou l’autre des héros d’Homère ? […]
Ne ressemble-t-il pas plutôt à Abraham ? » (Theodor Haecker, Virgile, Père de l’Occident)
« C’est là l’histoire de tous les peuples qui se civilisent » (Louis de Bonald, La Législation primitive)
« C’est là le train du monde et je n’ai que du bien à en dire » (Saint-John Perse, Anabase)
Lorsque, dans Virgile, Père de l’Occident, en 1931, Theodor Haecker montre, contre la tradition critique, qu’Énée ne ressemble pas à Ulysse mais à Abraham – car « lui aussi dut quitter sa patrie […] pour accepter dans la foi et dans l’obéissance à un insondable décret – un Fatum – les fatigues de l’errance1 » – il trace la courbe d’un destin et il implique possiblement une lecture figurale de l’Ancien Testament : non au sens de la Tradition des Pères, où ce qui advient dans l’Ancien Testament (Abraham) est la figure du Nouveau, mais en tant que prototype d’une histoire profane et potentiellement universelle. C’est la lecture établie nettement par Bonald (qu’Haecker n’a sans doute jamais lu) quand il fait des Hébreux, dans les pages de sa Législation Primitive (1802), le « peuple figuratif » profilant toute l’Histoire des sociétés... Mais en même temps, Haecker dessine une Histoire dans laquelle Énée, autre Abraham, guide (logiquement) l’aventure orientée d’un autre peuple saint, qui constitue lui aussi un type investi d’une forte autorité – d’un imperium – dans l’Histoire universelle : et là, tout en pensant au rôle de Rome dans l’affirmation des scénarios de la storia tipica selon Vico, on ne peut que reconnaître la marque de la lecture de Dante, décisive dans la réflexion de Haecker (Dante qui propose une lecture figurale et providentielle de Rome, qui fait explicitement des Romains un « peuple saint »).
De tels auteurs convergent en tout cas dans la définition d’un « peuple figuratif », dont la geste trace celle de l’Histoire humaine, et suivant une lecture figurale ou typologique, préparent, graduellement, l’avènement d’une forme d’anthropologie historique.
En nous attachant d’abord à Dante, puis à Vico et à Bonald enfin – chez qui le démarquage du figuralisme patristique et sacré en direction d’une lecture rationnelle, profane (quoique providentielle) de l’Histoire des sociétés est absolument explicite – nous cheminerons vers cet horizon des années 30-40 dans lequel s’inscrivent les travaux de Haecker et d’Auerbach, quelques décennies avant ceux de Levi-Strauss…
« Juvénile et neuve en tant qu’interprétation téléologique, structurante, concrète de l’histoire universelle, et infiniment vieille en tant qu’exégèse tardive d’un texte vénérable » : telle apparaît « l’interprétation figurative » aux yeux d’Erich Auerbach2. Cette jeunesse, associée à cette ancienneté, redouble sa tension, sans doute, lorsque la tradition de la lecture figurale est déplacée de sa matrice sacrée vers les modes d’une herméneutique profane ou semi-profane. Dante ou Bonald, nettement, renouvellent en la déplaçant la dynamique de la lecture figurale mise en place par les Pères de l’Église et telle qu’étudiée par Auerbach.
Dante
Le premier, le poète du Trecento, propose une telle dérivation de la méthode figurale, en construisant, en divers lieux de son œuvre, de manière discontinue mais persévérante, les modes d’une saisie typologique de l’Histoire romaine saisie suivant le filtre de l’Ancien Testament.
On pourra rappeler ainsi les expressions du Convivio dans le passage du Chapitre IV où Dante exalte la mission providentielle de Rome pour « signoreggiar », guider les peuples : « quello popolo santo nel quale l'alto sangue troiano era mischiato, cioè Roma, Dio quello elesse a quello officio3 ». Les Romains constituent explicitement un « peuple saint », un peuple « élu » pour une mission divine – les termes traditionnellement utilisés pour signifier la vocation religieuse du peuple hébreux dans l’Ancien Testament étant transférés, appliqués à eux. Dante accorde cette vision de Rome au propos même de Virgile : « Ed in ciò s'acorda Virgilio nel primo della Eneida, quando dice, in persona di Dio parlando: A costoro - cioè alli Romani - né termine di cose né di tempo pongo; a loro he dato imperio sanza fine4 ».
La voix de Dieu manifeste la mission providentielle de Rome comme elle parlerait à Abraham ou à Moïse. Dante ne s’interroge évidemment pas sur le fait que le Dieu qui parle dans l’Énéide n’est peut-être pas celui des Juifs ou des Chrétiens, sans doute parce que, comme le démontre le rôle central de Virgile dans la Divine Comédie, Dante adhère à la tradition issue, dit-on, de Constantin, qui fait de l’auteur de la IVe églogue un annonciateur direct du christianisme – Virgile, ce « païen adventiste », à l’ « anima naturaliter christiana » comme dit Theodor Haecker reprenant une expression de Tertullien (dans Apologétique, 17, 6).
Le livre II de la Monarchie insiste à son tour sur le rôle providentiel de Rome : les Romains sont là encore un peuple élu et l’Empire signifie la victoire de la civilisation humaine sur la Barbarie. Les expressions de la séquence II, 3 en particulier font bien preuve d’un figuralisme qui fait de l’Histoire romaine une autre histoire sainte : « Questo confermano et testimoniano gli antichi; perché il divino poeta Virgilio in tutta l’Eneyde manifesta che ’l gloriosissimo re Enea fu padre del popolo romano; et questo testimonia Tito Livio nel primo libro, che pigl[i]a prencipio dalla chattività di Troya5 ». Et un peu plus loin, dans II, 3 : « Che quello che alla perfetione sua è aiutato da miracoli è da Dio voluto6. »
Énée, « père du peuple romain » rappelle Abraham. La « captivité de Troie » se lit à travers celle du peuple hébreu à Babylone ; et le récit livien est donc une Écriture sainte attestant des miracles de Dieu pour son peuple. Dante, à la suite, rappelle du reste les miracles faits pour Moïse, entre autres celui de la Mer rouge contre l’armée de Pharaon et leur compare ceux faits par Dieu pour les Romains. C’est bien dans ce terreau de Dante que s’enracine la reconnaissance de la figure d’Abraham dans Énée (plutôt que celle d’Ulysse) telle que la formulera Haecker dans Virgile Père de l’Occident.
En fonction de ce qui pourrait sembler une vaste analogie, mais qui va bien au-delà d’une simple comparaison structurelle, on perçoit donc dans l’Histoire antique de Rome ou bien une projection dont la figure matricielle demeurerait la geste vétérotestamentaire du peuple hébreu ou, de manière plus satisfaisante, comme un ancien testament païen complémentaire de l’hébraïque aux soubassements de l’aventure chrétienne de l’Incarnation, elle-même du reste ordonnée providentiellement à l’existence et au développement de l’Empire dans lequel naît le Christ.
Risquons une remarque interprétative un peu plus large : si dans la Monarchie le pouvoir temporel, l’imperium, est bien donné au souverain directement par Dieu et non par la médiation de l’Église (la Papauté elle aussi d’institution divine, recevant parallèlement à l’Empire le pouvoir spirituel), on peut se représenter la geste de Rome comme parallèle à celle du peuple hébreu, posant, de manière équivalente, et providentielle, quoique en dehors de la révélation, une figure de l’accomplissement chrétien.
C’est en fonction d’une telle vision de l’autorité et de la justice de Rome qu’il faudrait comprendre du reste la figure de Caton, dans la Divine Comédie, telle que l’explique Auerbach dans Figura. En approchant « La représentation figurative au Moyen Age » Auerbach explicite en effet ainsi : « Dante croit à une concordance préétablie entre l’Histoire sainte chrétienne et l’Empire romain : il n’est donc pas étonnant qu’il applique l’interprétation figurative chrétienne à un païen romain7 ». Et il précise à propos de l’exemple de Caton :
Caton est indubitablement une figura, non pas une allégorie, comme les personnages du Roman de la Rose, mais bien une figure au sens précédemment décrit, une figure qui est déjà accomplie, déjà devenue vérité […] Caton, cette figure d’homme sévère, droit et pieux […] n’est pas transformé en allégorie mais reste Caton d’Utique, un individu singulier tel que Dante le voyait8…
L’historicité de Rome n’enlève rien à son rôle d’anticipation figurale ; elle en est le support.
