L'héroïsme de l'esprit
Préparation pour le portrait de Voltaire - Maurice-Quentin de La Tour
Le Dictionnaire philosophique de l’édition de Kehl des œuvres complètes de Voltaire1 constitue une sorte de monstre textuel : les cinq sections de son article Esprit ont des provenances diverses et ne correspondent à aucune composition préméditée de leur auteur. Mais elles attestent de l’attention continue de Voltaire pour ce terme, et de sa conscience qu’il était destiné à le définir et à s’identifier à lui. Voltaire n’a pas seulement défini l’esprit, il l’a incarné. On ne doit pas s’étonner qu’Esprit soit un des rares articles livrés par Voltaire à Diderot pour l’Encyclopédie. Mais paradoxalement ce n’est pas dans cette livraison de 1755, pleine de doute et de faux semblants, qu’il faut chercher une définition simple de laquelle partir. C’est plutôt, 11 ans plus tôt en 1744, dans la Lettre sur l’esprit qui fait suite à Mérope : l’esprit s’y définit d’abord par rapport à la tragédie, et marque ainsi pour Voltaire une contradiction fondamentale, et qui le définit : il est la tragédie et il est l’esprit des Lumières.
« Ce qu’on appelle esprit est tantôt une comparaison nouvelle, tantôt une allusion fine : ici l’abus d’un mot qu’on présente dans un sens, et qu’on laisse entendre dans un autre ; là un rapport délicat entre deux idées peu communes ; c’est une métaphore singulière ; c’est une recherche de ce qu’un objet ne présente pas d’abord, mais de ce qui est en effet dans lui ; c’est l’art ou de réunir deux choses éloignées, ou de diviser deux choses qui paraissent se joindre, ou de les opposer l’une à l’autre ; c’est celui de ne dire qu’à moitié sa pensée pour la laisser deviner. Enfin, je vous parlerais de toutes les différentes façons de montrer de l’esprit si j’en avais davantage ; mais tous ces brillants (et je ne parle pas des faux brillants) ne conviennent point ou conviennent fort rarement à un ouvrage sérieux et qui doit intéresser. La raison en est qu’alors c’est l’auteur qui paraît, et que le public ne veut voir que le héros. Or ce héros est toujours ou dans la passion ou en danger. Le danger et les passions ne cherchent point l’esprit. Priam et Hécube ne font point d’épigrammes quand leurs enfants sont égorgés dans Troie embrasée, Didon ne soupire point en madrigaux en volant au bûcher sur lequel elle va s’immoler. Démosthène n’a point de jolies pensées quand il anime les Athéniens à la guerre ; s’il en avait, il serait un rhéteur, et il est un homme d’État2. »
L’esprit établit un rapport, c’est l’idée de départ essentielle. Le rapport se fait entre ce qu’un objet présente, sa façade, et « ce qui est en effet dans lui », mais qu’on n’aperçoit pas du premier abord. L’esprit établit entre cette façade leurrante et cette réalité « en effet » une réunion à partir d’une division ou d’une opposition. Cette réunion, cette jonction est brillante, produit l’éclat d’un brillant, d’un diamant. Le brillant de l’esprit définit la qualité de son effet ; mais dans le même temps il frappe celui-ci de soupçon voire d’opprobre. Parce qu’il est brillant, l’esprit n’est pas sérieux, n’est pas digne d’un ouvrage sérieux.
Pour comprendre la suite du raisonnement de Voltaire, il faut avoir en tête ce qu’il entend ici par ouvrage sérieux : ce sont les tragédies. Sur la scène tragique, le public « ne veut voir que le héros », c’est-à-dire qu’il ne veut entendre dans ce qu’il dit que la déclinaison de son caractère, que sa façade tragique. Qu’il se glisse dans la tirade que débite un acteur un mot d’esprit, c’est l’auteur, c’est Voltaire qui tout d’un coup prend la parole au travers de son personnage, et c’est ce que la convention mimétique de la représentation théâtrale classique ne permet pas. Il y a alors disconvenance : « tous ces brillants… ne conviennent point ou conviennent fort rarement à un ouvrage sérieux ». Non seulement cette intrusion de l’auteur derrière l’acteur rompt l’illusion théâtrale, mais elle constitue une faute de goût : l’esprit est léger, propre aux épigrammes, aux madrigaux, aux jolies pensées, quand l’action tragique est lourde de passion et de dangers.
Mais cet héroïsme de la scène qui rend apparemment impossible l’intrusion du mot d’esprit, dont la légèreté est incompatible avec le genre sérieux, ne constitue-t-il pas précisément la façade que le trait vient fissurer, dont il a besoin pour établir le rapport, la jonction, la comparaison incongrue, la métaphore saillante ? Sans cet héroïsme qui interdit l’esprit et que l’esprit démonte, il n’y a pas d’esprit. Il y a donc un héroïsme nécessaire de l’esprit, et par lui l’esprit exerce nécessairement une disconvenance, qui est la traduction symbolique de ce qui se manifeste techniquement comme division, opposition dans la réunion, dans le rapport de la façade et de la réalité même.
La bataille de Mollwitz, 10 avril 1741 - Carl Röchling - vers 1910
Prenons un exemple.
I. La boucherie héroïque : déconstruire la bataille
Le chapitre III de Candide s’ouvre par la description de la bataille livrée entre les Avares et les Bulgares, bataille dans laquelle Candide se trouve jeté pour sa plus grande terreur et incompréhension. Le morceau de bravoure que constitue le début de ce chapitre, qu’on intitule de la formule même de Voltaire la « boucherie héroïque », a eu une très importante postérité littéraire : le dispositif en a été repris par Stendhal dans La Chartreuse de Parme (1839), quand il décrit Fabrice del Dongo jeté au milieu de la bataille de Waterloo3, par Tolstoï dans Guerre et Paix (1865-1869)4, quand il raconte comment le prince André Bolkonski blessé à Austerlitz est repéré par Napoléon5, et même dans une certaine mesure par Claude Simon dans La Route des Flandres (1960), pour évoquer le tableau héroïque et dérisoire de la mort du capitaine de Reixach6. Quel est ce dispositif ? Un personnage, le protagoniste de l’histoire, se trouve pris dans une scène de guerre. Il y a une beauté héroïque de cette scène, une puissance esthétique du tableau qui se déploie ; mais dans le même temps, c’est l’horreur de la guerre, le carnage, la mort aveugle qui s’abat sur les hommes. Entre la valeur esthétique du tableau sublime et sa négation radicale par l’horreur de la guerre, le protagoniste est saisi, coincé, écrasé : il n’y comprend rien, il porte le non-sens de l’événement.
