Les objets dans les Contes de Perrault et dans les illustrations de Gustave Doré
On a souvent souligné l’incongruité des « joujoux » présents dans le Frontispice des Contes de Perrault illustrés par Gustave Doré, qui déplacent le propos et touchent un public différent de celui que visait l’auteur du XVIIe siècle. Nombre de commentateurs1 ont retenu quelques objets pour soulever des questions essentielles concernant les relations entre texte et images. Nous voudrions apporter une pierre à l’édifice. De quel usage des objets s’agit-il dans l’œuvre littéraire d’un contemporain de Louis XIV et dans celle d’un artiste du XIXe siècle, s’agissant de contextes – social, politique, culturel – fort différents ? À quels imaginaires renvoient-ils ? Mais avant de présenter les objets dans les œuvres de Perrault et Doré, précisons ce que nous entendons par là : l’objet se définit par l’usage qui en est fait, mais étymologiquement est objet ce qui est placé devant, autrement dit, ce qui s’offre au regard dans l’image par divers procédés, et en matière de littérature ce qui est désigné, voire décrit comme tel. Pour autant, faut-il renoncer à considérer les corps réifiés ? S’agissant de contes merveilleux, nous avons présents à l’esprit des objets magiques. Or l’œuvre de Perrault, et davantage encore les illustrations de Doré, offrent toutes sortes d’objets (ustensiles, outils, armes, bijoux, accessoires de costumes, éléments de décor). S’agit-il d’objets signes – métonymiques, métaphoriques, symboliques – ou valant pour eux-mêmes ? Quelle est leur importance sur les plans narratif et descriptif dans l’œuvre littéraire et dans les illustrations ? Comment les partis pris de Doré engagent-ils ce qu’il est convenu d’appeler fidélité ou infidélité de l’illustrateur par rapport aux textes2 ? Qu’en est-il sur le plan esthétique ? De quelle façon réalisme et imaginaire s’articulent-ils dans le traitement graphique des objets ? Dans quelle mesure les objets concourent-ils au travail sur le(s) fantasme(s) et nous font-ils passer du merveilleux au fantastique ?
Préambule
Nous évoquerons deux illustrations souvent commentées pour mettre en lumière ce que Pierre Michel appelle l’« intericonicité3 ». Selon lui, le Frontispice de Doré (Pl. 1, D, 10, Fig. 14) « exalte […] tout ce cérémonial spéculaire qui s’est emparé de l’imaginaire collectif et qui préside au processus même de la création, dans un perpétuel va et vient entre texte et image5 ». Jean-Marc Chatelain6 souligne la transformation radicale opérée à partir de celui de 1697 (Fig. 2). Tout un chacun de signaler le changement de contexte social – pour ce qui nous occupe, un fauteuil à oreillettes (repris pour la vieille de « La Belle au bois dormant ») a remplacé le grossier tabouret de la vieille paysanne – et celui de la transmission, orale ou écrite des contes, celle-ci matérialisée par le livre et les binocles. Nous avons ici une double mise en abyme, celle du livre et celle du travail de l’illustrateur. Ce grand livre ouvert sur les genoux de la grand-mère n’est-il pas celui de l’édition Hetzel comme le suggère son format ? Le tableau richement encadré (signe de bourgeoisie comme les costumes de l’auditoire) placé par Doré en haut à droite derrière le buste de la jeune mère représente le moment où Poucet ôte à l’ogre endormi une de ses bottes : il est à la fois l’annonce du conte et une variation sur l’illustration par la composition en diagonale avec ce corps en raccourci qui n’est pas sans évoquer plus d’une œuvre7.
Les joujoux anachroniques – petit théâtre, chien ou mouton à roulettes8, pantin dont Pierre Michel écrit qu’il « tourne des yeux révulsés vers le lecteur et semble l’inviter à entrer dans le cercle des regards », crécelle – négligemment abandonnés au premier plan « comme s’il fallait saturer l’image des signes de l’enfance9 », rappellent le projet éditorial d’un livre d’étrennes pour les enfants de la bourgeoisie. Pour autant, tous ces signes n’invitent-ils pas à une lecture savante des illustrations, bien davantage destinée à un public de bibliophiles qu’à des enfants ? Les objets tissent des réseaux. Les binocles de la lectrice sont ceux de la mère-grand du « Petit Chaperon rouge » et ceux de la marraine de Cendrillon. Dans la Figure au titre (Pl. 2, D, 13, Fig. 4), le livre à la couverture épaisse marquée des initiales de Jules Hetzel devient une monture fantastique pour quelques personnages des Contes à califourchon (du fond vers l’avant : une fée et sa baguette, l’ogre et son coutelas, Riquet à la houppe, le chat botté, une fillette au petit pot, Poucet). Les pages à peine fatiguées du livre du Frontispice sont ici comme écrasées : les hachures irrégulières sur fond blanc donnent l’image d’un livre souvent feuilleté. La frontière entre l’espace du conte et celui de la lecture est ainsi brouillée. Et sur le lutrin du garde-meuble de la Barbe bleue (Pl. 39, D, 154, Fig. 5), le même livre aux feuillets écartés ne peut-il être considéré comme un nouvel avatar du premier, invitant à penser que le destin de toutes les femmes de la Barbe bleue est déjà consigné dans ses pages10 ?
Plan narratif
Qu’ils apparaissent dans la situation initiale ou lors de péripéties, ou amènent le dénouement, les objets ont un rôle essentiel sur le plan narratif. Ils peuvent déclencher l’action, qu’il s’agisse de réparer un manque ou une faute, d’imposer un interdit ou de donner une mission au héros ou à l’héroïne.
Dans « Le petit Chaperon rouge », les galettes faites par la mère et le « petit pot de beurre » que Doré dessine assez gros11 (Pl. 5, D 28, Fig. 6) sont, par l’ordre qu’elle donne à la fillette d’en porter une à la mère-grand (P, 113), le point de départ d’un parcours qui mène l’enfant vers la forêt et la rencontre du loup. Quant au « chaperon rouge », outre qu’il vaut à la fillette son surnom, il est essentiel à la logique narrative, puisqu’il attire l’attention de l’agresseur (le loup). Nous suggèrerons que la couleur de l’objet préfigure la dévoration au sens explicite et implicite (sexuel) puisque la moralité met en garde les jeunes filles sans chaperon (au sens de duègne) contre les entreprises des séducteurs (P, 115). Dans « Les Fées », la grande cruche que la cadette doit remplir chaque jour à la source est à l’origine de son geste à l’égard de la vieille femme, qui en retour lui fait un don (P, 147). Doré illustre cette rencontre comme nombre de ses prédécesseurs qui ignorent le sens classique du mot « fontaine », en représentant une fontaine en pierre avec un énorme tuyau (Pl. 37, D, 145, 146, Fig. 7), méprise qui nous vaut l’opposition entre le corps voûté de la vieille femme et le mouvement gracieux de la jeune fille, renvoyant à une imagerie de la femme à la fontaine ou au puits12. Les bottes et le sac que le chat réclame au fils du meunier (P, 137) sont les éléments qui lancent l’action, d’abord en faveur du chat lui-même qui échappe ainsi à un sort tragique : son maître dit en effet : « lorsque j’aurai mangé mon chat et fait de sa peau un manchon, il faudra que je meure de faim » (P, 137). Dans « La Belle au bois dormant », le couvert moins précieux que les autres donné à la vieille fée pour corriger l’oubli (P, 97) est la source du méfait : il suscite sa colère et la pousse à prédire la mort de la princesse par le biais d’un objet anodin, un fuseau.
Se succèdent les péripéties liées à cet objet : l’interdiction royale, la rencontre de la vieille femme qui file, la curiosité de la jeune princesse, et le geste fatal. La gravure (Pl., 17, D, 58, Fig. 8) attire notre attention sur l’objet par la position des mains de la jeune princesse et les jeux de regards : le sien, et celui d’un corbeau perché sur le haut du fauteuil (et de mauvais augure). Mais un autre objet vient contrecarrer la malveillance de la fée outragée : la baguette de la jeune fée qui utilise son don pour changer la mort en sommeil (P, 100), ce qui engendre la quête du prince, le réveil de la princesse, et le mariage.