Cas plus complexe que celui de Caton selon Auerbach, Virgile lui-même a été donné par les commentateurs anciens de la Divine Comédie comme « une allégorie de la raison » tandis que « les exégètes modernes, par réaction, ont souvent valorisé la dimension poétique humaine, individuelle du personnage9… ». Mais Auerbach insiste, à diverses reprises, sur la coexistence du Virgile allégorique ou symbolique et du Virgile historique : « C’est la structure figurative qui conserve l’élément historique en le dévoilant10 », « Le Virgile historique est accompli par l’habitant des limbes, par le compagnon des grands poètes antiques qui, à la demande de Béatrice, se charge de guider Dante11 » ; puis : « Ainsi le Virgile de la Comédie est bien le Virgile historique mais en même temps ce n’est plus lui ; car ce Virgile historique n’était que la figura de la vérité accomplie que révèle le poème12… ».
Et d’arriver à la perspective globale d’une lecture figurale de la Divine Comédie : « Car ce que nous avons dit de Caton et de Virgile vaut pour la Comédie dans son ensemble .Tout en elle est fondé sur une conception figurative13. »
La lecture chrétienne et providentielle de l’Empire et des grands Romains instaurée par Dante transforme en effet cet empire et ces personnages, sans rien leur faire perdre de leur dimension historique, en figures que le texte chrétien accomplit et qui ne prennent leur sens complet que dans l’avènement du Christ. En ce sens, Dante, dans son œuvre de poète comme dans celle du théoricien politique et religieux, esquisse au moins une construction figurale ou typologique de l’Histoire humaine. C’est une telle orientation qui fait écrire, sans doute avec quelque excès, à Augustin Renaudet : « Réformateur et mystique, Dante se manifeste encore sous les traits d’un historien et d’un sociologue qui, instruit à méditer sur le passé, semble vivre quatre siècles d’avance dans le monde de Giambattista Vico14. »
Vico
Vico est dans son temps un lecteur exceptionnel de Dante, dont il fait dans le cadre des corsi et ricorsi, l’ « Homère toscan » dans l’horizon de la « barbarie revenue15 », le père d’une nouvelle ère de la culture humaine recommençant le cycle après que celui ouvert par Homère, passé de l’enfance imaginative à la maturité classique et rationnelle de la société antique s’était achevé dans le chaos du stato ferino. Dante incarne donc un type dont Homère établit la figure. Comme nous le verrons, l’affirmation exceptionnelle du rôle figural de Rome dans l’Histoire humaine, tel qu’instauré chez Dante, est vouée à perdurer à se développer, différemment, chez le penseur napolitain, même s’il est difficile de dire en quoi la pensée de Dante, pourrait modeler elle-même la réflexion typologique de Vico (entre autres parce qu’on ne sait si Vico aura lu, outre la Commedia, des textes comme ceux du Convivio ou de la Monarchie).
Certes la philosophie de Vico cherche à établir le cursus d’une histoire typique universelle, et idéale au sens platonicien, au-delà des variations des temps :
[…] la Storia, non già particolare, ed in tempo delle Leggi, e de’ fatti de’ Romani, o de’ Greci ; ma sull’identità in sostanza d’intendere, e diversità de’ modi lor di spiegarsi, si avrà la Storia Ideale delle Leggi eterne, sopra le quali corron’i Fatti di tutte le Nazioni, ne’ loro sorgimenti, progressi, stati, decadenze, e fini16.
[…] non plus l’histoire particulière des faits des Romains ou des Grecs mais l’histoire idéale des lois éternelles que vivent toutes les nations dans leurs commencements et leurs progrès, dans leur décadence et leur fin […]. A travers la diversité des formes extérieures, nous saisirons l’identité de substance de cette histoire17.
Ce scénario de la storia tipica repose à la fois sur un enchaînement logique des processus politiques et juridiques et, plus profondément, sur une histoire de l’esprit humain enregistrée dans les archives du langage verbal ou gestuel. Avec un certain organicisme, Vico associe à l’enfance de l’homme, c’est-à-dire à la société archaïque, la pratique des universaux de l’imaginaire (universali fantastici), une faculté poétique antérieure à la plénitude de la maîtrise du raisonnement abstrait qui marque justement l’avènement d’une maturité, qui correspondrait à une phase de culture classique :
[…] i primi uomini, come fanciulli del Gener’Umano, non essendo capaci di formar’i generi intelligibilidelle cose, ebbero naturale necessità di fingersi i caratteri poetici, che sono generi, o universali fantasticida ridurvi, come a certi Modelli, o pure ritratti idealitutte le spezie particolari a ciascun suo genere simiglianti ; per la qual simiglianza le Antiche Favole non potevano fingersi, che con decoro : appunto come gli Egizj tutti i loro ritruovati utili, o necessarj al Gener’Umano, che sono particolari effetti di Sapienza Civile, riducevano al Genere del Sappiente Civile, da essi fantasticato Mercurio Trimegisto; perché non sapevano astrarre il Gener’intelligibile di Sappiente Civile, e molto meno la forma di Civile Sapienza18.
[...] les premiers hommes qui représentaient l’enfance de l’humanité, étant incapables d’abstraire et de généraliser, furent contraints de créer les caractères poétiques pour y ramener, comme autant de modèles, toutes les espèces particulières qui auraient avec eux quelque ressemblance. Cette ressemblance rendait infaillible la convenance des fables antiques. Ainsi les Egyptiens rapportaient au type du sage dans les choses de la vie sociale toutes les découvertes utiles ou nécessaires à la vie, et comme ils ne pouvaient atteindre cette abstraction, encore moins celle de la sagesse sociale, ils personnifiaient le genre tout entier sous le nom d’Hermès Trismégiste19.
Au moyen de la mise au jour de ces « caractères poétiques », qui fonctionnent comme de véritables figures, ou « types idéaux », Vico explique la signification profonde des fables de la mythologie, en dévoilant en quelque sorte les voies de ce que nous appellerions volontiers la mentalité primitive :
Ma questi duri scogli di Mitologia si schiveranno co’ Principj di questa Scienza,la quale dimostrerà, che tali Favole ne’ loro principj furono tutte vere,e severe,e degne di Fondatori di Nazioni […] L’ aspre tempeste Cronologiche ci saranno rasserenate dalla Discoverta de’ Caratteri Poetici20.
Guidés par les principes de la science nouvelle, nous éviterons ces terribles écueils de la mythologie ; nous verrons que ces fables, détournées de leur sens par la corruption des hommes, ne signifiaient dans l’origine rien que de vrai, rien qui ne fût digne des fondateurs des sociétés. […] La découverte des caractères poétiques, des type idéaux, que nous venons d’exposer, fera luire un jour pur et serein à travers ces nuages sombres dont s’était voilée la chronologie21.
Dans cette réflexion philologique et philosophique sur le scénario de la marche idéale de l’esprit humain lue à travers le langage et les lois des sociétés, cependant, pourquoi Rome devrait-elle jouer un rôle décisif ?
Comprenons que Vico raisonne « a riguardo dell’antichità del mondo – fresche de’romani, tra le boriose di greci, tra le tronche, come le lor piramidi, degli egizi, e perfino tra le affate oscure dell’Oriente22… ». La « fraîcheur » des antiquités de Rome signifie aussi leur relief particulier et leur lisibilité dans un panorama de l’Antiquité où les traits des cultures plus anciennes s’effacent. Avec Rome, Vico reprend le récit idéal de l’histoire des « peuples majeurs », le passage du monde héroïque au monde historique, la transcription d’un ensemble de gestes brutaux et fondateurs en une série de rites et de lois qui n’en sont plus que la civile métaphore23. Dernière née des civilisations antiques, Rome répercute en effet avec retard un scénario déjà accompli chez ses voisins. Et par ce retard même, elle ramène la puissante expressivité et la violence des premiers temps au cœur de ce qui est déjà l’histoire, depuis des siècles : elle recommence la fondation de la société (Remus et Romulus, l’enlèvement des Sabines...) en ébranlant dans sa croissance les terres plus anciennes et leurs règnes devenus fragiles. Ce scénario est énoncé dans la Scienza Nuova :
E questa dev’essere la cagione, perchè i Romani furono gli Eroi del Mondo,perocchè Roma manomise l’altre città del Lazio, quindi l’Italia, e per ultimo il Mondo, essendo tra’ Romani giovine l’Eroismo;mentre tra gli altri popoli del Lazio, da’ quali vinti provenne tutta la Romana Grandezza, aveva dovuto incominciar’a invecchiarsi24.
