La fresque antique
La fresque est une technique de peinture antique apparue en Mésopotamie et en Crète au IIe millénaire. Elle consiste en l’application de pigments d'origine minérale, animale ou végétale sur une paroi recouverte au préalable d’un enduit de chaux encore frais. Le terme lui-même de « fresque » apparaît à l’époque moderne et vient de l’expression italienne a fresco, exprimant l’idée de peindre « à frais, dans le frais », sur l’enduit non séché. Le terme « fresque » est ensuite devenu, par abus de langage, synonyme de toute peinture murale sans distinction technique.
Cette technique permet d’obtenir une couche picturale peu altérable, les pigments demeurant scellés dans la masse d’enduit. Elle repose sur le principe de la carbonatation, c’est-à-dire de la réaction chimique entre l’hydroxyde de calcium contenu dans la chaux, qui s’échappe lors du séchage, et le dioxyde de carbone contenu dans l’air, pour former une fine couche de carbonate de calcium en surface, protégeant la surface picturale. Cette résistance explique la bonne conservation de beaucoup de décors peints antiques qui adoptaient une riche polychromie.
La technique de la fresque est commune aux pratiques picturales développées dans les mondes grec, étrusque et romain. Les principaux témoignages matériels conservés proviennent de la Macédoine, du territoire italien et des provinces romaines. Il s’agit par exemple de fresques funéraires qui recouvrent les parois des tombes à chambre1 (reproduisant une pièce, généralement souterraine, à échelle humaine) ou à caisse (composé de six plaques de pierre formant une « boîte » dans lequel le corps du défunt est inhumé). Les sociétés de l’Italie préromaine – étrusques, italiques, italiotes – développent particulièrement ce type de décors peints dans leurs monuments funéraires. Ces décorations comportent de nombreux éléments figuratifs, avec des compositions plus ou moins complexes, qui traduisent à la fois le statut social du défunt et les pratiques funéraires de ces sociétés. Il s’agit également de fresques domestiques, qui recouvrent les parois de la maison et en structurent le décor intérieur.
La technique de la fresque dans l’Antiquité : sources littéraires et archéologiques
La technique de la fresque antique est relativement bien documentée par les sources littéraires et matérielles, qu’il convient de confronter pour mettre en évidence ces principales caractéristiques techniques. Le traité de l’architecte Vitruve, De architectura/De l’architecture2, rédigé à la fin du Ier siècle av. J.-C., apporte en effet un éclairage sur la composition et la méthode d’application de l’enduit et des pigments. Au livre VII du traité, l’auteur décrit l’application de six couches, de la composition la plus « grossière » (les trois premières couches) à la plus fine.
L’objectif de l’auteur est bien sûr de proposer une méthode théorique, souvent contredite dans ses détails par les sources archéologiques, mais le principe de l’application de plusieurs couches, avec des couches d’accroche plus épaisses, servant de réserve d’humidité pour « peindre à frais », et d’une couche de surface plus fine, se retrouve dans les témoignages matériels. La première (arriccio3) est une couche de mortier de sable à gros grains, servant à régulariser et aplanir la surface support. La deuxième (intonaco) se compose également de chaux mêlée à du sable plus fin et à d’autres agrégats, permettant la circulation de l’humidité : chamotte (argile pilée), éléments organiques, pouzzolane (roche volcanique), poudre de marbre. La troisième (intonachino) est plus fine et reçoit la couche picturale.
La première couche d’accroche (arriccio) au mur pouvait être appliquée sur un treillage de bois ou de paille, pour une meilleure adhérence du mortier. Les empreintes de ce type de dispositifs sont parfois visibles au dos des fragments d’enduits, découverts au sol lors des fouilles, détachés du mur d’origine. On repère également les différentes couches d’application sur la tranche des fragments d’enduit. On peut aussi observer le sens de lissage de la couche supérieure (intonachino).
Les pigments les plus courants sont les blancs, les noirs et les ocres. Les blancs proviennent plus fréquemment de la craie et de la chaux, les noirs du charbon de bois ou de la suie. Les rouges/ocres proviennent de terres contenant plus ou moins d’oxyde de fer, voire de l’oxyde de manganèse très sombre qui donne des terres brunes. D’autres pigments plus coûteux sont issus de pierres plus rares ou de coquillages : la malachite permet d’obtenir des verts, le cinabre un rouge vermillon ou le murex des tonalités violettes ou pourpres.
