L'horreur et la force
L’Essai sur les mœurs de Voltaire peut se lire comme une immense compilation des catastrophes qui se sont abattues sur l’humanité : invasions, croisades, guerres de religion, tous les épisodes de l’histoire universelle semblent se ramener à un mécanisme commun, auquel Voltaire revient sans cesse, qu’il ressasse et affine, où philosophie de l’histoire1 et pratique d’écriture se trouvent conjoints. Nous nous proposons ici de dégager les caractéristiques de ce mécanisme, par lequel la fameuse ironie voltairienne vient épouser la structure même de la catastrophe et fait émerger un dispositif fictionnel qui tient lieu de philosophie de l’histoire.
La catastrophe comme origine
Le mot même de catastrophe n’apparaît quasiment jamais dans l’Essai sur les mœurs ; catastrophe est un terme de poétique dans la langue classique, qui désigne avant tout le dénouement tragique d’une intrigue théâtrale : catastrophe suppose une scène, un lieu et des personnages déterminés ; catastrophe, surtout, assigne un terme, fixe une limite, une fin. Ce qui fait l’objet de l’Essai sur les mœurs, c’est exactement l’inverse : une force aveugle, une horreur absurde, sans origine et sans fin, une sorte d’effondrement vague et indéfini à partir duquel au contraire tout commence, de nouvelles institutions, des gouvernements, des despotismes, des fanatismes.
Cata-strophe : ce qui se retourne à la fin. Voltaire lui préfère son équivalent latin, révolution. La révolution est d’abord un phénomène naturel2 ; elle se manifeste, dans l’Introduction de 1765, comme « changements dans le globe » :
« Il se peut que notre monde ait subi autant de changements que les États ont éprouvé de révolutions. Il paraît prouvé que la mer a couvert des terrains immenses, chargés aujourd’hui de grandes villes et de riches moissons. Il n’y a point de rivage que le temps n’ait éloigné ou rapproché de la mer. » (P. 33.)
Le point de départ de l’Essai sur les mœurs est un non-lieu, une scène instable, changeante, un retournement de terre, une révolution géologique qui précède les révolutions politiques de l’Histoire humaine. « La nature rend partout témoignage de ces révolutions » (p. 4) ; « nous avons assez de preuves des grandes révolutions du globe » (p. 5) ; « La plus grande de toutes les révolutions serait la perte de la terre atlantique, s’il était vrai que cette partie du monde eût existé. » (Ibid.)
Il ne s’agit pas ici d’appuyer un mécanisme historique sur un mécanisme naturel, de proposer une physique historique : ce que les révolutions naturelles du globe laissent entrevoir, c’est une Atlantide disparue qui n’a probablement jamais existé. Au commencement est un gouffre, un vide pour le langage et pour l’esprit, une scène effondrée dans l’océan. La révolution pose ce non-lieu préalable ; elle y engouffre mythes, fables et discours de l’origine. L’origine est un gouffre : le travail de l’historien va consister à exhiber cette catastrophe originaire, sur laquelle reposent toutes les institutions, tous les pouvoirs, toutes les religions.
« Mais voici ce qui arriva chez presque toutes les nations, après les révolutions de plusieurs siècles. Un homme qui avait fait de grandes choses, qui avait rendu des services au genre humain, ne pouvait être, à la vérité, regardé comme un dieu par ceux qui l’avaient vu trembler de la fièvre, et aller à la garde-robe ; mais les enthousiastes se persuadèrent qu’ayant des qualités éminentes, il les tenait d’un dieu ; qu’il était fils d’un dieu. » (P. 17.)
Les révolutions des siècles établissent comme vérités sublimes les fables les plus absurdes : la révolution n’est pas ici seulement l’écoulement du temps ; elle figure un mécanisme de renversement. La fièvre et la garde-robe deviennent des qualités divines ; la misère de l’humanité la plus triviale se retourne en mystère, en vérité d’adoration.
Dans l’histoire, la révolution réitère l’abîme des origines. La Grèce garde en son sol les témoignages des « révolutions physiques qu’elle a dû éprouver » (p. 84). « Ces grandes révolutions replongèrent [les Grecs] dans la barbarie, quand les nations de l’Asie et de l’Égypte étaient florissantes » (p. 85). Cataclysme naturel ou invasions barbare, c’est tout un : l’histoire remet sans prévenir les compteurs à zéro, anéantissant les efforts de l’humanité pour sortir du chaos originel. Le miracle grec a fleuri après de sinistres révolutions ; de la même façon, la révolution guette l’Angleterre qui sort péniblement de la barbarie :
« Les rois d’Angleterre, depuis saint Édouard jusqu’au roi Guillaume III, firent journellement un grand miracle, celui de guérir les écrouelles, qu’aucun médecin ne pouvait guérir. Mais Guillaume III ne voulut point faire de miracles, et ses successeurs s’en sont abstenus comme lui. Si l’Angleterre éprouve jamais quelque grande révolution qui la replonge dans l’ignorance, alors elle aura des miracles tous les jours. » (P. 119.)
