L’intaille : techniques, procédés figuratifs et fonctions
À l’inverse du camée*, qui se définit avant tout par la gravure en relief qu’il laisse voir, l’intaille est caractérisée par un décor en creux. Ces deux types de gemmes relèvent de l’art glyptique (de l’adjectif grec γλυπτός, lui-même dérivé du verbe γλύφειν signifiant « graver », « tailler »). Généralement, les intailles étaient destinées à être enchâssées dans des bagues en métal. L’artisan creusait une cavité peu profonde dans l’anneau pour y loger la gemme et collait celle-ci avec une matière visqueuse – souvent de la poix. Une autre technique consistait à fabriquer la monture dans un métal malléable (comme l’or ou l’argent), que l’on étirait ensuite autour de l’intaille afin d’éviter qu’elle ne se descelle.
Si la cornaline1 apparaît comme le matériau privilégié pour la confection d’intailles à l’époque romaine, d’autres pierres ont été utilisées à cette fin. Citons à cet égard l’agate2 – l’agate rubanée ayant fourni de nombreuses gemmes sous l’ère républicaine romaine –, ou encore le nicolo3, très prisé au IIe siècle de notre ère. De même, les jaspes4 (comme ce jaspe jaune, fig. 1), la prase5 (exemple avec Hercule luttant contre Antée, fig. 2), le plasma6, et dans une moindre mesure l’améthyste7, la citrine8 et le lapis-lazuli9 (tel ce lapis-lazuli avec Aphrodite assimilée à Isis, fig. 3), ont servi à la fabrication d’intailles. Signalons également que la période hellénistique a livré plusieurs grenats10 de bonne facture. En outre, afin de répondre à la demande d’une clientèle croissante, les ateliers ont développé une production sérielle de gemmes en réalisant des pâtes de verre à partir de moules portant l’empreinte d’intailles. À noter qu’au cours du IIIe siècle de notre ère, ces verres moulés, substituts bon marché des pierres, sont produits en plus grand nombre afin de pallier les difficultés d’approvisionnement en pierres liées à la dangerosité accrue des routes terrestres et maritimes : à cette époque, les Perses Sassanides s’emploient à consolider leur royaume entre le Tigre et l’Euphrate ; parallèlement, les Romains peinent à contrôler le trafic dans la mer Rouge.
Bien que la très grande majorité des intailles nous soient parvenues dépourvues d’inscriptions, une poignée de graveurs ont choisi de signer leurs gravures, toujours en lettres grecques. La signature se décline essentiellement de deux manières : soit le nom du graveur est formulé au génitif, soit il est inscrit au nominatif et suivi du verbe ἐποίει (« a fait »). C’est ainsi que des noms comme Pamphilos11, Gnaios, Aspasios ou Dioscuridès – mentionné par Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, Livre XXXVII, 8 et Suétone, Vie d’Auguste, L – sont passés à la postérité. À n’en point douter, la présence de la signature du graveur sur l’intaille souligne l’aisance économique et sociale du possesseur de la gemme : la rareté de ce type de signature va de pair avec la notoriété de l’artiste et donc avec le prix de l’objet.
Du fait de leurs dimensions, de l’ordre de 8 x 12 mm, les intailles appartiennent au petit mobilier archéologique. Exiguïté du support oblige, les graveurs ont conçu leurs images gravées toujours dans le souci de garantir leur bonne lisibilité. Cette fabrique de l’image glyptique les a conduits à élaborer et à adopter divers procédés figuratifs leur permettant de s’affranchir de la petitesse de la surface de l’intaille. Ainsi, la représentation d’attributs* contribue à faciliter l’identification d’une divinité ou d’un personnage : à titre d’exemples, Athéna s’apparente à une figure féminine casquée et brandissant une lance ; Héraclès ne se sépare pratiquement jamais de sa massue noueuse ; un aigle tient régulièrement compagnie à Zeus ; quant à Hermès, il est aisément reconnaissable à son caducée. Par ailleurs, les graveurs de gemmes évitaient autant que possible de faire se chevaucher les éléments décoratifs. Privilégiant la juxtaposition à la superposition, ils associaient volontiers les éléments constitutifs de l’image sous leur profil le plus explicite : cet artifice aboutit à des combinaisons diverses où le décor gravé résulte de l’assemblage d’éléments représentés selon des points de vue différents – par exemple, deux bras montrés de profil flanquant un buste figuré de face (cf. sardoine romaine à l’Artémis d’Éphèse, fig. 4).