Voilà aussi pourquoi les Romains furent les héros du monde, et soumirent les autres cités du Latium, puis l’Italie, enfin l’univers. Chez eux l’héroïsme était jeune, lorsqu’il avait commencé à vieillir chez les autres peuples du Latium, dont la soumission devait préparer toute la grandeur de Rome25.
Et on en retrouve l’explication dans le De Constantia Jurisprudentis :
Voici les causes fondamentales de la justice, de la vaillance et de la grandeur des Romains : tandis que dans les autres États d’optimates, les antiques usages s’étiolaient, ils prenaient chez les Romains une vigueur d’autant plus grande que les nouvelles et pieuses familles, organisées sur le modèle des anciennes s’en rapportaient aux premières institutions de leurs aînées : ces nouvelles familles s’élèvent grâce à leur courage, tandis que les anciennes, dont les usages se dégradent, courent à la ruine26.
Les Romains n’ont ainsi pas connu à proprement parler l’âge mythique, celui des dieux, qui a tant marqué les Grecs et qui précède l’héroïque, avant l’âge classique de la culture. Comme le note Vico : « La mythique histoire romaine est modelée sur l’héroïque histoire grecque27. » Tout commence avec les héros, avec Romulus, dans un Latium vieilli : « E questa dev’essere la cagione, perchè i Romani furono gli Eroi del Mondo 28. »
Il y a donc bien esquissée chez Vico l’idée que les scénarios de l’histoire romaine sont « modelés sur » ceux de l’histoire grecque – avec des étapes décalées, et plus largement le sentiment que ce scénario éternel a existé encore en amont dans le temps, mais Rome restitue avec une netteté exceptionnelle, à une époque tardive de l’humanité antique, nombre d’étapes décisives et propres à visualiser parfaitement cette saisie typologique de l’histoire. La Providence, jamais absente du raisonnement vichien, privilégie ce peuple pour donner un caractère clair et exemplaire à son développement social et politique, dans la succession lumineuse des régimes qui la régissent :
Questo Corso di cose umane civili non fecero Cartagine, Capova, Numanzia ; dalle quali tre Città Roma temè l’Imperio del Mondo:perchè i Cartaginesi furono prevenuti dalla natia acutezza Affricana,che più aguzzarono coi commerzj marittimi ; i Capovani furono prevenuti dalla mollezza del Cielo, e dall’abbondanza della Campagna Felice;e finalmente i Numantini, perchè sul loro primo fiorire dell’Eroismo furon’oppressi dalla Romana Potenza,comandata da uno Scipione Affricano, vincitor di Cartagine, ed assistito dalle forze del Mondo. Ma i Romani da niuna di queste cose mai prevenuti,cam-minarono con giusti passi,faccendosi regolar dalla Provvedenza per mezzo della Sapienza Volgare;e per tutte e tre le forme degli Stati Civili secondo il lor’ordine naturale,ch’a tante pruove in questi Libri si è dimostrato, durarono sopra di ciascheduna;finchè naturalmente alle forme prime succedessero le seconde : e custodirono l’Aristocratia fin’alle Leggi Publilia,e Petelia ; custo-dirono la libertà popolare fin’a’ tempi d’Augusto;custodirono la Monarchia, finchè all’interne, ed esterne cagioni, che distruggono tal forma di stati, poterono umanamente resistere29.
La marche que nous avons tracée ne fut point suivie par Carthage, Capoue et Numance ces trois cités qui firent craindre à Rome d’être supplantée dans l’empire du Monde. Les Carthaginois furent arrêtés de bonne heure dans cette carrière par la subtilité naturelle de l’esprit africain, encore augmentée par les habitudes du commerce maritime. Les Capouans le furent par la mollesse de leur beau climat et par la fertilité de la Campanie heureuse. Enfin Numance commençait à peine son âge héroïque, lorsqu’elle fut accablée par la puissance romaine, par le génie du vainqueur de Carthage, et par toutes les forces du monde. Mais les Romains ne rencontrant aucun de ces obstacles, marchèrent d’un pas égal, guidés dans cette marche par la Providence qui se sert de l’instinct des peuples pour les conduire. Les trois formes de gouvernement se succédèrent chez eux conformément à l’ordre naturel ; l’aristocratie dura jusqu’aux lois publia et petilia, la liberté populaire jusqu’à Auguste, la monarchie tant qu’il fut humainement possible de résister aux causes extérieures qui détruisirent un tel état politique30.
Il apparaît clairement dès lors, comme le note Momigliano, que « la storia che vive nella fantasia di Vico, stimola la sua capacità di ricostrutore d’epoche primitive, lo introduce perfino alla poesia omerica, è la storia romana31 ».
Vico établit donc le paradigme homérique comme réalisation de ce que nous appellerions la mentalité primitive dans l’histoire de la poésie humaine, mais il y atteint par la médiation vive des images de l’Histoire romaine elle-même. Croce explique ainsi cette prédilection : « Vico eut une pratique régulière et une prédilection particulière pour l’histoire, spécialement juridique, de Rome [...] et cette histoire [...] finit par lui apparaître comme l’histoire typique et normale, servant de mesure à toutes les autres, et se confondit avec la loi même du corso et du ricorso32 ».
Cette confusion délibérée est propre à l’orientation intime de la Scienza nuova : elle implique de trouver ou retrouver dans les faits – et surtout les faits des Romains – les étapes typiques de l’histoire des sociétés, soit de produire en même temps une philosophie de l’humanité et une histoire universelle des nations. Le résultat de cette formidable rencontre, c’est, pour le dire avec Croce : « la corpulenza che la storia tipica acquista nella storia di Roma33 ».
Cette corporéité, cette gravitas... Ou comment Rome, dans la singulière et rugueuse succession de sa geste incarne extraordinairement un récit à valeur universelle. Dès lors, dans la dynamique de l’écriture vichienne, à travers la Scienza Nuova comme le De Constantia jurisprudentis, le fait que l’histoire romaine soit modélisée par un scénario dont les jalons se seraient instaurés en amont s’estompe pour laisser place à une valeur figurale et générale du récit romain lui-même, opérant en retour comme clé de tout ce qui l’a précédé.
Cette lecture typologique, pose ainsi une histoire idéale dont chacun des éléments premiers peut fonctionner comme une figure; comme dans notre réflexion sur le « peuple élu » selon Dante, un des grands enjeux herméneutiques serait cependant de déterminer avec clarté, au-delà de parallélismes généraux, quelle strate est celle qui devient la figure des autres, une certaine prégnance expressive (liée quasiment à la récurrence de formules de pathos) conspirant avec les différents facteurs qui fondent l’autorité d’une référence dans un horizon de culture, pour subvertir aussi bien l’ordre chronologique naturel, ou l’ordre de priorité religieux, et pour imposer comme figure première et véritable départ de l’imaginaire typologique un moment aussi bien tardif : en l’occurence, chez Dante, chez Vico – deux penseurs italiens – l’histoire de Rome.
Si pourtant le modèle de la lecture religieuse de l’Ancien Testament comme figure du Nouveau est évident même dans le détournement opéré par Dante, il semble soigneusement tenu à l’écart chez Vico : dans une analyse fine et qui parcourt l’ensemble de la bibliothèque des références vichiennes, Arnaldo Momigliano34 a clairement démontré que le Napolitain, à l’encontre de toute une école de penseurs, distinguait l’histoire sacrée des Hébreux, « naturellement philosophes », puisque destinataires de la Révélation, et celle des peuples païens, participant tout de même du plan de la Providence, mais simplement éclairés à la mesure du progrès de leur esprit et de l’état de la société, guidés seulement afin qu’ils s’éloignent graduellement de la bestialité. Ces bestioni, suggère Momigliano, l’ont cependant chez lui emporté en pouvoir de fascination, et ont suscité sa grandiose réflexion sur le fantasticare des fables païennes, la mentalité primitive, et la production d’un scénario idéal du cours de l’histoire sociale, nourri d’une dimension figurale ou typologique, mais apparemment indépendant du modèle vétérotestamentaire. Tout au plus peut-on suggérer que la saisie du texte homérique, puis celui des lois romaines ou des textes historiques des païens rappelle dans le modus operandi de Vico le procédé du figuralisme (et ce, même si le mot de « figura » n’apparaît pas chez lui, sauf à désigner des figures mathématiques, les mots de « type idéal » ou de « caractère » en tenant lieu jusqu’à un certain point), la pénétration de Vico, si anachronique en cette ère du cartésianisme, ressemblant somme toute à celle, traditionnelle, de l’exégète – nourri des sciences techniques du juriste et du philologue. Comme le rappelle Auerbach, un lecteur fasciné de Vico comme de Dante durant tout sa carrière, en corrigeant la vision de Croce qui éclipse le rôle providentiel dans la pensée vichienne35, la Scienza Nuova est définie par Vico comme « teologia civile ragionata della divina Providenza36 ».
