L’évolution de l’iconographie dans les manuels scolaires d’histoire de collège (1880-2009) : le cas de la Guerre des Gaules
Si les manuels d’histoire de collège sont souvent pris à témoin pour attester des pratiques de classe, il faut garder à l’esprit que ce n’est pas parce qu’un document iconographique est présent dans un manuel qu’il est utilisé par l’enseignant avec ses élèves. Il n’est donc pas aisé de savoir quelles images publiées ont réellement été retenues par les enseignants, ni comment elles ont été utilisées. Les témoignages sur les pratiques de classe sont rares, à l’exception des rapports d’inspection, qui sont loin de refléter de réelles situations de classe. Cependant, l’analyse de l’iconographie portant sur la conquête des Gaules atteste de l’évolution des documents et de leur exploitation dans les manuels, depuis 1880. Assez rares jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les images deviennent ensuite prépondérantes par rapport au texte, avec des photographies qui se généralisent, qui sont de plus en plus grandes et en couleur. Mais les différents éditeurs et les auteurs successifs limitent leur choix à un nombre assez réduit de documents, qui peuvent être regroupés en trois catégories : les objets archéologiques (éléments sculptés et monnaies) ; les productions contemporaines (œuvres artistiques sculptées et peintes) et enfin les documents à caractère pédagogique telles que les maquettes, les restitutions graphiques et les cartes.
La diversité et l’évolution des documents iconographiques sera présentée en premier lieu pour envisager ensuite comment ils sont choisis et s’attacher enfin à leur exploitation pédagogique.
La diversité et l’évolution des documents iconographiques
Les éditions Hachette ont permis de mesurer la proportion de chaque type de document et leur l’évolution1, car elles ont publié avec constance depuis le XIXe siècle au moins un manuel pour chaque nouveau programme d’histoire de collège et ont été les premières à illustrer leurs manuels dès 1883. Dans les manuels d’histoire de collège, tout éditeur confondu, la Guerre des Gaules est abordée avec des documents archéologiques datant de l’Antiquité et des documents récents, réalisés pour l’essentiel avec une démarche artistique ou une finalité pédagogique.
Les images donnant à voir des documents de l’Antiquité
Les objets antiques ne sont pas reproduits dans les manuels du XIXe siècle, alors qu’ils représentent ensuite presque la moitié des illustrations. Il s’agit pour l’essentiel d’objets archéologiques : des monnaies et des reliefs sculptés, surtout des bustes censés figurer les protagonistes de l’affrontement qui eut lieu à Alésia : César et plus rarement Vercingétorix.
Les monnaies, surtout romaines, occupent une place de choix ; le monnayage gaulois apparaît plus tardivement avec l’importance nouvelle accordée aux Gaulois, à partir des années 1960. D’abord dessinées, elles sont ensuite reproduites sous forme de photographies. La monnaie présente, outre l’avantage de donner un visage aux personnages historiques, celui d’occuper peu de place dans la mise en page. Elle tient ainsi le même rôle que le portrait peint pour les périodes ultérieures.
Les objets archéologiques constituent 20% des illustrations, alors que les photographies de sites archéologiques n’en représentent que 4%. Les éléments sculptés sont majoritairement romains. Il s’agit essentiellement de portraits, le plus souvent reproduits sous forme de gravures dès la fin du XIXe siècle et de photographies dans les manuels plus récents.
Un relief est très souvent proposé pour illustrer la Guerre des Gaules : le relief du Dace, qui représente deux hommes devant une hutte2 (fig. 1). Les manuels identifient systématiquement l’homme aux cheveux hirsutes à un Gaulois. Mais surtout ce relief, qui provient du forum de Trajan, est très régulièrement utilisé pour illustrer la conquête des Gaules à l’époque de la République romaine, alors qu’il représente des batailles du IIe siècle ap. J.-C., en Dacie. Cette erreur chronologique unanimement répandue est due à la rareté des représentations de Gaulois qui se limitent, dans les manuels, à un petit bronze d’applique intitulé « Gaulois endormi » et à un buste féminin en pierre personnifiant Alésia.
