Dispositif du Paradoxe
Logique du discours : le paradoxe du Paradoxe
Le cri et la décence (affirmation et dépossession)
« “Mais la décence ! la décence !”
Je n’entends répéter que ce mot. La maîtresse de Barnevelt entre échevelée dans la prison de son amant. Les deux amis s’embrassent et tombent à terre 1. Philoctete se roulait autrefois à l’entrée de sa caverne. Il y faisait entendre les cris inarticulés de la douleur 2. Ces cris formaient un vers peu nombreux 3. Mais les entrailles du spectateur en étaient déchirées. Avons-nous plus de délicatesse et plus de génie que les Athéniens ?… Quoi donc, pourrait-il y avoir rien de trop véhément dans l’action d’une mère, dont on immole la fille 4 ? Qu’elle courre sur la scène comme une femme furieuse ou troublée. Qu’elle remplisse de cris son palais » (Le Fils naturel, Premier entretien, DPV X 93 ; Vers 1137-1138).
Gestes de désespoir ou d’effusion, démonstrations de douleur ou d’amitié, cris et, comble de tout, hystérie d’une mère, voilà ce que le théâtre doit représenter sur la scène et faire sentir au spectateur. Il ne s’agit pas de raisonnement, de discours ; il ne s’agit pas non plus, dans un premier temps du moins, de mœurs et de vertu. Il s’agit bien d’un mouvement d’entrailles, profond, plus fondamental que tout exercice de langage, un mouvement qui s’affirme et se communique, de la scène au parterre. Tel est l’enjeu de la représentation théâtrale : on y vient pour recevoir cette affirmation d’une présence, qui n’est exprimée pourtant qu’au moyen d’une dépossession, de la mise en œuvre, répétée, d’une technique5.
Sensibilité et sens froid (singularité et répétition)
Le paradoxe du Paradoxe sur le comédien repose sur cette contradiction entre affirmation et dépossession : décence d’un côté, et nombre du vers, dépossèdent le comédien de lui-même, l’inscrivent dans la machine répétitive, normative de l’écriture théâtrale6 ; entrailles déchirées de l’autre, et cris inarticulés, affirment hors discours, hors logique, une présence du corps et du cri, et excluent toute forme d’inscription, de normalisation, de répétition7.
Comment la séance théâtrale peut-elle produire cet effet (cette affirmation, cette restauration d’une présence singulière), alors que la normalisation du jeu théâtral, que la répétition des séances trahissent l’artefact d’une parole absente, mécanisée, en un mot dépossédée8 ?
Puisqu’il ne s’agit pas de raisonnement, de langage, de logique, mais d’entrailles et d’émotion, de sensibilité en un mot, l’opinion commune veut que le comédien produise puis communique l’effet théâtral en utilisant sa propre sensibilité : les émotions de l’acteur fabriquent les émotions du spectacle, une même sensibilité, de même nature, se transmet depuis les entrailles du comédien jusqu’à la scène, depuis la scène jusqu’aux entrailles du spectateur. La doxa définit donc une origine et un processus de la représentation.
Contre cette opinion commune, le premier interlocuteur du dialogue, dit « l’homme au paradoxe » 9, défend la thèse opposée, qui constitue le paradoxe sur le comédien : c’est en recourant au sens froid 10 que le comédien produit l’effet théâtral. Cet effet est donc le résultat non seulement d’une préparation technique de l’acteur (il s’entraîne, il répète son rôle), mais également d’une création intellectuelle : il est amené à construire pour son rôle un « modèle idéal », c’est-à-dire une image virtuelle du personnage, qu’il conserve en tête, convoque et perfectionne à volonté. Il copiera ensuite le plus fidèlement possible ce modèle lors du spectacle. Pour l’homme au paradoxe, le grand comédien est un intellectuel, est un créateur non pas tant au moment du spectacle, qu’avant lui, lors de sa préparation. La performance théâtrale est ensuite essentiellement affaire de technique et de répétition.
Dialectique du sens (l’origine impossible)
L’articulation entre les deux thèses qui s’affrontent dans le dialogue, la thèse de la sensibilité et la thèse du sens froid du comédien, repose entièrement sur le mot sens. On comprend pourquoi il est indispensable de restituer ici l’orthographe originale du sens froid : quoique les deux discours sur le jeu d’acteur semblent à première vue radicalement opposés, ils s’opposent à partir d’un même mot et même d’une notion commune. Sentir, dans la langue classique, c’est d’une part recevoir, du dehors, des sensations, éprouver de la sensibilité, d’autre part, comme le latin sentire, c’est penser, exercer son jugement, et, par là, marquer ses distances par rapport à la sensibilité11.
Le paradoxe n’est donc pas un moyen d’opposer deux théories autonomes et distinctes sur le jeu d’acteur, comme une interprétation traditionnelle et simpliste du Paradoxe sur le comédien le suggère 12. Les deux thèses aux prises constituent chacune le renversement de l’autre autour de ce pivot qu’est la notion de sens, avec toute sa nébuleuse, sens froid, sensibilité, sentir.
L’origine sensible de l’effet théâtral n’est qu’un leurre, selon le premier interlocuteur, car, de part et d’autre du quatrième mur de l’espace scénique, s’opposent le sens-froid du comédien et la sensibilité du spectateur. Mais si l’effet sensible de la performance théâtrale est un artefact du sens-froid du comédien, cet effet, le comédien l’a produit en copiant dans la nature, dans la société, les expressions de la sensibilité : ces copies, ce modèle idéal ont donc pour origine l’expression naturelle de la sensibilité. Autrement dit, la sensibilité du spectateur supplée le sens-froid du comédien ; mais le sens-froid du comédien supplée la sensibilité de nature. On touche ici à la contradiction de l’origine mise en évidence par Derrida sous le nom de différance, contradiction qui déconstruit le jeu différentiel de la sensibilité et du sens-froid, de ce qui est de l’ordre des entrailles, du cri, de la présence d’une part, de la raison, de la distance, de la construction et de l’artefact d’autre part.
Cette contradiction masque elle-même un jeu dialectique, que Diderot (comme Derrida) nourrit explicitement du modèle platonicien : le modèle idéal est à la fois une origine et un accomplissement, la négation de la sensibilité et son expression paroxystique. C’est dire que la sensibilité doit se nier pour s’accomplir : le sens-froid, dans la dialectique du sens, désigne ce nécessaire travail de la négativité.
Sous le paradoxe, la scène (dialectique et dispositif)
Le débat sur le jeu du comédien se déploie donc, discursivement, comme dialectique du sens. Mais ce serait une erreur que de réduire le dialogue diderotien à un pur exercice de la pensée, si subtile soit-elle. Le paradoxe sur le comédien, et la dialectique qu’il met en œuvre, ne constituent en quelque sorte que la superstructure du Paradoxe, dont l’aporie logique13 ne peut se déployer qu’à partir d’une « clôture de la représentation »14 : cette clôture n’est pas seulement la clôture logique de l’aporie ; elle est aussi l’enceinte matérielle de la « scène », de ce « théâtre » qui est pensé comme un espace spécial, extraordinaire, où les choses ne se passent pas comme dans l’espace « réel », la « société ». Entre théâtre et société se joue l’infrastructure de la différence qui fonde la représentation, différence dont l’horizon d’abolition est la « nature » et sa simplicité.