Pour échapper au désir incestueux de son père, Peau d’âne est aidée par sa marraine qui lui suggère de demander ce qui paraît impossible, trois robes plus fabuleuses les unes que les autres. Or le rôle dévolu à ces objets achoppe sur la maîtrise des artisans capables de les exécuter en un temps record. Cet échec conduit la fée à donner à la princesse deux objets magiques, la cassette et sa baguette (P, 64) qui lui permettent de quitter le dimanche la peau de l’âne pour se parer, et ainsi paraître aux yeux éblouis d’un jeune prince. Doré n’illustre aucune de ces séquences, préférant celles de la fuite. Dans « Les Fées », le don accordé à la cadette en récompense de sa civilité, (« à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une Fleur ou une pierre précieuse ») devient réalité lorsqu’elle répond à sa mère : « il lui sortit de la bouche deux Roses, deux Perles et deux gros Diamants » (P, 148). Ces objets magiques attisent la cupidité de la mère qui envoie l’aînée à la fontaine ; celle-ci « prit le plus beau Flacon d’argent qui fût dans le logis » (P, 148) et l’on sait la suite : l’échec de l’épreuve, le retour, la colère de la mère retournée contre la cadette, la fuite et le secours inattendu du « fils du Roi ». Or celui-ci, d’abord sensible à sa beauté, semble bien plus intéressé par les richesses que la jeune fille prodigue en parlant :
Le fils du roi qui vit sortir de sa bouche cinq ou six Perles et autant de diamants, la pria de lui dire d’où cela lui venait. Elle lui conta toute son aventure. Le fils du Roi en devint amoureux et considérant qu’un tel don valait mieux que tout ce qu’on pouvait donner en mariage à un autre, l’emmena au palais du Roi son père, où il l’épousa (P, 149).
Éric Tourrette commente ainsi l’humour de Perrault : « la séduction cyniquement économique du jeune homme, bien éloignée de la naïveté gratuite du cœur, […] signalée par une syllepse lourde de dérision (“un tel don valait mieux…”) : le double sens, par sa cruauté brutale, paralyse […] la réaction affective13. » Et de citer Marc Soriano : « Le don de la Fée qui, par définition se situe dans un univers magique, fait l’objet d’une véritable estimation, au sens juridique et financier du terme14. » Dans « Peau d’âne », ce lien entre séduction et richesse est exprimé de façon moins brutale lorsque le Prince mange la galette préparée par la jeune fille et trouve l’anneau : « Quand il en vit l’émeraude admirable, | Et du jonc d’or le cercle étroit […] | Son cœur en fut touché d’une joie incroyable » (P, 70). L’affectivité n’est pas effacée puisque « son mal toujours augmentant », on comprend qu’il est « malade d’amour » et que, tel le Prince de Cendrillon, il n’aura de cesse de retrouver celle dont il avait d’abord admiré la beauté et « un certain air de grandeur | Plus encore une sage et modeste pudeur » (P, 68).
Plus que les métamorphoses opérées par la baguette de la fée pour permettre à Cendrillon d’aller au bal, c’est le don des « pantoufles de verre » et des habits somptueux (P, 160) qui engage l’action : la perte de la pantoufle entraîne les recherches commandées par le prince, puis la reconnaissance de l’identité de la belle inconnue et finalement le mariage. Rappelons que « la pantoufle féminine et un objet érotique ou érotisé, lieu de fantasmes masculins [...] : elle cache [le pied] et le révèle à la fois.15 » Dans Perrault, le symbole sexuel de la pantoufle – qui « dans la logique de l’inconscient […] représenterait le sexe féminin16 » selon Bettelheim – est masqué par l’usage social aristocratique, et dans le même temps révélé par la fragilité du verre, métaphore de la virginité17.
Doré ne retient que l’épisode de l’identification par les gentilshommes (Pl. 25, D, 86, 90), avec le joli mouvement de la jambe et des pieds dénudés, plaçant au premier plan, presque au centre, une fine pantoufle sur laquelle un chat spectateur oriente notre regard par l’intérêt qu’il manifeste pour l’objet en s’avançant vers lui.
Le Maître chat, lui, met son ingéniosité au service de son maître : il utilise le sac comme un braconnier et grâce aux bottes qui lui permettent de parcourir de grandes distances en fort peu de temps – « il s’en alla chez le roi… », « Il alla ensuite… » (P, 138) –, il peut offrir au roi en signe d’allégeance ses prises présentées comme des dons du soi-disant marquis de Carabas.
La remise du trousseau de clefs par la Barbe bleue qui prétend partir en voyage pour affaires constitue la péripétie première, et l’interdit qui pèse sur « la petite clef du cabinet » (P, 124) fait de cet objet le point de départ de ce qui conduirait à la mort de la jeune épousée si ses frères n’arrivaient pas à temps. On voit en effet la jeune femme passer de la transgression de l’interdit à la découverte de l’horreur qui conduit à la maladresse (laisser tomber la clef sur le plancher ensanglanté). Le pouvoir magique de la clef permet à la Barbe bleue de savoir la vérité, suscitant sa colère au point qu’il s’empare d’un coutelas « pour lui abattre la tête » (P, 127).
Un autre coutelas est mis en valeur par deux fois dans les illustrations du « Petit Poucet ». C’est d’abord celui que l’ogre tient à l’horizontale dans la main droite et qui est le signe de la menace qui pèse sur les enfants qui l’implorent (Pl. 14, D, 48, Fig. 9). Plus tard, il brandit la lame blanche vivement éclairée au-dessus de la tête de ses filles (Pl. 15, D, 50, Fig. 10). On sait que, choisissant d’éclairer violemment la scène, Doré privilégie l’horreur au détriment de la méprise que permet l’obscurité dans le texte de Perrault (P, 194). En effet il occulte la substitution que Poucet a opérée : les bonnets des garçons remplaçant sur la tête des fillettes les couronnes d’or18. Cette trahison modifie la portée de l’épisode19.
Pour le coup de théâtre du dénouement de « La Barbe bleue », préparé par les appels au secours, Doré compose une scène de drame romantique toute en mouvement dans laquelle il confronte graphiquement les armes : le coutelas de la Barbe bleue, mis en valeur par le blanc éblouissant de la lame, et les épées des frères (Pl. 41, D, 164, Fig. 11). Le meurtrier tient son coutelas à la main, mais le bras révulsé en arrière rend l’arme inutile. L’épée du mousquetaire la croise alors que sa pointe est enfoncée dans le dos de la Barbe bleue et que l’épée du dragon est fichée entre ses épaules. Les bottes de sept lieues sont pour Poucet le moyen d’un renversement social : de la misère, il passe à l’aisance, devenant messager aux armées pour le compte du roi et aussi pour les dames qui veulent des nouvelles de leurs amants ou maris partis à la guerre (P, 197).
Comme le rappelle Louis Marin à la suite de Propp, l’objet magique, outre sa fonction narrative spécifique au conte merveilleux, peut être également un qualificateur social qui, du même coup, légitime le passage d’un ordre à un autre. Ainsi les bottes du Chat botté ont moins pour usage de permettre au chat d’« aller dans les broussailles » que la fonction d’insigne distinctif du cavalier, autorisant sa venue à la Cour20.
Dans l’œuvre littéraire comme dans les illustrations, les armes connotent l’aristocratie, mais alors que Perrault ne les mentionne qu’en rapport avec l’action, Doré en multiplie les signes : un page de la scène du bal a une dague au côté, de même que Riquet. Les personnages qui s’inclinent, devant Cendrillon au bal (Pl. 24, D, 82, Fig. 12), devant le roi chagrin de Peau d’âne (Pl. 31, D, 120, Fig. 13), ou ce roi devant le druide – scène inventée par Doré (Pl. 32, D, 124, Fig. 14) – portent l’épée qui dépasse de la cape ou se redresse en oblique, ce qui leur donne l’allure de gros insectes maladroits, dans l’esprit de la caricature.
Certains accessoires de costume fonctionnent également comme signes d’une appartenance sociale. Le fameux « chaperon rouge » (invention de Perrault) qui distingue la fillette est, rappelons-le, une coiffure21, dont Doré fait un élégant béret, aussi peu historique que possible (Pl. 5, D, 28). Chez Perrault, « cet accessoire un peu trop luxueux et ostentatoire que l’enfant a reçu du fait de l’amour excessif que lui porte sa grand-mère22 » désigne la condition sociale, tout en étant un élément moteur du conte. Dans les images de Doré, la coiffe joliment brodée de la femme de l’ogre rappelle celles de riches paysannes alors que la bûcheronne en porte une toute simple comme celle de la vieille au fuseau de « La Belle au bois dormant ». Les « méchants habits » de Cendrillon disent la condition vile que lui fait sa mère par opposition au « beau linge » de ses sœurs et à la « barrière de diamants » que portera la cadette (P, 158).