La fréquence sur près d’un siècle de ces monnaies et portraits, ainsi que du relief du Dace, ne doit pas éclipser les différents objets archéologiques gaulois et romains représentés avec une moindre occurrence. La plupart des objets reproduits dans les manuels de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle proviennent du MAN3 et n’ont rien de Gaulois : il s’agit le plus souvent d’épées de l’âge du Bronze. Les casques sont les plus représentés, avec le coq et une enseigne gauloise figurant un sanglier. Depuis la fin des années 1950, les objets gaulois se sont multipliés, notamment avec des vases en métal, comme le cratère de Vix et la provenance des objets s’est diversifiée, mais les vestiges gaulois gardent une connotation d’art inabouti, en tout cas de moindre qualité que les œuvres romaines4 ou sont ignorés5. Faute d’œuvres antiques représentant Vercingétorix, les auteurs de manuels ont donc puisé dans les œuvres contemporaines, nombreuses à la fin du XIXe siècle pour glorifier les héros du passé.
Les images artistiques, mémorielles relevant de l’époque contemporaine
Les images qui ne datent pas de l’Antiquité sont toutes du XIXe siècle, à l’exception des vignettes de bandes dessinées, car la diffusion des manuels scolaires coïncide avec une période de production artistique exaltant le passé de la nation. Ce sont donc des images qui relèvent de la réception de l’Antiquité.
Les sculptures
Les reproductions des sculptures se déclinent en trois types : la statue de Millet, celle de Bartholdi et le cavalier de Frémiet.
La statue de Millet6 (fig. 2) est la plus reproduite dans les manuels. Elle apparaît sous forme de gravures, effectuées par différents dessinateurs. En 1899, chez Hachette, la légende mentionne, outre quelques informations sur le sculpteur, une réserve : « Cette statue n’est pas un portrait du chef gaulois dont on ignore absolument les traits. » Elle a pourtant été si souvent reproduite qu’elle a fixé l’image de Vercingétorix sous les traits de Napoléon III. Cette œuvre célèbre est quasiment la seule statue de Vercingétorix à figurer dans les manuels, alors qu’il en existe une vingtaine d’autres, produites à une époque où les sculptures de Gaulois étaient très nombreuses7.
La statue équestre de Bartholdi8, élevée en l’honneur de Vercingétorix à Clermont-Ferrand, est la seule utilisée dans les manuels après 1930, mais avec une fréquence bien moindre que celle de Millet. L’exactitude historique n’est pas non plus la préoccupation de l’artiste, mais elle aurait pu être davantage utilisée dans les manuels, dans la mesure où elle marquait une rupture dans la symbolique politique. Lors de son inauguration, en 1903, elle fut considérée comme « une grandiose manifestation républicaine et anticléricale »9 car contrairement au Vercingétorix de Millet, qui évoque la défaite d’Alésia, celui de Bartholdi incarne la victoire à Gergovie.
Un cavalier sculpté par Frémiet10 apparaît dans les manuels édités par Hachette de 1906 à 1938. Bien qu’il s’agisse comme pour les deux précédentes sculptures d’un Gaulois composé à partir de données de différentes époques, sa conservation au MAN lui confère un caractère antique.
De façon générale, les œuvres sculptées contemporaines disparaissent des manuels à partir des années 1930.
Les représentations picturales
Il n’existe que trois tableaux évoquant la bataille d’Alésia, dus à H.-P. Motte et L. Royer. Le tableau de Motte, Le siège d’Alésia par Jules César11 (fig. 3), est utilisé par les éditions Belin depuis 2000, puis par Nathan, Magnard et Hachette depuis 2009. Il représente les éléments des fortifications, à la façon des reconstitutions que l’on trouve aujourd’hui dans les manuels et dans ce contexte, les lecteurs contemporains perçoivent à peine qu’il s’agit d’un tableau du XIXe siècle. Un second tableau de Motte, Vercingétorix se rendant à César, est plus connu12. Il représente la scène de la reddition et n’a été reproduit que dans les manuels des éditions Magnard en 1994 et 2000.
Le tableau du second peintre, Royer, La reddition de Vercingétorix (fig. 4) est l’un des plus célèbres tableaux du peintre13, essentiellement connu par ses reproductions.
Si aucune sculpture contemporaine ne représente les Romains dans les manuels scolaires, César est en revanche présent aux côtés des Gaulois, dans les œuvres picturales retenues par les auteurs. Ces peintures qui datent du XIXe siècle ne sont apparues que récemment dans les manuels de collège, alors qu’elles étaient très présentes dans les manuels de l’école élémentaire, sous forme de gravures s’inspirant des peintures. Il faut attendre 1994 pour que les tableaux de Motte et de Royer soient reproduits en couleur, peut-être en raison du coût de la reproduction.