Scène sociale et scène théâtrale
Il y a donc une infrastructure du paradoxe, une différence géométrale qui fonde la différence logique : c’est l’opposition entre théâtre et société, que Diderot avait longuement développée dans les Entretiens sur le Fils naturel :
« vous faites un récit en société ; vos entrailles s’émeuvent, votre voix s’entrecoupe, vous pleurez. Vous avez, dites-vous, senti et très vivement senti. J’en conviens. Mais vous y êtes-vous préparé ? Non. Parliez-vous en vers ? Non. Cependant vous entraîniez, vous étonniez, vous touchiez, vous produisiez un grand effet ; il est vrai. Mais portez au théâtre votre ton familier, votre expression simple, votre maintien domestique 15, votre geste naturel, et vous verrez combien vous serez pauvre et faible. Vous aurez beau verser des pleurs, vous serez ridicule, on rira. Ce ne sera pas une tragédie, ce sera une parade 16 tragique que vous jouerez. Croyez-vous que les scènes de Corneille, de Racine, de Voltaire, même de Shakespeare, puissent se débiter avec votre voix de conversation et le ton du coin de votre âtre ? Pas plus que l’histoire du coin de votre âtre avec l’emphase et l’ouverture de bouche du théâtre. » (DPV XX 58 ; Vers 1385.)
Non seulement la même histoire, mais le même jeu, la même énonciation ne produisent pas le même effet chez soi devant des amis et sur une scène de théâtre17. La scène impose une exagération, un agrandissement, c’est-à-dire toute une série d’artifices de représentation. Ici se mesure l’écart entre le réel et la représentation, qui explique l’échec des transpositions d’un espace dans un autre :
« Les comédies de verve et même de caractère sont exagérées. La plaisanterie de société est une mousse légère qui s’évapore sur la scène ; la plaisanterie de théâtre est une arme tranchante qui blesserait dans la société. On n’a pas pour des êtres imaginaires le ménagement qu’on doit à des êtres réels. » (DPV XX 84 ; Vers 1399.)
À la « mousse légère » de l’esprit, qui caractérise l’énonciation privée, intime, entre les amis, les convives, les hôtes d’un même salon, s’oppose l’« arme tranchante » du trait, qui s’exerce avec toute la puissance de l’échange théâtral, et tout le retentissement d’une parole publique, adressée au-delà de son destinataire immédiat au public des spectateurs et, de là, symboliquement, à l’ensemble de la collectivité.
Cette puissance, ce retentissement inhérents à la parole théâtrale, même dans la comédie, même dans les inflexions légères destinées à déclencher le rire, posent le problème de l’emphase théâtrale18 :
« Lorsque par une longue habitude du théâtre, on garde dans la société l’emphase théâtrale et qu’on y promène Brutus, Cinna, Mithridate, Cornélie, Mérope, Pompée, savez-vous ce qu’on fait ? On accouple à une âme petite ou grande, de la mesure précise que nature l’a donnée, les signes extérieurs d’une âme exagérée et gigantesque qu’on n’a pas ; et de là naît le ridicule. » (DPV XX 105 ; Vers 1412.)
De même que l’effet du mot d’esprit privé, jailli spontanément à la faveur d’une conversation de salon, serait nul et tomberait à plat sur la scène, de même l’emphase théâtrale, très efficace sur scène face à des spectateurs, devient ridicule en société. Diderot associe systématiquement le régime de parole à l’espace dans lequel la parole est prononcée, un espace à la fois matériel (le salon / le théâtre) et symbolique (le réel / la représentation).
La double scène
Passer de la société à la scène
Mais de même qu’il n’y a pas un discours linéaire du paradoxe, qui réfuterait une thèse de la sensibilité au moyen de la thèse opposée du sens-foid, de même en fait les deux espaces ne sont pas irréductiblement l’un à l’autre extérieurs et opposés. Tout le jeu consiste à passer de l’un à l’autre, et mieux même, à les superposer. La superposition est une dialectisation de l’opposition géométrale, comme l’aporie dialectise l’opposition discursive.
Il y a d’abord cette gymnastique à laquelle le dialogue nous astreint, ce tourniquet qui nous fait passer d’une parole et d’un espace à l’autre :
« Encore une fois, que ce soit un bien ou un mal, le comédien ne dit rien, ne fait rien dans la société précisément comme sur la scène ; c’est un autre monde. » (DPV XX 111 ; Vers 1415.)
Le comédien vit donc dans deux mondes et passe sans cesse de l’un à l’autre. Son passage de l’espace privé à l’espace public, du réel à la représentation, constitue le substrat du passage d’un sens à un autre, du sens de l’être sensible au sens de l’être qui sent :
« C’est qu’être sensible est une chose, et sentir est une autre. L’une est une affaire d’âme, l’autre une affaire de jugement. C’est qu’on sent avec force et qu’on ne saurait rendre ; c’est qu’on rend, seul, en société, au coin d’un foyer, en lisant, en jouant, pour quelques auditeurs, et qu’on ne rend rien qui vaille au théâtre ; c’est qu’au théâtre avec ce qu’on appelle de la sensibilité, de l’âme, des entrailles, on rend bien une ou deux tirades et qu’on manque le reste ; c’est qu’embrasser toute l’étendue d’un grand rôle, y ménager les clairs et les obscurs, les doux et les faibles, se montrer égal dans les endroits agités, être varié dans les détails, harmonieux et un dans l’ensemble, et se former un système soutenu de déclamation qui aille jusqu’à sauver les boutades du poète, c’est l’ouvrage d’une tête froide, d’un profond jugement, d’un goût exquis, d’une étude pénible, d’une longue expérience et d’une ténacité de mémoire peu commune » (DPV XX 120 ; Vers 1420-1421).
« Être sensible » et « sentir » ; « on sent » et « on rend » : les oppositions logiques s’appuient sur des filiations étymologiques ou des consonances, les contraires recouvrent des similitudes. Mais surtout l’infrastructure spatiale intègre les oppositions qui, logiquement, paraissaient irréductibles. Promené de la lecture et de la méditation solitaire au salon, à la société où il se donne en spectacle, puis de la société au théâtre où il débite sa tirade, c’est maintenant un même « on » qui ordonne le renversement du sentir, depuis l’effet foudroyant de la sensibilité solitaire jusqu’à la maîtrise théâtrale du sens-froid, en passant par toutes les expériences sociales de l’expression sensible 19.
Ce qui compte, c’est ce retournement en doigt de gant de la sensibilité par l’expérience, un retournement qu’appuie, que matérialise le passage d’un espace à l’autre. Entre la société et le théâtre, entre le parterre et la scène, le rideau, la rampe, le quatrième mur matérialisent la fonction d’interface du sens dans le processus de la représentation.
Le sens fonctionne comme une barrière-pivot, un écran entre la sensibilité privée et le rendu public de la représentation. Le sens est d’abord la sensibilité, et comme tel il empêche dans un premier temps l’homme sensible prisonnier de ses entrailles de rendre ce qu’il ressent, c’est-à-dire de le jouer froidement, techniquement, efficacement. Mais, dans un second temps, le sens se manifeste au comédien comme le sens froid sur lequel s’appuie tout son métier d’acteur ; il est alors le sens qui lui permet de rendre intellectuellement et techniquement ce qu’il a ressenti intuitivement et sensiblement. Le sens froid procède du renversement, du réinvestissement intellectualisé de la sensibilité. Il ne s’oppose pas à la sensibilité, il la retourne, la rétrojecte. En témoigne la métaphore de la glace :
« Il ne sera pas journalier 20 : c’est une glace toujours disposée à montrer les objets et à les montrer avec la même précision, la même force et la même vérité. » (DPV XX 49-50 ; Vers 1381.)