Nous retrouvons ici, sous une forme légèrement modifiée, les trois éléments que nous avons dégagés dans le cours précédent comme constitutifs du conte : la fantaisie imaginative se cristallise ici en façade esthétique et va constituer la façade du trait d’esprit ; la rationalité vaine du discours métaphysique est transposée dans l’enchaînement du récit historique et dans l’ordonnancement de l’événement, avec la même interrogation sur la causalité ; cette interrogation établit le rapport, la relation qui lie, qui noue le mot d’esprit ; l’arrière-plan du réel constitue toujours le fond, ou la tendance du récit, « de ce qui est en effet dans lui ». Le dispositif de la boucherie héroïque ordonne donc ces trois éléments comme façade, relation et tendance. L’esprit met en œuvre le dispositif du conte ; c’est en fait le même dispositif :
La bataille de Mollwitz - Günter Dorn - 1997
« Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. » (p. 43)
« …les deux armées » : pour l’entrée en matière de ce chapitre, Voltaire adopte un point de vue extérieur à la scène et surplombant. La bataille n’est pas vue d’un camp plutôt que d’un autre, c’est une sorte de vue aérienne présentant le face à face des deux troupes avançant l’une vers l’autre. L’usage de l’imparfait dans les deux premières phrases nous confirme que nous avons affaire à une description, avant de basculer dans la narration avec le passé simple de la troisième phrase.
Ce point de vue de la carte constitue l’embrayeur topique d’un récit de bataille dans l’historiographie classique. Il n’est qu’à se reporter à la pratique de Voltaire lui-même. Voltaire, nommé historiographe du roi en 1746, avait entrepris d’écrire l’Histoire de la guerre de mil sept cent quarante et un7, que nous appelons aujourd’hui la guerre de succession d’Autriche, dont la bataille de Fontenoy, en 1743, constitue un des événements les plus marquants.
C’est à cette guerre et non à la Guerre de Sept ans (1756-1763) que le chapitre III de Candide fait allusion. Les deux puissances principales qui s’affrontent au début de la Guerre de succession d’Autriche sont l’Autriche de Marie-Thérèse et la Prusse de Frédéric II, qui entreprend de lui ravir la Silésie, au sud de la Pologne. Les peuples contestés par les puissances belligérantes sont donc slaves, et cela peut avoir suggéré à Voltaire le nom des Bulgares. Au dix-huitième siècle, on associe les Bulgares aux barbares Scythes et on les confond avec une secte hérétique, les Bogomiles, qu’on identifie aux Manichéens, et dont le mot Bulgare est dérivé. On accuse ces hérétiques d’être sodomites :
« Leurs crimes détestables firent encore que leur nom devint un nom odieux, un nom de débauche, de sorte que Bulgare, ou comme on trouve dans quelques Auteurs Bugare, signifie un Sodomite, un Ctenobatte8, & un usurier, parce qu’ils se livraient à tous ces vices. Malgré tout cela les Protestans reconnoissent les Bulgares pour leurs pères, & n’ont point de honte de prouver devant eux la succession prétenduë de leur Eglise. » (Dictionnaire de Trévoux, 1738-1742, p. 1282)
Le bruit courait de l’homosexualité de Frédéric II, avec qui Voltaire s’est brouillé en 1753. Le roi des Bulgares, c’est donc ce sodomite de Frédéric II qui prétend s’emparer des barbares scythes de Silésie. Face aux Bulgares, Voltaire imagine des Abares, à partir d’un peuple scythe, les Άβαροι, qui est attesté chez Isidore de Séville et Paul Diacre. Abares et Bulgares sont donc deux sous-catégories, ou variantes des Scythes, ce sont des barbares qui se font la guerre entre eux.
La bataille de Mollwitz, 10 avril 1741 - Jan Luyken - gravure d’époque
Si le roi des Bulgares est Frédéric II, le royaume qui parle la même langue que la Prusse, qui appartient au même peuple, et pourtant est alors en guerre avec eux, ce sont les Autrichiens9. Les Abares et les Bulgares, ce sont les Autrichiens et les Prussiens, qui se font la guerre pour une Silésie dont nous les Français n’avons que faire. C’est de cette guerre-là qu’il s’agit. Cette guerre peut être décomposée en deux phases : la première est celle de l’affrontement entre la Prusse et la Silésie, qui se conclut très vite par la victoire de Frédéric II à la bataille de Mollwitz le 10 avril 1741. Voltaire a été directement impliqué dans cette victoire, qui pourrait constituer la blessure originelle constitutive du récit de Candide10. Frédéric conclut une paix séparée avec l’Autriche, mais leurs alliés respectifs demeurent en guerre. Les puissances belligérantes principales deviennent la France et l’Angleterre. Dans cette seconde phase de la guerre, la bataille décisive est celle de Fontenoy, le 11 mai 1745 : c’est une victoire française, mais une victoire à la Pyrrhus ; les Français n’en tireront aucun avantage.
La boucherie héroïque est une condensation parodique de ces deux batailles, celle de Mollwitz, une bataille entre Scythes très loin de la France, qu’on peut regarder avec détachement et dont on peut rire ; et celle de Fontenoy, au nord de Lille, qui va devenir l’emblème de ce qu’on appellera un siècle plus tard les guerres en dentelles11. Voltaire a fait le récit détaillé de Fontenoy au chapitre XV du Siècle de Louis XV. Il débute ainsi :
La bataille de Fontenoy, 11 mai 1745 - Guélard
« En jetant les yeux sur les cartes, qui sont fort communes, on voit d’un coup d’œil la disposition des deux armées. On remarque Antoing assez près de l’Escaut, à la droite de l’armée française, à neuf cent toises de ce pont de Calonne, par où le roi et le dauphin s’étaient avancés ; le village de Fontenoy par delà Antoing, presque sur la même ligne ; un espace étroit de quatre cent cinquante toises de large entre Fontenoy et un petit bois qu’on appelle le bois de Barri. Ce bois, ces villages étaient garnis de canons, comme un camp retranché. Le maréchal de Saxe avait établi des redoutes entre Antoing et Fontenoy ; d’autre redoutes aux extrémités du bois de Barri fortifiaient cette enceinte. Le champ de bataille n’avait pas plus de cinq cents toises de longueur depuis l’endroit où était le roi, auprès de Fontenoy, jusqu’à ce bois de Barri, et n’avait guère plus de neuf cents toises de large ; de sorte qu’on allait combattre en champ clos, comme à Dettingen, mais dans une journée plus mémorable. » (p. 149)
Le point de départ d’un récit de bataille, c’est un dispositif. Des armées sont disposées sur une carte. Une configuration des lieux, un site, déterminent une, des stratégies, et à partir d’elles, en fonction des circonstances, les actions à venir. Il y a une logique de la bataille, un enchaînement de causes et d’effets, dont le récit historiographique mettra en évidence la rationalité. Rien de plus irréel, rien de plus rationnel qu’un récit de bataille. C’est ce que Voltaire entreprend de déconstruire dans la boucherie héroïque, non comme on ferait la satire d’un autre genre de récit, d’une autre pratique d’écriture, mais à partir de sa propre pratique.
II. « Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné » : la façade de l’esprit
L. J. M. de Bourbon, duc de Penthièvre à la bataille de Fontenoy - Nattier
La vue liminaire par laquelle débute le chapitre III est éclatante. Voltaire utilise un adjectif qui mérite qu’on s’y attarde. L’ensemble qu’il nous décrit était leste. Cet adjectif s’emploie d’abord et essentiellement que dans un contexte militaire :
Léste. Adj m. & f. Qui est brâve, en bon état & en bon équipage pour paroître. Alacris, expeditus, succinctus, promptus. Une armée fort léste ; de l’Infanterie bien léste, bien vétuë & gaillarde. De la cavalerie bien léste, c’est-à-dire, bien montée. Les fêtes, les carrousels, les bals demandent que les gens soient bien léstes, pimpans & magnifiques. » (Dictionnaire de Trévoux, 1738-1742, p. 635)
Leste n’a rien à voir avec l’élégance au sens mondain du terme. Ce sont les uniformes pimpants, c’est l’éclat des régiments qui défilent pour le spectacle, c’est la façade rutilante de la guerre. Tout ce début est orchestré par Voltaire comme une parade : parade visuelle d’abord, parade sonore ensuite.
Mais dès le départ cet éclat est miné. C’est d’abord la tournure négative de la première phrase. Rien n’était si beau, c’est une double négation, c’est la double négation propre au conte (il n’est pas vrai que ceci n’est pas un conte). Au bout du compte, cela veut dire que tout était beau, mais ce qui éclate en tête de chapitre, c’est rien, c’est ce rien qui sonne comme le coup d’envoi de la boucherie héroïque : toute cette pompe, tout cet étalage de magnificence, ce ne sont que fadaises, ça ne vaut rien, c’est du rien. Le leste s’applique à du rien.
Voltaire pourrait bien avoir inventé cette formule liminaire à partir d’une lettre du comte de Saxe à d’Argenson, ministre de la guerre pendant la guerre de Succession d’Autriche, une dizaine d’années plus tôt. Plusieurs chapitres de ce qui va devenir le Siècle de Louis XV sont rédigés alors à Versailles chez le comte d’Argenson, ministre de la guerre : nul doute que c’est à ce moment et à cet endroit que Voltaire a lu les lettres du comte Maurice de Saxe (que Voltaire nomme toujours de son titre militaire, le maréchal de Saxe), qui commandait les troupes françaises, à son ministre de tutelle, et qu’il y a trouvé ce qui deviendra dix ans plus tard la formule liminaire du chapitre de la « boucherie héroïque » :
Infanterie de la garde prussienne (1ère guerre de Silésie) - David Morier
« J’ai l’honneur de vous envoyer, Monsieur, une Lettre que j’ai reçûe de Mr le Comte Des-Alleurs, par laquelle vous pourrez voir que j’ai depuis plus de deux Mois 500. Tartares & près de 1000. Chevaux à la solde du Roi ; cette Lettre contient un Décompte, qui vous fera voir les sommes employées.
Il est survenû quelque empêchement à leur Marche, causé par la Cour de Saxe, qui me fait grand tort ; je cherche à le redresser, ainsi que vous pourrez le voir par la Lettre que j’écris à Mr. d’Ostens, Lieutenant Colonel de ce Régiment.
Notre Retraite de la Baviere est cause, que les Répresentations de la Cour de Vienne ont trouvé tant de poids à Dresde, j’ai de quoi m’affliger de tout ceci ; car outre que cette affaire me ruine, Mr d’Osten augmente mes regrets en m’écrivant qu’il a choisi ces Tartares sur 15000, que c’est l’Elite de la Horde de Lips, & que rien n’est si brave, si brillant, & si leste ; mais je ne dois pas vous entretenir de mes déplaisirs. » (Lettre de Mr le Comte de Saxe à M. D’Argenson, au Camp de Heitern du 26 août 1743, in Campagne de M. le maréchal duc de Coigny en Allemagne l’an 1743, Amsterdam, Marc Michel Rey, 1761, p. 189-190)
« Rien n’est si brave, si brillant, & si leste », affirme le comte à propos des cavaliers cosaques de la Horde de Lips qu’il a fait recruter pour constituer l’élite de ses troupes et marcher avec la Saxe contre Vienne. Il ne s’agit pas pour lui de s’extasier sur l’effet esthétique que pourraient produire de beaux militaires, mais de vanter la qualité militaire de ses recrues, dont il entend se faire rembourser le prix. Ces soldats sont braves et lestes, courageux et bien équipés.
Grenadiers autrichiens et hongrois (1ère guerre de Silésie) - David Morier
Voltaire change « brave » en « beau » et infléchit du coup le sens de « leste » : il esthétise une formule qui était une formule de recruteur, de valorisation d’un bon recrutement. Enfin, à la triade des adjectifs il ajoute « bien ordonné », qui oriente le point de vue : la vue qui nous est offerte n’est pas la vue des hommes (comme pourraient le laisser croire les trois premiers adjectifs), mais la stratégie d’un ordonnancement, l’organisation d’un ballet minuté sur une carte d’état-major. Cette vue comporte un ordre, il y a une logique de disposition qui préside à la bataille : mais cet ordre, cette logique ne nous seront jamais donnés. Voilà qui révèle d’emblée le dispositif : sur le plan imaginaire, il déploie la façade éclatante de la bataille ; sur le pan symbolique, il s’ordonne comme rationalité vaine d’une stratégie ; sur le plan du réel, il nous confronte à l’horreur du massacre.
La non superposition de ces plans définit la technique de l’esprit. Cette non superposition se manifeste dès la première phrase : « Rien n’était… que les deux armées. » Syntaxiquement, « les deux armées » explicite le « rien » liminaire. Or ce « rien » désigne un tout, ou un tas, un ensemble unique en tous cas, et l’éclat de cet ensemble, tandis que « les deux armées » supposent un face à face, une confrontation dont il est difficile de saisir, dans une seule vue, les deux fronts affrontés. Cette première phrase, qui paraît tellement visuelle, décrit donc en fait une vue impossible, à la fois frontale et globale.
La syntaxe de la deuxième phrase met en place à nouveau une (non-)superposition : « une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer » identifie l’harmonie des instruments de la parade militaire au vacarme de l’Enfer, la symphonie à une cacophonie. Ce renversement était préparé par l’ajout d’un intrus dans l’énumération des instruments, qui les mettait apparemment tous sur le même plan : le dernier instrument, ce sont les canons ; la parade de guerre en dentelle, la marche joyeuse et bien ordonnée laisse la place à la guerre proprement dite.