La bande dessinée
La bande dessinée est introduite en 1981 chez Bordas. Cette date relativement tardive s’explique par une certaine réticence des enseignants à l’égard de ce support. Dans les manuels d’histoire, une réflexion sur la spécificité de la bande dessinée semble de rigueur dans les premiers temps14. Certains manuels opposent les vignettes de J. Martin, évoquées dès 1981 par le manuel édité chez Bordas, vantant leur caractère historique, aux planches d’Astérix. Or, chacun sait que l’intention d’Uderzo, le dessinateur de la célèbre bande dessinée Les aventures d’Astérix, n’était nullement de retranscrire une réalité historique, du moins pas celle de l’Antiquité, comme l’a notamment montré N. Rouvière15. Certaines erreurs sur les Gaulois sont exagérées pour accentuer l'effet humoristique, d'autres viennent du fait que, lors de la création du personnage, on tenait pour vraies des connaissances sur la vie des Gaulois qui, depuis, ont été infirmées par les historiens. La façon de représenter Vercingétorix, tant en peinture qu’en sculpture, est dans la lignée des iconographies issues du XIXe siècle. Il est donc étonnant que les auteurs de manuel choisissent de s’y référer sans prendre de précautions concernant la spécificité de ces documents. Toutes ces œuvres non contemporaines des faits, bien que très visibles, sont en fait peu nombreuses comparées aux vestiges archéologiques et surtout aux reconstitutions dont la finalité est clairement pédagogique.
Les images fabriquées à des fins spécifiquement didactiques ou pédagogiques
Les reconstitutions à caractère pédagogique prennent plusieurs formes : schémas, dessins, allant de la simple gravure en noir et blanc à l’aquarelle colorée. Les maquettes ont connu un succès particulier pour évoquer les batailles, mais les cartes sont encore plus présentes.
Les maquettes et les restitutions
Les illustrations les plus reproduites sont les reconstitutions (30% du total), complétées par quelques dessins : essentiellement des gravures présentant les fortifications de César, des coupes et des photographies de la maquette réalisée à la suite des travaux de Napoléon III. Cette façon d’évoquer le siège Alésia trouve sa source dans les longues descriptions de César. D’abord tracé à la main, pour les plus anciennes versions, ce schéma presque inchangé figurait encore dans une édition de 2009.
La maquette des travaux des fortifications de César devant Alésia a été réalisée à la demande de Napoléon III. Ce dernier consacra d’importantes recherches archéologiques sur l’époque romaine, manière de légitimer son propre régime, aussi qualifié de Césarisme. La maquette conservée au MAN est également l’un des éléments les plus choisis depuis 1882, avec ses avatars (dessins, coupes ou bloc tridimensionnel en couleur).
Les photographies aériennes et les plans
Les photographies de paysages sont peu nombreuses pour évoquer l’Antiquité, mais le site d’Alésia est le plus représenté à partir de 1924. J. Le Gall, qui a fouillé le site, est co-auteur du manuel édité par Colin et il est à l’origine des premières vues aériennes, en 1964. Les lignes restituées des fortifications de César sont dessinées sur la photographie pour la rendre plus lisible.
Les plans du Mont-Auxois ont été introduits à la même date dans des éditions dirigées par des archéologues. Les travaux effectués au cours du siège de César y sont généralement reportés, ainsi que l’emplacement des camps gaulois et romains.
Les cartes et les dessins
Les cartes et les plans constituent 15% des illustrations. En grande majorité, il s’agit d’une carte des Gaules au moment de la conquête et de quelques plans d’Alésia. Les premières cartes des Gaules apparaissent dans les éditions Belin dès 1899 et sont présentes chez tous les éditeurs depuis 1923. Les représentations varient très peu d’un manuel à l’autre, d’abord en noir et blanc, avec le réseau hydrographique, elles sont plus épurées avec l’introduction de la couleur. Les toponymes sont alors moins nombreux, mais des informations nouvelles apparaissent comme les déplacements des armées de César. En général, les limites des provinces y sont reportées et les noms des villes et des peuples sont le plus souvent donnés dans leur correspondance antique, parfois avec le nom des villes d’aujourd’hui. Les cartes adoptent les limites actuelles de la France. Il est regrettable que les projections du territoire proposées par Ch. Goudineau ne soient jamais proposées16, elles éviteraient l’identification entre « la » Gaule et la France.
