Selon l’évangile de Jean, les deux événements se suivent : le repas de la dernière Cène fait normalement suite au lavement des pieds des apôtres par Jésus. Mais le repas n’est pas décrit, seulement suggéré, alors que dans les trois évangiles de Marc, Matthieu et Luc, c’est la Cène qui est décrite avec précision, alors que le Lavement des pieds est ignoré. Le Tintoret a représenté une dizaine de fois la Cène et six fois le Lavement des pieds.
Alors que les évangiles décrivent la cène de différentes façons, le récit par Jean du Lavement des pieds laisse peu de place à l’imagination du peintre : Jésus, portant un tablier de serviteur, lave les pieds de Pierre qui proteste devant tant d’humilité. Mais Le Tintoret fait de cette représentation stéréotypée un simple élément dans un décor souvent fermé et sombre (à l'exception de la toile du Prado, où l’immensité de l’espace devient elle-même le sujet). Le peintre introduit des scènes secondaires, avec des apôtres qui se préparent pour le lavement, ou au contraire se rhabillent après lui. Le peintre donne une certaine importance à Jean car, pour lui, l’apôtre étant le rédacteur de l'épisode, il doit également en être le témoin, aux côtés de Jésus qu’il aide, ou tenant un flambeau qui permet de voir la scène… Mais surtout Le Tintoret annonce toujours, dans le Lavement des pieds, la Cène qui va suivre (sauf dans le Lavement des pieds de Santo Stefano) : il dispose sur sa toile une table, avec une belle nappe blanche, parfois quelques pains, des serviteurs qui préparent le repas...
Pour la Cène, qui fait l'objet de plusieurs récits circonstanciés, les choix de composition sont plus grands mais le Tintoret les restreint : il ne représente jamais Judas partageant son pain avec Jésus, comme cela est dit chez Marc et Matthieu ; il représente soit l’action de grâce (les mots pour bénir le pain), soit le partage et la distribution du pain. La représentation de la Cène commémore en effet ce discours et ce partage : c'est le sens de l'Eucharistie qui est célébrée au cours de la messe (catholique) ou du culte (protestant). L'élément visuel sans doute le plus important de la cène est la longue table nappée de blanc autour de laquelle les apôtres sont assis. Le Tintoret la représente soit perpendiculairement au spectateur (c'est la disposition traditionnelle, voir la version de San Marcuola), soit en biais, pour produire un effet de profondeur (San Giorgio Maggiore). Le lieu de la scène semble parfois être une taverne (San Simeone Grande), parfois la salle à manger d'une vaste demeure patricienne (San Polo), parfois le parvis, les marches d'une église (Santo Stefano). Surtout il ouvre la Cène à des témoins, des serviteurs, des donateurs peut-être, des images symboliques de la Charité, mais aussi des contemporains du peintre.
Cette présence de témoins, seize siècles après l’événement, ne choque pas, car la composition, très théâtrale, est pensée comme une représentation devant des spectateurs. Ce sont un homme qui regarde le pain se partager (Cène de San Polo), un jeune garçon à gauche qui médite devant la Cène un peu folle de San Trovaso, l’ecclésiastique en dialogue avec saint Marc du Lavement des pieds de Grenoble, le guide qui explique la passion (Lavement des pieds de San Moisè). C’est dans les représentations du Lavement des pieds que le peintre utilise un tableau dans le tableau, qui donne tout son sens spirituel à la scène : image de la Cène dans le Lavement des pieds du Prado, de Gethsémani dans celui de San Moisè.
Le lavement des pieds
Version de Grenoble (1539)Version de Toronto (1545-1555)Version du Prado (1548-1549)Version de la National Gallery de Londres (1575-1580)Version de Santo Stefano (1590-1594)Version de San Moisè (1590-1592)
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La dernière Cène
Version de San Marcuola (1547)Version de San Simeone grande (1548-1553)Version de Saint-François-Xavier (1559)Version de San Trovaso (1566)Version de Santo Stefano (1570)Version de San Polo (1574-1575)Version de San Rocco (1579-1581)Version de Saint-Martin de Lucques (1592-1594)Version de San Giorgio Maggiore (1593)
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