« Les gestes de son désespoir sont de mémoire et ont été préparés devant une glace. » (DPV XX 55 ; Vers 1384.)
La glace figure le renversement constitutif du sens. De son éclat immédiat, à la manière d’un influx nerveux, elle répercute aussitôt le réel, elle en propage les effets avec l’énergie de la sensibilité. Mais la glace est froide, impersonnelle : interface neutre, elle s’interpose entre l’objet à montrer et le sujet, l’acteur qui montre. La glace objective la représentation, qui devient production distanciée du sens froid de l’acteur.
La métaphore de la glace met en évidence un véritable écran du sens, qui d’un côté intercepte, filtre, objective les objets avant de les montrer, mais qui d’un autre côté permet ce rendu immédiat, sensible, plein de force et de vérité.
Scène haute et scène basse (Le Dépit amoureux)
Le jeu simultané de la sensibilité et du sens froid est alors décliné dans une série d’anecdotes, comme cette scène de ménage entre deux comédiens qui jouent en même temps une scène du Dépit amoureux de Molière :
« Le comédien Éraste, amant de Lucile.
Lucile, maîtresse d’Eraste et femme du comédien.
Le comédien. Non, non, ne croyez pas, Madame,
Que je revienne encor vous parler de ma flamme…La comédienne. Je vous le conseille.
C’en est fait ; … Je l’espère.
Je me veux guérir, et connais bien
Ce que de votre cœur a possédé le mien…Plus que vous n’en méritiez.
Un courroux si constant pour l’ombre d’une offense…Vous, m’offenser ! Je ne vous fais pas cet honneur. » (DPV XX 69 ; Vers 1391.)
Au dépit amoureux joué dans le style noble et à voix haute s’oppose le ressentiment réel et intime, noté en italique et persiflé à voix basse. La scène est donc une « double scène, l’une d’amants et l’autre d’époux » ; il y a « deux scènes simultanées21 », une « scène haute » qui simule la plus extrême sensibilité et une « scène basse » qui prouve qu’il ne s’agit là que d’artifice.
Pourtant, à y regarder de près, l’opposition entre les deux scènes, haute et basse, entre les deux espaces, public et intime, n’est pas si nette : dans les deux cas, le dépit est le même vis-à-vis d’Éraste et du mari. La scène basse concorde avec la scène haute, acquiesce à elle. Elle la commente et la renforce, tandis que celle-ci encadre théâtralement le dissentiment intime et se nourrit de lui. La scène basse n’est pas une scène autonome : les premières répliques en italiques constituent une surenchère intime des vers théâtralement déclamés, avant que la progession de la fureur ne retourne le texte contre lui-même, dans une révolte qui le dialogise au mépris de la séparation initiale des espaces et des énonciations : « Vous, m’offenser ! Je ne vous fais pas cet honneur » contredit à la lettre dans la scène basse ce qui est dit dans la scène haute, mais globalement, pour le sens, continue de renforcer le propos du Dépit amoureux.
Scène touchante et regard médusant (Le Préjugé à la mode)
Une seconde anecdote raconte une représentation du Préjugé à la mode de Nivelle de la Chaussée, avec la même actrice, dont nous pouvons supposer par recoupements qu’il s’agit de la Gaussin : c’est elle en effet qui joua en 1735 le rôle de Constance, épouse vertueuse indignement trompée.
« Cependant cette actrice trompe son mari avec un autre acteur, cet acteur avec le Chevalier, et le Chevalier avec un troisième que le Chevalier surprend entre ses bras22. Celui-ci a médité une grande vengeance. Il se placera aux balcons, sur les gradins les plus bas. (Alors le comte de Lauraguais n’en avait pas encore débarrassé notre scène.) Là, il s’est promis de déconcerter l’infidèle par sa présence et par ses regards méprisants, de la troubler et de l’exposer aux huées du parterre. La pièce commence ; sa traîtresse paraît ; elle aperçoit le Chevalier, et sans s’ébranler dans son jeu, elle lui dit en souriant : Fi ! le vilain boudeur qui se fâche pour rien. Le Chevalier sourit à son tour. Elle continue : Vous venez ce soir ?… Il se tait. Elle ajoute : Finissons cette plate querelle, et faites avancer votre carrosse… Et savez-vous dans quelle scène on intercalait celle-ci ? Dans une des plus touchantes de La Chaussée, où cette comédienne sanglotait et nous faisait pleurer à chaudes larmes. » (DPV XX 72-73 ; Vers 1393-4.)
Les paroles en italiques sont prononcées à mi-voix par l’actrice à l’intention de son amant jaloux qui ne joue pas mais s’est placé à l’extrême limite entre l’espace des spectateurs et l’espace du spectacle. L’effronterie éhontée de ces propos contraste violemment avec la sensiblerie exacerbée de la scène destinée au public. Le Chevalier a misé sur ce contraste pour démonter la Gaussin : son irruption muette au dernier banc du balcon le plus avancé, autant dire sur la scène même, son seul regard chargé de mépris, doit déconcerter la double infidèle et l’« ébranler dans son jeu ». La scène basse est convoquée pour détruire la scène haute.
C’est le contraire qui se produit. Le regard médusant de l’amant indigné, invisible pour la salle, ne peut ridiculiser la Gaussin. Le Chevalier fait tableau pour elle, mais pour elle seule, et ce d’autant plus que l’intrigue du Préjugé à la mode place la sublime Constance dans une situation en exact miroir de celle que lui impose silencieusement le Chevalier. L’histoire est en effet celle d’une épouse aimante et fidèle dont le mari volage, d’Urval, retombe amoureux : le couple se retrouve, à la fin de la pièce, plus uni que jamais. La première réplique de la Gaussin, Fi ! le vilain boudeur qui se fâche pour rien, est prononcée lorsque « la pièce commence », c’est-à-dire alors que Constance persuade Damon d’épouser Sophie sans tenir compte des désordres de son propre ménage. On soupçonne d’emblée, entre Constance et Damon, l’ami du mari, un tendre intérêt qui matérialise sur la scène théâtrale ce que le Chevalier a surpris réellement dans l’alcôve de la Gaussin. Dans cette première scène, Damon se détourne un moment pour plaindre, à part, Constance :
« Damon.
Madame, pardonnez…à part.
Epouse vertueuse autant qu’infortunée !
Constance.
Si je fais quelques vœux, c’est pour votre hymenée. » (I, 123.)
L’adresse de la Gaussin au Chevalier se glisse nécessairement pendant l’aparté de Damon, qui lui laisse un moment de liberté. Elle en prend tout son sel, et se trouve en quelque sorte commenter ironiquement les tergiversations de Damon.
La dernière parole que l’actrice chuchote à son amant importun, « Finissons cette plate querelle, et faites avancer votre carrosse », se place quant à elle « dans une des plus touchantes » scènes de la pièce : on peut penser qu’il s’agit, à l’acte V, de la confrontation entre Constance et un « homme déguisé », qu’elle prend d’abord pour Damon, mais qui se révèlera être son mari :
Constance congedie Florine.
Vous voici… reprenons le fil de ce discours,
Dont on nous empêchoit de poursuivre le cours.