Le trait ironique consiste ici à conjoindre effondrement du réel (« quelque grande révolution qui la replonge dans l’ignorance ») et prolifération du symbolique (« elle aura des miracles tous les jours »). La plongée dans la catastrophe déclenche la croyance superstitieuse et accrédite la puissance thaumaturgique des rois. La catastrophe produit du symbolique ; la plongée dans l’abîme des révolutions met en œuvre une force, cette force même, fascinante et absurde, sur laquelle reposent toutes les institutions4.
L’horreur de la catastrophe ouvre un espace d’incompréhensibilité dans lequel se produit le pas-de-sens5 de l’ironie voltairienne, qui institue paradoxalement les pouvoirs et les légitimités : l’ironie est le revers des institutions qu’elle vise ; mais elle puise au même non-lieu originaire, à la même révolution.
« Mille révolutions locales ont certainement changé une partie du globe dans le physique et dans le moral, mais nous ne les connaissons pas ; et les hommes se sont avisés si tard d’écrire l’histoire que le genre humain, tout ancien qu’il est, paraît nouveau pour nous. » (P. 203.)
Il ne s’agira pas, avec l’Essai sur les mœurs, d’apporter des connaissances positives nouvelles pour éclairer ces zones de l’Histoire que nous ne connaissons pas. L’entreprise voltairienne est avant tout critique : elle pointe ces méconnaissances, ces zones d’ombre, et plus généralement elle désigne les « mille révolutions » comme le point de départ abyssal de toute écriture de l’histoire.
La catastrophe comme moteur de l’Histoire
« Les cirques, les amphithéâtres élevés dans toutes les provinces sont changés en masures couvertes de pailles. Ces grands chemins si beaux, si solides, établis du pied du Capitole jusqu’au mont Taurus, sont couverts d’eaux croupissantes. La même révolution se fait dans les esprits ; et Grégoire de Tours, le moine de Saint-Gall Frédegaire sont nos Polybe et nos Tite-Live. L’entendement humain s’abrutit dans les superstitions les plus lâches et les plus insensées. […] L’Europe entière croupit dans cet avilissement jusqu’au XVIe siècle, et n’en sort que par des convulsions terribles. » (P. 310.)
La révolution désigne ici à la fois l’effondrement physique, architectural, de l’empire romain et la déchéance de l’esprit, qui tombe des modèles grecs et romains de l’historiographie antique dans les balbutiements les plus infantiles et ridicules des chroniques médiévales. Mais ces balbutiements sont l’origine de notre Histoire ; notre modernité s’y fonde et s’y institue : la révolution est un retournement ; une antiquité, un modèle s’y effondrent ; la barbarie, les horreurs absurdes y voient germer un ordre, une forme nouvelle.
Mais Voltaire n’annonce pas un âge d’or de la Renaissance depuis les temps obscurs du moyen âge : aux révolutions de la barbarie féodale, il superpose les convulsions des guerres de religion. Le retournement révolutionnaire ne procède pas d’un optimisme historique6 : l’effondrement menace l’homme de mort ; la refondation l’écrase de sa barbarie. La force que met en évidence l’historien n’a rien à voir avec les Lumières de l’esprit. Force de vie brutale et barbare, elle ne déclenche l’esprit que prise à revers, par cette révolution dans la révolution qu’est le mot d’esprit.
« La Force, qui a tout fait dans ce monde, avait donné l’Italie et les Gaules aux Romains : les barbares usurpèrent leurs conquêtes ; le père de Charlemagne usurpa les Gaules sur les rois francs ; les gouverneurs, sous la race de Charlemagne, usurpèrent tout ce qu’ils purent. Les rois lombards avaient déjà établi des fiefs en Italie ; ce fut le modèle sur lequel se réglèrent les ducs et les comtes dès le temps de Charles le Chauve. Peu à peu leurs gouvernements devinrent des patrimoines. » (P. 425.)
« L’origine de ce gouvernement féodal », dont Voltaire entend au chapitre XXXIII poser les règles et le système, est une série de coups de force : le coup de force est, dans l’histoire, ce qui émerge de la catastrophe et établit, par usurpations successives, les nouvelles légitimités. Même constat lorsqu’il s’agit de décrire l’élection d’Hugues Capet contre le duc Charles au trône de France :
« Ce ne fut point un parlement de la nation qui le priva [=Charles] du droit de ses ancêtres, comme l’ont dit tant d’historiens, ce fut ce qui fait et défait les rois, la force aidée de la prudence. » (P. 447.)