Une autre forme d’anachronisme pourrait être relevée chez Vico : le philosophe intervient en plein milieu du « secolo senza Roma37 », en un temps où dominent de plus en plus les « Grécomanes », tandis que les travaux sur l’Italie38 semblent aller par prédilection en amont (les Etrusques) ou en aval (le Moyen Age) du grand moment romain, plus tard objet de la défiance des « Philosophes ». Comme l’a bien montré Paul Hazard39 du reste, cette défiance envers l’autorité du récit romain est comme un masque ou un corrélat de la défiance parallèle qui commence de s’instaurer envers l’autorité du récit biblique, et qui demande d’ailleurs à Vico de lutter contre ceux qui chercheraient une autorité supérieure à l’Histoire sainte des Hébreux dans le passé antérieur de l’Egypte, ou de la Chine40. Disons simplement que Louis de Bonald, auquel s’intéressera la suite de cet article, instaure sa réflexion à l’autre bout de ce siècle sans Rome, en un moment où la critique philosophique de l’autorité testamentaire est arrivée à un point culminant. Lui aussi part en guerre contre ceux qui souhaitent détrôner l’autorité historique de cette antiquité sacrée en établissant, comme Volney41, de nouveaux scénarios de l’histoire de la civilisation, lui aussi écartant par exemple le modèle des Chinois42. Simplement, dans sa référence aux Hébreux, Bonald n’est certes pas seul et accompagne un mouvement générationnel, bien perceptible aussi bien chez son ami Joseph de Maistre, qui dans Les Soirées de Saint-Pétersboug énonce le remplacement de l’autorité poétique de Pindare par celle de David43 et qui dénonçant le discours répandu sur la « barbarie » des Hébreux les compare avantageusement à leurs rivaux Chinois : « comment se fait-il que cette nation soit constamment raisonnable, intéressante, pathétique, très souvent même sublime et ravissante dans ses prières44 ? ».
Bonald
La Législation Primitive considérée dans les derniers temps par les seules lumières de la raison, ouvrage publié en 1802 par Louis de Bonald, s’inscrit sans doute dans ce contexte. Dès le titre, il nous faut comprendre que la « législation primitive », au singulier, est celle de Dieu, qui est conservée entièrement dans la Bible commune aux Juifs et aux Chrétiens et qui, jaillie de la révélation primitive, demeure par lambeaux déchirés dans l’ensemble des peuples de la terre ; mais en même temps qu’il s’agira d’en valider l’importance et le caractère unique dans une lecture simplement rationnelle, écartant l’argument d’autorité lié à la référence explicite à la révélation. Bonald choisit cette posture pour y mieux engager le débat avec les philosophes, définis comme ceux qui exprimeraient le doute quant à la légitimité des textes sacrés, de cet Ancien Testament érigé par les Pères de l’Église en figure du Nouveau, et dont ils tentent de dévoiler le caractère douteux ou incohérent. C’est d’une telle confrontation polémique, orchestrée dans le long « Préliminaire », que Bonald fait surgir la nouveauté frappante de l’usage rationnel et somme toute profane qu’il entend faire du caractère figural des Écritures :
Mais vous, qui vous croyez dégagés de préjugés, quand vous n’êtes que vides d’idées et de connaissances, qui pensez physiques et qui parlez morale, vous dont quelques faits consignés dans ces augustes archives de la société épouvantent la foi, et qui rejetez ce que vous n’avez pas la force de porter, faibles esprits, élevez plus haut vos pensées, élargissez l’étroite enceinte où quelques sophistes ont circonscrit votre raison, et embrassez le système étier du peuple juif, de ce peuple figure, modèle, exemple, prophète pour tous les peuples, législateur de société dans son code, historien de la société dans ses annales45.
Il s’agit de dépasser une critique des incohérences de détail des Écritures pour prendre en charge « le système entier du peuple juif », en posant dès lors un cadre herméneutique plus ambitieux, plus organique. Là, apparaît cette définition décisive à nos yeux du peuple juif comme « peuple figure », expression forte glosée par le couple de presque équivalents « modèle, exemple » et dont la conséquence commence à se dégager dans les autres éléments juxtaposés : « prophète pour tous les peuples, législateur de société dans son code, historien de la société dans ses annales ». Bonald ne dit pas que le peuple juif est prophète pour tous les peuples au sens où la révélation mosaïque aurait une portée universelle, mais, comme on va le comprendre, parce que sa législation et son histoire dessinent celles des autres peuples, parce qu’il met à jour ce qu’est une société accomplie dans une histoire exemplaire. En effet, poursuit Bonald :
Voyez dans les faits racontés par ce peuple les faits prédits et prévus des autres nations ; observez dans sa sortie d’Egypte, de la maison de servitude, et dans ses efforts pour arriver à la terre promise, le passage de tout peuple de l’état servile et précaire de la barbarie, à la dignité de la civilisation, comme la religion nous enseigne à y voir le passage de tout homme de l’esclavage du vice à la liberté de la vertu46.
Une lecture figurale ou typologique ouvrant de vastes possibilités se met en place ; une histoire de la marche à la civilisation concurrente de celles tentées au même moment par les Idéologues et autres sectateurs de la « philosophistoire ». Le nœud de la polémique bonaldienne, le cœur de son énergie dialectique se déploie à la fin du paragraphe dans une ultime adresse à son interlocuteur philosophe :
Vous ne voulez pas des figures religieuses que les siècles passés y ont révérées ; croyez au moins aux figures politiques que la marche des âges et l’état présent de la société vous révèlent. Vous refusez d’ajouter foi à ce que ces livres mystérieux vous disent de l’histoire du commencement des temps ; admirez la prescience divine qui y a caché l’histoire de la fin des temps, et dans la vie domestique, politique, et religieuse d’une seule société, lisez les traits divers et épars dans toutes les histoires, de la vie sociale de tous les peuples47.
Le remplacement des « figures religieuses », soit le mode de lecture de l’Ancien Testament instauré par les Pères de l’Église et étudié par Auerbach dans Figura, par les « figures politiques », soit une compréhension de l’exemplarité sociologique et historique du peuple hébreux à partir de ce même Ancien Testament, n’écarte pas plus que chez Vico la possibilité d’une vision providentielle de l’Histoire (« admirez la prescience divine ») mais suppose le mode opératoire de l’observation, contre la « foi » et « le mystère », et aboutit à dessiner la trame d’une « histoire sociale de tous les peuples ». Lisons quelques lignes encore de ce passage pour voir émerger du texte une autre expression significative de l’herméneutique instaurée par Bonald :
Et cependant, de peur que vous ne soyez tentés de regarder ce peuple figuratif avec son histoire merveilleuse comme une pure allégorie, admirez-le présent partout, sous vos yeux, dans un état de société bien plus merveilleux que son histoire48.