Enfin, les dessins, d’abord utilisés en l’absence de photographie, figurent des légionnaires romains et des guerriers gaulois. Dans les éditions plus récentes, c’est leur attractivité auprès des élèves et leur coût réduit qui expliquent leur succès, comme celui du camp militaire.
Les documents pédagogiques constituent des images au même titre que les documents archéologiques et artistiques et traduisent des partis pris, qui devraient également être discutés.
La sélection des images
L’inventaire des images utilisées pour raconter la Guerre des Gaules dans les manuels est le résultat de choix quantitatifs et qualitatifs.
Des images plus nombreuses et plus variées ?
Contrairement à l’analyse qui est habituellement faite sur la part des images dans les manuels, sur cette longue période, il est étonnant de constater que leur nombre n’augmente pas vraiment. L’impression fausse selon laquelle il y aurait plus d’images pour une même leçon sur la Guerre des Gaules est due au fait qu’il y a moins de pages consacrées à la leçon, que les illustrations sont beaucoup plus grandes et le texte considérablement réduit. Mais au total, le nombre d’images pour évoquer la Guerre des Gaules est sensiblement le même. Il y en avait quatre dans l’édition de 1882 et autant en 1986. En revanche, l’édition de 1931 en comportait trois fois plus, sans doute parce que le nombre de pages consacrées à cette leçon était encore important.
Les documents iconographiques constituent une sorte d’imagerie populaire d’Alésia transmise avec une surprenante constance pendant près de 130 années. Un certain nombre d’images sont constamment utilisées depuis les premières parutions de manuels jusqu’à nos jours : les monnaies, le relief du Dace et la maquette des fortifications. Elles pourraient laisser penser que l’iconographie des manuels évolue peu. Les éditions Hachette, avec quelques autres éditeurs qui cherchent à se démarquer sur un marché très concurrentiel, proposent des documents originaux qui paraissent novateurs à chaque changement de programme. Ces documents, très vite repris par les autres éditeurs, donnent une impression d’uniformité, conférant à ces illustrations un statut d’icônes incontournables, renforcé par les mises en page qui les associent systématiquement. Ainsi, les derniers manuels consacrent tous une double page à la Guerre des Gaules où l’on retrouve : une carte de « la » Gaule, un portrait sculpté ou une monnaie de César, la maquette des fortifications ou l’un de ses dérivés et un texte antique. Ces documents étaient présents dès le XIXe siècle, seule la mise en page a réellement changé, d’une part parce que les moyens sont différents et d’autre part parce que la conquête qui était abordée en une trentaine de pages l’est aujourd’hui en deux seulement (fig. 5).
Cette pérennité des documents iconographiques a sans doute une explication économique qui est de séduire les enseignants qui choisissent les manuels. Comment s’effectue la sélection des images publiées ?
Comment et par qui sont choisies les images ?
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les auteurs sont souvent seuls à prendre en charge un manuel ou une collection ; ce sont la plupart du temps des universitaires spécialistes de la période abordée dans le manuel. À partir des années 1950, les personnes occupant des fonctions importantes dans l’institution prennent en charge les manuels souvent en binômes. À partir de 1977, avec des manuels communs pour l’histoire et la géographie, les équipes d’auteurs de manuels s’étoffent et les inspecteurs encore présents s’entourent d’enseignants chevronnés ou de formateurs, plus aguerris aux perspectives pédagogiques, mais aussi moins pointus d’un point de vue scientifique que ne l’étaient les auteurs universitaires de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Cette évolution du profil des auteurs de manuels a eu un impact sur le choix des documents iconographiques.
Les éditeurs jouent aussi un rôle, en gérant les droits de reproduction. Les témoignages des auteurs sont rares17 et attestent de l’importance de l’éditeur, qui dispose en quelque sorte d’une banque de données, dans laquelle il peut piocher d’édition en édition. Le fait de confier l’illustration à quelqu’un qui, semble-t-il, n’est pas étroitement associé à la rédaction, est révélateur de la place réservée à l’illustration. À titre d’exemple, rares sont les auteurs qui ont le souci de proposer des documents qui ne soient pas anachroniques, en particulier pour des périodes, comme l’Antiquité, réputées à tort pauvre en documents18. Cette précaution du milieu des années 1960 n’est plus guère à l’ordre du jour, les manuels intégrant de plus en plus de tableaux contemporains et de reconstitutions.