Si, comme l’écrivent Pierre-Emmanuel Moog et Ghislaine Chagrot à propos du Chat botté, « les bottes font le gentilhomme23 », associées au chapeau à plume et à la cape (Pl. 26, D, 94, Fig. 15), elles le rapprochent des beaux-frères de la Barbe bleue (Pl. 41, D, 164, Fig. 16) – mousquetaire et dragon que nomme le texte (P, 128) –, alors que le sabot du père de Poucet mis en évidence par sa position devant l’âtre, parallèlement à la hache, est signe de roture pour ce manant (Pl. 7, D, 34, Fig. 17). Le contenu de la cassette de Peau d’âne rappelle son rang de princesse : « Elle se décrassait, puis ouvrait sa cassette, | Mettait proprement sa toilette24, | Rangeait dessus ses petits pots. » (P, 66) À l’inverse, fuseaux et quenouilles sont associés à des femmes du peuple ou supposées telles, qu’il s’agisse de Grisélidis en bergère (P, 22) ou de la vieille qui vit oubliée « en haut d’un donjon dans un petit galetas » (P, 99). L’illustration de Doré (Pl. 17, D, 58) suggère l’exiguïté du lieu par la composition, les personnages occupant les deux tiers de l’image, tandis que le fond se limite à un mur lézardé, à la porte en bois, à une cage toute simple et à une tenture dessinée en longues lignes qui évoquent un tissu grossier, comme celui qui recouvre les genoux de la vieille (au statut social indécis chez Perrault). La tapisserie élimée du fauteuil rendue par de petites hachures serrées et désordonnées sur le dossier, sombres sur l’accoudoir, accentue l’impression de pauvreté. Et tout cela contraste avec les riches atours de la jeune princesse.
Plan descriptif
Qu’en est-il des représentations d’objets dans le conte ? Pour l’illustrateur, comment mettre en image l’allusif, l’indicible ?
Force est de constater que Perrault, si disert lorsqu’il s’agit d’énumérer tout ce qui contribue au faste des fêtes et mariages princiers (« Grisélidis », « Peau d’âne ») ou les éléments signes de richesse (or, argent, pierreries), est fort peu éloquent en matière descriptive pour les objets. En outre, son style est d’un pur classique, la plupart du temps hyperbolique : « les garde-robes, toutes plus belles et plus riches les unes que les autres » (P, 124) ; l’anneau de Peau d’âne est « de grand prix » et son émeraude « admirable » (P, 70). Il arrive que l’indicible – la « robe couleur du Temps » (P, 61) – amène en cours de récit une équivalence sémantique qui permette d’imaginer cette toilette d’abord désignée par des périphrases – « riche habillement » (P, 62), « ouvrage précieux » (P, 63) : cette première robe est « azurée » (P, 62).
Que fait Doré ? Si l’on en croit Tony Gheeraert, « ces effets de richesse et de somptuosité, qu’on a pu rattacher à l’esthétique rococo disparaissent des illustrations de Doré25 ». Or une étude des objets présents dans la chambre de la Belle et dans le garde-meuble de la Barbe bleue dément ces propos. En effet, alors que Perrault évoque par une accumulation « le nombre et la beauté des tapisseries, des lits, des sophas, des cabinets, des guéridons, des tables et des miroirs, où l’on se voyait des pieds jusqu’à la tête » (P, 124), Doré choisit de souligner la richesse de la Barbe bleue par la profusion d’objets de prix mis en valeur par l’éclairage et le graphisme (Pl. 39, D, 152, 154, 156, Fig. 18). En haut, un superbe lustre aux pendeloques et volutes finement dessinées attire l’attention par de subtils jeux de lumière et d’ombre, et l’on devine à l’arrière-plan dans la pénombre un grand miroir rococo gravé en verticales serrées, l’illusion du cadre étant donnée par des motifs floraux. À gauche en bas, recouverte d’un de ces lourds tapis aux motifs contournés dont raffolait le Second Empire, la table présente divers objets comme dans la boutique d’un antiquaire ou chez un collectionneur : le coffre chargé de bijoux qu’une des femmes entrouvre et duquel descend, vivement éclairé, un collier de perles ; un grand plat sombre ; à l’arrière une magnifique aiguière ciselée et une sorte de vase au pied ouvragé, rococo lui aussi. Les jeux de reflets et de matière savamment rendus par des traits serrés sur le gris foncé mettent en valeur chaque objet comme dans la nature morte d’un peintre hollandais ou d’un Chardin. Certains de ces éléments sont ajoutés dans la chambre de la Belle au bois dormant (Pl. 21, D, 66, 68, Fig. 19) : sur le pied du lit, une aiguière, un grand plat avec des fruits ; sur le mur au fond à droite, un trophée et une armure. Notons que, curieusement, tous ces objets ont disparu de la chambre à l’arrivée du prince au profit de la confrontation entre le prince et la Belle (Pl. 22, D, 70, Fig. 20) : le lit n’est plus vu en raccourci mais obliquement, et c’est un lit à baldaquin « gothique », la lumière crue de la lune éclairant les draps et la princesse.
Dès lors se pose la question du réalisme.
Le conteur évoque avec précision dans « Le Chat botté » les talents du Maître chat : « il mit du son et des lasserons dans son sac, et s’étendant […] il attendit que quelque jeune lapin vînt se fourrer dans son sac », ce qui réussit : « le maître chat tirant aussitôt les cordons le prit et le tua » ; le même piège prend deux perdrix (P, 138). On trouve là comme chez La Fontaine la transposition de techniques de braconnage qui, à l’époque, conduisaient le contrevenant aux galères. Contrairement à Grandville qui dessine un chat portant des bottes à éperons, couché, « contrefaisant le mort » à côté d’un sac et de deux lapins vivants26, Doré ignore l’épisode. Mais faire nommer par la marraine de Cendrillon souricière, ratière et arrosoir, où trouver souris, rats et lézards (P, 159-160), c’est faire ressortir le pouvoir magique de la fée. Les « haillons » de Peau d’âne font d’elle la souillon bonne à « bien laver des torchons | Et nettoyer l’auge aux cochons » dans une métairie (P, 65) ; or là encore il s’agit de mieux souligner « Que sous sa crasse et ses haillons | elle gardait encore le cœur d’une princesse » lorsqu’elle découvre le prince (P, 67).
Doré fait un sort aux objets, allant parfois jusqu’à en ajouter. C’est particulièrement vrai pour les ustensiles, les outils et certains éléments du décor.
Si Perrault évoque dans « Le Chat botté » les paysans au travail, il ne s’agit que de mettre en valeur la ruse du chat qui fait passer son maître pour un seigneur : « ayant rencontré des paysans qui fauchaient un pré », il leur ordonne de dire que ce pré « appartient à monsieur le marquis de Carabas » (P, 139). Doré, lui, met en valeur la sujétion des faucheurs par la composition (Pl. 27, D, 96, Fig. 21) : au centre d’un espace réservé en blanc, l’arrogant Maître chat porte toujours chapeau à plume et bottes ; les manants font cercle autour de lui, prosternés, les faux à terre pour ceux de gauche, une faux à la main pour celui qui s’abaisse et une faucille au premier plan ; une autre faux est levée un peu à droite au centre de l’image, la pointe vers le bas. Tous les hommes tiennent leur chapeau à la main ; un peu en arrière un faucheur encore debout tient sa faux dressée et soulève son couvre-chef. Les outils, dont les formes sont nettement dessinées par les contours et réservées en blanc, associés aux postures de soumission (on ne voit au premier plan que les arrière-trains des paysans, dont un au centre avec une culotte rapiécée) donnent une image du peuple écrasé par les puissants. Les choix de Doré insistent sur la condition du peuple alors que les intérieurs paysans ou pauvres n’intéressent pas le conteur, grand commis de Louis XIV27.