Peuple figure, peuple figuratif : telle est bien la notion élaborée par Bonald autour du peuple juif et que nous pouvons confronter à l’exemplarité acquise par le peuple romain dans la pensée vichienne. Mais aussi « pure allégorie » : la lecture figurale comme l’a montré Auerbach s’oppose au moins potentiellement à l’allégorie en ce qu’ elle entend ne rien ôter de la réalité physique et historique de son vecteur : cet aspect important du figuralisme religieux traditionnel (l’historicité, la réalité empirique des Saintes Écritures, y compris la Genèse, non entamée par son potentiel figural) se déplace donc inchangé dans le cadre de la lecture profane ou semi-profane proposée par Bonald, comme il l’avait aussi fait chez Dante. La suite de ce passage du « Préliminaire » de la Législation primitive est donc voué à mettre sous les yeux l’évidence socio-historique de cette exemplarité : l’état pastoral de la société patriarcale hébraïque à son début est ainsi celui aujourd’hui des Tartares, la multiplication des Juifs et leur chute sous la dépendance de l’Egypte, montre « tout peuple devenu nombreux tomber sous la domination de ses voisins tant qu’il s’obstine à rester dans l’état domestique et qu’il ne constitue pas un gouvernement ». Suivent alors les exemples des peuples esclaves dans le sein de la Grèce comme les Ilotes, des « Nègres dans les colonies », des « Grecs chez les Turcs, des Juifs modernes partout49 »…
Bonald poursuit assez longuement l’« application » démonstrative de l’exemplarité biblique à l’histoire des peuples, revenant sur « l’ère du passage, du passage de l’état barbare à l’état civilisé50 », illustrée par la traversée de la Mer rouge, puis désignant comme figures typologiques l’errance dans le désert ou la manne et voyant en Moïse frère d’Aaron (couple encore traité comme une figure ou un emblème) le « pouvoir religieux » qui « s’unit inséparablement au pouvoir politique », la stabilité du pouvoir établie dans l’hérédité : « Alors la religion s’assoit dans un temple, et la royauté dans un palais. C’est là l’histoire de tous les peuples qui se civilisent51… »
Si le thème du « passage » est chez Bonald cette Pâques, ce passage même de tout un peuple (barbare) à la terre promise de la civilisation, on se souviendra qu’il était chez Vico le passage de l’état de proscrits des compagnons de Romulus à celui de fondateurs de la cité. De nouveau, on notera dans le motif de l’union de Moïse et Aaron une correspondance forte avec une observation de Vico justement mise en valeur par Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la Grandeur de la France :
Un savant italien a fait une singulière remarque. Après avoir observé que la noblesse est gardienne naturelle et comme dépositaire de la religion nationale, et que ce caractère est plus frappant à mesure qu’on s’élève vers l’origine des nations et des choses, il ajoute : Talchè dee esser un gran segno che vada a finire una nazione ove i Nobili disprezzano la religione natia » (Vico, Principi di Scienza nuova, Lib.II)
Lorsque le sacerdoce est membre politique de l’état, et que ses hautes dignités sont occupées, en général, par la haute noblesse, il en résulte la plus forte et la plus durable de toutes les constitutions possibles. Ainsi, le philosophisme, qui est le dissolvant universel, vient de faire son chef-d’œuvre sur la monarchie française52.
Notons peut-être cette convergence comme une marque de la commune orientation vers une sociologie historique des nations plutôt que comme le lieu d’une rencontre effective entre le « système » de Bonald et la Scienza Nuova.
De fait, il existe bien des intermédiaires, des penseurs qui ont acclimaté en France, tout en la déformant, la pensée de Vico sur les étapes du scénario évolutif des sociétés et sur la succession des régimes politiques : Alain Pons53 en son temps a signalé comme Court de Gébelin classait Vico parmi les interprètes allégoristes de la mythologie ; il avait relevé des analogies plus que des traces de la pensée vichienne dans la théorie linguistique de Condillac ; il avait signalé aussi le passage des Considérations de Joseph de Maistre, indice de l’intégration du Savoyard à la culture péninsulaire, sur lequel nous venons de nous attarder. Plus récemment, Mouza Raskolnikof a remis en lumière le cas de juristes érudits comme Bonamy, ou Terrasson, qui reprennent la discussion vichienne de la loi des XII Tables, mais surtout celui de l’abbé Du Bignion, dont elle repère à la fois l’usage des grands scénarios vichiens et le rejet du rôle de la Providence qui est pour ainsi dire le cœur de la dynamique mise en évidence par Vico. Citons-là, dans un passage où elle orchestre les éléments les plus frappants de la réflexion de Du Bignion :
S’il est vrai que « l’esquisse des révolutions politiques de Rome nous présente la perspective de presque toutes les républiques », et que les transformations de la constitution primitive des Romains retracent « l’enchaînement presque nécessaire des différentes révolutions qui distinguent les âges », la « sage distribution des pouvoirs » qui caractérise la République romaine au temps de sa splendeur et dont Polybe a célébré l’excellence au livre VI de ses Histoires, est l’effet du hasard, et résulte d’un « accord passager entre les différens ordres54.
Il est ainsi clair que la pensée d’une histoire typologique des sociétés s’inscrit dans l’horizon du XVIIIe siècle français, et qu’elle peut, de manière plutôt minoritaire, et pas directement chez les philosophes, s’établir autour du modèle romain, aussi bien dans une discussion des schémas vichiens. Mais tant la dimension providentielle que la perspective platonicienne, éternelle, de la pensée de Vico, semblent absentes de ces échos. La rencontre en de nombreux points avec la réflexion de Bonald ne relève ainsi probablement pas, ou pas de manière cruciale en tout cas, d’une lecture, dont les carnets du penseur rouergat ne semblent pas garder trace, mais s’offre de manière d’autant plus frappante à notre regard, même en prenant bien compte la restauration décisive que manifeste chez Bonald le nouveau déplacement du foyer de la logique figurale vers le peuple hébreu.
Risquons une dernière remarque sur l’histoire de la civilisation développée par Bonald à partir des fastes du « peuple figuratif », en suggérant chez lui une « application » plus restreinte et plus actuelle de l’exemplarité historique de l’Ecriture. L’auteur porte son regard sur la lignée dynastique des rois d’Israel :
mais admirez ce dernier trait, et voyez dans l’histoire des trois premiers règnes de la première race des rois hébreux l’histoire entière des races les plus longues des rois de tous les peuples. David, le roi digne d’être aimé, le roi religieux, éloquent et valeureux, commence ; Salomon, le roi pacifique et fastueux, le suit, et avec lui commencent les dépenses immodérées, les impôts excessifs, l’empire des femmes, le culte des dieux étrangers, peut-être l’abus des sciences humaines. Roboam, le roi qui lâche le peuple, le roi faible, lui succède. Il recueille l’héritage de l’adultère et de l’impiété et il est puni des fautes de son père et de celles de son aïeul. Des conseillers sans expérience égarent sa jeunesse, le peuple se révolte, les dix dernières tribus se séparent des deux premières ; la révolution est consommée… L’Hébreu sera mené en captivité. Ainsi tout peuple divisé déchoit de l’indépendance, asservi par ses voisins ou dominé par des tyrans. L’Hébreu cependant revient d’esclavage, et relève, malgré les ennemis de son culte, le temple du vrai Dieu sur ses antiques fondements… Ici, le rideau se tire, les rois et les peuples en savent assez sur leurs destinées55.
La dynamique de cette succession d’étapes a la même air de vérité typologique (et la même excessive rigidité schématique) que nombre de cursus de l’histoire des sociétés qui se trouvent dessinés par Vico dans la Scienza Nuova. Ainsi , Vico :
LXVII- «La Natura de’ popoli prima è cruda,dipoi severa,quindi benigna,appresso dilicata, finalmente dissoluta. LXVIII- Nel Gener’Umano prima surgono immani, e goffi, qual’i Polifemi;poi magnanimi ed orgogliosi, quali gli Achilli;quindi valorosi e giusti, quali gli Aristidi,gli Scipioni Affricani;più a noi gli appariscenti con grand’immagini di virtù, che s’accompagnano con grandi vizj, ch’ appo il volgo fanno strepito di vera gloria, quali gli Alessandri,e i Cesari;più oltre i risti riflessivi, qual’i Tiberj;finalmente i furiosi dissoluti, e sfacciati, qual’i Caligoli,i Neroni,i Domiziani56.
67. Le caractère des peuples est d’abord cruel, ensuite sévère, puis doux et bienveillant, puis ami de la recherche, enfin dissolu.
68. Dans l’histoire du genre humain, nous voyons s’élever d’abord des caractères grossiers et barbares, comme le Polyphème d’Homère ; puis il en vient d’orgueilleux et de magnanimes, tels qu’Achille ; ensuite de justes et de vaillants, des Aristides, des Scipions ; plus tard tos apparaissent avec de nobles images de vertus, et en même temps avec de grands vices, ceux qui, au jugement du vulgaire, obtiennent la véritable gloire, les Césars et les Alecandres ; plus tard des caractères sombres, d’une méchanceté réfléchie, des Tibères ; enfin des furieux qui s’abandonnent en même temps à une dissolution sans pudeur, comme les Caligulas, les Nérons, les Domitiens57.