La bataille de Fontenoy, 11 mai 1745 - Lenfant
L’esprit de l’énoncé tient à cette discordance : la façade esthétique détermine le ton et le rythme de l’énonciation, léger, joyeux, guilleret. L’accumulation paradigmatique ne sollicite de la part du lecteur aucun effort de compréhension d’une syntaxe complexe. Son attention se relâche, et c’est ainsi que les canons se glissent, si l’on ose dire sans coup férir, à la queue de la deuxième énumération. Chaque fin de phrase pourtant ramène le verbiage léger à la dure réalité de la guerre : « rien n’était si beau… » / « … les deux armées » ; « les trompettes… » / « en enfer ». « En enfer… » est dit au son du fifre, l’horreur cinglante de la guerre si glisse comme si de rien dans le ton galant d’une conversation de salon.
III. La somme et le décompte
Avec le basculement au passé simple, les armes que les canons avaient introduites dans la belle ordonnance prennent le commandement syntaxique : les trois phrases suivantes, au passé simple, se présentent comme une addition, dont la quatrième est le total. L’addition des armes signifie une soustraction d’hommes, la discordance repose d’abord sur cette contradiction des mouvements :
Canons - 2 x 6000
+ Mousqueterie - 9 ou 10000
+ Baïonnette - quelques 1000 (apparemment : 4 ou 5000)
= Le tout ±30000
Louis XV à la bataille de Fontenoy, 11 mai 1745 - Lenfant
De la même façon que la description, se présentant comme vue, se déployait en fait en marche, cette somme, qui semble relever du décompte tactique, suit en fait le déroulement de la bataille. D’abord, et de loin, les canons tirent les boulets à longue portée ; puis, de plus près, les fusils lancent les tirs à moyenne portée, quand les deux armées sont déjà sont déjà très proches l’une de l’autre ; enfin, la baïonnette des fusils n’entre en service que dans le corps à corps de la mêlée. Voltaire joue donc toujours à la fois sur le plan esthétique et surplombant (la somme des armes et de leurs effets, l’ordonnancement de la bataille) et sur le plan dynamique du déroulement réel de la bataille (l’avancée des hommes, l’accumulation des morts). Chacun des termes de l’addition suit la même logique syntaxique que les deux premières phrases : d’abord l’éclat du déploiement des armes, puis la réalité de la guerre, le décompte des morts.
Une mécanique syntaxique se met donc en place, qui repose sur cette non-superposition du surplomb esthétique et de l’immersion macabre. Dans l’ordre de cette mécanique (noter la symétrie des « six mille hommes de chaque côté », qui prolonge celle, liminaire, du « si bien ordonné que les deux armées »), Voltaire introduit le désordre du sarcasme, comme indicateur de la présence dérangeante du réel.
Ce désordre passe d’abord presque inaperçu. Après les canons devraient venir les fusils. Mais Voltaire dit « mousqueterie » en lieu et place des fusils. Le mot surprend d’autant plus que le dictionnaire de Trévoux nous apprend l’existence d’une subtile distinction :
« Mousqueterie, s. f. Art de bien manier le mousquèt. Ars catapultaria. Ce Maître entend bien la mousquetereie. On le dit aussi des salves ou décharges de mousquèts qui se font par honneur, & sans balle. Mais les décharges qu’on fait contre l’ennemi, s’appellent mousquetades. C’est l’usage qui a établi cette différence entre mousqueterie & mousquetade. »
La bataille de Rocoux, 11 octobre 1746 - Lenfant
A strictement parler, la mousqueterie ne désigne pas l’ensemble des mousquets, mais le fait de se servir des mousquets. Cependant, dans cet usage on distingue un suffixe -erie et un suffixe -ade qui n’ont pas le même sens. Dans la bataille, c’est -ade qui est d’usage : une canonnade, une fusillade, une mousquetade. Le suffixe -erie renvoie à la parade, au théâtre de la guerre, au « rien n’était si beau, si leste, si brillant ». Or nous sommes dans la bataille : pourquoi Voltaire utilise-t-il le mauvais terme ? Parce que le mot arrive, dans la mécanique syntaxique qui ordonne le passage, au moment de l’envol esthétisant, et non de la retombée dans le réel et la mort. Cette salve de mousquets est d’abord vue comme une mousqueterie avant d’être comptabilisée comme mousquetade. Ce mot de mousqueterie est déjà le mot qu’il utilise dans Le Siècle de Louis XV pour la bataille de Fontenoy :
« Les officiers des gardes françaises se dirent alors les uns aux autres : Il faut aller prendre le canon des Anglais. Ils y montèrent rapidement avec les grenadiers, mais ils furent étonnés de trouver une armée devant eux. L’artillerie et la mousqueterie en couchèrent par terre près de soixante, et le reste fut obligé de revenir dans ses rangs. » (p. 153)
Mousqueterie est du vocabulaire héroïque. Voltaire est également sensible au bruit de la langue : « l’artillerie et la mousqueterie » forment le signifiant quasiment cratylien du feu roulant des armes déchargées sur l’ennemie ; c’est une fanfare, c’est l’éclat sonnant de la bataille héroïque. Le même mot consonne donc à la fois, dans le Siècle de Louis XV, comme vocabulaire héroïque du grand genre, de l’épopée française de Fontenoy, et, dans Candide, comme mot d’esprit ridiculisant la parade déjà vieillie, déjà démodée, d’une armée d’opérette. Il faut en effet noter que les mousquets, qui sont les ancêtres inventés au XVIe siècle des fusils, ne sont plus en usage au moment où Voltaire écrit. L’article Mousquet de l’Encyclopédie (1765) nous apprend en effet qu’« on s’est servi de mousquets dans les troupes jusqu’en 1604 ; mais peu de tems après cette année on leur substitua le fusil. » De fait le mousquet subsista dans les armées françaises jusque vers 1700 : mais au XVIIIe siècle, c’est une arme de musée, qui évoque la préhistoire de la guerre moderne. Une arme de musée : un objet esthétique. Il faut lire ce mot de mousqueterie avec une petite moue ironique, ça n’a l’air de rien, c’est joli, c’est un peu vieillot, et pan neuf à dix mille hommes de tués !
Ce ne sont plus des hommes, d’ailleurs, mais des « coquins qui infectaient la surface » de la terre : le ton se fait cynique, et surtout l’ordonnance de l’addition se dérange de plus en plus. Il s’agit de faire sentir la déraison de cette raison de la somme, par l’introduction de l’affect dans le calcul froid. Il y aurait d’autre part une logique supérieure à cette tuerie, que va suggère de loin l’introduction du vocabulaire leibnizien : le « meilleur des mondes » comme la « raison suffisante » renvoient à La Théodicée et impliquent que, dans la tuerie qui nous est racontée s’exerce la Providence, que cette tuerie a une raison, que ces morts meurent pour le mieux. « Coquins » n’est donc pas seulement une inflexion de vocabulaire pour « hommes », c’est une cause : neuf à dix mille hommes sont tués lors de la salve d’artillerie parce que ce sont des coquins. Dans le même ordre logique, la somme des morts n’est pas établie en hommes mais en âmes : à ce stade, au moment de la somme, les hommes sont morts, il ne reste à compter que des âmes.