Le système de fermeture de la porte d’un humble logis est matière à une formule répétée, parodiant les contes oraux, ce qui aboutit à une déréalisation : « Tire la chevillette, la bobinette cherra28 » (P, 114). Simple rappel de la réalité paysanne, la huche dont parle le loup : « Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche » (P, 114) ignorée par Doré qui focalise notre attention sur les personnages.
L’escabelle du père de Poucet n’est qu’une cachette qui permet à l’enfant de surprendre le projet du père. Dans l’illustration (Pl. 7, D, 34, Fig. 17), Poucet est sous le tabouret de la mère. Doré multiplie les signes de la misère : en haut à droite, une corde grossière d’où pendent des haillons et au premier plan, une écuelle vide désignée par les regards du chien et du chat faméliques. Le couple humain tient ce qui semble être une rave ou un navet et le bûcheron n’a plus qu’un sabot, son autre pied est emmailloté. La hache posée contre la pierre de la cheminée rappelle son activité et renvoie à un autre passage du texte de Perrault : « Le Bûcheron se mit à couper du bois et ses enfants à ramasser les broutilles pour faire des fagots. » (P, 188). Ce dénuement s’oppose à la prospérité de l’ogre représenté repu, tenant à la main un verre de vin (Pl. 29, D, 40, Fig. 23). On sait que l’insistance sur la nourriture dans les Contes est liée au contexte économique de la fin du XVIIe siècle29. Doré multiplie les représentations de bombance dans une veine gargantuesque, non sans faire écho à Victor Hugo30. Peintre de la misère du peuple, il propose une autre image saisissante, celle du repas chez Poucet (Pl. 11, D, 42, Fig. 24) : au centre, une table avec un banc de bois contre lesquels se dressent les enfants en haillons, le chien et le chat. De part et d’autre de la table, on voit la femme et l’homme en costume paysan, elle tenant de la main gauche un chaudron penché en avant et de la main droite une énorme cuiller dont elle verse le contenu dans l’écuelle du Poucet.
Avoir choisi d’illustrer le moment où la marraine de Cendrillon découpe la courge n’est pas anodin. Perrault n’évoque un décor misérable que pour mieux l’opposer au confort et à la richesse : elle « couchait […] dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses sœurs […] avaient des lits des plus à la mode et des miroirs où elles se voyaient des pieds jusqu’à la tête » (P, 157). Doré nous montre une souillarde fort sombre (Pl. 23, D, 78, Fig. 25). En haut à droite, sur un fond presque noir, une corde à laquelle pendent des torchons et au centre, une cage à oiseau ; à gauche, trois poêles suspendues et une sorte de petit balai pour laver ; sur une autre oblique, une étagère avec divers pots dans l’ombre. Le dessous de l’étagère est éclairé par la bougie que tient Cendrillon tout comme le grand couteau dont la moitié de la lame blanche est enfoncée dans la courge. En bas à gauche, de biais contre le mur, un balai de fagots, et au premier plan, les morceaux de croûte de courge en courbes contournées. Le sol en terre battue est rendu par des points et de petits traits plus ou moins rapprochés pour les parties ombrées. L’éclairage atteint les ustensiles en métal tout comme le manche du balai, certaines brindilles qui le composent et les objets de la partie haute à droite. Le clair-obscur renforce le réalisme.
À l’inverse de ces scènes de genre, l’illustration des apprêts du repas de noces de Riquet à la houppe (Pl. 30, D, 106, Fig. 26) met en valeur les objets dans une composition en mouvement31 : autour du couple placé au centre d’une zone vivement éclairée s’affaire une multitude de personnages, certains dans l’ombre de la terre à droite, tenant qui une fourchette, qui une lardoire en oblique et que semble désigner la main de Riquet, comme un clin d’œil au texte de Perrault. Partant du premier plan, une ronde de serviteurs remonte vers la table dressée au fond et devant laquelle l’un d’eux porte sur la tête un plat fumant. À partir du premier plan au centre où un plat fantasque est soutenu par un personnage qui émerge du sous-sol, et où celui qui le précède porte des bouteilles en équilibre instable, d’autres emmènent des plats, des marmites dont le métal est évoqué par un gris foncé allant jusqu’au noir, avec les réserves en blanc pour les reflets (D, 114, 116). Il est évident que, dans cette « procession gargantuesque de marmitons32 », Doré a pris plaisir à multiplier les signes d’abondance en même temps que la soumission de tout un petit peuple de la terre, tandis que Perrault nous fait tout découvrir par la princesse :
elle ouït que l’un disait : “Apporte-moi cette marmite” ; l’autre : « Donne-moi cette chaudière. » […] La terre s’ouvrit [...] et elle vit sous ses pieds comme une grande cuisine […]. Il en sortit une bande de vingt ou trente rôtisseurs, qui allèrent se camper […] autour d’une table fort longue, et qui tous, la lardoire à la main, et la queue de renard sur l’oreille, se mirent à travailler (P, 177).
Hors le merveilleux du surgissement de ces gnomes, tout fait penser aux festins royaux. Doré insiste davantage sur le travail des serviteurs : ils ploient sous les objets qu’ils transportent33.
Plus étonnant paraît, dans la séquence où l’ogre s’apprête à tuer les enfants, un détail réaliste donné par le conteur pour faire frémir de terreur : « Il alla prendre un grand couteau et en approchant de ces pauvres enfants, il l’aiguisait sur une longue pierre » (P, 193). Doré a privilégié un autre moment pour faire ressentir l’épouvante, celui où les enfants sont perdus dans la sombre forêt dont les arbres les écrasent.
Cela nous amène au statut temporel des objets.
Une des limites du réalisme dans les gravures de Doré est le mélange des époques. Or ce qui peut apparaître comme une trahison de l’univers galant et courtisan de Perrault n’est-il pas une tentative heureuse de brouiller les repères temporels à seule fin de suggérer l’intemporalité des contes ? L’indétermination est flagrante chez Perrault qui mêle à la fin du « Petit Poucet » l’évocation des campagnes militaires de Louis XIV et l’ascension sociale du personnage fictif (P, 197) et qui ne décrit que rarement des costumes et encore moins des objets. Pourtant, c’est bien au luxe de la cour de Versailles que renvoient les « grands miroirs où [l’on se voit] des pieds jusqu’à la tête » (P, 157), objets signes d’un luxe rare34 ; « le couvert magnifique » avec son « étui d’or massif » mis sur la table pour chacune des fées invitées à la naissance de la Belle (P, 97) ; les oranges et les citrons offerts par le prince lors de la collation à Cendrillon (P, 161). On retrouve l’importance de la mode dans le souci qu’ont les deux aînées de paraître : la « garniture d’Angleterre » dont va se parer l’aînée (P, 158), les « cornettes à deux rangs » (coiffures élevées), les « mouches de la bonne faiseuse » (P, 158), avec un clin d’œil ironique du conteur : « On rompit plus de douze lacets à force de les serrer pour leur rendre la taille plus menue, et elles étaient toujours devant leur miroir » (P, 159). Telle allusion au passé n’est que matière à humour : « [la Belle] était tout habillée, fort magnifiquement, mais [le prince] se garda bien de lui dire qu’elle était habillée comme ma mère-grand et qu’elle avait un collet monté35 » (P, 103).
Les costumes d’aristocrates dessinés par Doré pour « Cendrillon » comme ceux de Riquet et de la princesse (Pl. 30, D, 112, Fig. 26) évoquent le règne d’Henri IV : pourpoint, hauts-de-chausse et fraise du personnage qui s’incline devant le couple princier (Pl. 24, D, 82, 84, Fig. 12), mais les visages caricaturés sont du XIXe siècle. Les femmes dans « La Barbe bleue » ont de belles robes Renaissance (Pl. 39, D, 154, Fig. 18) comme celles du bal de Cendrillon (Pl. 24, D, 82, Fig. 12) qui semblent un pastiche de Marie de Médicis peinte par Rubens (Fig. 28 ; la dame à droite au premier plan dont le col blanc démesuré en arrière de la tête contraste avec la robe noire). Mais les courtisans et le roi de Peau d’âne portent perruques, souliers à boucles louis-quatorziens (Pl. 31, D, 120, Fig. 13). Mousquetaire, dragon de « La Barbe bleue » (Pl. 41, D, 164, Fig. 16), Chat botté en majesté sont résolument Louis XIII (Pl. 26, D, 94, Fig. 15). Le prince (Pl . 22, D, 70, 74, Fig. 30), les pages, les gardes (Pl. 21, D, 66, Fig. 19), les piqueurs (Pl. 21, D, 64) de « La Belle au bois dormant » nous ramènent à la Renaissance : bérets (comme celui qu’on voit dans le portait de Raphaël, Fig. 31), capes courtes, manches bouffantes (Pl. 22, D, 74 ; Pl. 24, D, 82) et pour l’Ogre du Chat botté qui porte lui aussi un costume Renaissance finement gravé (Pl. 29, D, 100, 148, Fig. 29).