Damon, permettez-moi de répandre des larmes
Dans le sein d’un ami sensible à mes allarmes ;
Aux yeux de tout le monde elles m’alloient trahir :
C’est encore un motif qui m’a contrainte à fuir.Elle essuie ses yeux.
(V,5, p. 114.)
Certes, Constance verse des larmes pour le public tandis qu’elle persifle le Chevalier. Mais le trouble qu’elle joue théâtralement ne se superpose-t-il pas au trouble que produit l’irruption, face à elle, du pétrifiant Chevalier ? La Gaussin nourrit le trouble joué sur scène du trouble rencontré, conjoncturellement, dans le réel. Il y a même plus : dans cette scène décisive, l’interlocuteur de Constance s’avère ne pas être celui qu’elle croyait. L’intrigue imaginée par Nivelle de la Chaussée implique un double destinataire aux paroles de Constance, puisque d’Urval est en fait présent devant Constance, mais masqué de façon qu’elle croie s’adresser à Damon. La présence du Chevalier ne fait donc que redoubler les données de la fiction, puisque la Gaussin ne s’adresse à lui qu’à travers les paroles qu’elle dit au « Masque », ou en marge d’elles. Elle a donc doublement deux interlocuteurs, réellement et dans l’ordre de la fiction.
À la fin de la scène, le faux Damon se démasque et d’Urval se jette pathétiquement aux genoux de son épouse pour lui demander pardon de ses infidélités passées :
« Constance.
Ah ! pourquoi n’ai-je pas prévenu mon époux ?
Conduisez-moi, courons…
D’Urval, démasqué, à ses pieds.
il est à vos genoux…
C’est où je dois mourir… Laissez-moi dans les larmes
Expier mes excès, et venger tous vos charmes. »
N’est-il pas particulièrement cocasse d’entendre simultanément Constance demander à Damon-D’Urval de la conduire hors de la scène (« Conduisez-moi, courons… ») et la Gaussin suggérer au Chevalier de l’emmener dîner en ville (« faites avancer votre carrosse ») ? Ici encore, scène haute et scène basse, loin de s’opposer, se confortent réciproquement, l’intensité dramatique résultant de cette circulation de l’intime et du public, de la sensibilité et du sens froid.
La pendeloque de Sémiramis
Une troisième anecdote met en scène Lekain, le célèbre tragédien qui s’illustra si souvent en compagnie de Mlle Clairon, notamment dans les tragédies de Voltaire :
« Le Kain Ninias descend dans le tombeau de son père, il y égorge sa mère ; il en sort les mains sanglantes. Il est rempli d’horreur, ses membres tressaillent, ses yeux sont égarés, ses cheveux semblent se hérisser sur sa tête. Vous sentez frissonner les vôtres, ma terreur vous saisit, vous êtes aussi éperdu que lui. Cependant Le Kain Ninias pousse du pied vers la coulisse une pendeloque de diamants qui s’était détachée de l’oreille d’une actrice. Et cet acteur sent ? Cela ne se peut. Direz-vous qu’il est mauvais acteur ? Je n’en crois rien. Qu’est-ce donc que le Kain Ninias ? C’est un homme froid qui ne sent 24 rien, mais qui figure supérieurement la sensibilité. Il a beau s’écrier : Où suis-je ? je lui réponds : Où tu es ? Tu le sais bien ; tu es sur des planches, et tu pousses du pied une pendeloque vers la coulisse. » (DPV XX 82 ; Vers 1398-9.)
Point de messe basse ici ; point d’autre scène. Pourtant, une nouvelle fois malgré tout, deux espaces antinomiques se superposent : l’espace réel est encombré par la trivialité des objets, par cette boucle d’oreille qui pourrait accrocher le regard, détacher le spectateur de la vision tragique et le ramener à la matérialité visible du lieu. A la scène, à la coulisse, et de l’une à l’autre au trajet de la pendeloque poussée du pied par Lekain s’oppose l’espace idéal, irréel de la représentation, espace sans objets, frappé d’horreur, d’aveuglement et d’invisibilité : Où suis-je ?, s’exclame Ninias, extatique, signifiant par cette interrogation l’effet fondamental de déréalisation par quoi se constitue l’espace sublime tragique.
Certes, l’anecdote de la pendeloque vient démontrer que Lekain n’est pas si horrifié que cela, puisque son esprit est occupé à un détail aussi trivial que celui de cette boucle tombée par mégarde. Lekain agit en professionnel, il résout un problème technique. Mais l’anecdote suggère un autre ressort de l’effet théâtral. Lekain se révèle sublime non dans le mouvement de ses yeux exorbités par la fiction du crime commis, mais dans ce geste trivial du pied poussant les boucles vers les coulisses. Diderot voit Lekain pousser la boucle et jouit de ce moment d’horreur tragique précisément parce que dans le même temps l’objet, le détail nient la réalité de cette horreur et dénoncent l’artifice du jeu.
L’effet théâtral est donc fondamentalement un effet de superposition entre un espace de réalité et un espace de vérité. La scène de Sémiramis est particulièrement bien venue puisque Ninias s’exclamant « Où suis-je ? » marque le vacillement du statut de l’espace : Lekain-Ninias est-il sur les planches à pousser la pendeloque ou sort-il du tombeau de son père, les mains sanglantes de sa mère qu’il vient d’assassiner ?
On ne peut donc pas simplement séparer, opposer un espace de la société et un espace du théâtre régis par des règles différentes : le principe du théâtre, c’est la superposition de ces deux espaces, qui fait que nous savons pertinemment que la représentation est une fiction et que pourtant nous entrons dans l’illusion théâtrale.
La chaise du Déserteur
Diderot multiplie les anecdotes allant dans le même sens. Ainsi l’acteur Caillot arrange la chaise où il lui faudra déposer Louise évanouie, dans Le Déserteur de Sedaine :
« [La princesse de Gallitzin] avait observé que ce grand imitateur de la nature, au moment de son agonie, lorsqu’on allait l’entraîner au supplice, s’apercevant que la chaise où il aurait à déposer Louise évanouie, était mal placée, la rarrangeait en chantant d’une voix moribonde : Mais Louise ne vient point, et mon heure approche… » (DPV XX 116 ; Vers 141825.)
La question technique, triviale, de la disposition de la chaise dans l’espace réel de la scène peut sembler discordante dans ce moment sublime d’égarement tragique. En fait, l’installation de la chaise dans le champ de la représentation indique la visée symbolique de la scène, la chute vers quoi elle tend : le rattrapage à la volée d’une bévue scénographique devient alors une géniale mise en scène, où l’attente qu’ouvre l’alexandrin26 prononcé « d’une voix moribonde » est portée, soulignée par la chaise, qui la donne à voir matériellement, par son évidence visible et la vacance qu’elle indique.
La jarretière de Baron
Même trait de génie de la part de Baron interprétant Le Comte d’Essex, une tragédie de Thomas Corneille. Baron perd sa jarretière au cours d’une scène dramatique et son bas menace de tomber. Tout autre que ce comédien chevronné se serait couvert de ridicule.
« Lui, que fait-il ? Il pose son pied sur la balustrade, rattache sa jarretière, et répond au courtisan qu’il méprise, la tête tournée sur une de ses épaules ; et c’est ainsi qu’un incident qui aurait déconcerté tout autre que ce froid et sublime comédien, subitement adapté à la circonstance, devient un trait de génie 27. » (Vers 1421-2 ; DPV XX 121.)