L’origine de la dynastie capétienne est un coup de force : pointer cette force, c’est faire la critique de l’Histoire, dénoncer sa fonction de légitimation institutionnelle. La force est un défi pour l’art et pour la culture7, comme le montre la formation du « nouvel empire » de Gengis Kan, sur les « débris du califat » de Bagdad (chap. LX) :
« Si on compare ces vastes et soudaines déprédations avec ce qui se passe de nos jours dans notre Europe, on verra une énorme différence. Nos capitaines, qui entendent l’art de la guerre infiniment mieux que les Gengis et tant d’autres conquérants ; nos armées, dont un détachement aurait dissipé avec quelques canons toutes ces hordes de Huns, d’Alains et de Scythes, peuvent à peine aujourd’hui prendre quelques villes dans leurs expéditions les plus brillantes. C’est qu’alors il n’y avait nul art, et que la force décidait du sort du monde. » (P. 64.)
L’art immobilise l’Histoire. La civilisation, la culture amortissent les chocs de la force, et préparent l’effondrement des institutions qui les ont produites. Les révolutions, de catastrophes planétaires qui engloutissent des peuples entiers dans les invasions, l’anarchie et le brigandage, deviennent alors révolutions de palais dans lesquelles les formes de l’état, la tradition des institutions, en se maintenant, s’épuisent, vieillissent et préparent un renversement plus grand. Ainsi des rites impériaux chinois :
« Cette coutume s’est soutenue pendant quarante siècles, au milieu même des révolutions et des plus horribles calamités. » (P. 69.)
De même pour la religion de Zoroastre :
Cette théologie des mages fut respectée dans l’Orient sous tous les gouvernements ; et au milieu de toutes les révolutions, l’ancienne religion s’était toujours soutenue en Perse » (p. 253).
Mais les Chinois sont tombés sous la domination des Tartares de Gengis Khan, puis des « Tartares mantchoux » (II, 787). Quant à l’« ancienne religion des mages », elle ne subsiste, à l’instar de celle des Juifs (c’est Voltaire qui parle), que comme reliquat méprisé et ignorant d’une civilisation perdue (p. 263). Même constat pour Constantinople, théâtre de révolutions incessantes :
« Malgré tant de désastres, Constantinople fut encore longtemps la ville chrétienne la plus opulente, la plus peuplée, la plus recommandable par les arts.
[…] Toutes ces révolutions subites du palais, les crimes de tant d’empereurs égorgés les uns par les autres, sont des orages qui ne tombent guère sur des hommes cachés qui cultivent en paix des professions qu’on n’envie point.
[…] Les horribles révolutions qu’on vient de voir effrayent et dégoûtent ; cependant il faut convenir que depuis Constantin surnommé le Grand, l’empire de Constantinople n’avait guère été autrement gouverné ; et si vous en exceptez Julien et deux ou trois autres, quel empereur ne souilla pas le trône d’abominations et de crimes ? » (P. 409.)
Ici, la révolution n’est ni un gouffre, ni le non-lieu d’une méconnaissance originelle. Constantinople est un théâtre sanglant, un point de mire offert aux concupiscences avides du monde. « Les arts mécaniques et les beaux-arts », poussés au dernier degré de l’opulence et du raffinement, attirent la catastrophe. On distinguera cependant la scène des révolutions continuelles, dans laquelle la Ville se maintient égale à elle-même au cours des siècles, de la révolution ultime qui marque, en 1452, la catastrophe théâtrale de sa chute. Le récit de cette catastrophe historique est annoncé au chapitre XCI, intitulé « De la prise de Constantinople par les Turcs » : le lecteur sera pourtant déçu. Fidèle au dispositif de réversion critique qu’il a adopté pour l’ensemble de l’Essai sur les mœurs, Voltaire déconstruit le récit dramatique forgé par les historiens et défait la scène de l’histoire avec ses effets théâtraux, dont il dénonce les préjugés et les visées apologétiques chrétiennes. Tout d’abord, il n’y avait pas un mais « trois empires d’Orient », à Constantinople, à Andrinople et à Trébizonde (p. 816) : la scène éclate ainsi en trois lieux, disséminant le récit. Ensuite, Mahomet II, le maître d’œuvre de la chute de Byzance, fait l’objet d’un anti-portrait :
« Les moines ont peint ce Mahomet comme un barbare insensé, qui tantôt coupait la tête à sa prétendue maîtresse Irène pour apaiser les murmures des janissaires, tantôt faisait ouvrir le ventre à quatorze de ses pages pour voir qui d’entre eux avait mangé un melon. On trouve encore ces histoires absurdes dans nos dictionnaires, qui ont été longtemps, pour la plus part, des archives alphabétiques du mensonge. » (P. 817.)