Ces emprunts aux gravures et tableaux du temps passé sont pour Doré l’occasion de montrer une grande maîtrise technique dans le rendu des étoffes par un choix graphique complexe, jouant du noir et des lignes qui épousent les mouvements des personnages comme dans l’image du prince arrivant devant le lit de la Belle (Pl. 22, D, 74, Fig. 20) ou par les jeux de noir (le pourpoint), de blanc (le revers de la cape), de gris (les hauts-de-chausse) dont la finesse suggère l’élégance juvénile du prince devant la cadette des Fées (Pl. 37, D, 148). Le costume des parents du Petit Poucet n’est pas sans rappeler la peinture des frères Le Nain (par exemple, Fig. 32). Et tout un chacun de souligner la présence du gothique dans les décors. Les armes des gardes du château endormi se réduisent chez Doré à une hallebarde dont l’oblique rythme la partie gauche de l’image (Pl., 21, D, 66) alors que le texte dit que les gardes « étaient rangés en haie, la carabine sur l’épaule » (P, 102). Les objets rococo, clin d’œil à l’époque de Perrault36, se retrouvent aussi bien chez l’Ogre du Chat botté que dans le garde-meuble de la Barbe bleue ou la chambre encombrée de la Belle.
Le temps tel qu’il apparaît dans les gravures de Doré est bien un temps « subjectif et fantasmé37 ».
Plan esthétique
Ici se jouent les questions du merveilleux, de l’étrange, du fantastique et du sublime.
Pour ce qui est du merveilleux, il faut s’attacher à la présence (ou à l’absence) des objets magiques dans l’œuvre littéraire et dans les illustrations. Accordons aux graveurs qu’il est difficile de représenter une robe « couleur du temps » (P, 62) ou un lit « en broderie d’or et d’argent » (P, 99).
Perrault nomme les objets magiques mais ne les décrit pas : ce qui compte, c’est le donateur et le pouvoir de l’objet. La baguette de la marraine de Cendrillon, « qui était Fée », métamorphose citrouille et animaux pour lui permettre d’aller au bal en brillant équipage, et comme la jeune fille se plaignait de ses habits, la fée « ne fit que la toucher avec sa baguette et en même temps ses habits furent changés en des habits de drap d’or et d’argent tout chamarrés de pierreries » (P, 83). La magie s’opère par la formulation « ne fit que la toucher » et la rapidité de la transformation. Doré ignore les métamorphoses, préférant illustrer le moment où la marraine creuse la courge qu’il rend de façon réaliste par l’aspect grumeleux donné à l’écorce au moyen de traits noirs en grappes (Pl. 23, D, 78, 80, Fig. 25). La taille énorme de la citrouille prépare l’imagination du spectateur à sa transformation. Doré fait de la fée une vieille femme portant binocles. Nous voilà loin du merveilleux féerique. Après l’identification par les gentilshommes du pied qui va à la pantoufle de verre, « arriva la Marraine qui, ayant donné un coup de sa baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres » (P, 89). Doré ignore la séquence.
Dans « La Belle au bois dormant », le pouvoir magique de l’objet tient à son efficacité immédiate qui défie les lois de la nature : aussitôt la princesse endormie, la jeune fée « grandement prévoyante […] pensa [qu’à son réveil] la Princesse serait bien embarrassée toute seule dans ce vieux Château […]. Elle toucha de sa baguette tout ce qui était dans ce château ». L’humour de Perrault met à distance le merveilleux : « Dès qu’elle les eut touchés, ils s’endormirent tous […] ; les broches même qui étaient au feu toutes pleines de perdrix et de faisans s’endormirent, et le feu aussi. Tout cela se fit en un moment ; les Fées n’étaient pas longues à leur besogne » (P, 100). Le Prince découvre les Suisses endormis « et leurs tasses où il y avait encore quelques gouttes de vin » (P, 102). Doré nous montre par d’autres objets le résultat de l’action magique dans plusieurs illustrations : à l’entrée du château gothique, veneurs et piqueurs sont saisis dans des mouvements interrompus, l’un d’eux soufflant dans un cor de chasse (Pl. 20, D, 64, Fig. 30). De même, dans la chambre (Pl. 21, D, 66, Fig. 19), les servantes portent au-dessus de leur tête qui un plat à demi renversé, qui une bassine dont on devine le métal précieux par le contraste entre des traits serrés sur le gris ou des traits noirs et le blanc éblouissant des reflets.
La fée de « Peau d’âne » donne à la princesse une « cassette » capable de se mouvoir sous terre : « La cassette suivra votre même chemin | Toujours sous la terre cachée ; | Et lorsque vous voudrez l’ouvrir, | À peine mon bâton la terre aura touchée | Qu’aussitôt à vos yeux elle viendra s’offrir » (P, 129). Le terme trivial « bâton » remplace la nomination de la « baguette » offerte comme deuxième don. Rien de tout cela n’a intéressé Doré, pas plus que les objets fabuleux qui sortent de la bouche de la cadette dans « Les Fées », fleurs et perles, qui tout en renvoyant à l’éclat du monde aristocratique ont aussi une valeur métaphorique : « Le mot fleur désigne […] "ce qu’il y a de meilleur" […], de même que l’expression "c’est la perle des hommes signifie c’est le meilleur homme du monde […] d’un très bon commerce" », ce sens figuré nous ramène à la sociabilité38.
Par deux fois sont évoquées des « bottes de sept lieues ». Dans « La Belle au bois dormant », elles sont portées par un adjuvant de la jeune fée : à peine l’accident de la princesse survenu, « elle en fut avertie en un instant par un petit nain qui avait des bottes de sept lieues » (P, 63). Et Perrault d’ajouter une parenthèse explicative : « (c’était des bottes avec lesquelles on faisait sept lieues d’une seule enjambée) ». Lorsqu’il est question des « bottes de sept lieues » de l’Ogre, leur pouvoir se vérifie par les déplacements hors normes du personnage « qui allait de montagne et montagne et qui traversait des rivières aussi aisément qu’il aurait fait le moindre ruisseau » (P, 51). L’humour prend le relais : l’ogre « qui se trouvait fort las du chemin qu’il avait fait inutilement (car les bottes de sept lieues fatiguent fort leur homme), voulut se reposer […]. Comme il n’en pouvait plus de fatigue, il s’endormit […] » (P, 51). À l’inverse, lorsque Poucet les chausse, elles ne font que prodiges, lui permettant de retourner à la maison de l’Ogre réclamer sa fortune puis d’aller à la Cour. Devenu messager, il « rapporta des nouvelles [de l’armée] le soir même ». Plus tard, il est payé et commis par le roi pour « porter ses ordres à l’armée » et se fait rétribuer pour la correspondance des dames et de leurs amants ou maris partis à la guerre. L’auteur a pris soin de dire que les bottes « étaient Fées », « [qu’] elles avaient le don de s’agrandir et de s’apetisser selon la jambe de celui qui les chaussait » (P, 53) mais elles ne fatiguent pas Poucet ! C’est par le cadrage que deux fois Doré met en valeur les fameuses bottes. L’illustration qui correspond au moment où Poucet s’empare d’une des bottes de l’Ogre endormi est la plus connue (Pl. 16, D, 52, Fig. 33) : elles sont énormes, d’une forme grossière, la partie haute gravée en courbes noires rapprochées, tandis que le reste est blanc avec quelques traits fins pour indiquer la forme. L’image insiste ainsi sur la disproportion entre Poucet et l’Ogre. Cette mise en valeur des bottes fait écho à la scène qui les offre en premier plan parmi les enfants terrorisés que l’ogre a tirés de dessous le lit (Pl. 14, D, 48, Fig. 9) : à gauche, l’un d’eux, implorant, baise la pointe du pied botté et à droite, les postures des marmots suppliants se détachent devant la botte très sombre. La dimension magique disparaît au profit d’une menace d’écrasement.
