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Résumé

Cet article vise à donner des éléments d’analyse et des pistes de réflexion sur un sujet aussi riche que varié, à savoir les références à l’Antiquité grecque et romaine dans le champ spécifique de l’art contemporain. Ce dialogue, entre passé et présent, laisse de prime abord penser à des objets d’étude irréconciliables. Il donne pourtant matière à penser auprès des élèves, du secondaire notamment. À destination des professeurs de nombreuses disciplines telles que les arts plastiques, l’histoire des arts, l’histoire-géographie, les langues et cultures de l’Antiquité, les lettres et la philosophie, ce court vade-mecum offre quelques clés de lecture et s’appuie, pour la plupart, sur des sources consultables en ligne.

The aim of this paper is to provide elements of analysis and food for thought on a subject as rich as it is varied, namely references to Greek and Roman antiquity in the specific field of contemporary art. At first glance, this dialogue between past and present might seem to suggest irreconcilable fields of study. However, it provides food for thought for students, particularly in secondary schools. Intended for teachers of a wide range of disciplines, including visual arts, art history, history-geography, languages and cultures of Antiquity, literature and philosophy, this short vade mecum offers a number of reading keys, based for the most part on sources that can be consulted online.

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Références de l’article

Tiphaine A. Besnard,

Vade-mecum pour étudier en classe les relations entre Antiquité et art contemporain

, mis en ligne le 04/09/2024, URL : https://utpictura18.univ-amu.fr/rubriques/ressources/images-reception-lantiquite/vade-mecum-etudier-en-classe-relations-entre

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Ressources externes

Vade-mecum pour étudier en classe les relations entre Antiquité et art contemporain

Penser les relations qui unissent l’Antiquité grecque et romaine à l’art contemporain ne va a priori pas de soi puisque de telles créations vont à l’opposé de l’exigence d’originalité qui définit l’art contemporain lui-même. Les mouvements des avant-gardes ont engagé les artistes et les auteurs à la fois dans la recherche constante du nouveau et dans un rejet de la tradition. Une grande majorité d’entre eux se sont réfugiés derrière des concepts au mépris des canons académiques. Encore aujourd’hui dans l’imaginaire collectif, l’art contemporain est souvent associé à l’ « abstrait » et au « conceptuel », quand il ne renvoie pas expressément à un marché de l’art florissant.

Les productions artistiques sont pourtant protéiformes. Depuis une vingtaine d’années plus spécifiquement, nous pouvons observer ce qui s’apparente à un retour des références antiques1. Cette attention pour l’Antiquité se veut globale et concerne tant les artistes européens, qu’américains ou asiatiques. Notons par ailleurs que l’intérêt pour cette période chargée d’histoires s’applique également à l’ensemble des arts visuels (bandes dessinées, mangas, jeux vidéo…). L’univers du cinéma, du néo-péplum en particulier, n’est pas étranger au phénomène de reprise : il semble même y contribuer.

Dans cet article, il s’agira moins d’approfondir un sujet extrêmement riche et varié2 que de donner des éléments d’analyse et des pistes de réflexion à mener avec les élèves, à la manière d’un vade-mecum à destination des enseignants du secondaire, en particulier pour les disciplines que sont les arts plastiques, l’histoire des arts, l’histoire-géographie, les langues et cultures de l’Antiquité, les lettres et la philosophie.

Regarder l’œuvre : une première approche formelle

La première étape consiste à observer sur le plan formel les choix opérés par l’artiste pour produire son œuvre. Comment aborde-t-il/elle l’Antiquité ? Les références à l’Antiquité peuvent en effet se faire de multiples manières : sujet mythologique peint ou sculpté, reprise d’une sculpture existante (moulages d’antique notamment), ou bien encore titre évocateur3. La sculpture de l’artiste français Sylvain Wavrant, intitulée IKAROS – la chute de l’homme, offre un exemple particulièrement représentatif (fig. 1).
 

Fig. 1. Sylvain Wavrant, IKAROS – la chute de l’homme, 2022, mannequin, cire, plumes, ficelles, acier, coton, sable, 190 x 180 x 150 cm, collection de l’artiste. ©Sylvain Wavrant, avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Fig. 1. Sylvain Wavrant, IKAROS – la chute de l’homme, 2022, mannequin, cire, plumes, ficelles, acier, coton, sable, 190 x 180 x 150 cm, collection de l’artiste. ©Sylvain Wavrant, avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Une fois le sujet représenté identifié, il convient d’analyser les modifications opérées entre ce que nous nommons l’œuvre-source (la référence antique) et l’œuvre-cible (la production artistique contemporaine). Les transpositions de sculptures de l’Antiquité grecque et romaine, telles que la Vénus de Milo, l’Apollon du Belvédère ou le Laocoon, pour ne citer que quelques exemples fameux, peuvent ainsi être étudiées selon quatre procédés de transformation :

