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Pour citer ce texte : Stéphane Lojkine, « L’intimité de Gertrude : enjeux de la réécriture à l’époque classique », XVIIème siècle, 47ème année, n°1, janv.-mars 1995, p. 7-20.
L’intimité de Gertrude : enjeux de
la réécriture à l’époque classique
Sur le soir de sa vie, Molière en mal
d’inspiration rend visite à Madeleine Béjart et lui demande
conseil sur Le Malade imaginaire, qu’il n’arrive pas à
terminer. En vain, il a convoqué Plaute, Térence, Aristophane
même : l’esprit n’y est plus. Madeleine Béjart lui
conseille alors non pas de réécrire les Anciens, mais de se
reprendre lui-même, de resservir sans vergogne Scapin en Toinette,
Argante en Argan. Tous deux se remettent alors en bouche, en les
transposant dans la situation nouvelle, les répliques au succès
assuré ; le métier d’acteur, le plaisir d’un rituel
comique où la parole est incorporée au geste, à la mimique, au jeu
de scène, sauvent alors ce que le savoir livresque n’avait pas su
ranimer.
Ariane Mnouchkine, dans cette scène de la fin du
Molière, oppose deux conceptions de la réécriture : la
première, textuelle et livresque, semble devenue stérile, ou tout
du moins s’être marginalisée depuis la réécriture de
l’Amphitryon et de L’Avare (1668). La seconde,
orale et corporelle, narcissique, incarnée, participe d’une autre
logique productive de sens en laquelle Ariane Mnouchkine se reconnaît
et identifie notre modernité créatrice. C’est ce glissement
paradoxal vers une logique non textuelle de la réécriture que nous
voudrions ici tenter d’analyser.
Dans un premier temps, nous tenterons de dégager
l’évolution historique du phénomène de la réécriture, depuis
la rhétorique de l’exemplarité qui se développe au seizième
siècle jusqu’aux détournements qui, sur le mode de la mise en
scène, du spectacle, picturalisent la réécriture au dix-huitième
siècle. Puis nous envisagerons les modalités spécifiques de la
production du sens dans le phénomène de la réécriture en essayant
d’articuler le sens du texte-source à son détournement dans le
sens du texte-arrivée, selon une dialectique des deux systèmes
symboliques alors aux prises. Cette dialectique nous permettra de
dégager la nature profonde du travail de réécriture, qui est
anamorphique. On montrera enfin comment la réécriture, en
détruisant paradoxalement l’organisation rhétorique et sémiotique
du texte, fait glisser la production de sens d’un système de
mimésis vers un système de mimétisme.
I. Aperçu historique
Les humanistes de la Renaissance héritent du
Moyen-Age une pratique de la glose, notamment dans l’exégèse des
textes canoniques, qu’ils transposent dans leur lecture et leur
redécouverte des textes antiques. L’innutrition et la citation,
exacte ou non, constituent un véritable rituel constitutif de la
culture humaniste, une sorte de structure stable, de point d’ancrage
dans un monde perçu par ailleurs comme en pleine révolution et en
grande instabilité. La réécriture se manifeste donc d’emblée
comme structure, mais structure non pas rhétorique, structure
conversationnelle.
Cependant, bien qu’elle constitue un alibi de
permanence et un rituel stabilisateur, la réécriture consiste à
réinterpréter la culture antique dans une perspective radicalement
nouvelle. Dans L’Apologie de Raimond Sebond, Montaigne cite
Plutarque en le détournant,
et la philosophie de Platon, redigérée par les latins, est, sous
forme de maximes et de sentences, à nouveau réadaptée à un
contexte idéologique et politique nouveau chez Budé ou Pasquier.
Le phénomène de la réécriture au seizième
siècle est donc fondé sur la contradiction entre l’apparente
continuité qu’il revendique, semble-t-il sans mauvaise foi, et le
détournement radical qu’il fait subir au matériau culturel qu’il
importe. Le rituel dans lequel cette réécriture s’inscrit abolit
l’écart entre la source et son interprétation : la glose est
la vérité du texte et se substitue à lui. Ce n’est pas une
problématique de l’écart, ou du transfert, mais une question de
rituel, de pratique dialogique. Il s’agit de converser avec les
Anciens, de les faire parler par soi. Le “je” est double mais
indivis, il ne se perçoit pas comme scindé.
La réécriture au seizième siècle se
cristallise autour de la thématique de l’exemplarité, qui
constitue alors le canal fondamental par lequel se construit le
discours idéologique et s’organise le système de valeurs. Mais
ces exempla changent progressivement de nature. Ils cessent de
constituer une galerie de personnages héroïques avec qui converser
pour s’organiser en un corps de maximes, ou même en un discours
continu. Au dix-septième siècle, une scission se fait, très nette
dans Les Caractères de La Bruyère, entre les maximes et les
portraits, objets de peinture et non plus exemples à imiter.
L’écriture devient une écriture clivée et, du coup, la
réécriture sera perçue comme la pratique d’un écart mimétique.
