Sceaux et iconographie dans l’Antiquité
Communément classée au nombre des sciences auxiliaires de l’Histoire, la sigillographie, ou sphragistique, demeure encore aujourd’hui une discipline qui, à en juger par l’historiographie, a surtout recueilli des adeptes chez les médiévistes. Pourtant, la pratique sigillaire est loin de n’être documentée que par les seuls sceaux médiévaux ; de nombreux témoignages archéologiques démontrent que les sceaux étaient déjà utilisés à l’aube de l’Antiquité. La Mésopotamie de la fin du ive millénaire voit ainsi apparaître le sceau-cylindre, pierre de petites dimensions aux motifs figurés gravés en creux, destinée à être déroulée sur l’argile fraîche (voir le sceau-cylindre en marbre de -3100 / -2900, du Musée du Louvre1). L’impression ainsi réalisée avait une double fonction : inscrire une marque de propriété ou bien engager la responsabilité du propriétaire du sceau.
À l’époque gréco-romaine, la très grande majorité des sceaux – soit des bagues gravées soit des gemmes incisées – sont de forme circulaire ou ovale. Ici encore, l’application du sceau, ou « matrice » (du latin matrix et du grec ancien μήτρα), sur l’argile consiste à laisser une trace faisant office de signature. Selon le degré de pression, l’image imprimée apparaîtra évidemment avec plus ou moins de netteté sur le scellé, aussi appelé « crétule » (du latin cretula). Les crétules empruntent divers profils : pastille d’argile, boudin ou encore anneau évoquant nos ronds de serviette. En résumé, la crétule est le support qui donne à voir la ou les empreintes de sceaux – celles-ci reproduisant en miroir l’image gravée ornant la matrice.
Pour l’archéologue et l’historien de l’art, ces impressions ont une valeur inestimable car elles sont autant de traces matérielles qui perpétuent le souvenir de gemmes et de bagues aujourd’hui perdues. Du reste, tandis que les intailles* et camées* antiques, pour être passés de main en main entre collectionneurs et amateurs d’art peu scrupuleux, n’ont vu que – trop – rarement leur lieu de provenance renseigné, à l’inverse, le contexte archéologique des empreintes de sceaux, découvertes lors de fouilles, nous est généralement connu. De fait, la datation d’une empreinte, qu’elle couvre un large intervalle chronologique ou une période plus restreinte, constitue un indice précieux pour dater la confection du sceau à l’origine de l’impression car elle en fournit le terminus ante quem.
Si l’on considère les périodes hellénistique et romaine, plusieurs dizaines de milliers de crétules ont été exhumées en divers endroits du bassin méditerranéen : Sélinonte, Carthage, Délos, Nea Paphos, Cyrène, Zeugma, ou encore Séleucie du Tigre pour ne citer que quelques exemples. Ces lots d’empreintes numériquement importants témoignent de l’existence de bâtiments d’archives où étaient entreposés des papyrus ou parchemins scellés, qui n’ont malheureusement pu être conservés parce qu’en matière périssable. Les documents écrits sont de natures diverses : une simple missive adressée à une connaissance, un acte de vente, un contrat de droit privé, un document fiscal, un testament, un document lié à des pratiques rituelles ou oraculaires ; la liste n’est évidemment pas exhaustive. Cependant, d’autres types de supports pouvaient être scellés : par exemple, des récipients destinés à l’exportation de denrées ou de produits manufacturés, ou encore des urnes cinéraires (considérons à cet égard les hydries de Hadra de l’ère ptolémaïque).