L’application de ces couches de mortier se fait sur plusieurs journées (giornate) de travail, qu’on parvient également à déterminer en observant les traces de séchage entre deux zones peintes. Certains procédés de préparation du décor sont également perceptibles sur les enduits peints. Le tracé préalable pouvait être appliqué avec un pigment ocre peu visible, ou par le biais d’incisions à la pointe sèche. Les lignes directrices du décor pouvaient être marquées sous formes de lignes verticales appliquées à l’aide d’un fil teinté. De la même manière, les secteurs à peindre, déterminant les « journées » de travail, étaient prédéfinis par ce type de marquage.
Évolution du décor domestique romain : la question des styles pompéiens
Les parois des maisons reçoivent un décor à fresque qui s’organise à la fois en divisions horizontales et verticales. On distingue généralement trois zones horizontales : une inférieure, souvent sombre, faisant office de soubassement au décor général, une zone médiane, de hauteur plus importante, sur laquelle se concentre les compositions plus complexes et les scènes figurées, et une supérieure comportant fréquemment des motifs architecturaux.
La paroi obéit également à une division verticale symétrique, qui s’articule autour de trois à cinq grands panneaux, le panneau central étant celui qui reçoit la composition la plus riche et la plus importante symboliquement.
L’évolution chronologique et stylistique du décor domestique romain est décrite et théorisée dès l’Antiquité, notamment par Vitruve dans le De Architectura (VII, 5, 2). Ce dernier, rédigeant son traité au tout début du Principat, aux alentours de 30-20 av. J.-C., recense alors trois types de composition, allant de la fin du IIIe s. av. J.-C. à la période de rédaction du traité, donc au dernier tiers du Ier s. av. J.-C. C’est en se fondant sur cette classification antique que le philologue allemand Auguste Mau propose une typologie des peintures de Pompéi, dans son ouvrage Geschichte der Wanmalarei in Pompeji/ Histoire du décor pariétal à Pompéi, publié en 1882. La classification des fresques domestiques en quatre « styles pompéiens » découle de cet ouvrage. Cette construction théorique a été nuancée depuis par les chercheurs mais la typologie générale est néanmoins reprise dans la littérature scientifique pour catégoriser les décors domestiques adoptés dans toutes les provinces romaines. La classification de Mau vise à classer des peintures réalisées sur une période plus longue que celle étudiée dans le traité antique, allant de la fin du IIIe s. av. J.-C. à l’éruption du Vésuve en 79 ap. J.-C. Seuls les « trois premiers styles pompéiens » trouvent donc un écho dans l’ouvrage de Vitruve, le quatrième étant une proposition de Mau pour classer les décors allant de 62 apr. J.-C. (date d’un séisme survenu dans la région de Pompéi) à 79 ap. J.-C.
Vitruve décrit d’abord des décors imitant les parements extérieurs des édifices publics, grâce à la fresque et au stuc* permettant d’intégrer des éléments en relief. C’est ce que Mau retient comme étant le premier style pompéien, qui est en fait adopté dans le monde hellénistique dès le IIIe s. av. J.-C. Les artisans cherchent alors à imiter des matériaux polychromes, le plus souvent luxueux comme les marbres mais aussi l’ivoire, le verre, les bois rares, les gemmes4 .
À partir de la fin du IIe s av. J.-C., une nouvelle forme de décor se développe, cherchant à reproduire en trompe-l’œil des environnements naturels ou architecturaux (fronts de scène de théâtre5, portiques). De véritables « peintures de jardins », imitent aussi les jardins d’agrément rassemblant différentes essences d’arbres, espèces florales et petits animaux (oiseaux escargots), traités à l’échelle du spectateur. Il s’agit du deuxième style pompéien de Mau6.