Mais au-delà du processus général de l’histoire de toutes les dynasties qui constituent de grandes phases structurales de l’exercice du pouvoir selon Bonald, et qui peut s’apparenter aux grands scénarios vichiens, on pourra être tenté de replacer dans son contexte l’écriture de la Législation Primitive, et de voir dans le passage bonaldien une possible lecture de l’histoire proche de la France : avec la succession du roi fort et juste (Louis XIII ? Louis XIV ?), du roi pacifique, fastueux mais couvrant la corruption et laissant trop de place aux sciences humaines (Louis XV, le Pacifique ? protecteur des Lumières ? soumis à l’empire des femmes ? ) et du roi faible, mal conseillé, puni des fautes de son père et de celles de son aïeul puis confronté à la révolte du peuple (Louis XVI ?), on songe fortement à l’évolution de la dynastie des Bourbons, tandis que la restauration du vrai culte en son temple pourrait faire écho au Concordat signé un an avant la publication du livre de Bonald. A supposer que nous ne tombons pas ici dans un excès58, il conviendrait dès lors de prêter attention à la lecture effectuée par Bonald (le titre est mentionné dans son carnet) du livre de Toustain de Richebourg : Réalité des figures de la Bible, ouvrage où par les preuves de fait et de raisonnement, et par l’analogie des objets surnaturels et mystérieux avec les choses naturelles et connues, on établit la révélation, les miracles et toute la doctrine du christianisme …. Par une ex-victime de la tyrannie anti-sociale et du fanatisme anti-religieux (Paris, Le Clère, 1797). L’ouvrage évoque les troubles révolutionnaires, lui-même empruntant semble-t-il une part de sa démarche à la tradition du figurisme janséniste, très encline à la saisie de l’histoire récente comme dessinée loin en amont dans les Écritures.
Il est clair cependant que cette tentation nôtre d’une « application » exemplaire du scénario bonaldien à la quasi actualité, demeure bien incertaine59 et d’une incidence anecdotique au regard de la portée bien plus large du « système » anthropologique ainsi mis en jeu, et ajouterons-nous plus généralement, de la richesse philosophique et sémiotique du terme de « figure » chez Bonald. Parmi d’autres exemples nombreux, dans lesquels se révèle une proximité avec la réflexion sur les signes proposée par le sensualisme de Condillac60, relevons celui-ci où la notion sémiotique de « langage figuré » (le passage intervient après qu’on a vu les Français comme peuple « le plus figuré dans son expression ») croise l’idée du peuple juif comme peuple figuratif :
Ainsi un enfant a des images avant d’avoir des idées ; ainsi un peuple cultive son imagination avant de développer sa raison ; ainsi, dans l’univers même, la société des figures ou des images, le judaïsme, a précédé la société des idées, ou le christianisme qui adore l’Être suprême en esprit et en vérité61.
Le raisonnement rappelle encore inévitablement Vico dans la succession d’un peuple enfant s’exprimant par figures – avec l’aspect typologique, structural, d’une « société des figures » - à un peuple adulte raisonnant par les idées, mais s’éloigne des choix de la Scienza Nuova dans le retour décidé, explicite, et quand même inventif, qui rétablit la figure comme lien nécessaire entre judaïsme et christianisme, renouant manifestement avec la tradition patristique.
Épilogue. Le XXe siècle
Dante, Vico, Bonald, posent donc les jalons d’une représentation figurale ou typologique de l’histoire humaine, dans un rapport variable avec le modèle de la lecture patristique : très fort et délibéré chez Bonald, assez marqué chez Dante, dans l’ordre d’une culture coutumière de ce mode de pensée ; assez éloigné chez Vico, mais avec de notables convergences avec l’exposé de Bonald quant à la mise en place de la lecture typologique de l’évolution des sociétés. De telles tentatives, n’ont pas été absolument isolées et comme encastrées dans l’horizon périssable d’une époque, mais ont connu une postérité discontinue, et il serait difficile de dire qu’elles forment une tradition. Il semble cependant qu’elles trouvent des échos et une signification nouvelle dans l’horizon culturel XXe siècle.
Nous l’avons dit, ainsi, le Virgile, Père de l’Occident de Theodor Haecker enracine la vision du héros de l’Énéide dans un parallèle avec les figure bibliques qui est assez directement tributaire de Dante. Mais ce geste n’est pas isolé dans le panorama des travaux publiés lors du millénaire virgilien de 1931 : Walter Benjamin62, dans une recension qu’il qualifie lui-même de « dramatique » du livre d’Haecker, cite des passages de Viatcheslav Ivanov63 qui parle de l’Énéide comme d’une « hagiographie rappelant les récits bibliques » et qui situe idéalement la vision de l’histoire de Virgile « entre celle de l’ancien Testament et la Cité de Dieu de saint Augustin ». Le rapprochement du texte d’Haecker avec Figura d’Auerbach dévoile plus nettement encore la situation de cette lecture qui révèle un visage biblique d’Énée. Lorsque le penseur chrétien, inspirateur de la « Rose Blanche » écrit qu’ Énée ressemble plus à Abraham qu’à Ulysse, a fortiori si l’on éclaire ce passage par cet autre où il signale que « les Grecs et les Romains ont accepté que le salut ne vienne pas d’eux mais des Juifs64 », il est en effet spécialement proche du geste intellectuel d’Auerbach dans Figura tel que le comprennent A. Zakai et D. Weinstein quand ils repèrent dans le relief donné au figuralisme la volonté idéologique de rappeler la continuité entre Antique et Nouveau Testament – et donc de souligner l’unité de la culture judéo-chrétienne – précisément quand le nazisme, à la manière de l’hérésie de Marcion65, en promouvait la nette séparation 66.
La figure, en ce sens, est ce qui unit – Abraham à Énée, Homère à Dante, ou les rois de l’Ancien Testament aux grands monarques modernes. Virgile, et Virgile relu par Dante, nourrit du reste la réflexion sur la figure d’Auerbach comme la formulation de l’unité culturelle de l’Occident dans le livre de Haecker. Le débat semble-t-il anachronique sur la IVe Eglogue de Virgile comme figure ou signe de prescience de l’avènement du christianisme, tel qu’il transparaît aussi dans La Mort de Virgile (1945) d’Hermann Broch, a du reste atteint une intensité inattendue dans les années de la République de Weimar.
Cependant, Auerbach est aussi, comme le rappelait René Wellek67, cet auteur d’une traduction abrégée de la Scienza Nuova en 1924, de l’essai de Croce sur Vico en 1927, de 13 articles sur Vico, dont le dernier article de sa carrière en 1956 : « Vico et l’idée de la Philologie » . Dans ce texte, Auerbach relève dans la pensée vichienne des enjeux qui résonnent de manière assez claire dans l’horizon de la pensée moderne : quand il attribue à Vico la saisie de « styles de cultures historiques68 », on ne peut s’empêcher de penser à Spengler, quand il parle de « formes symboliques » de l’expression, on voit avec Wellek, le discours figural de la Scienza Nuova se rapprocher du travail d’Ernst Cassirer69 ; quand Auerbach montre surtout dans le texte de Vico une histoire humaine soumise à des lois70, on comprend qu’il y voit un des fondateurs de l’anthropologie71. Il le dit d’ailleurs dans le texte introductif de 1924 : « Vico est indubitablement, même si seulement de manière souterraine, le fondateur de l’esthétique moderne et de l’anthropologie72 » - (et pour l’esthétique, il faut bien sûr penser à la médiation de Croce). Enfin, dans ce même texte, Auerbach souligne de manière originale la dimension structurale de ce chef d’œuvre de la pensée baroque :
Nous ne devons pas penser à Hobbes, Descartes, Grotius et Montesquieu, mais à Bach et Johann Balthasar Neumann [1687-1753, l’architecte de l’église de Vierzehnheiligen], Nous ne devons pas chercher les contemporains auxquels il correspond parmi les philosophes et les hommes de lettres, mais parmi les compositeurs et les architectes73.
Cette insistance sur la structure renvoie bien sûr à l’armature typologique de la Scienza Nuova, mais aussi à la proximité souterraine de Vico avec l’avènement de l’anthropologie structurale. Il y a ainsi, croyons-nous, une certaine logique à ce que le penseur de Figura soit aussi celui qui met au clair cette dimension majeure de l’héritage de Vico.
Du reste, si l’enregistrement de Dante comme « sociologue » de la part d’Augustin Renaudet demeure sans doute un peu marginal, la saisie de Vico comme anthropologue (ou sociologue), celle de Bonald comme sociologue, comme père de la sociologie (ou comme anthropologue) ont aussi derrière elles une histoire déjà assez longue.