Ce qui fait tableau est répudié comme fable absurde : Irène décapitée, les pages éventrés, sont juxtaposés à la misère d’un enjeu ridicule, apaiser un murmure8, retrouver un quartier de melon. Horrible et absurde, la scène invraisemblable implose sous nos yeux ; l’efficacité visuelle d’un des moments les plus importants de l’histoire est retournée contre elle-même, réduite à l’inanité rhétorique d’une textualité aussi pure que vaine : le dictionnaire ou, autrement dit, les « archives alphabétiques du mensonge ».
Tout le récit s’orientera dès lors vers la clémence de Mahomet II et sa volonté de préserver une ville qu’il « regardait déjà comme son bien qu’il ménageait » (p. 821). L’horreur de la catastrophe est en quelque sorte alors détournée de la disparition du joyau du christianisme vers l’absurdité des récits de Chalcondyle9 et de Ducas10, l’objet de l’indignation voltairienne :
« Est-on plus touché de pitié que saisi d’indignation lorsqu’on lit dans Ducas que le sultan “envoya l’ordre dans le camp d’allumer partout des feux, ce qui fut fait avec ce cri impie qui est le signe particulier de leur superstition détestable ? Ce cri impie est le nom de Dieu, Allah, que les mahométans invoquent dans tous les combats. La superstition détestable était, chez les Grecs qui se réfugièrent dans Sainte-Sophie, sur la foi d’une prédiction qui les assurait qu’un ange descendrait dans l’église pour les défendre.
On tua quelques Grecs dans le parvis, on fit le reste esclave ; et Mahomet n’alla remercier Dieu dans cette église qu’après l’avoir lavée avec de l’eau de rose. » (P. 821.)
Le récit voltairien désamorce l’effet théâtral de la catastrophe, qui n’est vue qu’au second degré, comme déformation éhontée des faits par la chronique de Ducas. Encore une fois, l’effet visuel est annihilé par le face à face des deux images, le cri impie des Turcs, d’une part, qui n’est que l’invocation de Dieu, l’enfermement des Grecs dans Sainte-Sophie d’autre part, que motive une superstition aussi détestable que ridicule. La scène de la Chute implose dans ce face à face indigné, d’où plus rien ne subsiste à voir : ni camp, ni feux, ni cri à l’extérieur, tout étant douteux ; aucun miracle dans l’église, bien sûr, tout n’étant pour le coup que trop certain. Le massacre des Grecs glisse hors du champ de la représentation : « On tua quelques Grecs dans le parvis » ; et alors ? il n’y a pas de quoi indigner Voltaire. Quant à l’église, c’est légitimement que Mahomet II la purifie avec de l’eau de rose, souillée qu’elle était par tant de bassesses et de superstitions. L’église focalise l’indignation ; mais une église vide. Scène de la catastrophe, elle demeure une scène invisible, aussitôt lavée.
La construction du récit voltairien ne doit pas cependant être vue simplement comme un nouveau détournement idéologique des faits. Renverser le récit des chroniques, c’est désamorcer la théâtralisation des faits et ressaisir, par là, de façon critique, l’émergence brutale, fondatrice, du réel dans la catastrophe. Défaire la scène permet de saisir le mécanisme même de l’histoire, ce système des révolutions qui retourne les effondrements en fondations.
« L’empire de Rome en Occident était anéanti. Un déluge de barbares, Goths, Hérules, Huns, Vandales, Francs, inondait l’Europe, quand Mahomet jetait, dans les déserts de l’Arabie, les fondements de la religion et de la puissance musulmane. » (P. 254.)
L’inondation barbare (dont la métaphore omniprésente se prolonge et se renverse en inondation des croisades) est juxtaposée à la naissance de l’Islam, la destruction romaine à l’émergence d’une nouvelle loi, née certes d’un coup de force (voir le chap. VI), mais, selon Voltaire, plus tolérante, moins superstitieuse qu’une autre.
Le face à face, au moment de l’effondrement de Rome, peut être traité autrement, entre Byzance et Ravenne par exemple. Étienne II est alors pape à Ravenne (752-757), en butte à la domination lombarde, et Constantin V Copronyme exerce un simulacre de règne à Constantinople (741-775) :
« Ce misérable empereur envoya pour tout secours un officier du palais11, avec une lettre pour le roi lombard. C’est cette faiblesse des empereurs grecs qui fut l’origine du nouvel empire d’Occident et de la grandeur pontificale. » (P. 309.)
Audacieux raccourci ! Alors qu’une simple lettre au lieu de troupes ou de subsides semble réduire le pape aux dernières extrémités face à Astolfe, l’envahisseur lombard, la mise en perspective historique montre que c’est la faiblesse même de l’empire d’Orient qui a permis l’émancipation et le développement de la puissance temporelle de l’Église. La catastrophe immédiate prépare la fondation des lois, des pouvoirs et des légitimités nouvelles.