La Bruyère place sa traduction de Théophraste devant son texte
propre, sans les mélanger. Le jeu de réécriture ne se fait plus
entre une autorité et sa répétition illusoirement fidèle, mais
entre un modèle et sa peinture, entre un message idéal ancien et sa
mise en image moderne. Ce travail de mise en image est
particulièrement sensible dans les Fables de La Fontaine, où
le modèle concis d’Esope ou d’Abstemius, la narration prolixe de
Pilpay sont toujours réorganisés dans le sens d’une peinture
donnée à voir. Les malheurs du Bûcheron “Lui font d’un
malheureux la peinture achevée” (I,16), tandis que du récit du
Lion et du Moucheron, La Fontaine conclut, contre la morale univoque
d’Esope fustigeant le fanfaron : “Quelle chose par là nous
peut être enseignée ? / J’en vois deux…” (II,9). La
morale est donnée à voir devant le tableau et, comme on interprète
diversement une peinture, ouvre à des signifiés divers.
On peut différencier au dix-septième siècle
deux types de réécriture, dont le mécanisme est assez différent.
Il y a la réécriture à partir d’une source qui s’affiche, et
que le texte d’arrivée tourne en dérision, parodie, marginalise,
comme dans Le Chapelain décoiffé, où Boileau, Racine et un
ou deux autres réécrivirent, vers 1664, quatre scènes du premier
acte du Cid en les transformant en une querelle littéraire de
bas étage.
Dans le même esprit, Scarron propose une parodie burlesque de
l’épopée antique dans Le Virgile travesti et est bientôt
imité par Furetière, Perrault, d’Assoucy. Cette réécriture
reprend le rituel ancien, mais cette fois en extériorise la mauvaise
foi, y désigne l’écart et même se structure entièrement par
rapport à lui. En ce sens, elle établit vis-à-vis du texte-source
une distance destructrice, et à parodier les rituels de sociabilité
culturelle que constituaient les grands genres de la tragédie et de
l’épopée, elle en tue l’efficacité symbolique au profit du
roman, dont M. Bakhtine a montré que la stylisation parodique était
l’un des instruments poétiques majeurs.
Cette mise à distance, ou même mise à mort de l’épopée par la
réécriture participe elle aussi d’une picturalisation : la
distance est distance du regard au tableau.
L’autre réécriture ne se réfère pas à un
texte-source, mais à un code commun, à un genre codifié, qui se
manifeste par la coprésence de plusieurs textes littéraires. La
réécriture consiste alors à intégrer le texte nouveau dans la
structure générique d’un ensemble. Cela peut se faire
parodiquement comme dans la réécriture marginalisante :
Boileau, dans Le Lutrin, reprend en les stylisant
parodiquement les procédés de l’épopée homérique et
virgilienne. Par là, il met en évidence une matrice poétique
commune. Moins repérable et plus subtil est le travail de réécriture
qui s’opère de la Clélie de Mlle de Scudéry à La
Princesse de Clèves.
Les trames narratives des deux romans n’ont rien de commun, aucun
canevas n’est repris, mais le mode de structuration narrative, le
système de motivation vraisemblable de Mlle de Scudéry sont
récupérés par Mme de Lafayette, avec des transformations bien-sûr,
mais ces transformations constituent la vie du code, sa perpétuelle
réactualisation, dans la tradition du seizième siècle.
Bien entendu, ces deux types de réécriture, la
première comme marginalisation, la seconde comme modélisation, sont
souvent mêlés, ce qui prouve que leurs visées ne sont pas,
contrairement à ce que l’on pourrait croire, foncièrement
différentes. En effet, lorsque la réécriture opère par rapport à
une source avouée qu’elle marginalise, elle montre du doigt le
fonctionnement d’un code qui devrait être un fonctionnement
silencieux. Ce faisant, elle désigne le code comme écran entre la
réalité et la littérature. D’une façon opposée mais avec un
résultat identique, lorsque la réécriture opère par rapport à un
groupe de textes dont la coprésence constitue un code poétique,
elle ne subvertit plus, mais au contraire affirme et construit le
code comme écran entre le texte d’arrivée et la réalité à
représenter. La réécriture s’identifie alors au détour
nécessaire de la mimésis, qui doit subsumer la réalité à
des formes préexistantes, en l’occurence ici les textes
constituant le code. La réécriture dans les deux cas s’appuie sur
les textes antérieurs comme sur des supports à la fois opaques et
signifiants : ils filtrent la réalité ; ils donnent les
clefs de sa représentation.
Au dix-huitième siècle émerge progressivement
une conception de la réécriture comme récupération, recyclage,
démultiplication. La reproductibilité du texte devient une valeur,
et l’on voit un Rétif de la Bretonne recopier des livres entiers
au milieu de ses livres, tandis que la même lettre, primitivement
adressée par Diderot à S. Volland, est réécrite avec des
modifications infimes pour Grimm,
ou même pour tel article de L’Encyclopédie.