Ici encore, l’incident censé perturber la scène en renforce en fait l’efficacité dramatique, en soulignant le mépris cinglant du noble comte, qui court à la mort, envers un courtisan servile qui feint perfidement une amitié de façade. Véritable nique obscène, le geste avec la jarretière vient, du réel, s’intégrer comme trait de génie dans le jeu symbolique de la représentation : les deux espaces superposés du réel et de la représentation fusionnent alors. Le trait est ce qui fait le lien entre les deux espaces et opère le retournement du défaut ridicule dans le réel en excès sublime dans la représentation.
Dans l’anecdote de la jarretière, il est explicite que tout le monde a vu Baron rattacher sa jarretière alors que dans l’anecdote de la pendeloque seul Diderot a surpris Lekain poussant la pendeloque, c’est-à-dire l’expulsant de l’espace de la représentation. D’un passage à l’autre, la pensée diderotienne a donc opéré un déplacement. Il ne s’agit plus de représenter la superposition de deux espaces (la société/le théâtre ; le réel/la représentation ; la nature/la scène) pour mettre en évidence l’agrandissement et, de là, l’artifice théâtral, mais au contraire de déconstruire cet artifice, d’en penser la fin historique et le dépassement.
Déthéâtraliser le théâtre
Simplicité de la scène (l’abolition de la différence)
En effet, la succession des anecdotes visant à imager concrètement le jeu entre les deux espaces s’accompagne en sourdine d’une critique de ce jeu. Le dispositif classique de la représentation théâtrale, et notamment de la représentation tragique, est fondé sur l’écart entre l’espace social, familier, et l’espace théâtral, espace où non seulement les personnages, les gestes, les discours sont agrandis, exagérés, mais où la parole est soumise à toute une série de contraintes rhétoriques, allant de la forme (la versification, la rime) au fond (le respect des bienséances) 28. Ces contraintes font partie des instruments techniques qui permettent l’exagération théâtrale, même si ce n’est pas sur ces contraintes là que le premier interlocuteur met l’accent, préférant insister sur le travail d’imagination de l’acteur, qui construit le modèle idéal de son personnage.
L’éloge de la simplicité au théâtre 29 constitue donc en quelque sorte un paradoxe dans le paradoxe : la simplicité tend à réduire l’écart entre les deux espaces, à les fusionner en un espace de « nature » qui exporte sur la scène les valeurs bourgeoises du salon. Or la thèse du sens froid du comédien repose sur une conception classique, aristocratique, de la représentation théâtrale, en contradiction avec les innovations du drame bourgeois que Diderot a promues par ailleurs : cette contradiction apparente recoupe celle, soulignée depuis longtemps, entre les Entretiens sur le Fils naturel et le Paradoxe sur le comédien.
« je suis enchanté d’entendre Philoctete dire si simplement et si fortement à Néoptolème… » (DPV XX 106 ; Vers 1412)
« Plus les actions sont fortes et les propos simples, plus j’admire » (DPV XX 107 ; Vers 1413).
« Combien je trouve nos auteurs dramatiques ampoulés ! Combien leurs déclamations me sont dégoûtantes, lorsque je me rappelle la simplicité et le nerf du discours de Regulus (ibid.) 30 »
La simplicité est toujours couplée avec son antonyme apparent, la force, le nerf, en un mot cette grandeur héroïque que l’on attribuerait a priori plutôt aux déclamations ampoulées. C’est que cette simplicité renvoie en fait au monde réel, comme l’indique ce commentaire du discours de Philoctète à Néoptolème :
« Y a-t-il dans ce discours autre chose que ce que vous adresseriez à mon fils, que ce que je dirais au vôtre ?
Le second. Non.
Le premier. Cependant cela est beau.
Le second. Assurément.
Le premier. Et le ton de ce discours prononcé sur la scène diffèrerait-il du ton dont on le prononcerait dans la société ?
Le second. Je ne le crois pas.
Le premier. Et ce ton dans la société, y serait-il ridicule ?
Le second. Nullement. » (DPV XX 106 ; Vers 1413.)
La contradiction majeure qu’implique cet éloge de la simplicité au théâtre se rencontrait déjà dans les Entretiens et dans le Discours sur la poésie dramatique 31. On la retrouve également dans les Salons, à propos du choix de l’instant à peindre dans la peinture d’histoire. Il n’y a là aucune inadvertance logique, mais bien un jeu dialectique : le Paradoxe nous fait prendre conscience de l’écart entre la société et la scène pour ensuite réduire cet écart. Il faut rendre visible cet écart pour comprendre l’enjeu théorique qui a toujours été le même pour Diderot : déconstruire, défaire sur la scène ce qui constitue celle-ci comme un espace autre, étranger, associal, irréel. Déthéâtraliser le théâtre.
Du privé à l’intime : une nouvelle effraction scénique
Tout a commencé avec l’entreprise du Fils naturel. Alors que le Paradoxe repose sur l’opposition entre théâtre et société, Le Fils naturel et les Entretiens voulaient croire dans la réduction, puis la disparition de cette opposition, en fusionnant l’espace de la scène théâtrale et le salon de Dorval, en faisant coïncider le jeu, la représentation d’un poème dramatique et la fête commémorative, la répétition sur les lieux même des événements, de l’histoire familiale réelle par ses réels protagonistes. Les Entretiens mettent en scène la résistance de Moi à cette fusion des deux espaces, et la tentative de Dorval pour vaincre cette résistance 32.
Pour opérer la fusion du salon et de la scène, Diderot a imaginé que Dorval ferait assister Moi en cachette à la représentation familiale du Fils naturel, dans son salon :
« J’entrai dans le salon par la fenêtre ; et Dorval qui avait écarté tout le monde me plaça dans un coin, d’où, sans être vu, je vis et j’entendis ce qu’on va lire » (DPV X 17 ; Vers 1083).
Moi ne fait ici que réaliser de façon spectaculaire et romanesque le dispositif classique de la représentation théâtrale, fondé sur l’écran et l’effraction. Toujours, le spectateur voit ce qu’il ne devrait pas voir et les acteurs jouent dans la fiction qu’aucun spectateur ne les regarde, qu’un quatrième mur clôt la scène, l’antichambre, le salon où se déroule la pièce 33. Ce quatrième mur constitue l’écran de la représentation, le rideau que nous soulevons pour regarder, en voyeurs, ce qui se trame derrière.
Le Paradoxe ne met pas en œuvre de façon aussi spectaculaire le dispositif d’écran, mais la série des anecdotes qui tendent à révéler le dédoublement de l’espace scénique (scène haute, publique, et scène basse, intime) procède bien du même mécanisme : la conversation à voix basse, ou entre les dents, tenue par la Gaussin, le geste pratique de Lekain, de Caillot ou de Baron pour redisposer ou pour évacuer les objets sont surpris par Diderot par effraction. La puissance, la magie de l’illusion théâtrale auraient dû les maintenir dans l’invisibilité : c’est bien depuis un premier espace, celui de la scène haute, que transgressant un écran virtuel, franchissant du regard une frontière symbolique, Diderot donne à voir un second espace, celui de la scène basse.
Pourtant cette effraction que met en œuvre le Paradoxe est, à y bien réfléchir, d’une tout autre nature. C’est à la scène haute qu’accède Moi grâce au rideau derrière lequel Dorval l’a placé dans Le Fils naturel. C’est à la scène basse que, grâce au trait des anecdotes du Paradoxe, le premier interlocuteur nous conduit. Il a fallu pour cela franchir non un, mais deux écrans : du parterre à la scène, de la scène à l’espace intime du comédien. Le jeu ne se fait plus de l’espace privé où est cantonné le spectateur (le salon, la société) à l’espace public de représentation que constitue la scène 34, mais de l’espace public à l’espace intime où se règlent les affaires conjugales des comédiens, où s’arrangent les parures (comme la pendeloque de diamants), où se fixent les vêtements (par la jarretière).