Le choix des illustrations relève de choix pédagogiques, mais aussi épistémologiques, dont éditeurs et auteurs ne sont pas toujours conscients. Plus ou moins imprégnés des avancées universitaires et des préoccupations de leur temps, ils en viennent à créer une image de l’Antiquité largement diffusée, mais épistémologiquement fragile. Si les sculptures de Gaulois, tels que l’on se les représentait au XIXe siècle, laissent place aux objets archéologiques de plus en plus nombreux après la Seconde Guerre mondiale, l’image des Gaulois n’en est pas pour autant réévaluée. La perception dix-neuvièmiste de la conquête des Gaules persiste, avec des Gaulois présentés de façon caricaturale, belliqueux, n’accédant à la civilisation qu’avec la domination romaine.
L’exploitation pédagogique des images proposées par les manuels
Malgré la présence de plus en plus dense d’images dans les mises en page des manuels, les activités proposées et la réflexion sur leur statut demeurent rares. L’utilisation de documents anachroniques, la fonction des légendes et les démarches doivent donc être questionnés.
Les documents anachroniques
Rares sont les auteurs de manuels qui se préoccupent de ne pas présenter de documents anachroniques, l’utilisation abondante d’œuvres du XIXe siècle pour aborder la Guerre des Gaules l’atteste. Ainsi, malgré la diversité des sources, on choisit de représenter Vercingétorix selon l’image imposée il y a plus d’un siècle, sans le moindre questionnement à ce sujet. La présence de tableaux du XIXe siècle ne correspond pas non plus à une préoccupation historiographique, faire réfléchir les élèves de sixième sur la mémoire du passé ne faisant pas partie de la demande institutionnelle.
La bande dessinée soulève les mêmes problèmes que la peinture et la sculpture contemporaines. Lorsqu’elle ne sert pas seulement à animer la mise en page, elle fait l’objet d’un questionnement, mais souvent la réponse aux questions ne se trouve pas dans les vignettes. Les manuels utilisent donc avec peu de précautions méthodologiques les documents anachroniques, qui contribuent à donner de la bataille d’Alésia une image erronée, celle d’une quasi-victoire en raison de la vaillance de son héros.
Les légendes
Souvent les légendes ne servent pas à présenter ou comprendre les images, mais sont un prétexte. Par exemple, jusque dans les années 1960, les légendes des monnaies de César portaient, comme pour les portraits sculptés19, sur le physique de l’homme politique, sa fatigue et sa calvitie20.
Le revers de certaines monnaies de César présente un Gaulois captif, assis les mains attachées dans le dos21 (fig. 6). Dans les manuels, les légendes de cette monnaie indiquent souvent qu’il s’agit de Vercingétorix, même si aucun élément ne vient étayer cette thèse ; le thème du captif étant fréquent sur le monnayage de César. Cette approximation correspond à la façon de représenter les Gaulois échevelés, alors qu’ils attachaient au contraire beaucoup d’intérêt à leur coiffure, comme sur les monnaies gauloises d’inspiration grecque. La perception romaine prévaut car elle correspond mieux à l’image stéréotypée que l’on voulait donner du Gaulois. Ce n’est qu’en 1964 aux éditions Hachette, que la légende est nuancée : « Cette monnaie montre sans doute Vercingétorix… ».
Il faut attendre 1968, dans un manuel édité par Bordas, pour qu’une véritable réflexion sur la représentation de Vercingétorix apparaisse en légende, avec la confrontation d’une monnaie gauloise et d’une monnaie romaine : « À Gauche, le héros de l’indépendance gauloise est représenté, jeune et imberbe, sur une monnaie arverne. À droite, sur une monnaie romaine, c’est un vaincu aux traits creusés, aux cheveux hirsutes et à la barbe longue. » Aucun doute n’est émis concernant l’identification de Vercingétorix, mais la mise en relation de ces deux représentations d’un même personnage permet d’expliquer que, selon les cas, il s’agit de la vision d’un ennemi pour le monnayage romain ou d’un héros idéalisé pour le monnayage gaulois.
On pourrait multiplier les exemples concernant le manque de rigueur des légendes, avec de nombreuses approximations et des interprétations trop rapides au lieu de données précises sur les œuvres : les dimensions, le lieu de conservation ou l’auteur ne figurent presque jamais.