Du coup, la réécriture marginale constitue des genres nobles :
sur les décombres de la tragédie parlée, la tragédie lyrique puis
le drame bourgeois font leur apparition en récupérant le matériau
classique. Il s’agit alors, par la réécriture, de déconstruire
le code et de faire apparaître un supplément hors-texte : le
spectacle total de l’opéra, l’affect, la profondeur
psychologique. En cela, le mouvement de picturalisation et de
distanciation qui s’était manifesté dans la réécriture au
dix-septième siècle tout à la fois s’accomplit et se subvertit,
car il ne se contente pas de produire des textes clivés, mais, au
fond, délègue l’essentiel de l’effet en dehors du texte. La
réécriture achève ici de démolir ce qu’il y a de proprement
textuel dans la structure de ces œuvres où le spectaculaire et
l’affect deviennent les véritables principes structurants. Il
conviendrait d’ailleurs à ce titre de s’opposer à la thèse
centrale de la Grammatologie derridienne qui identifie tous
ces phénomènes à un triomphe de l’écriture alors que justement
il s’agit d’autre chose, de la constitution d’une autre logique
structurante. Paradoxalement la réécriture met en évidence quelque
chose qui ne relève pas de l’écriture. Ainsi Diderot, lorsqu’il
réécrit le testament de son père dans une lettre à Sophie
Volland, supprime les chiffres des comptes, réduit les noms de
personnes à de simples prénoms, élimine tous les détails
pratiques ou triviaux et ajoute quelques détails touchants pour, par
cette épure, transformer l’acte juridique en parabole théâtrale,
en mise en scène de drame bourgeois, en tableau greuzien de la mort
du père de famille.
Peu à peu, nous avons glissé d’une réécriture
comme principe d’autorité, se réclamant du texte-source pour
légitimer le texte-arrivée, vers une réécriture comme mise en
image ou en spectacle, comme construction d’un tableau, comme
transposition visuelle d’un texte. On peut se demander si ce
phénomène, qui prend de très grandes proportions au dix-huitième
siècle, n’était pas en germe dès la Renaissance, si cette
dimension picturale de la réécriture ne tient pas à la nature même
du phénomène.
II. Le dédoublement symbolique
Analyser les phénomènes de réécriture dans un
texte, c’est toujours montrer que le texte-source a été subverti,
que l’auteur, à l’arrivée, lui fait dire tout autre chose que
ce qu’il disait auparavant. Une telle recherche aboutit bien
souvent à des résultats décevants : le texte-source ne semble
rien nous dire du sens du texte-arrivée. Quel rapport y a-t-il entre
le dialogue de Plutarque sur le sens du EI inscrit au fronton du
temple de Delphes et l’affirmation fidéiste du Montaigne de
L’Apologie, qui refuse de soumettre la foi à la critique de
la raison ? Bien que le rapport soit nul, c’est par deux pages
de Plutarque à peine aménagées que Montaigne conclut son Apologie,
faisant du texte-source le matériau d’un texte-arrivée
matériellement presque identique, mais sémantiquement totalement
transformé. Tout le sens tient au détournement de la source, dont
il ne reste rien. Entre les deux textes, la critique constate un
fossé infranchissable, une véritable barrière à la communication.
Or cette barrière pourrait bien ne constituer
que l’un des avatars de la barrière sémiotique, qui organise la
structure du signe selon le clivage entre signifiant et signifié, à
ceci près qu’en l’occurence, du fait même que nous nous situons
à un niveau macro-linguistique, au niveau de la structure non pas
d’un simple signe, mais d’un texte tout entier, les termes de
signifiant et de signifié prendront ici un autre sens.
Par signifiant, nous entendons ici le
texte-arrivée tel qu’il est donné à lire, dans sa matérialité
immédiatement visible, le signifié étant assumé par le code
symbolique externe auquel le texte se réfère, implicitement ou
explicitement, pour atteindre son but et produire le sens qu’il
vise.
Si G. Budé ou E. Pasquier réécrivent une
anecdote de la Vie d’Alexandre en la détournant de son
sens,
ils font disparaître le signifié du texte-source qui opposait
Héphæstion et Cratère, l’ami politique et l’ami des loisirs,
également valorisés chez Plutarque, pour lui substituer un signifié
nouveau opposant l’ami sincère au courtisan intéressé. Le code
ancien se structurait en fonction du clivage entre un espace du
banquet et un espace de la cité. Le code nouveau oppose la fidélité
et la stabilité des relations privées aux désordres et aléas de
la fortune publique. Transformée et détournée par Budé et
Pasquier, la nouvelle anecdote constitue le nouveau signifiant,
tandis que la version primitive, qui ne subsiste que comme autorité
du nom de Plutarque, tient lieu insidieusement de référence au code
nouveau et participe par là du signifié du texte-arrivée. Dans la
réécriture, le signifié du texte est un signifiant déchu.