Ce type de décor est concurrencé à partir du premier tiers du Ier s. av. J.-C. par une nouvelle conception moins mimétique du décor pariétal, ne cherchant plus la reproduction d’un environnement à échelle du spectateur, mais visant à reproduire dans une pièce de la maison une sorte de pinacothèque fictive, de galerie de tableaux. Les parois sont alors conçues comme des zones monochromes, souvent tripartites (un panneau central, deux panneaux latéraux) au centre duquel est peint un petit tableau fictif en trompe-l’œil rappelant les tableaux de bois mobiles (pinakes) connus également dans les mondes grecs et romains. C’est au sein de ces tableaux fictifs que se concentre dorénavant le décor figuré, en proposant des scènes mythologiques ou des scènes de genre. Les zones monochromes sont toujours occupées par des éléments architecturaux ou décoratifs, mais qui perdent leur vraisemblance pour devenir uniquement ornementaux (fines colonnes, candélabres fictifs supportant des tableautins). Vitruve se montre critique envers cette mutation du décor qui perd sa fonction mimétique et sa structure architecturale7.
Les décors dits de « quatrième style » s’illustrent dans les maisons reconstruites après le tremblement de terre de 62 ap. J.-C. Ils mélangent des caractéristiques empruntées aux trois styles précédents. On retrouve à nouveau une composition de la paroi imitant une architecture extérieure, représentant en particulier les portiques à étages des murs de front de scène, encadrant des zones monochromes au centre desquelles on retrouve des tableaux fictifs de grandes dimensions, à thèmes mythologiques ou génériques. Le stuc* est à nouveau employé pour traiter des éléments en reliefs (corniches, faux parement à ressauts).
Une distinction de genres picturaux ?
À cette distinction structurelle et stylistique s’ajoute chez Vitruve une distinction des genres picturaux, c’est-à-dire des sujets choisis par les peintres et les commanditaires, propres à la culture classique antique. Ces genres diffèrent de la classification adoptée à la Renaissance mais témoignent de la conception antique des sujets et de leur hiérarchie. La notion de megalographia, « peinture des grandes choses » apparaît chez l’auteur, lorsqu’il décrit les décors de « deuxième style », pour désigner les sujets mythologiques. La peinture de paysage se développe également à la même période, à travers des sujets désignés par Vitruve par l’expression topia (les lieux « type »), et dont il fait la liste (ports, promontoires, sanctuaires, bois sacrés, troupeaux et bergers) et qui exprime le rapport au monde de la cité et aux confins plus sauvages de l’arrière-pays8.
Cette distinction du paysage comme genre se retrouve également chez Pline l’Ancien, écrivain du Ier s. ap. J.-C., qui mentionne par exemple le peintre Studius, travaillant à Rome au début du Principat, décrit comme l’inventeur de paysages animés, qui tendent de plus en plus vers la scène de genre : « et, dans ces espaces, différents types de personnages qui se promènent ou naviguent, ou encore se dirigent par voie de terre vers leurs villas sur de petits ânes ou des chariots, ou qui pêchent, chassent les oiseaux ou le gibier, et même vendangent » (Histoire naturelle, XXXV, 116-117). Dans certains types de paysages qualifiés par les historiens de l’art de sacro-idylliques, le cadre naturel est le sujet principal de la composition, qui se concentre sur les reliefs, la végétation et les effets atmosphériques. Les petits personnages, traités en silhouette, ainsi que les quelques éléments (autels, petits temples) qui s’intègrent à ce cadre, suggèrent le caractère « sacré » de ces scènes. Les natures mortes figurent aussi parmi les sujets secondaires. Coupes de fruits, expositions des mets posés sur une table évoquent au sein de la maison les xenia, présents de bienvenue offerts aux hôtes.
Cette distinction de genres implique également dans les sources latines une distinction hiérarchique. Pline l’Ancien range ainsi les scènes de genre et les natures mortes dans le registre des sujets vils, à l’opposé des mégalographies centrées sur les figures divines et héroïnes.
Les découvertes archéologiques témoignent d’un riche répertoire se développant durant l’Empire, en Italie comme dans les provinces romaines, en fonction des « modes », du goût et de la culture des commanditaires, et associant à la fois des motifs décoratifs isolés (figures hybrides, candélabre, masques) dans les zones monochromes, et une grande variété de scènes figurées allant des scènes mythologiques illustres aux saynètes quotidiennes9.
Pour aller plus loin :
Raphaële Amy de la Bretèque (Lycée Saint-Sernin, Toulouse) propose une page complète d’activités pédagogiques en lien avec cet article sur le site Imago : https://imago-latin.fr/questions-d-images/images-antiques/activites-sur-la-fresque/.