Putti sur le champ de bataille (Décaméron 1757) - Gravelot
L’ordre logique s’est déplacé : de l’ordonnance des armées, de l’ordre et des enchaînements de la bataille, Voltaire glisse à un ordre plus abstrait, qui est l’ordre de la finalité providentielle des événements. La rationalité vaine du plan symbolique se déplace, de l’esthétique vers la métaphysique, tandis que le plan du réel se dévoile : la mort est d’abord suggérée par périphrase : « renversèrent » donne à voir de simples pions renversés sur une carte ; « ôta du meilleur des mondes » formule une soustraction abstraite ; c’est seulement au moment de la mêlée, où l’on s’éventre à coups de baïonnettes, que la mort est signifiée explicitement. Cela correspond à l’expérience réelle de la guerre des Lumières : la mort est d’abord quasiment abstraite au début de la bataille, quand le soldat avance et que ses camarades tombent autour de lui sous l’effet apparemment totalement aléatoire de l’artillerie ennemie ; ce n’est qu’au moment du corps à corps qu’elle prend un visage et qu’il faut tuer pour ne pas être tué soi-même. Voltaire donne cependant des chiffres qui indiquent une proportion : quelques milliers de morts à la baïonnette, pour 30000 morts au total, soit un peu plus de 15 % : dans la guerre moderne, la mêlée devient une cause marginale de mort ; la mort massive, celle qui caractérise de façon centrale la réalité de la bataille, est une mort impersonnelle, gouvernée par le hasard. Le soldat avance dans un champ avec une certaine proportion de chances d’être tué. Telle est la réalité précise que vise la critique de la théodicée leibnizienne dans Candide : non pas en soi le contenu dogmatique d’un discours théologique providentialiste (toujours ramené par Voltaire à un galimatias) que l’effacement du sens dans le réel, le triomphe de l’aléas, l’horreur absurde et muette de la mort aveugle.
IV. Le régime esthétique de l’esprit
Il y a donc, dans le dispositif de l’esprit, d’un côté le plan esthétique de la vue ordonnée, de l’éclat des uniformes, de la carte d’état-major, de la déclinaison des armes, et d’un autre côté le plan réel des morts qui tombent au hasard, de la bataille qui se fait avant même la bataille, nul ne sait pour quelle cause ni pour quel gain. Entre ces deux plans, et les faisant tenir ensemble dans leur attelage improbable, la narration déroule la succession des événements.
Cette succession constitue la marche de la bataille. Elle passe ici quasiment à l’arrière-plan, alors qu’elle constitue le ressort essentiel, ultra-visible du récit historiographique. Il n’est qu’à comparer avec le récit voltairien de Fontenoy :
« les Anglais et les Hanovriens s’avancent avec lui [= le duc de Cumberland] sans presque déranger leurs rangs, traînant leurs canons à bras par les sentiers : il les forme sur trois lignes assez pressées, et de quatre de hauteur chacune, avançant entre les batteries de canon qui les foudroyaient dans un terrain d’environ quatre cents toises de large. Des rangs entiers tombaient morts à droite et à gauche ; ils étaient remplacés aussitôt ; et les canons qu’ils amenaient à bras vis-à-vis Fontenoy et devant les redoutes répondaient à l’artillerie française. En cet état, ils marchaient fièrement, précédés de six pièces d’artillerie, et en ayant encore six autres au milieu de leurs lignes » (p. 152-153)
Ce qui donne à la bataille sa rationalité dans le récit c’est sa marche, vers la victoire ou vers la défaite. Les canons sont transportés sur des sortes de charrettes, ils font le mouvement avec les troupes qui s’avancent. Pour Fontenoy, Voltaire insiste sur cet effort du déplacement, et sur la geste héroïque des hommes engagés dans une marche qui coûte physiquement ; dans la boucherie héroïque, les canons semblent immobiles, il n’y a pas d’effort : la narration s’estompe, le tableau devient somme abstraite. C’est la substance héroïque même qui est aspirée.
Il y a là bien plus qu’une technique de l’esprit : dans la saisie de la guerre comme vue et comme aléa se joue le même basculement, qui est le basculement d’un régime poétique de représentation, avec ses règles et ses hiérarchies, vers un régime esthétique, centré sur la potentialité et la singularité quelconque. Dans le régime poétique, le récit articule un ou des héros à un événement qui fait sens au sein d’un genre (l’épopée d’une guerre, ou sa chronique historique) ; dans le régime esthétique, la forme du récit, la figure du héros, la consistance de l’événement sont déconstruites. C’est à chaque fois la (non-)superposition des plans du dispositif du récit spirituel qui opère cette déconstruction : l’événement est ramené à l’oxymore d’une boucherie héroïque, où boucherie dit le réel et héroïque rappelle ironiquement ce que le symbolique devrait être ; il n’y a pas de héros, mais des nombres sur le champ de bataille, des hommes, puis des coquins, puis des âmes ; il n’y a pas de narration, mais la description d’une vue, d’un ordre de bataille, et c’est cette description qui charrie les décombres du récit de l’événement. Les catégories qui émergent avec la mise en place de ce nouveau régime esthétique de représentation sont la potentialité et la singularité quelconque.
Portrait de Leibniz à 68 ans - Haid d’après Auerbach
La potentialité d’abord : elle est paradoxalement portée par la théodicée leibnizienne que le récite brocarde. Nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, nous pourrions donc vivre dans une infinité d’autres mondes : ce que la boucherie héroïque exprime, renversant Leibniz, et ce que toute la suite du récit va suggérer, c’est que n’importe quel autre monde serait préférable. Il y a donc deux manières d’envisager la potentialité, soit positivement, comme élection par le réel du meilleur des mondes possibles, soit, négativement, comme révolte contre le réel et ouverture par la fiction de toutes ses alternatives possibles12. Cette ouverture, qui se présente comme une critique de Leibniz, n’est possible qu’à partir du modèle théorique créé par la Théodicée. La potentialité nie Leibniz à partir de Leibniz. C’est ce que manifeste le récit en faisant ressusciter Pangloss à la fin du chapitre : tué par la guerre, le discours leibnizien revient d’entre les morts : « Le fantôme le regarda fixement, versa des larmes et sauta à son cou. » Après la pire catastrophe qui le dément brutalement et horriblement, le discours leibnizien revient toujours comme un fantôme, comme un… esprit13. Car il donne la forme de la nouvelle représentation du monde qui le nie : un monde de négation symbolique radicale sur laquelle viennent se greffer les espérances et les chimères les plus folles ; une réalité à la fois absolument nulle et pleinement potentielle, ouvrant vers tous les mondes possibles.