Ce processus de déchéance du signifiant du
texte-source en signifié, ou en caution pour le signifié du
texte-arrivée a donné lieu, dans le métalangage, à toute une
imagerie corporelle, et ce dès l’antiquité :
E. Valette-Cagnac, dans une thèse récente sur la lecture à
Rome soutenue à l’Ecole des Hautes Etudes, repérait un large
réseau métaphorique désignant la lecture comme manducation,
dévoration, digestion. Les poètes de la Pléiade, qui plaçaient la
lecture du patrimoine antique au premier plan de leur projet
poétique, désignaient le passage de cette lecture à sa
réutilisation dans leurs propres textes comme innutrition. Gisèle
Mathieu-Castellani a pu désigner la subversion que Montaigne opère
dans l’activité de la glose comme une véritable coprographie.
Telle est la réécriture : phagocytation d’un texte par un
autre texte, elle fait passer le texte ancien sous la barrière
sémiotique, elle le barre du rang des signifiants pour le reléguer
au statut déchu de signifié. Mais la source résiste, la digestion
est difficile, les rejets inévitables : une dialectique
s’instaure alors entre le signifiant déchu et le signifiant
usurpateur.
Car au fond, par la réécriture, c’est une loi
symbolique nouvelle qui s’instaure au détriment de l’ancienne
loi symbolique, ravalée à l’état de trace, de fantôme hantant
le texte. Si la loi symbolique nouvelle, la loi du père usurpateur,
se pavane à la surface du texte-arrivée, secondée de tout
l’appareil rhétorique de la persuasion, l’ancienne loi
symbolique, celle de la légitimité déchue, du signifiant ravalé,
phagocyté, du texte-source, demeure à l’état spectral de la
hantise et réclame contre l’ordre nouveau. Pour éclairer notre
propos par une métaphore, nous pouvons figurer le dispositif de la
réécriture classique par celui de Hamlet : si Claudius
l’usurpateur et Polonius le ministre rhéteur sont en
représentation, le spectre de Hamlet le père entre, lui, dans ce
qui structure profondément la tragédie, cette conjuration des
revenants qui, d’en deçà de la barre sémiotique, viennent
perturber la parade des signifiants. Le lieu de cette lutte n’est
autre que le corps de Gertrude, à la fois épouse, amante et mère,
où se rencontrent tous les désirs et s’affrontent tous les ordres
symboliques, ce corps maternel du texte-source qu’Hamlet brutalise
à la scène 4 de l’acte III, avant de tuer Polonius. Que dit
alors Hamlet, sans savoir que Polonius est caché derrière la
tenture ?
You go not
till I set you up a glass
Where you may see the inmost part of
you.
Vous ne sortirez pas, que je ne vous aie présenté un
miroir
où vous puissiez voir la partie la plus intime de
vous-même.
Cette visée idéale et désirée du regard ne se
fera pas. La tenture bouge, Polonius se trahit et, première victime
de la vengeance, il est assassiné. Le regard impudiquement excité
vers le mystère du manque sera déçu, détourné vers l’ignoble
vision du rat rhétorique que figure Polonius.
Ici se trouve incidemment figuré le dispositif
profond de la réécriture : au cœur du texte-arrivée se
manifeste un autre texte que l’on appellera tantôt texte-source,
figure archaïque de la mère innommable, immontrable, tantôt texte
déformé et nécrosé, texte-mort, véritable père spectral. La
réécriture étreint, étouffe, incorpore le “fantôme du
phallus”, qui se manifeste d’abord comme figure du manque (c’est
le côté de Gertrude), puis comme hantise de la loi du père déchu
(c’est le côté de Hamlet le père).
Mais, rétroactivement, le système symbolique du texte-arrivée se
trouve laminé par cette hantise et ce manque, il se trahit et meurt
ignoblement au moment où le travail de la réécriture se révèle :
le ministre devient rat et la rhétorique périt assassinée. La
réécriture joue donc sur un basculement du texte autour de trois
temps de lecture : c’est d’abord le texte-source que le
lecteur-chercheur se propose impudiquement de regarder, en quête
gouailleuse de the inmost part ; mais de ce
texte-source seule la loi symbolique déchue est accessible,
l’injonction du spectre qui constitue le second temps de la lecture
et rend ignoble, dans un troisième temps, le texte-arrivée,
changeant, avec la perspective, l’efficacité rhétorique en
abjecte dérision, Polonius en rat. Autrement dit, en simplifiant,
dans le phénomène de réécriture, je cherche à regarder the
inmost part (c’est le mythe du texte-source) ; mais,
l’injonction du spectre aidant (la loi symbolique déchue du texte
mort), seul le rat rhétorique (le détournement au profit du sens du
texte-arrivée) m’est donné à voir, et encore, une fois tué à
travers la tenture.
La spécificité de la réécriture tient donc
dans ce mouvement, dans cette dialectique entre une loi archaïque
déchue et une loi symbolique nouvelle, entre le désir voyeuriste de
la mère et sa dérisoire conjuration. Cette présence spectrale de
l’ancien texte, manifestée dans notre apologue shakespearien par
le dispositif impudique du miroir, structure la production de sens
dans le texte-arrivée. Nous la qualifierons, sous le signe de la
mort de Polonius, de production de sens non rhétorique.