Un questionnement biaisé
La faiblesse des légendes est à corréler aux questions posées par le manuel pour étudier les documents. Les questions se limitent souvent à une recherche de contenu, qui est rarement discuté, ou contextualisé. Il apparaît implicitement pour beaucoup d’auteurs de manuels que le travail critique sur les documents doit être réservé aux études supérieures. Des questions peuvent même porter uniquement sur la légende, sans qu’il soit nécessaire d’observer l’image.
À titre d’exemple, certaines questions, au sujet des peintures représentant la bataille d’Alésia, portent sur le parti pris du peintre. Mais rien n’amène les élèves à réaliser qu’il s’agit de représentations du XIXe siècle, ni pourquoi celle-ci a été choisie. Dans l’édition Magnard de 2000, il n’y a plus aucun questionnement, le tableau de Royer est relégué au statut de simple illustration. La légende peut même induire le jeune lecteur en erreur, comme dans le manuel Belin de 2009, qui indique « Le vainqueur et le vaincu » (fig. 4), alors que Vercingétorix est représenté à gauche. Or, le sens de la lecture conventionnel peut laisser penser que le vainqueur est Vercingétorix, d’autant plus que tout, dans le tableau, va dans ce sens. Le peintre se réfère explicitement à la version des faits relatée par Plutarque, dans laquelle Vercingétorix n’est pas présenté comme un perdant, mais caracole sur son cheval. Les Romains sont d’ailleurs en retrait, penchés en arrière. Ce tableau s’inscrit dans un courant du XIXe siècle qui a voulu présenter la défaite d’Alésia comme une victoire, non sans quelques acrobaties. Mais l’utiliser, plus d’un siècle plus tard et présenter ainsi les faits semble loin de la démarche historique à enseigner aux élèves. Ainsi, dans une autre page du manuel, le texte de César est mis en relation avec un tableau de Motte. Cette démarche est intéressante, mais à aucun moment, on n’attire l’attention des élèves sur le fait que l’image à décrire date du XIXe siècle.
Une démarche historiographique qui peine être mise en place
Un seul manuel publié en 1985 aux éditions Nathan propose une véritable démarche historiographique, à partir d’un document anachronique. La couverture du cahier du XIXe siècle, sur laquelle est représentée la reddition, inspirée du tableau de Royer, est comparée à trois autres documents contemporains de la bataille (la maquette des fortifications, la monnaie à la légende « Vercingétorix » et l’extrait des Commentaires de la Guerre des Gaules) (fig. 7). Les questions se référant à ces documents ont pour objectif de montrer que la représentation de la scène n’est pas fidèle au texte de César : « Comparer cette scène et le récit de Jules César. Comment est représentée Alésia ? Qu’en pensez-vous ? Quelles réflexions vous inspirent la présence d’un cheval après le siège d’une ville ? Pourquoi Vercingétorix est-il devenu un héros ? ». Les questions attirent aussi l’attention sur la reconstitution peu réaliste de l’oppidum gaulois qui ressemble davantage à une ville fortifiée médiévale. La dernière question permet d’introduire l’idée que Vercingétorix est perçu comme un héros en raison de son sacrifice. Cette activité, bien que difficile à conduire avec les élèves, ne manque pas d’intérêt ; elle constitue une première initiation à l’historiographie et propose un réel travail critique sur les documents iconographiques.
Les images contemporaines ayant envahi les représentations sur les Gaulois, il est d’autant plus nécessaire de les analyser. Quelques manuels ont entrepris un travail sur l’image, en comparant le tableau de Motte, Vercingétorix se rend à César, au texte de César. Le questionnement proposé par les éditions Magnard en 1994 est pertinent : « Le peintre a-t-il reconstitué fidèlement le récit de César ? Quel personnage a-t-il voulu privilégier ? Comment ? Pourquoi ? […] ». Les attentes formulées dans le livre du professeur étaient d’« exercer l’esprit critique des élèves, les initier à prendre du recul face aux sources. » Pourtant les auteurs ont bien conscience que l’élève ne parviendra pas seul à prendre le recul nécessaire par rapport à ce document et même à réaliser qu’il n’est pas contemporain du texte de César22.
Les questions portent rarement sur le contexte de création des documents anachroniques, à l’exception de l’activité proposée aux éditions Bordas en 200023, pour introduire une vignette de bande dessinée. Elle permet de réellement apprendre à confronter des versions d’époques différentes, de prendre conscience de la diversité des versions d’un même fait, avec un document iconographique sans doute plus attractif pour les élèves qu’un tableau du XIXe siècle, dont ils ne perçoivent rien de l’idéologie qu’il véhicule. Malheureusement cette démarche reste encore rare et l’édition suivante ne l’a pas conservée.