  • les modalités matérielles : le changement de matériau(x), l’adjonction de matériau(x) ;

  • les modalités formelles : l’agrandissement, la diminution (voir la miniaturisation), l’adjonction, la substitution/le remplacement, la suppression, la fragmentation, la répétition, l’inversion/le renversement, l’élongation, la compression ;

  • les modalités chromatiques : le changement chromatique, l’application de couleur(s) ;

  • les transformations du titre (appareil titulaire) : la présence de titre originel (conservation, adjonctions, suppressions), la disparition du titre (changement de titre, sans-titre).

Il ne suffit pas ici simplement d’identifier les transformations à la façon du jeu des sept erreurs, mais plutôt d’observer les multiples manières mises en œuvre par l’artiste pour modifier l’objet qu’il prend pour référence.

Comprendre l’œuvre : la replacer dans son contexte de création

La deuxième étape vise la quête de sens. Elle se révèle essentielle pour comprendre au mieux les œuvres. Pourquoi l’artiste a-t-il/elle choisi de traiter ce sujet ? Pour quelles raisons a-t-il/elle procédé de la sorte ? Il faut d’emblée saisir qu’une création s’inscrit dans un contexte souvent multifactoriel, que l’on peut appréhender du microscopique (la vie de l’artiste) au macroscopique (tendances et phénomènes de modes). Dans le premier cas, les choix s’expliquent par le vécu et/ou l’héritage de l’artiste (formations, héritage culturel, événements de sa vie personnelle, etc.). Prenons l’exemple de l’artiste coréenne Meekyoung Shin, qui vit et travaille entre Séoul et Londres. Elle développe, au cœur de sa pratique artistique, le concept de translation/traduction. Son autoportrait en Vénus accroupie offre une synthèse de son œuvre particulièrement représentative. Dans le second cas, les choix suivent une tendance plus générale, voire globale. Il est alors intéressant de décentrer notre regard en faisant des rapprochements avec d’autres pans des arts visuels qui participent indéniablement à façonner un imaginaire devenu collectif. Pensons plus spécifiquement ici aux nombreux champs de la création cités précédemment : cinéma, jeux vidéo, bande dessinée, manga, sans oublier l’univers de la publicité (de l’alimentaire au cosmétique) et de la musique. Ces facteurs permettent de saisir l’intérêt de l’Antiquité par des artistes qui ne sont de fait pas seulement européens, mais également américains et asiatiques. L’étude de ces œuvres offre ainsi la possibilité d’aborder les phénomènes de mondialisation/globalisation et de transferts culturels.

Caractériser l’œuvre : entre un art élitiste et un art populaire, un art de l’entre-deux

La troisième étape vise à discuter de l’œuvre étudiée. Ces productions artistiques néo-néo (au sens d’œuvres pouvant s’inscrire dans un nouveau courant néoclassique) ont la singularité de présenter une ambivalence. Elles renvoient à la fois (malgré elles ?) à un art élitiste (étiquette de l’art contemporain d’une part, culture classique d’autre part) et à un art populaire (le regard porté sur les œuvres prêtant souvent le spectateur à s’émerveiller et à sourire). Ainsi, les œuvres peuvent ici être étudiées sous les angles de la sociologie et de l’esthétique pour appréhender, notamment, la question du jugement de goût.

Les concepts littéraires auxquels les élèves sont familiarisés peuvent également être mobilisés pour l’étude de ces productions, puisqu’au moins deux grandes thématiques rejoignent les programmes scolaires. La première concerne la notion de registre. Les œuvres produisent des ressentis sur le spectateur. Parmi les registres les plus souvent identifiés, nous retrouvons l’humoristique, le sérieux, le merveilleux et le tragique. La seconde est relative à la qualification des œuvres d’art elles-mêmes, à partir de la notion de citation. En effet, pour la grande majorité d’entre-elles, les œuvres produites en « citent » d’autres. Faire référence à l’Antiquité grecque et romaine dans la création contemporaine suppose souvent pour l’artiste de puiser dans un répertoire de formes déjà existantes, connues et reconnues de tous. Rentrent ainsi en jeu les notions clés de copie, de parodie et de transposition. Les réflexions peuvent également amener à élargir le propos en allant jusqu’à questionner plus généralement le plagiat.