La réalité héroïque du monde que Voltaire déconstruit ici n’est pas pour autant une réalité abstraite. La bataille qu’il évoque n’est pas une bataille théorique, même si elle ne représente exactement aucune bataille réelle. Mais Voltaire déplace l’accent de la réalité du moment, de l’événement même de la bataille vers ses conséquences, ses suites. Il suffit pour s’en rendre compte de poursuivre notre comparaison avec le récit de Fontenoy dans Le Siècle de Louis XV. Voltaire le concluait ainsi :
« Cette action décida du sort de la guerre, prépara la conquête des Pays-Bas, et servit de contre-poids à tous les événemens malheureux. Ce qui rend encore cette bataille à jamais mémorable, c’est qu’elle fut gagnée lorsque le général14 affaibli et presque expirant ne pouvait plus agir. Le maréchal de Saxe avait fait la disposition, et les officiers français remportèrent la victoire. » (p. 167)
La bataille est une « action » ; parce que cette action est préparée par une « disposition », elle détermine un sens et fait événement. La « boucherie héroïque » prend le contrepied systématique de cela : nul génie dans la disposition, qui est une pure façade. Il n’y a pas d’action, car le seul personnage qui s’y détache comme singularité est une singularité quelconque, c’est Candide. Enfin, il n’y a pas d’événement, car il n’y a pas de victoire, pas de cheminement vers une issue de la guerre, ni même vers un tournant décisif : de la boucherie du champ de bataille, on passe sans transition aux deux Te deum, qui s’annulent en quelque sorte l’un par l’autre : il n’y a pas de victoire si les deux camps se l’attribuent. Dans le récit de Fontenoy, la victoire est une scène de théâtre, du grand genre, où le récit prend soin de conserver leur dignité même aux vaincus :
« Les Anglais se rallièrent, mais ils cédèrent ; ils quittèrent le champ de bataille sans tumulte, sans confusion, et furent vaincus avec honneur.
Le roi de France allait de régiment en régiment ; les cris de victoire et de vive le roi, les chapeaux en l’air, les étendards et les drapeaux percés de balles, les félicitations réciproques des officiers qui s’embrassaient, formaient un spectacle dont tout le monde jouissait avec une joie tumultueuse. » (p. 164-165)
Une scène du Massacre des Innocents - Jean-Baptiste Marie Pierre
À ce spectacle, à cette scène héroïque du récit, la narration de Candide substitue le cheminement dans les coulisses de l’événement, dans le hors-scène des à côtés de la bataille, dans la réalité des pillages, des massacres de civils, des viols et des tortures.
« Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque.
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum15, chacun dans son camp, il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d’abord un village voisin ; il était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs ; d’autres à demi brûlées criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.
Candide s’enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et les héros abares l’avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n’oubliant jamais mademoiselle Cunégonde. »
Après le bref récit parodique de la bataille, Candide est le premier individu qui apparaisse. Si l’on peut dire qu’il apparaît : son action est de se cacher. Candide n’appartient pas à la scène héroïque de l’action, elle-même maintenue dans le vague neutralisant de la boucherie. La singularité de Candide est ramenée parodiquement à une catégorie générique par la comparaison : Candide, « comme un philosophe ». Voltaire se souvient peut-être ici des vers que Frédéric lui avait envoyés après sa victoire de Mollwitz en Silésie, en mai1741 :
En un mot, du centre du trouble,
Je vous cherche au sein de la paix,
Où vous savez jouir au double
De cent plaisirs, de cent succès ;
Où vous vivez quand je travaille ;
Où vous instruisez l’univers,
Lorsque de cent peuples divers
Je vois, au fort de la bataille,
Les ombres passer aux enfers16.
Frédéric II rendant visite à Voltaire - Baquoy d’après Monsiau
Frédéric opposait deux mondes, celui de la guerre prussienne et de l’action politique d’une part, dont il se présentait comme le centre et le maître, celui du raffinement et de l’esprit français d’autre part, qui est aussi celui de la philosophie, dont il accordait obligeamment la couronne à Voltaire. Voltaire au contraire place Candide au cœur de la bataille, non dans la position heureuse du philosophe des plaisirs de l’esprit, mais dans la terreur du carnage. Candide « tremblait comme un philosophe » se comprend d’abord ironiquement : le philosophe n’est pas le vaillant hoplite des batailles de Potidée, Délion et Amphipolis qu’était Socrate ; le philosophe est ce vain discoureur que Frédéric décrit sous couvert de flatterie et que Voltaire caricature en Pangloss, homme de mots et d’idées bien incapable d’affronter la réalité de l’ennemi dans une bataille.
Mais, comme souvent avec l’ironie, « comme un philosophe » se comprend aussi sans ironie : en bon philosophe attentif aux causes et aux conséquences, Candide ne se laisse nullement leurrer par le rutilant appareil des armées en parade. Il tremble quand les soldats courent aveuglément à la mort parce qu’il a conscience du danger et de la boucherie.
V. La ligne de la singularité quelconque
Dans l’espace dévasté de la guerre, le trajet de Candide trace une ligne qui est la ligne de la singularité : de la boucherie de la bataille au premier village abare massacré, de là au village Bulgare qui a subi le même sort, et de là enfin à la frontière hollandaise. Candide se réduit à cette ligne. Voltaire nous dit ce qu’il voit, jamais ce qu’il ressent. Il lui construit au contraire une parodie d’intériorité. Doit-il se déterminer à agir ? « il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes. » Autrement dit : d’aller se faire voir ailleurs. S’agit-il d’exprimer ce qu’il ressent ? Il traverse les horreurs « portant quelques petites provisions dans son bissac, et n’oubliant jamais mademoiselle Cunégonde ». Autrement dit : il a prévu son casse-croute et rêve toujours à son petit roman rose tranquille.
Candide est une « singularité quelconque ». Giorgio Agamben a récemment convoqué cette catégorie scolastique, le quodlibet ens, pour penser par elle la déconstruction du sujet post-moderne et le nouveau rapport qui se noue, par lui, à « la communauté qui vient17 ». Candide n’apporte pas sur le monde la singularité d’un point de vue, ni d’une action susceptibles de le changer. Candide ne prend pas part à l’événement, n’est pas un héros (ni même d’ailleurs un anti-héros) installé sur une scène de l’histoire (avec un grand comme avec un petit h) : il ne fait pas figure dans un événement. Candide est une ligne qui traverse un réel, un monde.
Candide ne décrit pas les horreurs qu’il traverse ; cette description est prise en charge par un narrateur omniscient. Lorsque un regard surgit, lorsque un cri se fait entendre, ce n’est pas celui de Candide, mais d’un vieillard devant sa femme égorgée, d’une fille brûlée qui demande à mourir. C’est le réel qui regarde, non un sujet, un observateur que le récit placerait face à lui, ou au milieu de lui18.
Pour autant, la description n’est pas objective : elle est conditionnée par la traversée de Candide, par la ligne de sa singularité. Cette ligne confère à la réalité décrite valeur d’ultima realitas, qui est le dernier état, l’état le plus actuel, le plus présent, le plus vivant de la forme même du réel, de sa forme atemporelle et universelle. Autrement dit, c’est la forme générale, la catégorie topique des horreurs de la guerre ; mais c’est cette forme vue depuis la ligne du trajet que fait Candide au milieu de cette réalité.