Donc, si le Fils naturel met en œuvre la transfusion de l’espace privé dans l’espace public, le Paradoxe, lui, opère la transfusion de l’espace public vers l’espace intime, qui devient, dans les années 1770, le nouveau paradigme. Espace privé et espace intime n’ont rien à voir malgré les apparences : l’espace privé est un espace de sociabilité et d’échange par le langage ; l’espace intime est un espace de solitude et de pensée. Les anecdotes n’en rendent visible que la caricature. L’enjeu fondamental de l’espace intime, c’est l’élaboration du modèle idéal.
Le modèle idéal est le nouvel écran de la scène
Dès le début du dialogue, le premier interlocuteur oppose les « acteurs qui jouent d’âme », c’est-à-dire en recourant à leur seule et propre sensibilité, et « le comédien qui jouera de réflexion, d’étude de la nature humaine, d’imitation constante d’après quelque modèle idéal » (DPV XX 49 ; Vers 1380)35. Mlle Clairon en est un bon exemple, qui « s’est fait un modèle auquel elle a d’abord cherché à se conformer ; sans doute elle a conçu ce modèle le plus haut, le plus grand » (DPV XX 50 ; Vers 1381). La véritable création est là, dans la construction de ce modèle, par laquelle le comédien prolonge, continue le travail créateur du dramaturge : « Qu’est-ce donc que le vrai de la scène ? C’est la conformité des actions, des discours, de la figure, de la voix, du mouvement, du geste, avec un modèle idéal imaginé par le poète, et souvent exagéré par le comédien » (DPV XX 61 ; Vers 1387). Impossible de bien travailler, dans ces conditions, quand le grand acteur est confronté à un partenaire médiocre : « il sera forcé de renoncer à son modèle idéal pour se mettre au niveau du pauvre diable avec qui il est en scène. » (DPV XX 64 ; Vers 1389.) L’élaboration du modèle idéal exige du comédien qu’il soit, bien plus qu’un simple histrion, un véritable intellectuel : « Le grand comédien observe les phénomènes ; l’homme sensible lui sert de modèle, il le médite » (DPV XX 81 ;Vers 1398). Cette dimension créatrice abstraite, pensée, du travail de l’acteur, implique pour le poète une véritable dépossession du texte. Voltaire entendant la Clairon jouer l’une de ses pièces se serait exclamé : « Est-ce bien moi qui ai fait cela ? » (DPV XX 89 ; Vers 1402). La Clairon a recréé, remodélisé la fiction voltairienne : « Dans ce moment du moins son modèle idéal, en déclamant, était bien au-delà du modèle idéal que le poète s’était fait en écrivant, mais ce modèle idéal n’était pas elle » (ibid.). Il faudra donc distinguer « les symptômes extérieurs de l’âme d’emprunt », l’aspect visible du jeu d’acteur, tout ce qui extérieurement mime le personnage, de cette âme même, qu’il s’agit de reconstituer de l’intérieur : « Celui donc qui connaît le mieux et qui rend le plus parfaitement ces signes extérieurs d’après le modèle idéal le mieux conçu est le plus grand comédien » (DPV XX 104 ; Vers 1412). A ce jeu, le comédien qui contrefait la sensibilité aura plus de facilité que celui qui l’éprouve réellement. Il « n’aura pas à se séparer de lui-même, il se portera tout à coup et de plein saut à la hauteur du modèle idéal. » (DPV XX 122 ; Vers 1422.)
Le modèle idéal est la notion clef du Paradoxe sur le comédien. La révélation de l’existence d’un espace intime sous-jacent à l’espace public de la représentation implique la mise en œuvre du modèle idéal pour articuler ces deux espaces : c’est en faisant abstraction de soi, en allant jusqu’à « se séparer de lui-même », que l’acteur produit le modèle idéal dont ensuite, sur scène, il s’enveloppe : Mlle Clairon « est l’âme d’un grand mannequin qui l’enveloppe » (DPV XX 51 ; Vers 1381) ; le comédien « se renferme dans un grand mannequin d’osier dont il est l’âme » (DPV XX 123 ; Vers 1423). Les anecdotes percent donc ici un écran d’une autre nature : il ne s’agit plus du quatrième mur, de cet écran qui coupe, qui partage l’espace en deux, la scène d’un côté, le parterre de l’autre et, de là, symboliquement, le théâtre d’un côté, le salon ou la société de l’autre. Cette fois, l’écran, c’est le modèle idéal lui-même, enveloppe d’osier autour du moi intime du comédien, écorce intime, drap du spectre, du fantôme qu’agite le comédien autour de lui.
Tout au long du Paradoxe est filée l’image du fantôme, Diderot jouant sur le double sens classique du mot, qui permet de désigner soit un spectre, soit l’équivalent du grec phantasma dont il est issu. Phantasma, c’est une représentation, un modèle idéal. Ce qui est fondamental, c’est que du coup l’effraction change de nature : d’une sémiologie du mur, on passe à une sémiologie de l’enveloppe. Ce qui était donné à voir derrière le mur se transmue en donné à toucher derrière le vêtement : symptomatiquement, la première référence théâtrale du Paradoxe est une réplique de Tartuffe, « Je tâte votre habit, l’étoffe en est moelleuse ».
Il s’agit, dans l’effraction intime, de franchir l’enveloppe iconique du modèle idéal pour atteindre le repli intime du moi. Cette atteinte intime déclenche la jouissance du spectateur. Quant au comédien, son jeu consiste à établir, depuis ce repli intime, une liaison, un trait avec l’enveloppe, le mannequin, le fantôme, le modèle idéal. La liaison, le trait de génie, consistent à incorporer le dedans dans le dehors, à s’aliéner consciemment, volontairement, et de façon maîtrisée, dans le personnage qu’on joue : alors la jarretière dénouée de Baron devient geste sublime, pantomime du comte d’Essex.
Incorporer le dedans dans le dehors : le mouvement est paradoxal ; c’est même le mouvement même du paradoxe, qui commence par nier le « moi », pour s’affirmer ensuite dans le retournement de la pensée des autres. Il ne s’agit plus là simplement de décrire le jeu de l’acteur : c’est l’exercice même de la pensée diderotienne qui est en jeu. L’élaboration du modèle idéal et l’entrelacement de soi avec l’idée constituent non seulement l’activité créatrice du comédien, mais l’activité intellectuelle en général.
Notes
Dorval évoque ici le cinquième acte du Marchand de Londres de Georges Lillo, une domestic tragedy datant de 1731. A l’endroit même où Barnevelt (Barnwell) doit être exécuté, en punition du crime auquel l’a poussé la courtisane Millwood, celle-ci, qui est sa maîtresse, se jette à ses pieds (V, 11). La scène entre les deux amis est antérieure : c’est la visite de Trueman à Barnevelt (V, 5).