III. Nature anamorphique du phénomène
La réécriture révèle donc au premier plan la
présence spectrale d’un texte mort, situé hors de la
représentation, mais qui en même temps brouille celle-ci. Le texte
mort sert d’alibi ; il fait écran, tache. Il déconcerte et
déconstruit, mais en même temps il structure. Il oblige le lecteur
à sortir de la perspective rhétorique de l’énoncé qui lui est
présenté pour aller chercher ce qu’il y a derrière. Il s’agit
alors de repérer ce qui fait obstacle à la lecture, de circonscrire
le travail de la réécriture dans le texte, pour révéler, dégager
ce que l’auteur a en fait voulu dire, et identifier la nouvelle loi
symbolique qui ordonne ce message propre.
Mais là encore ce mouvement est décevant, voire
illusoire : le message nouveau est pauvre, conformiste, encore
plus alibi que l’écran. Le véritable sens n’est pas dans ce
qu’il y a derrière, mais dans le mouvement qui va de ce qui me
gêne devant vers ce qu’il y a derrière. Dans le texte où
travaille la réécriture œuvre une véritable dialectique négative
où les deux systèmes symboliques se montrent du doigt, se tournent
en ridicule, cherchent à s’entredétruire.
Cette dialectique négative est particulièrement
sensible dans une lettre envoyée en 1650 par Paul Pellisson à
Donneville.
Pellisson distingue “quatre manières d’alléguer un passage”,
autrement dit quatre modalités de la réécriture. Seule la
première, “quand on allègue un passage comme autorité et comme
preuve” ne doit pas détourner le texte-source de son sens
originel. Inscrite dans la tradition médiévale de la glose et
légitimant les pratiques rhétoriques du plaidoyer, elle ne
constitue qu’un alibi pour les trois autres. C’est ensuite le
plaisir du détournement qui est mis en avant comme “le plus
agréable”. Il y a donc quelque chose dans la réécriture qui a à
voir avec le plaisir, avec cette impudeur du mot d’esprit dont
Freud a révélé la nature profonde, que notre apologue
shakespearien figure clairement : dans le mot d’esprit, il y a
d’abord le mouvement impudique du miroir tendu, qui décharge la
pulsion, puis l’annulation de ce mouvement par le rire. Toute la
dialectique négative de la réécriture tient dans ce va-et-vient.
Pellisson évoque aussitôt après cette décharge
du mot d’esprit : “La troisième manière d’alléguer un
passage est quand on veut faire un mot pour rire, et alors il est
toujours beaucoup mieux qu’il soit détourné, parce que cela fait
une plus grande surprise et que la surprise est une des principales
causes du rire”. Cet effet de surprise ne peut se manifester qu’à
la faveur de l’écran, qui masque la visée profonde du texte et ne
fait qu’en suggérer fugitivement l’impudique dévoilement. Ce
qu’il y a derrière doit demeurer mystérieux, comme le marque
Pellisson dans “la quatrième sorte de se servir d’un passage”,
la plus importante, où l’on construit maximes et devises,
c’est-à-dire où se manifestent de la façon la plus aiguë la loi
symbolique et le code des signifiés. Alors, “il faut que ce vers
ou demi vers soit pris en un sens tout différent de celui que lui a
donné le poète ; autrement il n’y aurait pas de mystère, et
le mystère est l’essence de la devise”. Autrement dit, dans la
réécriture, quelque chose doit toujours demeurer voilé, susciter
le désir d’un regard, mais échapper à la visibilité. “C’est
bien plus, ajoute Pellisson, [les bons maîtres] veulent que ce vers
ou demi-vers ne signifie rien et n’ait aucun sens parfait s’il
n’est pris avec le corps auquel il sert d’âme, afin que voyant
l’un, l’on soit obligé de regarder l’autre, et que, chacun ne
faisant aucun tout à part, ils en composent un joints ensemble”.
La réécriture joue donc d’une insatisfaction, d’un manque,
qu’une dialectique du regarder et du voir conjure. “Que voyant
l’un, on soit obligé de regarder l’autre”, c’est ce qui
définit, dans sa nature déceptive, la dialectique du regard et
marque que la réécriture bascule d’une problématique textuelle
vers une problématique iconique.
Car ce mouvement là est celui de l’anamorphose.
On songe ici aux Ambassadeurs de Holbein et à l’analyse
que J. Lacan propose de l’anamorphose qui y est peinte au devant :
du texte mort, comme de ce qui fait tache au devant du tableau, on ne
peut se contenter de dire ni que cela ne représente rien, que ce
n’est pas un objet mais une pure tache, ni, à l’inverse, à bien
le regarder, de loin et de biais, à une place qui n’est pas la
place frontale normale du spectateur, que c’est en fait un crâne.