L’article de José Guilherme Merquior : « Vico et Levi Strauss », dans les actes d’un colloque organisé lors du tricentenaire de la publication de la Scienza Nuova, en 1970, fait ainsi état d’une convergence assez large, et confirmant avec retard l’intuition d’Auerbach, quant à la saisie de la typologie vichienne comme une anticipation frappante des méthodes de l’anthropologie :
Parmi les questions suscitées par les études commémoratives du tricentenaire de la naissance de Giambattista Vico (1688-1741), le rapprochement entre quelques idées de la Scienza Nuova et le structuralisme de Cl. Lévi-Strauss est d’un grand intérêt. Dans le Symposium International organisé par Giorgio Tagliacozzo et Hayden V. White, ce thème a été abordé par le leader de l’école phénoménologique italienne, Enzo Paci, l’historien H. Stuart Hugues (Harvard), le « vichiologue » français Alain Pons, et surtout par Edmund Leach, dont on connaît le rôle d’introducteur de l’anthopologie structurale dans l’univers anglophone.
Tout en précisant qu’il s’agit d’une convergence et non d’une influence du philosophe napolitain sur l’auteur de La Pensée sauvage […] le professeur Leach met en relief un certain nombre de similitudes entre le texte baroque de La Scienza Nuova et les écrits de Lévi-Strauss74.
L’article de Merquior s’achève, après une longue analyse, par la mise en avant de six points de contact entre Vico et l’anthropologie structurale. Mais sans nous attarder trop, nous préférerions rappeler que Levi Strauss lui-même a manifesté une expérience de lecture approfondie75 de Vico Son article de 2012, « Corsi e ricorsi, dans le sillage de Vico » (2012) texte d’abord publié en italien en 2000 sous le titre « Il mondo visto da un amiba », peut prendre l’allure même d’un hommage à la pensée du Napolitain. Déployant le schéma vichien des corsi et ricorsi dans le champ de l’histoire naturelle, Levi Strauss conclut en rappelant :
Sans doute Vico restreignait sa théorie à l’histoire des sociétés humaines telle qu’elle se déroule au cours des temps. Mais au-delà des données empiriques, c’était surtout pour lui le moyen d’atteindre « una storia ideal eterna, sopra la quale corron in tempo le storie di tutte le nazioni » (La Scienza nuova seconda, paragraphe 349).
Quant à Bonald, rappelons qu’il est reconnu dès Durkheim76 comme un des pères de la sociologie. Certes, comme le note Erwan Moreau77, la place de Bonald a peut-être été minimisée dans les études sociologiques françaises, et l’auteur cite comme une exception notable le travail du chercheur américain R. Nisbet78. Mais c’est sans doute compter sans des appréciations bien plus anciennes comme celle d’Auguste Comte79, tout de même assez lié au champ pour être l’inventeur du terme « sociologie ». D’autre part, Bonald apparaît bien, à l’instar de Vico, mais en moindre mesure, comme un précurseur de l’anthropologie : citons ainsi Gérard Gengembre dans « Louis de Bonald et la France révolutionnée » (1976) : « Bonald réalise la fusion d'une apologétique et d'une anthropologie80 ». Stéphane Zékian, plus récemment, est revenu sur ce rôle de Bonald dans « la science de l’homme »81.
Nous entendons seulement suggérer, à travers cette rapide recension, que la postérité de Vico, ou de Bonald, voire, par la médiation de ces penseurs, la filiation moderne de la lecture figurale de la Bible engagée par les Pères de l’Église, est donc bien à chercher du côté de l’anthropologie structurale, ou pourquoi pas, figurale.
Mais nous voudrions surtout rappeler pour finir la très belle intuition d’Auerbach à propos de Vico dans son ultime article de 1956 : comme il évoque dans la philologie moderne cet effort qui nous restitue la conscience, une dernière fois, de l’unité de la culture européenne, tant qu’elle demeure encore perceptible, il invite à considérer cette culture tout entière, selon le mot de Vico « comme un poème sérieux82 ». C’est ainsi l’ensemble des éléments structuraux de cette culture, c’est la valeur figurale de ses étapes, de ses héros, de ses maîtres, qui construit en effet un poème dans lequel Dante, Vico, Bonald, mais aussi bien Auerbach lui-même, ont leur part et qui appelle sans doute, s’il n’est pas trop tard, un déchiffrement ambitieux.
Notes
Theodor Haecker, Virgile, père de l’Occident (1931), trad. Cl. Martigny, Ad solem, 2007, p. 83-84.
Erich Auerbach, Figura. La Loi juive et la Promesse chrétienne, [1938] trad. Diane Meur, Macula, Paris, 2003, p. 69.
Dante, Convivio, IV, iv, § 10 (Opere minori, Florence, Barbera, 1862, p. 258. Nous traduisons : « ce peuple saint dans lequel le haut sang troyen s’était mêlé, c’est-à-dire Rome, Dieu a élu celui-ci pour cet office ».
Ibid. Nous traduisons : « Et à cela s’accorde Virgile au livre premier de l’Énéide quand il dit, parlant en la personne de Dieu : À ceux-là – c’est-à-dire les Romains – je ne mets aucun terme de choses ni de temps, à eux je donne un empire sans fin. »
Idem, Monarchia, Opere minori, Florence Mazzoni, 1839, vol. 3, p. 73. Nous traduisons : « Les Anciens confirment cela et en témoignent ; parce que le divin poète Virgile dans toute l’Énéide manifeste que le très glorieux roi Énée fut père du peuple romain ; et de cela témoigne Tite Live dans le premier livre qui prend son commencement de la captivité de Troie. »
Ibid. Nous traduisons : « Car celui qui est mené à sa perfection par l’aide des miracles l’est par la volonté de Dieu. »
Augustin Renaudet « Dante humaniste », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1952, 1, p. 87-88.
Giambattista Vico, Principi di Scienza Nuova, [1744] III, i, 1, éd. F. Nicolini, Mondadori, 1992, p. 373 : « come nella rirtornata barbaria d’Italia – nel fin della quale provenne Dante, il Toscano Omero... ». Voir aussi : III, v, § 7, p. 385 : « E Dante somiglió in questo l’Omero dall’Illiade… ».
Id., Jules Michelet, Principes de la philosophie de l’histoire ; traduits de la Scienza nuova de J. B. Vico et précédés d’un Discours sur le système et la vie de l’auteur, Paris, J. Renouard, 1827, p. 375.
Texte de la première version de la Science Nouvelle (1725), La Scienza Nuova Prima… ed. F. Nicolini, Laterza, Bari, 1931, I, 7, p. 20.
Idem, De Constantia iurisprudentis, De la Constance du droit, trad. A. Henry et C. Henri, Café Clima, XII, xxvii, op. cit. p. 276.
Id. Scienza nuova, op. cit., lib. I, sezione II, XXI, § 160, op. cit. p. 85 (« Ceci devait être la cause par laquelle les Romains furent les héros du monde »).
Arnaldo Momigliano, « La Nuova Storia Romana di G. B. Vico », p. 773-790, p. 789, Rivista Storica Italiana, Anno LXXVII, Fasc. IV, Edizioni Scientifiche Italiane, Naples, 1955. Nous traduisons : « l’histoire qui vit dans l’imagination de Vico, stimule sa capacité de reconstructeur d’époques primitives, l’introduit enfin à la poésie homérique, c’est l’histoire romaine ».
Benedetto Croce La Filosofia di Vico, Bari, Gius. Laterza & Figli, 1911, p. 125 (nous traduisons). On consultera aussi avec profit : P. Piovani, « Il debito di Vico verso Roma », dans Studi romani, 17, 1969, p. 1-17.
Comme le résume Patricia Gwozdz (« Presence we live by : Rethinking the Eternal Return and Time Lapses between Now and Then from Vico to Arendt » On-Culture n°15, « Present Futures », 2023, https://doi.org/10.22029/oc.2023.1356 ) : « Auerbach revives theological thinking to remind us that the process ofsecularization does not erase providence but forces us to rethink the conjunction ofpast and future events as birth of one presence divided in two realities simultaneouslyconnected by the subject ».
Passage cité et commenté par R. Wellek, « Auerbach and Vico », Lettere italiane, oct-dec 1978, vol. 30 n° 4, Leo Olchski, p. 457-469, p. 460.
C’est Momigliano (art.cit., p. 775) qui se réapproprie l’expression créée par G. Toffannin, en 1943, à propos du Duecento : « Il secolo XVIII è il vero secolo senza Roma della cultura italiana. »
Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne (1680-1715), Paris, Fayard, 1961, en part. I, 1, p. 43, p52.