Le non lieu de la catastrophe
Voltaire reviendra à plusieurs reprises sur ce paradoxe originel de la grandeur pontificale. Ainsi à propos de Jean VIII, à la fin du IXe siècle :
« Cependant ce pontife, tributaire des musulmans, et prisonnier dans Rome, s’échappe, s’embarque et passe en France. Il vient sacrer empereur Louis le Bègue, dans la ville de Troyes, à l’exemple de Léon III, d’Adrien, et d’Étienne III, persécutés chez eux, et donnant ailleurs des couronnes. » (P. 38312.)
Il y a un pas-de-sens de la puissance : le symbolique est fabriqué à partir de rien. Ce rien est la condition de possibilité, que la catastrophe seule, ménageant un vide, une vacance institutionnelle, rend possible13. Pour Jean VIII, Rome est ce non lieu de la révolution, espace invisible où l’empire s’effondre et où pourtant la puissance des papes assoit sa légitimité. Le pape fuit Rome pour distribuer au nom de Rome des couronnes. De la même façon, Mahomet II investit Sainte-Sophie pour y célébrer un Te Deum, mais dans une église qui n’en est plus une, dont il récupère le prestige symbolique mais abolit l’identité institutionnelle.
Autre lieu dont Voltaire fait le non lieu catastrophique où l’horreur et la force se retournent l’une dans l’autre, Jérusalem s’effondre pour voir naître la puissance de Saladin :
« Un tremblement de terre, plus étendu que celui qui s’est fait sentir en 1755, renversa la plupart des villes de Syrie et de ce petit État de Jérusalem ; la terre engloutit en cent endroits les animaux et les hommes. On prêcha aux Turcs que Dieu punissait les chrétiens, on prêcha aux chrétiens que Dieu se déclarait contre les Turcs, et on continua de se battre sur les débris de la Syrie.
Au milieu de tant de ruines s’élevait le grand Salaheddin, qu’on nommait en Europe Saladin. » (P. 575.)
On veut bien que le tremblement de terre de 1182 ait démoli des villes entières. Mais qu’est-ce que cet engloutissement des animaux et des hommes ? Nourri par le merveilleux de la fable historique, l’imaginaire voltairien entre à son tour en travail : l’engloutissement précède nécessairement la fondation ; la catastrophe originaire doit faire de la scène de l’Histoire un abyme, un gouffre14. Saladin n’est pas à Jérusalem quand le tremblement de terre s’y produit ; il n’y a aucune relation immédiate entre ses premières conquêtes et cette catastrophe naturelle : le dispositif fictionnel voltairien joue donc à plein, superposant la révolution naturelle à la révolution politique, la table rase d’un non-lieu à l’avènement d’un nouvel empire.
Le dispositif est le même au chapitre CXCV, où il s’agit de décrire la fin de la dynastie chinoise des empereurs de Chine et le début de la domination Mandchoue. Voltaire idéalise d’abord la civilisation chinoise, où « les villes étaient florissantes autant que les campagnes étaient fertiles » (II, 786) :
« Ce bonheur fut suivi, vers l’an 1630, de la plus terrible catastrophe et de la désolation la plus générale. La famille des conquérants tartares, descendants de Gengis kan, avait fait ce que tous les conquérants ont tâché de faire : elle avait affaibli la nation des vainqueurs, afin de ne pas craindre, sur le trône des vaincus, la même révolution qu’elle y avait faite. » (II, 786.)
Le passage mérite d’être cité ne serait-ce que pour l’usage auquel Voltaire recourt très exceptionnellement du mot catastrophe. La catastrophe désigne bien ici la chute, la fin de la dynastie Ming, et s’oppose à la révolution, qui marquait le commencement de la domination tartare.
Très vite, le récit voltairien concentre l’attention sur le lieu de la chute, le palais impérial de Pékin qui, comme Rome en proie aux barbares, comme Jérusalem désolée par un tremblement de terre, comme Sainte-Sophie investie par les soldats de Mahomet II, se constitue en espace d’invisibilité où la scène de la fin, la catastrophe théâtrale est escamotée, disséminée, déconstruite. Tandis qu’au dehors le chef des hordes tartares mandchoues, Taïtsou, « établissait des lois au milieu de la guerre », l’empereur de la Chine demeure cloîtré dans son palais, impuissant et invisible. Taïtsou institue des lois dans l’effondrement général du royaume ; il porte la force principielle du renouvellement de l’Histoire. L’empereur, quant à lui, est destitué même de son nom, barré, biffé pour l’Histoire : « l’empereur de la Chine, dont le nom est devenu obscur, et qui s’appelait Hiaitsong, restait dans son palais avec ses femmes et ses eunuques : aussi fut-il le dernier empereur chinois. » (P. 788.) Alors que la capitulation devient inévitable, l’impératrice organise la fuite de ses enfants et se pend dans sa chambre. L’empereur n’est capable que d’ordonner à ses autres épouses de faire de même et il massacre sa fille au sabre. « On s’attend qu’un tel père, un tel époux se tuera sur le corps de ses femmes et de sa fille15 ; mais il alla dans un pavillon hors de la ville pour attendre des nouvelles. » (II, 78916.) Voltaire suscite la scène dramatique qui pourrait conclure théâtralement cette catastrophe. Mais cette scène n’a pas eu lieu. L’effet visuel est saboté, suggéré mais aussitôt dénié : la catastrophe voltairienne se résout toujours en un non lieu.