Dans l’anamorphose comme dans la réécriture, ce qui compte c’est
le mouvement de la tache faisant obstacle à la représentation vers
le crâne qui se révèle en biais et déçoit notre attente
intriguée par un message de Vanité, ou, autrement dit, c’est
le mouvement qui va de l’incompréhensible, énigmatique ou même
invisible référence à une source vers la mise en rapport de cette
source à son contexte originel, toujours décevante car elle révèle
que, sciemment ou non, le texte-source a été tronqué, trahi,
détourné, voire même controuvé, en un mot méconnu. Vanité
du crâne ou méconnaissance de la source, la fonction à l’œuvre
ici est toujours la fonction du manque, qui se satisfait par une
réponse biaisée à la demande.
Donc la logique de la réécriture,
paradoxalement, n’est pas textuelle, mais iconique, puisqu’elle
répond à une dialectique de l’œil (interpellé par la tache du
texte mort) et du regard (cherchant à contourner cette tache, à
aller voir par derrière ce qui s’y révèle). Le phénomène de la
réécriture fait apparaître comme principe structurant dans le
texte où il se manifeste non plus la triade mimétique
signifiant-signifié-référent, mais quelque chose qui s’organise
autour d’un signifiant du texte-source mort, ou autrement dit d’un
signifiant de l’absence de signifiant qui se cache derrière
l’écran anamorphique, ou encore, pour poursuivre la métaphore
shakespearienne, l’inmost part of you que Hamlet lecteur
recherche impudiquement au miroir de sa quête symbolique.
IV. De la mimésis au mimétisme : la
fonction de l’écran dans le phénomène de la réécriture
Qu’entendons-nous par écran ? Cette
notion se révèle indispensable pour rendre compte du fait qu’il
n’y a presque jamais un texte source, mais une chaîne
intertextuelle ; ou plus exactement, entre le texte-source et le
texte-arrivée viennent presque toujours interférer des intertextes
seconds, parasites. The inmost part ne se révèle jamais dans
son être pur, mais toujours par l’intermédiaire d’une
source-écran ou, selon un mécanisme caractéristique de la névrose
obsessionnelle, par le transfert du traumatisme initial sur une
série, une répétition d’images tenant lieu de ce qui est devenu
irreprésentable. Tout se joue donc non pas autour d’une source
textuelle repérable, mais d’un code symbolique et poétique qui
demeure voilé, ce code même que G. Genette désigne comme le
signifié silencieux du texte classique dans “Vraisemblance et
motivation”.
Un recueil de Théâtre érotique du
dix-huitième siècle paru récemment à l’initiative de
J. J. Pauvert
permet de vérifier l’irreprésentabilité de ce signifiant
paradoxal qui est à l’œuvre dans la réécriture. Presque toutes
les pièces du recueil sont des parodies tragiques ou du
pseudo-comique larmoyant, l’artifice quelque peu lassant consistant
à transposer l’intrigue en dispositif à fornications répétées.
Or justement, du moment que l’écran, que l’objet anamorphique
placé dans le texte-arrivée pour à la fois désigner et masquer le
texte-source, du moment que cet objet est identifié directement,
sans travail de métaphorisation, sans transfert, à la béance
insatiable du sexe féminin, le rire tourne court, le plaisir du
texte est manqué, la répétition obsessionnelle sonne faux, faute
d’un transfert originel : le sexe des femmes, mis dans ces
pièces en représentation, élude la fonction du voile, du masque,
de l’écran, et la réécriture tourne court. Dans ce recueil
pourtant, la dernière pièce tranche extraordinairement : c’est
Caquire, une parodie anonyme de la Zaïre de Voltaire.
Point de sexe ici ; le texte est entièrement, génialement
transposé dans un débordement scatologique. Brusquement, on se met
à rire, mais à rire tellement qu’on ne peut plus lire le texte
tant on rit ! Comment expliquer cette efficacité de Caquire,
quand la constance répétitive, la monotonie de la transposition
sont absolument identiques à celles des pièces précédentes ?
C’est qu’ici, avec la croix de Zaïre changée en anse de pot de
chambre, la réécriture n’est pas une simple répétition de
procédés érotiques ; elle voile sa fin par une métaphore
primordiale qui déjoue l’exposition de the inmost part ;
elle répond à la demande érotique du lecteur par une satisfaction
anale, par ce champ de la logorrhée anale qui est le champ même de
la métaphoricité. Les pots de chambre de Caquire font écran
au miroir de Hamlet et préservent l’intimité de Gertrude. C’est
à ce prix que fonctionne efficacement la réécriture.
Le texte-source fonctionne donc comme un leurre ;
il fait écran à la représentation directe de la fonction du
manque, de ce manque symbolique qui structure le texte :
Gertrude ne laissera pas voir son intimité. Mais puisque seuls les
écrans nous sont donnés, c’est à partir d’eux qu’il convient
de reconstituer la chaîne structurante et, de là, la signification
des textes. Or, à les considérer non plus comme le point de départ
de l’activité créatrice, mais comme une première médiation, un
premier détour (ou transfert), le lecteur retourne le sens du texte
comme les doigts d’un gant fourré qui aurait laissé voir
impudiquement sa fourrure : le pyrrhonisme était un leurre,
l’illusion que le sujet dans son texte n’était pas impliqué ;
le détachement de l’auteur, c’était un masque, sa distance
sceptique, une couverture. La source constituait un camouflage, une
bigarrure dans un contexte bigarré. L’autorité de la source
servait d’intimidation, de provocation, d’attaque.