L’examen des empreintes démontre que certaines de ces matrices disparues portaient une courte inscription, qui renvoyait souvent à l’identité du détenteur du sceau. L’inscription pouvant être lue à même l’impression, les quelques lettres qui la composent étaient donc inscrites sur le sceau en sens inverse. Ainsi, la présence d’une inscription dite en « écriture rétrograde » sur une gemme ou une bague implique que ces dernières ont été confectionnées pour endosser une fonction sigillaire. La condition sociale du possesseur du sceau peut transparaître soit à travers la formulation du patronyme, soit à travers la consonance du nom gravé. Sous l’ère impériale, les cognomina à consonance grecque désignent ainsi fréquemment des esclaves ou des affranchis. Le cas échéant, des mentions explicites peuvent accompagner le nom du personnage et nous renseigner sur son statut social : par exemple, un « LIB » ou un simple « L » peut signifier « libertus », précisant le statut d’affranchi du possesseur du sceau. Toujours est-il que l’analyse des noms, plus ou moins abrégés, inscrits sur les sceaux tend à montrer que ceux-ci renvoient principalement – mais pas exclusivement – à une population masculine. En outre, s’il n’est pas certain que chaque particulier possédât son propre sceau, d’éminentes personnalités en ont utilisé plusieurs. Ainsi, l’empereur Auguste en avait trois : le premier représentait une sphinge, le deuxième était à l’effigie d’Alexandre le Grand, et le troisième n’était autre que son propre portrait (Suétone, Vie d’Auguste, L).
Les sceaux appartenant à des particuliers, que l’on pourra alors qualifier de « privés » ou de « personnels », ne doivent pas faire occulter l’existence de sceaux publics, qui consistent en des sceaux de fonction, de caractère officiel et impersonnel. Si un sceau privé pouvait se transmettre de génération en génération, un sceau de fonction se transmettait vraisemblablement de magistrat à magistrat, de fonctionnaire à fonctionnaire, à chaque nouvelle nomination.
En outre, face à des individus malhonnêtes de la trempe d’un Alexandre d’Abonouteichos qui n’hésitaient pas à user de stratagèmes pour ôter les scellés ou les falsifier (Lucien de Samosate, Alexandre ou le faux prophète, 20-21), les Anciens se devaient de se prémunir contre les éventuels vols de leurs documents. Peut-être est-ce dans cette intention que Pline le Jeune, dans une de ses lettres adressées à Trajan, informe à l’avance l’empereur de l’image que porte son sceau : « Je l’ai scellée de mon anneau, dont le cachet représente un quadrige. » (Pline le Jeune, Lettres à Trajan, Livre X, lettre 16).
Ces diverses observations invitent à quelques considérations sur l’étude des sceaux à l’aune de l’iconographie. Ainsi, il est à noter qu’en contexte archivistique, le degré d’éclectisme de l’imagerie véhiculée par les crétules constitue un bon indicateur quant au caractère cosmopolite de la population ayant scellé les documents. Par ailleurs, l’étude iconographique peut permettre de mieux distinguer le sceau personnel – ou privé – du sceau de fonction : à titre d’exemple, les sceaux des cités forment une catégorie de sceaux publics aisément reconnaissable du fait qu’ils reproduisent avec plus ou moins de fidélité le type traditionnel du monnayage de leurs cités respectives. Du reste, si les sceaux portant des portraits royaux ne doivent pas être systématiquement interprétés comme des sceaux de fonction, ces effigies miniatures de souverains, à la fois individualisées et conventionnelles et mettant en scène le roi ou la reine affublés des attributs* – royaux ou divins – du pouvoir, peuvent être considérés comme autant de vecteurs d’une idéologie aulique spécifique.
Pour aller plus loin
AUBRY, Sébastien, Les inscriptions grecques et latines des pierres gravées antiques : abréviations, configurations, interprétations et lectures, Archéologie et Préhistoire, Université de Lyon, 2017.
BOUSSAC, Marie-Françoise, « Archives personnelles à Délos », in CRAI, vol. 137, n° 3, p. 677-693.
BOUSSAC, Marie-Françoise, INVERNIZZI, Antonio, éd., Archives et sceaux du monde hellénistique. Actes du colloque de Turin 1993, Paris, De Boccard, Athènes, École Française d’Athènes, Suppléments au Bulletin de Correspondance Hellénique, n° 29, 1996.
GALBOIS, Estelle, Images du pouvoir et pouvoir de l’image : les « médaillons-portraits » miniatures des Lagides, Bordeaux, Ausonius éditions, 2018.
Notes
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Dossier dirigé par Anne-Hélène Klinger-Dollé et Questions d'images depuis 2024
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