BALDASSARRE, Ida, PONTRANDOLFO, Angela, ROUVERET, Agnès, SALVADORI Monica, La peinture romaine, Arles, Actes Sud, 2006 (réédition).
BARBET, Alix, La peinture murale romaine, Paris, Picard, 2006.
CAPUS, Pascal, DARDENEY, Alexandra, dir., L'Empire de la couleur : de Pompéi au sud des Gaules, catalogue de l’exposition présentée au Musée Saint-Raymond-Musée des Antiques de Toulouse, du 15 novembre 2014 au 22 mars 2015, Toulouse, MSR, 2014.
MULLIEZ, Maud, Le luxe de l’imitation. Les trompe-l’œil de la fin de la République romaine, mémoire des artisans de la couleur, CNRS, collection du Centre Jean Bérard, 44, 2014.
ROUVERET, Agnès, « Pictos ediscere mundos. Perception et imaginaire du paysage dans la peinture hellénistique et romaine », Ktema, 29, 2004, p. 325-344.
Audiovisuel, archéologie expérimentale : à l’occasion de l’exposition L'Empire de la couleur : de Pompéi au sud des Gaules, présentée au Musée Saint-Raymond-Musée des Antiques de Toulouse, du 15 novembre 2014 au 22 mars 2015, deux restauratrices et chercheuses, Maud Mulliez et Aude Aussilloux-Corréa ont réalisé en fresque en tentant de retrouver les techniques et matériaux antiques : https://gk-vision.com/portfolio/tectoriaromana/
Notes
Voir par exemple les tombes à chambre étrusques dans le corpus numérique ICAR-Iconographie et archéologie (CeTHIS EA6298) pour l’Italie préromaine http://icar.huma-num.fr/web/fr/icardoc/image/1417
Voir Vitruve, De l’architecture. Livre VII, Les Belles Lettres, collection des Universités de France, 2003, traduction française par Bernard Liou et Michel Zuinghedau, commentaires de Marie-Thérèse Cam.
Le lexique employé par les historiens de l’art pour décrire les aspects techniques de la fresque est issu de la terminologie italienne moderne.
Maud Mulliez, Le luxe de l’imitation. Les trompe-l’œil de la fin de la République romaine, mémoire des artisans de la couleur, CNRS, collection du Centre Jean Bérard, 44, 2014.
Le front de scène correspond, dans le théâtre antique, à la façade du bâtiment de scène, qui sert d’arrière-plan au jeu des acteurs qui se déroule sur le proskénion. Il reprend la forme d’un portique à deux ou trois étages dans lequel des portes peuvent être aménagées. Des dispositifs de décors rotatifs, les périactes, pouvaient y être installés.
Les décors en relief, imitant les orthostates d’un parement extérieur, caractéristiques du premier style, sont bien conservés dans l’entrée de la Maison Samnite d’Herculanum (voir photo en open access sur https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Casa_Sannitica_%28Ercolano%29_WLM_017.JPG). Les fresques du cubiculum de la Villa de Fannius Synistor à Boscoreale, caractéristiques du deuxième style, ont été déposées et sont aujourd’hui exposées au Metropolitan Museum of Art de New York, de manière à restituer en trois dimensions l’ensemble du décor de la pièce : https://www.metmuseum.org/art/collection/search/247017.
Voir par exemple notre analyse de « La paroi nord du tablinum de la maison de Marcus Lucretius Fronto », dans le présent dossier surUtpictura 18.
Agnès Rouveret, « Pictos ediscere mundos. Perception et imaginaire du paysage dans la peinture hellénistique et romaine », Ktema 29, 2004, p. 325-344.
Voir par exemple les découvertes de décor domestique (peintures à fresque et mosaïques) faites dans la région de Vienne et notamment à Saint-Romaain-en-Gal, conservées in-situ ou exposées au Musée Gallo-romain de Saint-Romain en Gal (https://musee-site.rhone.fr/vestiges-collection/). Voir également les peintures découvertes dans le quartier du Clos de la Lombarde à Narbonne, exposées aujourd’hui au Musée Narbo Via. Pour l’Ile-de-France, on peut citer l’exemple des enduits peints d’une maison gallo-romaine conservés aujourd’hui au Musée Carnavalet à Paris : https://www.carnavalet.paris.fr/sites/default/files/2022-07/paris_antiq… .
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