Enfin, notons que ces dernières années ont vu l’émergence de nouveaux outils de production : les impressions 3D ou bien encore les logiciels d’intelligence artificielle permettent aux artistes d’envisager leurs créations sous un nouveau jour. À titre d’exemple, le marbre n’a jamais été aussi simple à façonner, et le travail sériel se voit ainsi facilité. Il en résulte une démultiplication des œuvres produites, dont la promotion est souvent réalisée sur les réseaux sociaux par les artistes eux-mêmes. Ne s’apparenteraient-ils pas alors à des influenceurs ?

En guise de conclusion

Prendre comme objet d’étude en classe une œuvre d’art contemporain faisant elle-même référence à l’Antiquité grecque et romaine offre l’opportunité d’aborder de nombreuses notions-clés des programmes de l’Éducation nationale, du cycle 4 plus spécifiquement. Citons-en quelques-unes :

- arts plastiques : représentation des images, matérialité de l’œuvre, auteur et spectateur ;

- histoire des arts : histoire et géographies culturelles ;

- histoire et géographie : construction de repères historiques et géographiques ;

- français : la constitution d’une culture littéraire et artistique.

En ce sens, s’intéresser à ce type de productions artistiques permet de croiser des regards, tout en favorisant l’interdisciplinarité. Cette méthode en trois temps (1. regarder l’œuvre ; 2. comprendre l’œuvre ; 3. caractériser l’œuvre), peut bien entendu être réadaptée et transposée pour l’étude d’autres productions artistiques qui font elles-mêmes état d’un phénomène de reprise.

Pour aller plus loin

BESNARD, Tiphaine A., L’Odyssée de l’art néo-néo. Quand l’Antiquité grecque et romaine inspire l’art contemporain, Pessac, Presses universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, collection PrimaLun@19, 2024, en ligne [https://una-editions.fr/odyssee-art-neo-neo/].

BESNARD, Tiphaine A., « Du Weathering Project aux autoportraits en Venus : les sculptures onctueuses et savonneuses de Meekyoung Shin », Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 29/2019, en ligne [https://journals.openedition.org/anabases/8593].

BESNARD, Tiphaine A., « Des Antiques érodés et cristallisés aux capricci à l’acrylique sur toile. Les uchronies de Daniel Arsham », Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 36/2022, en ligne [https://journals.openedition.org/anabases/8593].

BESNARD, Tiphaine A., « L’“Incroyable“ trésor de Damien Hirst présenté à Venise en 2017 », Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 31/2020, en ligne [https://journals.openedition.org/anabases/10747].

BESNARD, Tiphaine A., INDINO, Giuseppe, « Fabio Viale et les métamorphoses du marbre. Échanges avec un sculpteur sur marbre à l’occasion de son exposition Truly (Pietrasanta, juin-octobre 2020), Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 34/2021, en ligne [https://journals.openedition.org/anabases/12999].

BESNARD, Tiphaine A., BIÈVRE-PERRIN, Fabien, COUSIN, Élise, PARÉTIAS, Jonas, Qui es-tu, Apollon ? De l’Antiquité à la culture pop, cat. exp., Musée gallo-romain Juliobona, Lillebonne, 15 avril – 30 novembre 2023, Rouen, Octopus, 2023.

BESNARD, Tiphaine A., SCAPIN, Matthieu, dir., Age of Classics ! L’Antiquité dans la culture pop, cat. exp., Musée Saint-Raymond, Toulouse, 22 février – 22 septembre 2019, Toulouse, Fédora, 2019.

Notes

1

Citons, par exemple, les œuvres des artistes Prune Nourry, Yinka Shonibare, Jeff Koons, Pierre et Gilles, ou bien encore Eleanor Antin. Nous nous permettons toutefois de renvoyer plus spécifiquement ici aux productions des artistes Damien Hirst, Meekyoung Shin, Fabio Viale et Daniel Arsham, dans la mesure où les articles que nous leur avons consacrés sont parus dans la revue universitaire Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité et qu’ils sont disponibles en libre accès. Voir les orientations bibliographiques.

2

Voir Tiphaine A. Besnard, L’Odyssée de l’art néo-néo. Quand l’Antiquité grecque et romaine inspire l’art contemporain, Pessac, Presses universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, collection PrimaLun@19, 2024, en ligne [https://una-editions.fr/odyssee-art-neo-neo/].

3

Pensons aux œuvres suivantes : Pierre et Gilles, Mercure (Enzo Junior), 2001, photographie et acrylique, 116,6 x 163 cm, Collection particulière ; Meekyoung Shin, Core (série : Translation) 2011, savon, métal, bois, vernis, pigments, 96 x 35 x 16 cm, Collection de l’artiste ; Tatiana Blass, Penelope, 2011, métier à tisser, bois, tapis, fils rouges, dimensions variables, installation temporaire à la Capela do Morumbi, São Paulo.

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