Qu’est-ce que ce trajet apporte à cette réalité ? Il lui apporte une eccéité. L’eccéité d’une forme, c’est son principe d’individuation, c’est ce qui fait que devant cette forme quelqu’un, n’importe qui, dit, ecce, la voici, c’est elle, je la reconnais. Candide atteste que ce qui nous est décrit et qu’il traverse est bien l’horreur de la guerre, l’exemple même, individualisé ici dans cet épisode précis au chapitre III de Candide, de ce qu’est l’horreur de la guerre en général.
À vrai dire, c’est à la fois l’exemple et la forme générale. C’est l’exemple sur la ligne du trajet, et c’est la forme générale à ses abords. Pour maintenir cette contradiction logique constitutive de la singularité quelconque, il faut préserver l’impensé du quelconque : Candide n’est ni exactement indifférent aux abords qu’il traverse, ni partie prenante de ce qu’il ne peut pas ne pas voir. Mais il ne prend pas de position ; la question de sa position n’est pas posée. Il n’est donc ni absolument singulier (occupant la singularité d’un point de vue) ni pour autant indifférent. Il est quodlibet, quelconque, ou plus précisément ce qu’il nous plaît qu’il soit, livré comme une place vacante à l’investissement libidinal du lecteur qui par lui, depuis son poste, peut venir jouir des abords, peut circonscrire une scène du monde par la valeur interprétative qu’il donnera à la ligne du trajet susceptible de la délimiter.
Massacre de la Saint-Barthélémy (Voltaire, Henriade, La Haye, 1728, frontispice)
C’est ici qu’intervient l’héroïsme de l’esprit. Voltaire dispose stratégiquement le terme dans son texte. Il est absent de la bataille jusqu’à sa conclusion macabre : « cette boucherie héroïque ». Le héros surgit sous une forme adjectivée, c’est-à-dire adjacente, non comme essence d’une figure sur la scène de la guerre, mais comme attribut, qualité d’un non-spectacle, d’un non-événement commun. Le héros bascule de l’essence vers l’attribut, de la scène vers l’abord, de l’individu vers le commun. Et de fait c’est dans ces abords monstrueux de l’arrière-scène de la guerre que le héros se manifeste : les filles éventrées ont « assouvi les besoins naturels de quelques héros » ; « des héros abares avaient traité de même » le village bulgare voisin.
Il ne suffit pas de remarquer ici que les héros ne sont héros que par antiphrase, et que Voltaire fait la satire des horreurs de la guerre. Les héros sont déplacés de la scène effondrée du récit vers les abords du trajet de Candide ; les héros ne conquièrent dans le récit leur dénomination et, de là, leur essence de héros qu’après la bataille. Ils convoquent depuis l’arrière-scène une catégorie que l’avant-scène ne peut que décevoir.
Voltaire fait de l’esprit sur ce mot de héros, et ce faisant il met en œuvre le rapport, la conjonction qu’il décrivait en 1744 dans la Lettre sur l’esprit : c’est l’auteur qui paraît quand on voudrait voir le héros. Mais l’auteur paraît pointant les héros, qui sont des violeurs et des massacreurs. Le texte satisfait donc quand même la demande, qui est la demande du héros : vous vouliez des héros de roman, l’esprit de Voltaire vous en prive, mais il vous les donne quand même, non dans le brillant de l’histoire mais dans le sordide des abords du réel, il vous les donne par antiphrase, et il vous les donne héroïquement, en faisant acte de courage par son esprit. Dans le nouveau monde que gouverne le régime esthétique et qu’ordonnent les singularités quelconques, l’héroïsme s’est virtualisé dans la scène du langage, renouant avec les catégories scolastiques du quodlibet ens. Le nouvel héroïsme est l’héroïsme de l’esprit.
Notes
Le comte de Hauteroche, alors lieutenant des grenadiers, et depuis capitaine, leur dit à voix haute ; “Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers ; tirez vous-mêmes.” Les Anglais firent un feu roulant, c’est-à-dire qu’ils tiraient par divisions ; de sorte que, le front d’un bataillon sur quatre hommes de hauteur ayant tiré, un autre bataillon fesait sa décharge, et ensuite un troisième, tandis que les premiers rechargeaient. La ligne d’infanterie française ne tira point ainsi : elle était seule sur quatre de hauteur, les rangs assez éloignés, et n’étant soutenue par aucune troupe d’infanterie. Dix-neuf officiers des gardes tombèrent blessés à cette seule charge. Messieurs de Clisson, de Langei, de Peire, y perdirent la vie ; quatre-vingt quinze soldats demeurèrent sur la place ; deux cent quatre-vingt cinq y reçurent des blessures ; onze officiers suisses tombèrent blessés, ainsi que deux cent neuf de leurs soldats, parmi lesquels soixante-quatre furent tués. » (p. 154-155)
L’édition de Kehl est la première édition posthume des œuvres complètes, réalisée de 1785 à 1790 en 70 volumes in-8° et 92 volumes in-12°, sous la direction de Beaumarchais et de Condorcet. Cette édition monumentale, réalisée avec beaucoup de soin, a servi de modèle à toutes les éditions postérieures des œuvres complètes jusqu’à la fin du XIXe siècle. Beaumarchais installa les imprimeurs dans le fort de Kehl en face de Strasbourg, sur les terres du Margrave de Bade pour échapper à la censure.
Voltaire, La Mérope française, avec quelques petites pièces de littérature, Paris, Prault, 1744. Bnf, 8-YTH-11676 et 11677 ; Z BEUCHOT-565 (1).
« Ah ! m’y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J’ai vu le feu ! se répétait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire. À ce moment, l’escorte allait ventre à terre, et notre héros comprit que c’étaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il avait beau regarder du côté d’où venaient les boulets, il voyait la fumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égale et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges beaucoup plus voisines ; il n’y comprenait rien du tout. » (Stendhal, La Chartreuse de Parme, I, 3, éd. H. Martineau, Garnier, 1961, p. 43)
Sur le parallèle de Tolstoï et de Stendhal, voir J. Rancière, « Le maître des surfaces », in Aisthesis, Galilée, 2011, p. 195.
« De beaux hommes, dit Napoléon en regardant un grenadier russe tué, qui, le visage en foncé dans le sol et la nuque noircie, était couché sur le ventre, une main déjà raidie, rejetée au loin. […] Voilà une belle mort ! dit -il en regardant Bolkonski. Le prince André comprit que ces paroles étaient dites par Napoléon et se rapportaient à lui. Il entendait qu’on appelait Sire celui qui les prononçait. Mais tout cela restait pour lui comme le bourdonnement d’une mouche, sans intérêt ; il n’y prêta aucune attention et les oublia aussitôt. […] Ce qui se passa ensuite fut comme un cauchemar, dont le prince André ne se rappelait que des lambeaux… » (Léon Tolstoï, Guerre et Paix, IIIe partie, chap. 19, trad. M. J.-W. Bienstock et P. Laurent, Marabout, s. d., t. I, p. 314-315. Les phrases en italiques sont en français dans le texte.)