Un autre objet est qualifié par Perrault de « Fée » : la clef du petit cabinet interdit dans « La Barbe bleue ». Quand il lui confie son trousseau, le mari dit à sa jeune épousée : « Pour cette petite clef-ci, c’est la clef du cabinet au bout de la grande galerie de l’appartement du bas. » (P, 155). La formulation la distingue des autres : à l’anaphore de « Voilà » qui présente en les énumérant les autres clefs succède une tournure qui la met en valeur (« Pour cette petite clef-ci, c’est… »). Seule sa taille semble la différencier. Mais lorsqu’elle échappe à la jeune femme (ce qui peut se comprendre vu l’horreur de la découverte qu’elle fait), elle tombe sur un plancher « tout couvert de sang caillé ». Cette précision prépare ce qui va perdre la jeune femme : « Ayant remarqué que la clef était tachée de sang, elle l’essuya deux ou trois fois, mais le sang ne s’en allait point : elle eut beau la laver et même la frotter avec du sable et avec du grès, il demeura toujours du sang, car la clef était fée » (P, 159). Doré la place au cœur d’un jeu de lignes et de regards (Pl. 38, D, 158, 160, Fig. 34). Jean-Marc Chatelain montre comment, reprenant la composition de l’édition Curmer, Doré infléchit la signification de la scène de remise des clefs par le cadrage et par la présence « d’un lourd rideau damassé [qui] devient le signe du secret, épais et lourd comme lui39 ». Les mains et le regard de l’épouse désignent la clef comme objet de curiosité et de fascination, disant « déjà l’irrépressible besoin de savoir (“l’impatience qu’elle avait d’aller ouvrir le cabinet de l’appartement bas”) ou plutôt l’hypnotisme de la tentation (“la tentation était si forte qu’elle ne put la surmonter : elle prit donc la petite clef, et ouvrit en tremblant la porte du cabinet”)40 ». Notons la taille de cette clef, aussi grande que deux autres du trousseau mais se différenciant par le graphisme : elle est tenue obliquement par le mari tandis que les autres pendent et sont traitées de façon réaliste pour donner l’illusion du métal par le jeu des parties éclairées contrastant avec des noirs, tandis que la clef « Fée » est grise avec des traits serrés.
Ainsi s’opère le passage du merveilleux à l’étrange et au fantastique.
Dans la chambre de la Belle au bois dormant telle que nous la donne à voir Doré (Pl. 21, D, 66, 68, Fig. 19), les deux immenses toiles d’araignées dont les lignes blanches zèbrent le décor mural et végétal symbolisent certes le temps passé depuis son endormissement, mais ne sont-elles pas aussi un pur jeu graphique qui contribue à l’atmosphère étrange ? Tony Gheeraert, évoquant la vieille au fuseau (Pl. 17, D, 58, Fig. 8) « qui ressemble à une sorcière entourée de ses familiers » (corbeau et chat), remarque que, dans les illustrations de Doré, « le surgissement du surnaturel provoque moins d’émerveillement que d’épouvante41 ». Très inquiétants sont certains éléments du décor dans le garde-meuble de la Barbe bleue. Ainsi de la présence des armures (Pl. 39, D, 154, 156, Fig. 18), pure invention de Doré. Dessinés avec une grande précision, le cavalier sur sa monture tout aussi bardée de métal et à la tête effrayante et l’homme en pied, signe apparent d’un goût de collectionneur, introduisent une menace : celle d’un pouvoir masculin coercitif. Et ce d’autant plus qu’un corps féminin nu aux bras repliés en arrière comme pour soutenir la corniche est plaqué contre le mur à gauche (Pl. 39, D, 156) et que le bras droit de l’armure dissimule l’autre jambe de cette femme. Est-elle vraiment une partie du décor ou une allusion aux femmes égorgées (une ligne noire du décor passe derrière son bras droit et traverse le cou) ? « Le perron de Barbe bleue, au seuil du monde réel, de ses réalités et de ses songes », comme l’écrit Pierre Michel42, nous offre deux exemples de cette indécision qui selon Todorov43 est la marque du fantastique. La dernière planche (Pl. 41, D, 164, Fig. 16) montre « la scène paroxystique d’un Barbe bleue embroché contre l’emblème d’un cœur percé d’une épée44 » sur laquelle s’enroule un serpent : simple élément du décor ou objet symbolique de la mort infligée aux femmes trop curieuses (comment ne pas voir un rappel du serpent de la Genèse ?). De même, la statue au bas de la rampe, si, comme le signale Tony Gheeraert, « elle reprend bien celle de la vignette originale de La Belle au bois dormant […], devient vivante, et par là unheimlich, étrangement inquiétante45 ». Spectatrice impitoyable, elle dirige son regard (avec l’œil au sourcil froncé) sur la tête de la Barbe bleue. Pierre Michel parle d’une image « au frénétisme encore très romantique46 » qui clôt l’ère des ogres et des fées pour proclamer l’avènement d’un autre monstre, que l’on croirait échappé d’un dessin de Gustave Moreau (par exemple Fig. 35). Mi-Sphinge, mi-Harpie, tout bec et griffes, ailes déployées comme la chauve-souris au-dessus de la porte de l’Ogre47.
Le goût pour des animaux étranges se trouve dans les motifs défraîchis du dossier du fauteuil de la vieille au fuseau de « La Belle au bois dormant » qui laissent deviner à droite des sortes de félins dans la pose héraldique du « rampant » (Pl. 17, D, 58, Fig. 8).
Pierre-Emmanuel Moog et Ghislaine Chagrot ont montré comment le Chat botté, « figure merveilleuse » chez Perrault, devient par les choix de Doré un être « entre le chat et l’homme, et donc proprement fantastique48 ». Dans le conte, son caractère fabuleux tient à deux éléments : il est doué de parole et prend des initiatives pour aider son maître. Les images de Doré contribuent à faire de lui un « chat extra-ordinaire » (Pl. 26, D, 94, Fig. 15). Certains accessoires participent au réalisme fantastique : le grand collier qui remplace le col de dentelles des mousquetaires et des raffinés de l’époque Louis XIII49 l’apparenterait à quelque chevalier de la Toison d’or s’il n’était constitué d’oiseaux morts (motif récurrent des illustrations d’ogres) et s’il ne portait à son ceinturon une souris morte et une autre émergeant d’un sac, double clin d’œil au félin prédateur dont Perrault dit à la fin qu’il « devint grand seigneur et ne courut plus après les souris que pour se divertir50 » (P, 142) Son corps s’étire en diagonale depuis la plume en fines volutes du chapeau (qui fait de lui « un fringant mousquetaire ») jusqu’à la pointe de la botte gauche. Perrault a choisi l’humour pour rappeler combien dans une situation périlleuse (échapper à l’ogre métamorphosé en lion) ces accessoires pouvaient être mal commodes : « il gagna aussitôt les gouttières, non sans peine et sans péril, à cause de ses bottes qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles » (P, 140-141). Mais est-il encore chat lorsque, ayant des éperons à ses bottes lors de sa réception chez l’ogre (Pl. 29, D, 100, 102, Fig. 29), sa pose le transforme en emblème ?
Tony Gheeraert insiste sur « la propension morbide inséparable du courant gothique51 » qui est à l’œuvre dans les illustrations, participant d’une esthétique du sublime étrangère à Perrault.
Les corps réifiés, les corps consommables ressortissent à l’horreur et à la morbidité. On pense aux corps des femmes égorgées par la Barbe bleue dont Perrault écrit que la jeune épousée découvre « plusieurs femmes mortes et attachées le long des murs » (P, 157). La séquence n’est pas illustrée par Doré : sans doute eût-elle été trop choquante pour le public visé par l’éditeur. Les enfants promis à la dévoration par les ogres sont réifiés, ainsi de Poucet et de ses frères cachés : « il les tira de dessous le lit l’un après l’autre » (P, 192). Doré, par le contraste des tailles, en fait des objets, l’ogre saisissant un des garçons par le pied, tel un gibier (Pl. 14, D, 48, Fig. 9), ce qui correspond au texte : « Voilà du gibier qui me vient bien à propos » (P, 192). D’ailleurs, il aime les viandes faisandées puisque refusant de différer leur mise à mort au lendemain, il dit à sa femme : « ils en seront plus mortifiés52 » (P, 193). Dans « Le Maître chat », de l’appétit de l’ogre il n’est rien dit. Doré propose une image dont tout le haut est saturé de viandes (Pl. 29, D, 100, Fig. 29) : à l’arrière-plan gauche une grande marmite avec une tête de veau et en dessous des enfants potelés amassés sur un plat ; à l’arrière-plan droit, une tête de bélier et une de mouton dans la corbeille tenue au-dessus de sa tête par un serviteur (Perrault ne mentionne que la femme de l’ogre). Or ces éléments sont nommés par Perrault à propos d’un autre ogre, celui du Petit Poucet, lorsque la femme de l’ogre essaie de le détourner des enfants : « Vous avez là encore tant de viande […]. Voilà un veau, deux moutons et la moitié d’un cochon » (P, 193) Dans la gravure, le rapprochement entre la viande de boucherie et les nourrissons traités graphiquement comme des putti détourne le propos – l’affrontement entre le chat et l’ogre – sur le cannibalisme (le tabou est en jeu chez Doré).