Louis de Bonald, La Législation Primitive considérée dans les derniers temps par les seules lumières de la raison, suivie de Divers traités et discours politiques, (1802) « Discours préliminaire », in Œuvres de M. de Bonald, Le Clere, Paris, 1857, p. 108 : « Le livre des Ruines doit-il être l’unique fondement de toutes nos connaissances morales ? ».
« Qu’on me montre des sociétés aussi fortes en tout genre que la judaïque et la chrétienne, et je croirai à la divinité de leur législation. Sera-ce le Chinois, le plus nombreux et le plus faible des peuples…. » (p. 101-102).
Joseph de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1822), Paris, Editions du Trident, 1986, p. 229.
Joseph de Maistre, Considérations sur la grandeur de la France, (1796), chap. X, p. 101, n.9, Rusand, Paris, 1829. [pour le passage de Vico : II, iv, 2, Scienza Nuova, op. cit., p. 247].
Alain Pons, « Vico et la pensée française », Les Études philosophiques, n° 3/4 « Giambattista Vico (1668-1744), Une Philosophie non cartésienne » Juillet-décembre 1968, p. 361-383, respectivement p. 363, 365, 371.
Mouza Raskolnikof, « Vico, l’histoire romaine et les érudits français des Lumières », Mélanges de l’histoire française de Rome, 1984, 96-2, p. 1051-1077, p. 1068 (citant Du Bignion, les Considérations sur l’origine et les révolutions du gouvernement des Romains, 1778, p. 96, 98, 337).
Après tout le choc de la Révolution est puissant et récent dans l’horizon de pensée du philosophe. L’une des occurrences du terme « figuratif » dans le texte de La Législation Primitive le manifeste très vivement. Dans ce passage sur le sacrifice, p. 226, rappelant les équilibres mystérieux coutumiers à De Maistre, Bonald replace cette pratique dans l’histoire religieuse et sociale de l’humanité : le sacrifice de l’homme, réel chez les païens et dans le christianisme (où il est réel mais mystique) n’est que figuré chez les juifs (par la mise à mort rituelle d’un animal). Mais Bonald note la réapparition du sacrifice humain en France en 1793 « à l’instant que le sacrifice mystique du christianisme a été aboli », sous forme d’« immolations à la déesse de la liberté ».
Bonald donnerait-il une image si ambivalente, si sévère, de Louis XVI ? Célébrerait-il ainsi le Concordat, surtout dans un volume qui commence par une critique appuyée du Code civil (p. 26 sqq) ?
Walter Benjamin, « Zu Theodor Haeckers Vergil » Die literarische Welt, February 1932. Gesammelte Schriften, III, p. 314-322. Sur les enjeux de cette recension voir Helena M. Tomko, « Word Creatures: Theodor Haecker and Walter Benjamin between Geschwätz and Pure Language in the Late Weimar Republic », New German Critique (2018) 45 (1 (133)) : p. 23–47, https://doi.org/10.1215/0094033X-4269838.
Alfred Rosenberg se réfère au modèle « aryen » de Marcion dans Le Mythe du XXe siècle (1930), Avallon, Paris, 1986, p. 71. Le livre est, entre autres pour cela, mis à l’Index par l’Église catholique en 1934.
A. Zakai, D. Weinstein, « Erich Auerbach and His Figura: An Apology for the Old Testament in an Age of Aryan Philology », Religions 2012/3, p. 320-338.
Erich Auerbach, « Vico et la pensée de la philologie », trad. R. Khan, Po&sie, (https : po-et-sie.fr) p. 83-94, p. 85 : « Et par sa présentation de l’unité des cultures primitives, Vico réalise de manière absolument grandiose,ce que la critique moderne appelle le style : l’unité de toutes les productions de chaque époque historique ».
Petite digression : styles historiques de culture, formes symboliques, histoire humaine soumise à des lois ; autant de termes qui peuvent renvoyer aussi à la construction de l’Anabase (1924) de Saint John Perse, ce poème figural dans lequel la geste d’un conquérant est en même temps celle d’Alexandre ou de Gengis Khan, celle d’Énée ou d’Abraham, parcourant les étapes d’une sorte de storia tipica à dimension épique. Toute une époque – et pas seulement l’Allemagne d’Auerbach, d’Haecker, sinon de Spengler – a vécu dans le désir de dépasser les schèmes progressistes et décevants d’un hégélianisme fatigué.
José Guilherme Merquior, « Vico et Levi Strauss, Note à propos d’un symposium », L’Homme, 1970, 10-2, p. 81-93.
cf BNF : Cote : NAF 28150 (121a), « Notes sur Vico et notes diverses » 9 f., dont une lettre (photocopiée) à Paul Rivet, directeur du Musé de l’Homme, décédé en 1957.
Sur la continuité Bonald-Durkheim voir Robert Nisbet, « De Bonald and the Concept of the Social group », Journal of the History of Ideas, vol. V, 3, 1944, p. 315-331 p. 322.
Erwan Moreau, « À propos de Louis de Bonald et de la sociologie, in Sociétés 2020/4 n° 150, p. 139-150).
Robert Nisbet, « De Bonald and the Concept of Social Group », Journal of the History of Ideas, n° 5, 1944, III, p. 315-331 ; « Conservatism and Sociology », The American Journal of Sociology, n° 28, 1952, II, p. 167-175 ; La tradition sociologique (1966), PUF, Paris, 1984.
Selon Jean-Yves Pranchère, « la plupart des études consacrées à l’œuvre de Bonald soulignent qu’il n’y a rien d’anachronique à décrire celle-ci comme l’élaboration d’une véritable sociologie avant la lettre ; c’est d’ailleurs à ce titre qu’Auguste Comte, qui a imposé le mot de « sociologie », a déclaré son admiration pour Bonald. [...] Sa thèse est que « la société est un être » (1796, I, p. 40) et qu’elle a donc ses lois qui justifient qu’elle fasse l’objet d’une science spécifique, la « science de la société » (1800, p. 33, 130, 157) » (J. Y. Pranchère, « Totalité sociale et hiérarchie. La sociologie théologique de Louis de Bonald », Revue européenne des sciences sociales, nos 49-2, 2011, p. 145-167.
Gérard Gengembre, « Louis de Bonald et la France révolutionnée », Romantisme, n° 12, 1976, p. 77-84, p. 79 (à propos du caractère social du catholicisme et de son lien avec « l’homme social »).
Stéphane Zékian, « Les enjeux littéraires de la science de l'homme : Bonald et Cabanis dans la « guerre des sciences et des lettres » in Yves Citton et Lise Dumazy, Le Moment idéologique, Littératures et Sciences de l’Homme, chap. 2, ENS Édition, Lyon, Mars 2013, p 47-67.
Erich Auerbach, « Vico et la pensée de la philologie », art. cit., p. 84 : « Il me semble qu’est maintenant venu le moment où il est nécessaire de cerner cette unité historique, en raison de sa survie et de la conscience vivante qu’on en a encore. Travailler dans cette optique, au moins pour ce qui est l’objet de la philologie […] a toujours été mon intention […]. En fait, je crois que pour cette tâche apparemment bien trop vaste et donc impossible à accomplir de manière sérieuse on peut trouver une méthode comparativement simple […] : sélectionner des questions précises, très exactement délimitées et accessibles, les développer et les combiner de telle sorte qu’elles fonctionnent comme des problèmes-clés et ouvrent le Tout. […] Le Tout serait alors à former de façon à ce qu’il agisse comme une unité dialectique, comme un drame, ou, comme l’a dit un jour Vico, comme un poème sérieux. »
Figures et images. De la figura antique aux théories contemporaines ?
1|2024 - sous la direction de Benoît Tane
Figures et images. De la figura antique aux théories contemporaines ?
Présentation du numéro
Figures et figuration. Le modèle exégétique
Le « peuple figuratif », entre lecture figurale et anthropologie structurale
La figure de Moïse comme grand homme chez Pétrarque
Les amours de Pyrame et Thisbé et le divin
Représentation visuelle, représentation textuelle
La figure de la licorne
Fonction de l’image dans les descriptions jésuites de la Chine et des Indes orientales
Marqué d’une croix : l’espace de la figure dans la poésie de Jørn H. Sværen
L’épopée figurale des corps dans Tombeau pour cinq cent mille soldats et Éden, Éden, Éden de Pierre Guyotat