« … comme par exemple ce réflexe qu’il a eu de tirer son sabre quand cette rafale lui est partie dans le nez de derrière la haie : un moment j’ai pu le voir ainsi le bras levé brandissant cette arme inutile et dérisoire dans un geste héréditaire de statue équestre que lui avaient probablement transmis des générations de sabreurs, silhouette obscure dans le contrejour qui le colorait comme si son cheval et lui avaient été coulés tout ensemble dans une seule et même matière, un métal gris, le soleil miroitant un instant sur la lame nue puis le tout — homme cheval et sabre — s’écroulant d’une pièce sur le côté comme un cavalier de plomb commençant à fondre par les pieds et s’inclinant lentement d’abord puis de plus en plus vite sur le flanc, disparaissant le sabre toujours tenu à bout de bras derrière la carcasse de ce camion effondré là, indécent comme un animal une chienne pleine traînant son ventre par terre… » (Claude Simon, La Route de s Flandres, Minuit, 1960, p. 12)
Cette Histoire de Voltaire a connu une destinée éditoriale mouvementée : le manuscrit inachevé est volé et publié malgré lui en 1755 et en 1756 ; Voltaire en intègre une partie dans son édition de 1763 de l’Essai sur les mœurs, et complète finalement son projet qu’il publie sous le titre de Précis du Siècle de Louis XV en 1768. Cela veut dire qu’à la fin des années 1750, Voltaire a son récit de la guerre de Succession d’Autriche sur la table, quand il écrit Candide.
Ce mot n’existe pas en français ! En grec, κτηνοβάτης, qui va vers les bêtes, zoophile (Aristophane).
On a voulu identifier le roi des Abares à Louis XV. Il n’intervient jamais dans le récit, cette identification est infondée et improductive. Le roi des Abares est créé par jeu verbal à partir de « roi des Bulgares », pour dire que c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Ce n’est certainement ce que Voltaire dirait de Louis XV et de Frédéric II.
Frédéric écrit à Voltaire pour lui annoncer sa victoire. Voltaire lit sa lettre au public au cours d’une représentation du Mahomet à Lille. Mais il désapprouve l’annexion de la Silésie et, d’une façon plus générale, il déteste la guerre. Il espère que le vieux Fleury, qui est alors le premier ministre de Louis XV, fera la paix avec Marie-Thérèse d’Autriche, à qui il adresse une ode en ce sens. L’ode est publiée, elle fait scandale. Voltaire félicite Frédéric pour sa paix séparée. En juin 1742, il lui écrit : « la moitié du monde crie que vous abandonnez nos gens à la discrétion du dieu des armées ; l’autre moitié crie aussi, et ne sait ce dont il s’agit. Quelques abbés de Saint-Pierre vous bénissent au milieu de la criaillerie. Je suis un de ces philosophes, je crois que vous forcerez toutes les puissances à faire la paix, et que le héros du siècle sera le pacificateur de l’Allemagne et de l’Europe. J’estime que vous avez gagné de vitesse le bon vieillard. » (Jean Sareil, Voltaire et les grands, p. 45) Voltaire fait référence d’abord à la paix séparée de Frédéric, qui abandonne la France venue pourtant à son secours ; l’abbé de Saint-Pierre était l’auteur d’un Projet de paix perpétuelle (1713) reposant sur la construction politique d’une Europe fédérale ; le bon vieillard est Fleury.
L’emblème de cette guerre en dentelle est une célèbre anecdote que rapporte Voltaire au début de la bataille : « Les officiers anglais saluèrent les Français en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Biron, qui s’étaient avancés, et tous les officiers des gardes françaises leur rendirent le salut. Milord Charles Hay, capitaine aux gardes anglaises, cria : “Messieurs des gardes françaises, tirez.”
Voir par exemple cette exclamation de Candide à la fin du chapitre VI : « Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? » (p. 54) Ou au chapitre X, alors qu’ils se sont embarqués pour les Amériques : « Nous allons dans un autre univers, disait Candide ; c’est dans celui là sans doute que tout est bien. […] C’est certainement le nouveau monde qui est le meilleur des univers possibles. » (p. 63)
Dans la première section de l’article Esprit des Questions sur l’Encyclopédie, Ve partie, on peut lire : « Ce que nous entendons communément en français par esprit, bel esprit, trait d’esprit, etc., signifie des pensées ingénieuses. Aucune autre nation n’a fait un tel usage du mot spiritus. Les Latins disaient ingenium ; les Grecs, εὐφυΐα, ou bien ils employaient des adjectifs. Les Espagnols disent agudo, agudeza. » Et quelques lignes plus loin : « Manes, umbræ, simulacra, sont les expressions de Cicéron et de Virgile. Les Allemands disent geist, les Anglais ghost, les Espagnols duende, trasgo ; les Italiens semblent n’avoir point de terme qui signifie revenant. Les Français seuls se sont servis du mot esprit. Le mot propre, pour toutes les nations, doit être fantôme, imagination, rêverie, sottise, friponnerie. »
Voltaire veut parler ici du comte de Saxe, qui fut le stratège héroïque de cette bataille et y participa en personne et sur le front, alors qu’il était déjà mourant.
A l’issue de la bataille de Dettingen (27 juin 1743), où les Anglais conduits par leur roi Georges II défirent les Français commandés par le maréchal de Noailles, Haendel composa le Te Deum de Dettingen, HWV283.
Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque, trad. Marilène Raiola, Seuil, 1990. Voir notamment le chapitre V, Principium individuationis.
Il faut opposer à cette description de l’arrière-scène des batailles le récit voltairien de la prise en charge des blessés après la bataille de Fontenoy, modèle d’organisation et d’humanité, modèle aussi de communauté : « Jamais, depuis qu’on a fait la guerre, on n’avait pourvu avec plus de soin à soulager les maux attachés à ce fléau. Il y avait des hôpitaux préparés dans toutes les villes voisines, et surtout à Lille ; les églises même étaient employées à cet usage digne d’elles ; non seulement aucun secours, mais encore aucune commodité ne manqua, ni aux Français, ni à leurs prisonniers blessés. Le zèle même des citoyens alla trop loin ; on ne cessait d’apporter de tous côtés aux malades des aliments délicats ; et les médecins des hôpitaux furent obligés de mettre un frein à cet excès dangereux de bonne volonté. Enfin les hôpitaux étaient si bien servis, que presque tous les officiers aimaient mieux y être traités que chez des particuliers ; et c’est ce qu’on n’avait point encore vu. » (p. 166-167)
Référence de l'article
Stéphane Lojkine, « L'héroïsme de l'esprit », Voltaire, l'esprit des contes, cours d'agrégation donné à l'université d'Aix-Marseille, 2019-2020
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