Nous avions suggéré, en introduction, que le mécanisme historique de la catastrophe, qui constitue la matrice du dispositif fictionnel de l’Essai sur les mœurs, était le mécanisme même de l’ironie. Voltaire décrit à chaque fois une révolution, c’est-à-dire un effondrement qui se retourne en coup de force. Les beaux arts, le raffinement des mœurs, la civilisation s’anéantissent tandis qu’émerge une force brute, la forme informe du réel qu’on n’a pas prise au sérieux, pas vue, pas prévue. Le moment de la catastrophe est la conjonction de cette institution symbolique qui s’effondre et de ce principe symbolique qui advient. Conjonction improbable de deux niveaux ou registres inconciliables. Cette conjonction établit un pas-de-sens, que Voltaire définit comme « horreurs absurdes ».
Alors tout à coup la langue établit une distance brutale face à son objet. L’horreur saisit, consterne, paralyse. Les horreurs absurdes font rire. Le mot d’esprit est le fruit de cette conjonction des deux symboliques, de ce pas-de-sens de l’histoire.
« Tel était l’état de l’Asie Mineure et de la Syrie, lorsqu’un pèlerin d’Amiens suscita les croisades. Il n’avait d’autre nom que Coucoupêtre, ou Cucupiètre, comme le dit la fille de l’empereur Comnène, qui le vit à Constantinople. Nous le connaissons sous le nom de Pierre l’Ermite. » (P. 558.)
L’une des grandes catastrophes de l’Histoire, l’histoire des croisades, est liée à la figure légendaire de Pierre l’Ermite. Au nom de légende, consacré par les chantres des croisades, Voltaire superpose un nom ridicule, une parodie de nom. Le nom de rien désigne l’émergence du réel sur fond d’Orient effondré (« tel était l’état de l’Asie… »). Coucoupêtre, ou cul-cul piètre, fait follement rire, retournant la catastrophe en mot d’esprit.
Notes
Mais, toujours selon G. Benrekassa, cette efficacité du coup de force, fondamentalement anti-économique, s’appuie sur un modèle de déperdition énergétique : « Il faut ajouter à cela autre chose, que suggère le spectacle de la violence et de son emploi démesuré par le pouvoir, et qui relève d’un autre aspect de la même philosophie de l’Histoire. Il y a énormément de mal dans le monde, et même quand on veut faire du bien. Pour Voltaire, et c’est là un des aspects les plus évidents de sa modernité, on doit s’étonner devant l’économie de l’Histoire : entendons le rapport entre l’énergie fournie et le résultat obtenu. Certes, l’illusion majeure prêtée aux Lumières, et qui est celle en fait de certaines de leurs composantes et de leur dégénérescence positiviste, l’illusion du progrès, lui est étrangère, à cause même de sa philosophie, passablement “réactionnaire”, de l’avènement de l’ordre. […] Voltaire s’en tient à la constatation du sang et de la douleur pour de précaires résultats dans l’art d’organiser et de commander les hommes… » (Ibid., p. 142.)
Nous ne croyons pas quant à nous qu’il y ait déperdition : la brutalité du coup de force alimente la marche de l’histoire, selon le principe sémiotique du pas-de-sens. Il n’y a là certes ni progrès continu, ni garantie de civilisation, mais toujours, à partir de l’horreur et de l’absurde, une sorte d’élan vital, pulsionnel, de l’humanité, même si cet élan, exprimé de façon récurrente au fil des événements, ne fait l’objet d’aucun discours et demeure l’impensé matriciel de l’Essai sur les mœurs.