Leurre, camouflage, intimidation : tous les
ingrédients du mimétisme sont ici réunis.
Identifier la réécriture à un mimétisme permet de rendre compte
de ce choc extraordinaire qui s’y produit entre les deux logiques
symboliques : il y a le moment de la ronde où les signifiants
usurpateurs se pavanent ; il y a le moment de la lutte, de
derrière la tenture ou au moyen du poison, autour du corps
irreprésentable de la mère, de l’écran anamorphique ; il y
a enfin la mise à mort qui démasque le sujet sous son habit
d’apparat, le rat sous le ministre.
Reprenons L’Apologie de Raimond Sebond.
Les effets d’écran y sont particulièrement nets : s’il
s’agit à première vue pour Montaigne de réécrire Sebond, ou
tout du moins d’en prendre la défense, L’Apologie
détourne radicalement la visée de la Theologia naturalis,
puisque à la démonstration rationnelle de l’existence de Dieu et
de la nécessité de la foi, Montaigne oppose la nécessité de la
grâce pour atteindre à des vérités “surpassant de si loing
l’humaine intelligence” et ne croit pas que, d’une telle
démonstration “les moyens purement humains en soyent aucunement
capables” (440-441).
Est-ce à dire que Montaigne vise ici Raimond Sebond, et que la
Theologia naturalis constitue le texte-source ? Nous
comprenons vite qu’il ne s’agit ici que d’un écran, d’un
leurre : derrière Raimond Sebond, c’est toute la patristique
qui est mise en cause, comme nous l’indique cette remarque
incidente de Montaigne, à qui Adrien Tournebu (Turnèbe) aurait dit
que la Theologia naturalis était “quelque quinte essence
tirée de S. Thomas d’Aquin : car, de vray, cet esprit là,
plein d’une erudition infinie et d’une subtilité admirable,
estoit seul capable de telles imaginations” (440). Ici, la
réécriture comme principe d’autorité joue à plein : Sebond
est légitimé de ce qu’il ne fait que réécrire Thomas d’Aquin.
Mais cette légitimation produit de terribles effets pervers aussitôt
que la nature véritable de L’Apologie, phagocytation,
détournement de Sebond et non continuation, apparaît au lecteur.
Or cette phagocytation, ce détournement, c’est
encore avec de la réécriture que Montaigne les opère :
d’abord, il cite Lucrèce pour appuyer Sebond, détournant
perversement les citations du matérialiste latin dans le sens d’une
défense de la foi. Le texte-source est ici le lieu d’un insolent
camouflage qui tend insidieusement à détruire les systèmes
symboliques aux prises. Puis il réécrit Plutarque, d’abord Quels
sont les animaux les plus avisés pour démolir
l’anthropocentrisme de Sebond, puis Que signifiait EI, par
lequel il conclut L’Apologie sur la mutabilité de toutes
choses et l’impossibilité de saisir aucune autre essence que celle
de Dieu. Outre que la confrontation des deux Plutarque est troublante
(quel rapport y a-t-il entre l’anthropocentrisme et la question des
essences ?), leur convergence avec Lucrèce ne semble guère
orthodoxe… C’est à un véritable jeu de bascule que Montaigne se
livre, s’appuyant sur les uns pour dévorer les autres. Une fois
repéré le transfert initial, par lequel le texte masque qu’il ne
s’agit pas de Raimond Sebond ici mais véritablement de se
positionner par rapport aux injonctions d’un dogme en péril, du
fantôme de Thomas d’Aquin contre les athées, la névrose
obsessionnelle de la réécriture
se déploie en une litanie de mimétismes et d’écrans, de sources
qui ne paraissent que des exemples, des illustrations, mais se
révèlent des exempla paradoxaux, construisant dans la
négativité du détournement un nouveau système symbolique.
L’injonction du père déchu, Montaigne la met génialement en
scène au début de L’Apologie, en expliquant que cette
réécriture exécute les dernières volontés de son propre père :
“Or quelques jours avant sa mort, mon pere, ayant de fortune
rencontré ce livre soubs un tas de papiers abandonnez, me commanda
de le luy mettre en François” (439). Cette traduction fut publiée
du vivant de Montaigne, et L’Apologie ne s’en présente
que comme le vademecum du lecteur : “Par ce que beaucoup de
gens s’amusent à le lire, et notamment les dames, à qui nous
devons plus de service, je me suis trouvé souvent à mesme de les
secourir, pour descharger leur livre de deux principales objections
qu’on luy faict” (440). Tel est le programme de L’Apologie,
qui continue la traduction du texte-source selon un dispositif
identique aux Caractères, constitués de la traduction de
Théophraste et de sa continuation.