Il est à noter que les intailles partagent cette miniaturisation des motifs, conséquence directe de l’étroitesse du support, avec les monnaies. D’ailleurs, la confrontation glyptique-numismatique met régulièrement en exergue des similitudes patentes entre gemmes et monnaies, tant sur le plan de la conception de l’image elle-même que sur le plan de l’imagerie, ces deux types de mobiliers archéologiques partageant un répertoire iconographique commun. À titre d’exemple, on pourra comparer l’Artémis d’Éphèse figurée sur une cornaline du Metropolitan Museum of Art de New York (fig. 5) à celle, très similaire, qui apparaît au revers de certains cistophores d’Hadrien (cf. cistophore en argent d’Hadrien, émission d’Éphèse, British Museum, fig. 6). En outre, les monnaies, du fait de leur nombre et de leur diffusion, constituaient des modèles facilement accessibles pour les graveurs, et il est très vraisemblable que la création d’un schéma ou d’un type iconographique dans un atelier monétaire devait entraîner généralement sa vogue en glyptique. Une monnaie pouvant donc fournir un terminus post quem12 pour la fabrication d’une intaille reproduisant son motif, établir une étude comparée entre monnaie et intaille s’avère être une démarche intéressante pour tout chercheur souhaitant dater une gemme. Toutefois, des travaux récents ont invité à remettre en question l’opinion préconçue selon laquelle les graveurs de gemmes étaient complètement tributaires des graveurs de coins ; au contraire, ils ont su s’affranchir de l’imagerie monétaire pour proposer leurs propres créations.
Le panorama iconographique que laissent contempler les intailles se démarque par sa grande diversité des sujets représentés, ces derniers pouvant être catégorisés comme suit : divinités ; héros et personnages mythologiques ; portraits ; animaux, insectes et arachnides ; plantes ; grylles ; objets divers et symboles. Il peut paraître tentant de distinguer les thèmes figurés « masculins » des images aimables, précieuses, plus susceptibles d’évoquer le monde féminin – et ce, afin de déterminer si le porteur de l’intaille était un homme ou une femme. Cependant, nous devons garder à l’esprit que ces intailles constituent un mobilier qui relève avant tout de la sphère privée ; les dessins gravés qui ornaient ces gemmes revêtaient sans doute aux yeux de leurs propriétaires une signification particulière, personnelle. Il n’est pas toujours aisé de déterminer les motivations qui ont conduit le possesseur de l’intaille à privilégier un motif plutôt qu’un autre. Nous touchons là au domaine de l’intime, et inévitablement, ces gravures recouvrent une dimension que nous pouvons qualifier d’« ésotérique » et que notre regard extérieur de moderne ne peut percer à jour.
Quoique les intailles fussent indiscutablement des objets de parure, la finalité première de bon nombre d’entre elles était de servir de sceau*. Par ailleurs, certaines gemmes proviennent de lots d’offrandes, laissant suggérer qu’elles ont embrassé une fonction votive. En outre, de nombreuses intailles, datant essentiellement entre les IIe et IVe siècles de notre ère, ont été utilisées comme artefacts prophylactiques ou apotropaïques. Toutefois, il est tout à fait plausible que, depuis sa création, une intaille ait recouvert divers usages différés dans le temps.
Pour aller plus loin
GUIRAUD, Hélène, Intailles et camées romains, Paris, Picard, Antiqua, 1996.
MASTROCINQUE, Attilio, Les intailles magiques du département des Monnaies, Médailles et Antiques, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2014.
Le lecteur intéressé pourra admirer les intailles conservées au Cabinet des Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France en consultant le catalogue en ligne à cette adresse : https://medaillesetantiques.bnf.fr/ws/catalogue/app/report/index.html. Cette base de données, qui comprend un moteur de recherche par mots-clés, réunit également les camées que renferme le Cabinet.
Notes
Calcédoine translucide, généralement orangée mais pouvant prendre diverses tonalités, allant du blond au rouge incarnat.
Calcédoine opaque, caractérisée par des raies de couleurs variées, de forme irrégulière et sinueuse.
Voir notre étude de cas « Miniaturiser une scène dionysiaque dans un cadre bucolique » dans le présent dossier consacré aux images antiques.
On entend par « terminus post quem » la date à partir de laquelle a pu se produire un événement dont la datation est incertaine.
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