Par ailleurs, le motif obsédant des reliefs de repas représenté à la fin du « Maître Chat » par les côtes de mouton au premier plan, s’étale à plaisir dans l’illustration des petites ogresses au lit du « Petit Poucet » (Pl. 15, D, 50, Fig. 10) : des os, une patte de gros oiseau, une aile avec des plumes, des côtes, le cou d’un volatile, la tête avec le bec ouvert, tout cela dessiné en hachures noires qui se détachent sur le blanc immaculé du drap. Une des petites goinfres tient encore dans la main un os et dans la bouche un autre. Les visages rebondis des fillettes repues trouvent là leur justification tout en évoquant clairement l’omophagie53 qu’elles pratiquent comme leur père. Mais les ogres ajoutent à la transgression d’un tabou la perversité : ils réclament des apprêts culinaires, ainsi de l’ogre du petit Poucet qui dit à sa femme « que ce serait là de friands morceaux lorsqu’elle leur aurait fait une bonne sauce » (P, 192) et de la reine ogresse de « La Belle au bois dormant » qui exige une sauce Robert pour accommoder Jour et Aurore (P, 104). Après avoir trucidé ses filles, l’ogre demande à sa femme de les « habiller » comme on le fait pour une volaille ou une pièce de boucherie avant de les cuisiner (P, 194). L’ogre transgresse un autre interdit en tuant ses filles pour les manger, il en vient à pratiquer « l’endocannibalisme54 » et c’est justement cette horreur55 absolue que Doré choisit d’illustrer en trahissant délibérément le texte de Perrault : à l’obscurité il substitue un éclairage cru qui met en valeur au centre de l’image l’énorme coutelas et, soulignant l’opposition entre les paisibles visages des fillettes et la face réjouie de l’ogre, renforce la férocité de l’acte. Dans d’autres gravures, les objets signes métaphoriques concernant ce personnage abondent : fourchette à deux dents et couteau énormes qu’il porte à la ceinture (Pl. 16, D, 52, Fig. 33), signes inquiétants qui ornent la façade de son château – crânes de chevaux de part et d’autre de la porte, chauve-souris écartelée au-dessus (Pl. 13, D, 45, Fig. 36), tout insiste sur le motif récurrent de la dévoration et sur la cruauté. Ainsi, comme l’écrit Tony Gheeraert, les dessins de Doré sont « parvenus à révéler des postulations obscurément cryptées dans le texte […] Le réalisme magique tout en réfutant les traits de l’esthétique galante, permet ainsi à Doré de dévoiler des facettes effrayantes de ces Histoires du temps passé56 ».
Notre étude a mis en lumière un rapport aux objets qui est inséparable de choix esthétiques. Chez Perrault, les éléments du réel – renvoyant à des réalités extra littéraires – s’articulent avec le merveilleux de telle façon que les objets magiques acquièrent autant de réalité que les autres, et que l’irréel soit accepté dans la conduite d’une action qui prend sens par la moralité. Mais la mise à distance du merveilleux passe par l’humour et l’ironie, tandis que Doré fait le choix soit de l’ignorer soit de le ramener à une réalité triviale. Dans les illustrations de Doré, les objets fonctionnent comme signes. Le rapport à l’action est parfois lâche. Pour autant, nous n’irons pas jusqu’à suivre les commentateurs qui parlent de « faute illustrative57 ». Certes, les objets occultés ou au contraire ajoutés, outrepassent parfois la fidélité au texte : quelques-uns tendent à exister par eux-mêmes, s’inscrivant, comme l’écrivent Philippe Bourdier et Pascal Caglar, dans « une attirance pour la décoration, la surcharge symbolique, pittoresque ou réaliste58 ». Certains objets produisent, à l’instar des décors naturels inquiétants, des effets d’étrangeté qui font basculer l’interprétation vers le fantastique, en révélant le sens profond des contes59. La culture artistique de Doré transparaît dans le choix et le traitement graphique des objets. Il faut aussi noter, dans l’art de la composition, combien l’éclairage mais aussi la focalisation sur les objets par le regard de personnages ou d’animaux, relais de notre regard de spectateurs de l’image, enrichit considérablement notre approche des contes60.
Bibliographie
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Notes
Philippe Bourdier et Pascal Caglar, « Les Contes de Charles Perrault illustrés par Gustave Doré », Ellipses, Réseau diagonales, Paris, 2006 ; Ghislaine Chagrot, Pierre-Emmanuel Moog, « Les Contes de Perrault illustrés par Gustave Doré et le jeu des différences », Ondina / Ondine n°4, Université de Saragosse, 2019 ; Carine Picaud, Olivier Piffault, Les contes de fées en images : entre peur et enchantement, Paris, Gallimard, 2012.
Rappelons que Doré illustre une édition fautive et incomplète des Contes, dans laquelle les moralités ont été supprimées.
Pierre Michel, « Grands yeux et grandes dents », Textimage, Varia 3, 2013, p. 5. https://www.revue-textimage.com/07_varia_3/michel1.html
Références : pour le texte, Charles Perrault, Contes, Édition critique par Gilbert Rouger, Classiques Garnier, Paris, 2021 (1e éd. 1991) abrégé en P ; pour les illustrations, Perrault, Contes illustrés par Doré, Préface de Marc Fumaroli, Présentation de Jean-Marc Chatelain, Bnf, Paris, 2014, mention du n° de la planche suivi de D, n° de page (s) : cette édition offrant des détails des planches, nous les mentionnerons.
Voir Mantegna, Lamentation sur le Christ mort (Fig. 3) et certains personnages des fresques de la Sixtine par Michel-Ange.
Il ressemble au mouton de l’illustration (inventée par Doré à partir d’un texte fautif) qui a pour légende : « Elle partit la même nuit dans un joli cabriolet attelé d’un gros mouton qui savait tous les chemins » (Doré Pl. 32, D, 134).
Des « deux étourdies » qui découvrent les richesses de la Barbe bleue, Pierre Michel écrit qu’elles sont « le dos tourné au livre ouvert où, se rassasiant de récit […], elles auraient pu prendre connaissance de leur histoire » (« Grands yeux et grandes dents », art. cit., p. 4).
Perrault joue sur l’allusion : « le petit pot de beurre est au XVIIe une “métaphore libre” du sexe féminin », écrit Jacques Chupeau (« Sur l’équivoque enjouée au Grand Siècle : l’exemple du “Petit Chaperon rouge” de Perrault », XVIIe siècle, 150, 1986, p. 35-42).
Voir l’attitude gracieuse de la jeune fille dans un lavis de bistre de Fragonard (sl. sd, collection particulière, photographie sur google, Arts et Culture), les silhouettes toutes en courbes des Jeunes femmes à la fontaine dessinées par Delacroix dans un des carnets du voyage au Maroc (Louvre, département des arts graphiques) et La jeune femme à la fontaine de Corot (Musée d’art et d’histoire de Genève).
Éric Tourrette, « La Parole des fées. Retour sur un conte de Perrault », Cahiers du Gadges, n°5, 2007, p. 264.
Marc Soriano, Les Contes de Perrault. Culture savante et traditions populaires, Gallimard, Paris, « Bibliothèque des idées », 1968, p. 138-139.
Jean-Pierre Saidah, « La canne, la pantoufle et le parapluie », dans Écritures de l’objet, PU de Bordeaux, 1997, http : // books.openedition.org/pub/4910 consultée le 08. 07. 2023.
Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, traduction Théo Carlier, Robert Laffont, Paris, 1976, p. 332.
« La fixation du prince sur la pantoufle [de Cendrillon] signale qu’il est attiré par sa féminité et sa virginité. […] Le pied qui entre sans difficulté dans la pantoufle signale (sic) la plénitude de leurs futures relations. », écrit Jean-Pierre Saidah, « La canne, la pantoufle et le parapluie », art. cit. Bruno Bettelheim évoque les matières précieuses de la pantoufle de Cendrillon dès les origines du conte (Psychanalyse des contes de fées, op. cit., p. 330).
Grandville dessine le moment où Poucet enlève la couronne d’une des petites ogresses dont les visages fort laids rappellent son talent de caricaturiste (Le livre des enfants, contes de fées, choisis par Mmes Élise Voïart et Amable Tastu, Paulin, vol. 1, 1836, reproduit dans Carine Picaud, Olivier Piffault, Les contes de fées en images : entre peur et enchantement, Paris, Gallimard, 2012, p. 109).
Voir Ghislaine Chagrot, Pierre-Emmanuel Moog, « Sans ces éléments, on fait de la brute indéniable un véritable abruti […] diminuant par contraste l’habileté de Poucet. » (« Les Contes de Perrault illustrés par Gustave Doré et le jeu des différences », art. cit., p. 36).
Louis Marin, « L’ogre de Charles Perrault ou le portrait inversé du Roi », in Politiques de la représentation, Paris, Kimé, Collège international de philosophie, 2005, p. 297.
Voir Gilbert Rouger : « Beaucoup d’illustrateurs ont fait du chaperon rouge une pèlerine avec capuchon. Sorte de capuchon sans doute dans sa forme primitive, puis coiffe […], le chaperon se trouva réduit, sous Louis XIII, à une bande d’étoffe posée à plat sur la tête et pendant en arrière : il était devenu marque de simple bourgeoisie » (P, 111)
Ghislaine Chagrot, Pierre-Emmanuel Moog, « Les Contes de Perrault illustrés par Gustave Doré et le jeu des différences », art. cit., p. 31.
Pierre-Emmanuel Moog, Ghislaine Chagrot, « Quand Doré transforme un chat en icône », Le Chat botté dans ses expansions hypertextuelles, Les colloques / Fabula. Ajoutons les éperons que porte le chat botté lorsqu’il est devant l’ogre dans une « pose héraldique » (Pierre Michel, « Grands yeux et grandes dents », art. cit., p. 5).
« Se dit des linges, des tapis de soie […] qu’on étend sur la table pour se déshabiller le soir et s’habiller le matin. […]. Le carré où sont les fards, pommades, essences, mouches, la pelote où l’on met les épingles sont des parties de la toilette » (Furetière) cité par Gilbert Rouger (P, 322).
Tony Gheeraert, « De Doré à Perrault », Le Fablier, numéro thématique Les fables, d’Érasme à la Fontaine, n° 19, p. 100.
Le livre des enfants, contes de fées, op. cit., vol. 3, 1837, reproduit dans Carine Picaud, Olivier Piffault, Les contes de fées en images : entre peur et enchantement, op. cit., p. 61.
Tony Gheeraert insistant sur le mépris de Perrault pour le peuple concède que « parmi les conteurs de son temps, [il] est le seul à accorder une aussi large place aux gens de peu » alors que Doré est l’ami du peuple et en multiplie les images misérabilistes (« De Doré à Perrault », art. cit., p. 99-100).
La bobinette est un morceau de bois qui tient lieu de verrou et la chevillette attachée à l’autre extrémité de la ficelle joue le rôle de poignée (P, 300).
Louis Marin rappelle le contexte socio-économique de la fin du règne de Louis XIV « où l’abondance est éphémère et comme fortuite et la menace de disette constante ; il évoque les « animaux farouches » dépeints par La Bruyère et la grande famine de 1694 (Louis Marin, « L’ogre de Charles Perrault ou le portrait inversé du Roi », art. cit., p. 284).
« Bombance ! allez ! c’est bien ! vivez ! faites ripaille ! | La famille du pauvre expire sur la paille » (Victor Hugo, « Joyeuse vie », Les châtiments, L. III « La société est sauvée », Paris, Le Livre de poche, 1964, p. 124).
Philippe Bourdier et Pascal Caglar décèlent là un autre objet : « Peut-être ce jeu [avec le lecteur] va-t-il jusqu’à montrer l’image dans l’image. Car dans les lignes de composition de cette gravure, l’on peut voir la forme d’un énorme sablier, instrument de mesure d’un temps imparti à la princesse, une année, présent dans le conte de Perrault » (« Les Contes de Charles Perrault illustrés par Gustave Doré », art. cit. p. 144).
Pierre Michel, « Grands yeux et grandes dents », art. cit., p. 4. Doré a illustré Gargantua. Voir par exemple Fig. 27.
Doré a vu et dessiné à Londres en 1868 la misère produite par la révolution industrielle, ses gravures ont été publiées en 1872 (G. Doré et B. Jerrold, London, A pilgrimage, édition Grant and Co, 1872).Voir le site de la bnf. Voir en particulier Wentworth Street. Whitechapel. Orange Court, Durrylane Dudley Street, Seven Dials. Doré faisait ainsi écho à Victor Hugo (« Les caves de Lille », Discours de mars 1851 pour l’Assemblée législative, dont des éléments sont repris dans Les châtiments, op. cit., p. 125-127).
Gilbert Rouger rappelle que « c’est vers la fin du règne de Henri IV qu’apparut la mode, pour les femmes, des "collets montés" : éventails de lingerie et de dentelles que maintenait ouverts derrière la tête une armature de fils de fer ou de carton » (P, 298).
Voir Raymonde Robert, « Décor de la féerie, féerie du décor », dans Le conte de fées littéraire en France, Champion, Paris, 2002, p. 371-388.
Philippe Bourdier, Pascal Caglar, « Les Contes de Charles Perrault illustrés par Gustave Doré », art. cit., p. 169.
Dictionnaire de l’Académie de 1694 cité par Éric Tourrette, « La Parole des fées. Retour sur un conte de Perrault », art. cit., p. 268.
Voir Achille Devéria, Roger de Beauvoir en raffiné du temps de Louis XIII (1830), Musée Carnavalet, Estampes, Paris, n° d’inventaire : 12 337.
Courtisan et repu, il ne chasse plus pour survivre, mais un autre sens de « souris » n’est-il pas sous-jacent pour ce « raffiné » qui ne dédaignerait pas les femmes légères ?
Voir Dictionnaire de Richelet : « Rendre la viande plus tendre en la battant avec un bâton ou la mettant quelque temps à l’air pour la laisser un peu faisander » (cité dans P, 320).
Louis Marin souligne la nature transgressive du régime alimentaire des ogres : « Le mouton était encore tout sanglant mais il ne lui en sembla que meilleur » (P, 192) et rappelle que pratiquée dans le culte de Dionysos et les rites orphiques, l’omophagie désigne le « sacrifice suivi de la manducation de la chair crue » (Louis Marin, « L’ogre de Charles Perrault ou le portrait inversé du Roi », art. cit., p. 295).
« Doré explore magistralement le registre de l’horreur en représentant – ce que peu ont osé – l’infanticide commis par l’ogre » (Carine Picaud, Olivier Piffault, Les contes de fées en images : entre peur et enchantement, op. cit., p. 109).
Ghislaine Chagrot et Pierre-Emmanuel Moog, « Les Contes de Perrault illustrés par Gustave Doré et le jeu des différences », art. cit., p. 29.
Philippe Bourdier, Pascal Caglar, « Les Contes de Charles Perrault illustrés par Gustave Doré », art. cit., p. 165.
« Du classique au romantique quelque chose est passé […]. Peut-être justement l’essentiel, les menaces premières, les craintes archaïques qui traversent les périodes, les styles et les esthétiques, et sont le signe de l’universalité archétypique de ces contes. » (Tony Gheeraert, « De Doré à Perrault », art. cit., p. 103).
Tony Gheeraert souligne que reprenant composition et personnages aux vignettes originales de Clouzier « son travail d’amplification mais aussi d’appropriation et de détournement » n’en est que plus original (ibid., p. 100).
Illustrer les contes de Perrault
3|2024 - sous la direction de Olivier Leplatre
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