J. F. Dunyach montre de même les limites d’un prétendu discours de la perfectibilité dans Le Siècle de Louis XIV : « Quant à l’idée même de perfection, la description des grands siècles exposée dans Le Siècle de Louis XIV montre combien cette dernière est finalement illusoire : la Renaissance “tendait vers la perfection” mais, alors même qu’il conçoit parfaitement le principe de perfectibilité, Voltaire lui refuse tout caractère absolu et développe ainsi une perfectibilité limitée, fondée sur sa conception de la nature humaine, à l’image de cette sentence de la Philosophie de l’histoire, adressée à Rousseau, qui nous renvoie aux enjeux du Siècle : “On a dit de l’homme qu’il est perfectible ; et de là on a conclu qu’il est perverti. Mais pourquoi n’en pas conclure qu’il s’est perfectionné jusqu’au point où la nature a marqué les limites de sa perfection ?” Comme le montrent les chapitres sur les arts, la perfectibilité n’est pas davantage le moteur du progrès que la perversion n’est l’instance de la décadence en histoire chez Voltaire, mais deux états historiques limites opposés, et transitoires, les deux bornes de la tessiture historique et morale de l’humanité. » (Jean-François Dunyach, « L’histoire voltairienne entre progrès et décadence : du Grand Siècle à l’idée de civilisation », Voltaire et le Grand Siècle, dir. J. Dagen et A.-S. Barrovecchio, SVEC, 2006, n° 10, p. 140.)
La vulgate en matière d’exégèse voltairienne prétend que, « si l’expression “philosophie de l’histoire” implique une conception cohérente du déroulement de l’histoire, Voltaire n’avait pas de philosophie de l’histoire. Son esprit est trop mobile, trop intuitif et trop superficiel pour développer une théorie solide. » (J. H. Brumfitt, Voltaire Historian, Oxford University Press, 1958, p. 127, cité par J.-F. Dunyach, SVEC, 2006, n° 10, p. 133.) On montrera cependant que, même sans développement d’un discours théorique, Voltaire dans l’Essai sur les mœurs met en place un dispositif fictionnel qui vaut philosophie de l’histoire et constitue celle-ci.
Voir l’article Révolutions de la terre de l’Encyclopédie : « c’est ainsi que les naturalistes nomment les événemens naturels, par lesquelles la face de notre globe a été & est encore continuellement altérée dans ses différentes parties par le feu, l'air & l’eau. Voyez Terre, Fossiles, Deluge, Tremblemens de terre , &c. »
Les références à l’Essai sur les mœurs sont données dans l’édition de R. Pomeau, Bordas, « Classiques Garnier », 1990, 2 vol. Par défaut, la référence de page renvoie au tome 1.
Georges Benrekassa souligne ce constat voltairien de l’efficacité cynique du coup de force : « Si “l’univers est une vaste vaste scène de brigandage abandonnée à la fortune” (II, 757), ce n’est pas seulement parce qu’il est livré au bruit et à la fureur, c’est parce que sur ce théâtre la violence réussit, et particulièrement celle qui est mise au service du maintien du pouvoir. » (Georges Benrekassa, La Politique et sa mémoire, Payot, 1983, chap. III, p. 141.)
J. Lacan, Séminaire V, Les Formations de l’inconscient, 1957-1958, chap. 5, « Le peu-de-sens et le pas-de-sens », Seuil, 1998, p. 83sq. Voir également S. Lojkine, « Voltaire historien, ou l’incompréhensible comme méthode », L’Incompréhensible, dir. M. Th. Mathet, L’Harmattan, 2003, pp. 365-375 ; « “Fables ridicules” et “horreurs absurdes” dans le Traité sur la Tolérance de Voltaire », Le Travail des Lumières, mélanges Georges Benrekassa, Champion, 2002.
C’est ce qu’a très bien montré G. Benrekassa, contre les interprétations positivistes de Voltaire, aujourd’hui obsolètes. Citons pour mémoire Jean Dagen, « La Marche de l’histoire suivant Voltaire », Erlangen, Romanische Forschungen 70, pp. 241-266, 1958 ; Furio Diaz, Voltaire storico, Turin, Einaudi, 1958, chap. V, Il progresso della civiltà nella storia universale, et chap. VI, Storia e lotta politica ; Charles Rihs, Voltaire : recherches sur les origines du matérialisme historique, Genève, Droz, Paris, Minard, 1962.
John Leigh a montré en détail comment cette pensée critique de la catastrophe était non seulement élaborée, mais vécue par Voltaire (Lisbonne, la Saint-Barthélémy). Par cette incorporation vivante de la souffrance historique, Voltaire résiste et échappe à la condamnation simpliste dans laquelle il a parfois été enveloppé après la dernière guerre mondiale : « Même si les fondements rationnels de l’historiographie et de la philosophie des Lumières, dont Voltaire est largement l’héritier et le représentant, ont été accusés par Isaiah Berlin, Horkheimer et Adorno d’avoir indirectement contribué à l’holocauste, Voltaire, envisagé dans cette perspective, avait son propre holocauste à combattre. Le pathos de son angoisse obsédante vis-à-vis de la Saint-Barthélémy et la conscience qu’il révèle de la difficulté à prendre en compte l’héritage du passé, du danger de rappeler à la mémoire la destruction et l’inhumanité quand on connaît la modernité et qu’on jouit de la civilisation, tous ces éléments continuent à interpeler violemment notre génération. » (John Leigh, Voltaire : a sense of history, Voltaire foundation, Oxford, 2004, n° 5, p. 216.)