Sophocle, Philoctète, vv. 730sq. Philoctète sort de la grotte où il s‘est terré dix ans dans la souffrance et l’injustice, soutenu par Néoptolème qui est venu le chercher, le ramener au camp des Grecs. Les discours entrecoupés de Philoctète sont ponctués de gémissements quasiment inarticulés. Un Philoctète du père Brumoy fut joué au collège du Plessis-Sorbonne en 1700 et en 1715, imprimé dans un Théâtre des Grecs à Paris, chez Rollin, en 1730. J.-B. Vivien de Châteaubrun fait jouer en 1755 un autre Philoctète, publié en 1756 chez Brunet. Il y aura d’autres Philoctètes encore dans les années 80, par La Harpe en 1783, par Renou en 1788. Sur Philoctète, voir également le Deuxième Entretien, p. 1155, le Troisième Entretien, p. 1180, le Paradoxe, pp. 1412-1413.
Il s’agit cette fois de Clytemnestre apprenant le sacrifice programmé de sa fille Iphigénie. Voir Euripide, Iphigénie à Aulis, vv. 1276-1335. Diderot revient à maintes reprises sur Iphigénie : « Connaissez-vous une situation plus semblable à celle d’Agamemnon dans la première scène d’Iphigénie que la situation d’Henri IV, lorsque obsédé de terreurs qui n’étaient que trop fondées, il disait à ses familiers : Ils me tueront, rien n’est plus certain, ils me tueront… » (DPV XX 60 ; Vers 1386).
« Malgré tout ce qu’il doit saccager sur son passage, “le théâtre de la cruauté / n’est pas le symbole d’un vide absent”. Il affirme, il produit l’affirmation elle-même dans sa rigueur pleine et nécessaire. […] Or on le sait, Artaud vivait le lendemain d’une dépossession : son corps propre […] lui avait été dérobé à sa naissance » (Derrida, « Le théâtre de la cruauté et la clôture de la représentation », L’Écriture et la différence, Seuil, Points, p. 341-342). Rien à voir bien sûr, thématiquement, entre la dépossession de soi que travaille le comédien de sens-froid et la folie créatrice d’Artaud : c’est bien pourtant la même « différance » qui est à l’œuvre, c’est-à-dire la même contradiction de l’origine dans le jeu différentiel de la représentation.
L’écriture, dans le sens développé par Derrida dans De la grammatologie et dans « La pharmacie de Platon », est le supplément figé de la parole vive. En ce sens, le langage, mais aussi la performance théâtrale, sont déjà de l’écriture : ils répètent une scène originaire dont ils se différencient.
La répétition est l’argument majeur du Premier interlocuteur, contre la thèse de la sensibilité du comédien : « Si le comédien était sensible, de bonne foi lui serait-il permis de jouer deux fois de suite un même rôle avec la même chaleur et le même succès ? » (Vers 1380) ; « lorsqu’elle s’est une fois élevée à la hauteur de son fantôme, elle se possède, elle se répète sans émotion » (Vers 1381). On passe progressivement de la répétition publique des séances à la notion de répétition préparatoire, c’est-à-dire au travail de mise en scène : « pour être poussés juste, ils ont été répétés cent fois » (Vers 1384) ; « Et savez-vous l’objet de ces répétitions si multipliées ? » (Vers 1389) ; « C’est lorsque les acteurs sont épuisés de la fatigue de ces répétitions multipliées » (Vers 1416). A contrario, hors scène, l’anecdote de salon est impossible à répéter : c’est « une expérience que vous aurez cent fois répétée » (Vers 1385).
« Lorsque je m’arrache les entrailles, lorsque je pousse des cris inhumains ; ce ne sont pas mes entrailles, ce ne sont pas mes cris, ce sont les entrailes, ce sont les cris d’un autre que j’ai conçu et qui n’existe pas… », affirme Garrick, dans le préambule du Salon de 1767 (DPV XVI 75 ; Vers 528).
« les idées de l’homme au paradoxe » ; « Ici, l’homme au paradoxe se tut » ; « l’homme paradoxal » (DPV XX 121, 123, 125 ; Vers 1421, 1423, 1424).
Au dix-huitième siècle, on n’écrit pas sang froid, mais sens froid et en tout cas c’est toujours cette orthographe qui se retrouve dans les manuscrits du Paradoxe. Le mot n’apparaît qu’au bout de quelques pages, généralisant l’opposition du jeu de la Dumesnil et du jeu de la Clairon : « C’est au sens-froid à tempérer le délire de l’enthousiasme. » (DPV XX 52 ; Vers 1382.) Il s’agit d’une addition de 1773 : l’opposition entre sensibilité et sens-froid est beaucoup moins nette dans les Observations sur Garrick, la première version, monologique, du Paradoxe, en 1769.
Dans le Dictionnaire de Trévoux (éd. 1771), sentir est d’abord défini de façon passive, comme « recevoir quelque impression par le moyen des sens ». Mais c’est pour ajouter immédiatement : « On le dit de même des différentes acceptions de l’ame. » Noter également cet exemple tiré de Malebranche : « Ce qui se passe dans les organes des sens, n’est que la cause occasionnelle de ce que l’ame sent. » De là, on en vient à la définition active : « Sentir, se dit aussi de la persuasion intérieure, de la conviction où l’on est qu’une chose est véritable, ou fausse. Les Juges ont bien senti qu’il y avoit de la fourbe & de la calomnie dans ce procès. Faire bien sentir la conséquence d’une proposition. » Et en fin : « On le dit dans un sens approchant, pour s’appercevoir, connoître. » (VII, 652-653.)
Cette double acception du mot, active et passive, est soulignée dans l’Encyclopédie, à l’article sens : « on en doit distinguer de deux especes, d’extérieurs & d’intérieurs » (XV, 24). « Les sens extérieurs sont par conséquent des puissances de recevoir des idées, à la présence des objets extérieurs », tandis que « Les sens intérieurs sont des puissances ou des déterminations de l’esprit, qui se repose sur certaines idées qui se présentent à nous, lorsque nous appercevons les objets par les sens extérieurs. » Autrement dit, pour reprendre les catégories freudiennes, le sens désigne à la fois la perception et la conscience ; il est un système Pc-Cs.
L’effet sensible a pour origine un modèle idéal établi de sens-froid ; mais ce que produit le sens-froid a pour origine des effets sensibles. Autrement dit A est l’origine de B et B est l’origine de A. Cette aporie est l’aporie de l’« écriture » telle que Derrida la développe dans De la grammatologie et dans La Dissémination.
« Parce qu’elle a toujours déjà commencé, la représentation n’a donc pas de fin. La clôture est la limite circulaire à l’intérieur de laquelle la répétition de la différence se répète indéfiniment. » (Derrida, « Le théâtre de la cruauté et la clôture de la représentation », op. cit., p. 367.) La représentation a toujours déjà commencé, parce qu’elle est prise dans le jeu circulaire de l’origine : le comédien joue d’après un modèle idéal construit à partir d’expressions sensibles qui ont fait tableau, et, par là-même, renvoient elles-mêmes à d’autres modèles. La clôture ici évoquée est moins une clôture spatiale qu’un cercle logique, cette contradiction de l’origine qui fait qu’on ne peut pas penser l’origine du modèle idéal (voir à ce sujet le préambule du Salon de 1767). La différence qui est affirmée dans la représentation est la différence du référent réel et de l’objet représenté, qui n’en est que le supplément, et renvoie à lui. Mais cette différence ne peut être posée que dans la répétition : ce qui fait qu’on n’est pas dans le réel, c’est que la représentation peut être indéfiniment répétée.