L’étude de près de 150 manuels scolaires abordant l’histoire romaine, de la classe de quatrième à celle de sixième selon les programmes, permet de relativiser l’apparente abondance et diversité des illustrations qu’ils contiennent, et surtout de questionner leur pertinence et l’exploitation pédagogique qui en est proposée. Que ce soient des documents antiques, des œuvres contemporaines ou que leur finalité soit essentiellement pédagogique, ces documents apparaissent dans les manuels avec des temporalités qui témoignent des différentes réceptions de l’histoire gauloise et de la diversité des conceptions pédagogiques.
La présente analyse de l’iconographie pour l’Antiquité gauloise et romaine peut être étendue aux périodes historiques ultérieures, d’une part parce que les manuels sont dirigés par un ou deux directeurs de collection qui impriment leur marque sur toute la série de manuels, de la classe de sixième jusqu’à la classe de Terminale. D’autre part, parce que les analyses concernant d’autres périodes corroborent les observations pour l’Antiquité. Depuis l’inventaire des manuels, toutes disciplines confondues, mené par A. Choppin et B. Pinhède24, sont parues d’autres études plus spécifiques sur les manuels d’histoire de l’enseignement secondaire, pour n’en citer que quelques-unes, celle N. Lucas25, d’É. Héry26 sur les leçons d’histoire au lycée et celle de P. Garcia et J. Leduc 27 et plus récemment encore celle de F. Lantheaume28 sur l’enseignement de l’histoire de la colonisation. Bien que son étude porte sur des manuels de lycée, ses conclusions pour la colonisation des XIXe et XXe siècles sont assez proches des analyses que j’ai pu faire concernant la conquête des Gaules. Pour autant, la réflexion sur les usages des images demeure nécessaire, comme le soulignait un rapport de l’Inspection générale en 2010 : « Les interrogations ne manquent pas sur le rôle et le statut des images dans les manuels scolaires et les problèmes complexes que pose leur apparente accessibilité. »29. Le véritable enjeu pédagogique des images ne tient pas tant à leur présence dans les manuels qu’à l’exploitation qui en est proposée en classe, simples illustrations ou véritables supports analysés dans leur polysémie.
Notes
Cette contribution s’appuie sur ma thèse de doctorat : La réception de l'histoire romaine dans l'enseignement secondaire de 1880 à nos jours : l'exemple d'Alésia, soutenue en 2012 à l’Université Toulouse – Jean Jaurès, sous la direction de Corinne Bonnet. Les données statistiques ont été établies à partir de 22 manuels publiés aux éditions Hachette entre 1882 et 2009. Le reste de l’étude porte sur 150 manuels publiés chez tous les éditeurs.
« L'art gaulois restait encore fruste, au Ier siècle avant Jésus-Christ. Il existait pourtant. Les Gaulois n'étaient plus des barbares, au sens que nous donnons de nos jours à ce mot. (Ph. Suquet) » [1964, Hachette-Bonifacio], p. 64.
« On raconte un passage de La Guerre des Gaules en précisant qu’elle a laissé peu de traces archéologiques. » (Laurent Lemercier, Histoire Géographie Éducation civique. Aide à la mise en œuvre des programmes, Versailles, SCEREN-CRDP, 2010, p. 87).
Anne Pingeot, « Les Gaulois sculptés (1850-1914) », in Paul Viallaneix et Jean Ehrard, dir., Nos ancêtres les Gaulois : actes du Colloque international de Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand, Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1982, p. 255-282.
Moniteur du Puy-de-Dôme du 13 octobre, cité par Antoinette Ehrard, « Vercingétorix contre Gergovie ? », in Nos ancêtres les Gaulois, op. cit., p. 311.
Exposé au Salon, puis acheté par l’État en 1886, il est conservé au musée Crozatier au Puy-en-Velay, 172 x 250 cm.
Approche critique, en 1981, aux éditions Magnard, « Aussi faut-il toujours contrôler les éléments historiques qu’ils présentent. Voilà comment on peut traiter quelques-unes des informations contenues dans trois albums. Trouvez des "erreurs" ou éléments "justes" dans d’autres albums d’Astérix. Exécutez le même travail à partir de la bande dessinée de J. Martin, les aventures d’Alix (les légions perdues, le fils de Spartacus…) ».