Dans l’article Despotisme de l’Encyclopédie, le chevalier de Jaucourt écrit à propos des monarchies orientales : « D’ailleurs dans ces pays-là il ne se forme point de petite revolte ; il n’y a point d’intervalle entre le murmure & la sédition, la sédition & la catastrophe : le mécontent va droit au prince, le frappe, le renverse ; il en efface jusqu'à l'idée : dans un instant l’esclave est le maître, dans un instant il est usurpateur & légitime. Les grands évenemens n’y sont point préparés par de grandes causes ; au contraire, le moindre accident produit une grande révolution, souvent aussi imprévûe de ceux qui la font que de ceux qui la souffrent. »
Démétrius Chalcondyle, L'Histoire de la décadence de l'Empire grec et establissement de celui des Turcs, trad. Blaise de Vigenère, Paris, 1612.
Ducas, chroniqueur byzantin, issu de la famille impériale des Doukas, est le petit-fils de l'érudit Michel Doukas, d'où le prénom de Michel qu’on lui donne parfois. Une édition latine de son Histoire byzantine avait été publiée en 1729, à Venise, chez B. Javarina.
Le silentiaire Jean. Voltaire tire son information du Liber romanorum pontificum, compilé du VIIIe au Xe siècle, éd. Jean Garnier, Paris, Martin, 1668, rééd. 1680, in-4°.
Voir déjà pp. 314-315, qui concernaient Étienne II. Voltaire semble avoir confondu Étienne III avec Étienne II, la numérotation des Étienne étant controversée à cause de l’élection du prêtre Étienne en 752, mort 3 jours après sans avoir été ordonné évêque.
Voir S. Lojkine, « La violence et la loi : langages et poétique du Dictionnaire voltairien », in Littératures, n°32, printemps 1995, PUM, Toulouse, pp. 35-59.
Jean-François Dunyach évoque également cette dimension angoissante de la pensée voltairienne de l’histoire, dont il souligne les implications thématiques : « Cette désillusion du progrès chez Voltaire porte d’abord sur l’ébauche même de l’idée de civilisation, à travers ce sentiment, maintes fois exprimé, de la perte irrémédiable de la croyance dans la capacité de cette dernière à radicalement modifier la situation des hommes et établir l’empire du bonheur. Cette angoissante ambiguïté des Lumières et du progrès soulevée par Voltaire dans Le Siècle de Louis XIV annonce, en somme, l’idée d’un “malaise dans la civilisation”. » (Jean-François Dunyach, « L’histoire voltairienne entre progrès et décadence : du Grand Siècle à l’idée de civilisation », art. cit., p. 146.) Mais la déconstruction de l’idée de progrès et de civilisation ne saurait être réduite à une sorte de scepticisme attentiste ; la figuration de la catastrophe comme moteur de l’histoire permet d’en penser les mécanismes, loin du modèle linéaire du progrès, par pas-de-sens et cristallisations, selon un modèle en quelque sorte quantique.
On songe ici à la mort de Sardanapale. Voltaire possédait dans sa bibliothèque une traduction des Tusculanes de Cicéron par J. Bouhier, suivie d’« une dissertation sur Sardanapale, dernier roi d'Assyrie » (Paris, Gandouin, 1737, 3 vol. in-12°). D’autre part, J.-P. Bernard avait traduit de 1738 à 1752 une Histoire du monde, de Samuel Shuckford, qui prétendait aller « depuis la création du monde jusqu'à la destruction de l'empire des Assyriens à la mort de Sardanapale et jusqu'à la décadence des royaumes de Juda et d'Israël » (Leyde, J. et H. Verbeek ; et en réalité Paris, G. Cavelier). Enfin Palissot avait écrit une tragédie de Sardanapale en 1749, renommée Zarès en 1751. Ce Sardanapale de jeunesse (Palissot avait 19 ans) fut l’occasion d’un bon mot de Voltaire (Anecdotes dramatiques, 1775, tome II, p. 278). La mort de Sardanapale est donc une scène topique bien avant le tableau de Delacroix.
La mort sans gloire de l’empereur est ensuite racontée sur le modèle de la mort de Néron dans le récit de Tacite.
Référence de l'article
Stéphane Lojkine, « L’horreur et la force. Esprit des Lumières et catastrophe de l’histoire dans l’Essai sur les mœurs de Voltaire », communication prononcée au colloque Représenter la catastrophe, dir. Th. Belleguic et B. de Baere, Québec, septembre 2007.
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