La parade est un spectacle du théâtre de la foire, généralement parodique : une parade tragique est la parodie d’une tragédie à la mode, outrée exprès pour faire rire.
« Nous avons conservé des Anciens l’emphase de la versification […] et nous avons abandonné la simplicité d el’intrigue et du dialogue, et la vérité des tableaux. » (Deuxième Entretien, DPV X 117 ; Vers 1156). Diderot commente la formule d’Horace, « ampullas et sesquipedalia verba, des sentences, des bouteilles soufflées, des mots longs d’un pied et demi » (Art poétique, v. 97).
Diderot parle ici implicitement de lui. Il est plus explicite ailleurs. Voir l’anecdote sur Sedaine (DPV XX 74-75 ; Vers 1395) et l’aveu final (DPV XX 109 ; Vers 1414).
DPV XX 71 ; Vers 1393. La double scène ne doit pas se comprendre ici simplement comme entrecroisement de deux scènes autonomes, mais comme manifestation de ce que Derrida, reprenant une expression de Mallarmé, appelle « double séance », « ce coin entre littérature et vérité » (Derrida, « La double séance », La Dissémination, Seuil, Points, p. 219). La vérité (la pantomime muette de Mimique, ici la trivialité de la scène basse) enfonce un coin dans la littérature (l’écriture intérieure du Philèbe, ici la répétition noble et normée de la scène haute) et désigne la représentation comme « ENTRE », c’est-à-dire à la fois comme « antre » (espace, poche, réserve imaginaire, enveloppée, soustraite) et « entre-deux » (latence dans le jeu d’acteur, blanc qui manifeste la superposition des espaces) (voir p. 223).
Qui est ce Chevalier ? En 1687 le Théâtre français avait donné une pièce, Le Chevalier à la mode, attribuée à Dancourt, mais qui serait de Saint-Yon (Anecdotes dramatiques, I, 192). Elle fut jouée plus de quarante fois. L’amoureuse du Chevalier de Ville-Fontaine, un aventurier et un fat, y était une veuve ridicule, Madame Patin, chez qui se joue la scène. La scène 8 de l’acte I est la première scène qui confronte la veuve et le chevalier : tandis que celle-ci lui fait des avances, le Chevalier discute avec son valet Crispin de son nouveau carrosse et de son nouvel équipage, pour qui il la quitte bientôt. D’où le commentaire de Lisette, la suivante de Mme Patin : « Ma foi, madame, ce n’était pas la peine de quitter le jeu pour être sacrifiée par monsieur le chevalier à l’impatience de voir son carrosse. » Le persiflage de la Gaussin, « faites avancer votre carrosse », pourrait faire allusion à cette scène.
Le Préjugé à la mode, comédie en vers et en cinq actes. Par M. Nivelle de la Chaussée, Paris, Le Breton, 1735, p. 2. L’imprimeur a placé « à part. » sur la même ligne que « Madame, pardonnez… », pour gagner de la place, ce qui fait contresens…
« Vous sentez frissonner » ; « Et cet acteur sent ? » ; « un homme froid qui ne sent rien » : le sens de sentir est tiré ici vers « éprouver de la sensibilité ».
Voir Le Déserteur, drame en trois actes, en prose mêlée de musique; Par M. Sedaine. La Musique par M***. Représentée, pour la premiere fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi, le Lundi 6 Mars 1769, Paris, Claude Hérissant, 1769. Diderot évoque l’ariette de la scène 4 de l’acte III. Alexis, le déserteur condamné à mort, écrit à Louise, depuis sa cellule, devant Montauciel avec qui il est enfermé :
« Mais… mais… tu ne viens pas, & mon heure s’approche :
Si ton pere en est cause, étoit-ce son dessein ?
Tu ne viens pas ; & mon heure s’approche ;
Il m’eut été si doux de t’embrasser.
Avant l’instant que je vois s’avancer. » (P. 63.)
Pendant ce temps, Louise a demandé sa grâce et l’a obtenue du Roi. Elle court la porter à la prison avant l’exécution. Louise arrive et ne tombe évanouie dans les bras d’Alexis qu’à la scène X :
« Louise entre ses souliers à la main, ses cheveux en désordre. Elle ne dis que : Alexis, ta… & tombe évanouie entre les bras d’Alexis, qui l’approche d’un siege, sur lequel elle reste sans connoissance. » (P. 77.)
Caillot a donc anticipé, six scènes à l’avance, la disposition scénique qui lui serait nécessaire à la sècne X. Louise et Alexis, sauvés, s’étreignent à la scène XV et dernière (p. 81).
Diderot transforme en fait le décasyllabe de Sedaine (« Tu ne viens pas, et mon heure s’approche ») en un alexandrin écourté (approche pour s’approche escamote un pied).
L’anecdote est racontée de façon plus détaillée dans d’Hannetaire : « Si cet accident lui était arrivé tandis qu’il était sur la scène avec la reine ou la duchesse, certainement [Baron jouant le comte d’Essex] n’aurait pas eu l’air d’y prendre garde ; mais comme il n’avait alors en face de lui que le traître Cécil, qu’il était en droit de traiter cavalièrement, il en profita pour se donner une belle attitude de plus : appuyant sans façon sa jambe sur un des balcons du théâtre, il remit sa jarretière devant le ministre d’Elizabeth, sans pour cela s’interrompre un seul instant et continuant au contraire à lui parler en lui tournant le dos. » (Jean Nicolas d’Hannetaire, Observations sur l’art du comédien et sur d’autres objets en général concernant cette profession, 1771, p. 157 ; cité par Bert Edward Young, Michel Baron acteur et auteur dramatique, Slatkine, 1971, chap. IV, p. 76.)
La scène 3 de l’acte I oppose le fielleux Cécile (Robert Cecil, ministre d’Elisabeth Ire, surnommé par elle « le pygmée ») au comte, qui lui assène finalement : « Mais comme l’amitié vous rend si charitable, / Depuis quand, & sur quoi vous croyez-vous permis / De penser que le tems ait pu nous rendre amis ? / Est-ce que l’on m’a vu, par d’indignes faiblesses, / Aimer les lâchetés, apuuyer des bassesses, / Et prendre le parti de ces hommes sans foi, / Qui de l’art de trahir font leur unique emploi ? »
Le discours de Regulus est rapporté par Horace dans une ode, c’est-à-dire dans de la poésie familière.
« C’est alors que nous verrons sur la scène des situations naturelles… » (Deuxième Entretien, DPV X 116 ; Vers 1155-1156, exemple de Philoctète repris dans le Paradoxe, DPV XX 91 ; Vers 1404) et « Qui oserait parmi nous étendre de la paille sur la scène… » (Discours sur la poésie dramatique, chap. XVIII, « Des mœurs », DPV X 403 ; Vers 1332).
Voir également le Discours sur la poésie dramatique, chap. XI, « De l’intérêt », DPV X 373 ; Vers 1310.
Voir J. Habermas, L’Espace public, chap. I, 1962, trad. française M. B. de Launay, Payot, 1978, 1993.
Dès De la poésie dramatique (1758), Diderot faisait référence à « un homme idéal que je me formerai […] et dont je me bornerai à n’être que l’écho fidèle » (DPV X 424 ; Vers 1348). Mais le « modèle idéal » en tant que tel n’apparaît qu’à partir du préambule du Salon de 1767.
Référence de l'article
Stéphane Lojkine, communication au congrès de la Société américaine d’étude du XVIIIe siècle, Albuquerque, 2010.
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