Christian Goudineau, Regard sur la Gaule, Paris, Éditions Errance, 1998, p. 310-324. L’auteur propose une restitution de l’espace tel qu’il était perçu par Strabon.
Un témoignage très succinct de Jean Monnier précise dans la préface que « la lourde tâche de l’illustration » a été confiée à l’éditeur [1954, Nathan], préface.
J. Monnier dans la préface de son manuel édité chez Nathan en 1964 précise : « Mais nous ne voulons pas que le manuel devienne un livre d’images et nous avons refusé systématiquement d’illustrer des périodes pauvres en documents contemporains au moyen de documents anachroniques qui risqueraient de donner aux élèves un sens erroné des perspectives historiques. », idem.
Les portraits sculptés sont très souvent utilisés pour appuyer la description du caractère de César : son énergie et sa volonté, sa détermination qui le rend invincible ou au contraire fatigué, tourmenté mais dominateur. À partir des années 1960, ce n’est plus le caractère qui importe mais la ressemblance avec César ou l’authenticité de l’identification.
« Les fatigues de la guerre et de la politique avaient vieilli prématurément César. Les historiens anciens nous le disent maigre, chauve et les yeux parfois presque hagards. La couronne de lauriers sert en partie à cacher la calvitie. » [1964, Hachette], p. 89.
« […] il sera peut-être nécessaire que le professeur apporte quelques explications sur le sens, la portée donnée par l’artiste à son œuvre : Vercingétorix, héros romantique, devient une des figures emblématiques de l’histoire nationale républicaine qui se construit au XIXe siècle. » [1994, Magnard], Livre du professeur, p. 39 et 41.
« a. Les auteurs [César, Plutarque et Goscinny] de ces trois documents sont-ils contemporains de l’événement décrit ? b. Comment Plutarque présente-t-il la victoire de César ? c. Comment César présente-t-il la reddition de Vercingétorix ? d. Quelles différences voyez-vous entre les versions de Plutarque et de César ? e. Laquelle de ces versions a inspiré les auteurs d’Astérix ? »
Alain Chappin et Bernard Pinhède, Les manuels scolaires en France de 1789 à nos jours : Bilan des études et recherches (7), Paris, INRP, 1995.
Nicole Garel-Lucas, Enseigner l'histoire dans le secondaire : manuels et enseignement depuis 1902, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001.
Évelyne Héry, Un siècle de leçons d’histoire. L’histoire enseignée au lycée : 1870-1970, Rennes, PUR, 1999.
Patrick Garcia et Jean Leduc, L'enseignement de l'histoire en France : de l'Ancien Régime à nos jours, Paris, A. Colin, 2003.
Alain Séré et Anne-Marie Bassy, dir., Le manuel scolaire à l’heure du numérique Une « nouvelle donne » de la politique des ressources pour l’enseignement, Inspection générale de l’éducation nationale. 2010, p. 20.
Images et réception de l'Antiquité
Dossier dirigé par Anne-Hélène Klinger-Dollé et Questions d'images depuis 2024
Images et réception de l'Antiquité
En guise d'introduction
Réception de l’Antiquité aux XVe-XVIIIe siècle
Imaginaire collectif et transmission des mythes : de la ziggurat de Babylone à la Tour de Babel de Brueghel
Peindre les ruines antiques à la Renaissance : enjeux d’un genre nouveau
Le symbole, objet privilégié de la « restitution de l’Antiquité » par les humanistes de la Renaissance : l’exemple de l’ancre et du dauphin
Les Emblèmes d’Alciat : une réception humaniste de l’Antiquité par le texte et par l’image
Des images de Mithra en livre : la tentative de L'Antiquité expliquée (1719-1724) de Bernard de Montfaucon
Dessine-moi la déesse Isis. L’exemple des illustrations de la métamorphose d’Iphis au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles
Réception de l’Antiquité aux XIXe-XXIe siècle
Polychromie et réception de l’Antiquité
Étude de la polychromie dans un tableau d’Alma-Tadema
L’évolution de l’iconographie dans les manuels scolaires d’histoire de collège (1880-2009) : le cas de la Guerre des Gaules
Réception de l’Antiquité et vie politique. L’exemple du monument du « génie latin » de Jean Magrou (1921)
L’image de restitution dans le domaine du patrimoine architectural
La restitution virtuelle de la Rome antique à l’Université de Caen Normandie
Vade-mecum pour étudier en classe les relations entre Antiquité et art contemporain