Irreprésentable, incommunicable, Dieu, qui
constitue l’enjeu de ce vaste dispositif de réécriture se dérobe
jusqu’au dernier moment, demeure voilé : la science qui
habite la maison de Montaigne et le traité de Sebond se tend comme
le miroir de Hamlet vers le spectacle sublime mais souillé par la
discorde civile, de la vérité religieuse qu’elle ne peut pourtant
atteindre. “C’est la foy seule qui embrasse vivement et
certainement les hauts mysteres de nostre Religion. Mais ce n’est
pas à dire que ce ne soit une tresbelle et tresloüable entreprinse
d’accommoder encore au service de nostre foy les utils naturels et
humains que Dieu nous a donnez” (441). Dieu demeure inaccessible
jusqu’aux dernières lignes où sa main tendue à l’homme
introduit la médiation chrétienne et fait surgir la promesse, pour
l’homme touché par la grâce, de s’élever et “de pretendre à
cette divine et miraculeuse metamorphose” (604) : le
basculement se fait alors de l’ancienne vers la nouvelle loi
symbolique et l’évocation dernière de l’homme rechristianisé,
juste après que Sénèque, taxé d’absurdité monstrueuse, a subi
le sort réservé à tous les rats de la rhétorique pyrrhonienne,
manifeste bien que de l’Apollon lumineux de Plutarque au Dieu
vétérotestamentaire puis à la main tendue du Christ, la réécriture
a opéré, de mimétismes en mimétismes, une vaste anamorphose.
Conclusion
On comprend mieux peut-être, à l’issue de ce
parcours, pourquoi la réécriture est une question cruciale au
dix-septième siècle : au moment où la langue se fixe et où
académies et poétiques tentent de codifier la production de sens en
une mimésis aux techniques et contraintes rhétoriques rigoureuses,
l’une des pierres angulaires de cette construction du classicisme,
la réécriture, révèle son ambiguïté profonde. Loin d’asseoir
une loi symbolique univoque qui reflèterait le règne sans partage
du roi soleil dans un espace public pacifié, la réécriture se
constitue du jeu entre deux systèmes symboliques, jeu complexe où
se manifeste le conflit d’une autorité morte, la source, et d’un
pouvoir illégitime, le texte-arrivée. La stylisation parodique, ou,
dans la veine sérieuse, la picturalisation des anciens rituels de
production littéraire, épiques ou tragiques, manifeste qu’au
moment même où la tragédie semble parvenir, en France, à son
apogée, c’est déjà le règne du roman qui se prépare. Le
glissement des codes vers le silence, le fait que les signifiés du
Cid ou de La Princesse de Clèves demeurent implicites,
tout cela, loin de manifester la toute puissance du code mimétique,
pourrait bien constituer un prélude vers sa destruction, vers la
chute du signifié qui caractérise la modernité.
Car on retiendra essentiellement de la réécriture
qu’elle est anamorphose, jeu de regard sur quelque chose qui n’est
plus considéré essentiellement comme texte, mais comme objet donné
à voir et soumis à des perspectives divergentes. La réécriture
fait tableau. Le sens s’y constitue d’un recadrage, d’un
agencement nouveau de textes anciens déjà donnés : ce
recadrage, ou dispositio, prélude au modèle photographique.
Grâce à la notion d’anamorphose, le texte
livré à la réécriture manifeste son statut d’écran,
c’est-à-dire que, loin de révéler la quintessence du sens ou de
l’écriture, il en masque le travail profond. Mais cet écran
constitue le seul indice visible par le lecteur et le critique de ce
qui est caché derrière, de l’irreprésentable inmost part
qu’il s’agit, par la réécriture, de conjurer. Instrument de
parade et piège du désir pour le lecteur, le texte-source obéit
aux règles du mimétisme : il est bigarrure dans un contexte
bigarré, pour s’y intégrer, en participer ; mais cette
bigarrure cache une division profonde entre l’apparente captatio
benevolentiæ que constitue l’autorité du texte-source, en
fait capture du regard, et la vérité profonde du texte, ainsi
préservée.
Concluons avec Montaigne, qui parle ainsi des
travestissements du dogme par les parties aux prises dans la guerre
civile : “La justice qui est en l’un des partis, elle n’y
est que pour ornement et couverture ; elle y est bien alleguée,
mais elle n’y est ny receuë, ny logée, ny espousée : elle y
est comme en la bouche de l’advocat, non comme dans le cœur et
affection de la partie” (443). Ce “cœur et affection” que
masque et, ainsi, protège la réécriture, c’est, loin des parades
du rhéteur, ce autour de quoi toujours travaille le texte,
l’intimité de Gertrude.
Communication faite à la Journée annuelle de la
Société d’études du xviie
siècle, consacrée à la réécriture, Toulouse, mai 1994. Article
paru dans la revue XVIIe siècle, 47e
année, n° 1, janv.-mars 1995, pp. 7-20.
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