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Résumé

L’article commence par rappeler que les dieux sont des « puissances divines », entités surhumaines, dans l’Antiquité, et que la religion est la recherche d’une communication pour se concilier les bienfaits des dieux. Les représenter est essentiel pour les rendre accessibles. Les différentes façons de représenter les puissances divines dans les sociétés antiques sont exposées, comme autant de stratégies distinguant les dieux et les hommes : représentations anthropomorphiques mais dotées d’un « surcorps », zoomorphiques et thériomorphiques ou encore aniconiques. Interpréter telle ou telle représentation nécessité l’étude précise de son contexte, dans un monde polythéiste où chaque divinité est elle-même plurielle.

The paper begins by recalling that gods were “divine powers”, superhuman entities, in antiquity, and that religion is the search for communication to conciliate the gods' benefits. Representing them is essential to making them accessible. The different ways in which divine powers were represented in ancient societies are presented, as strategies for distinguishing between gods and men: anthropomorphic representations with an “overbody”, zoomorphic and theriomorphic representations, or aniconic representations. Interpreting such and such a representation requires a precise study of its context, in a polytheistic world where each divinity is itself plural.

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Références de l’article

Corinne Bonnet,

Représenter les dieux

, mis en ligne le 30/08/2024, URL : https://utpictura18.univ-amu.fr/rubriques/ressources/images-antiques/representer-dieux

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Ressources externes

Représenter les dieux

Qu’est-ce qu’une divinité ?

Dans l’Antiquité, quelle que soit la culture ou la période considérée, le monde est, comme l’affirme Thalès de Milet au VIe siècle av. n.è., « plein de dieux ». On leur attribue la création et l’organisation du monde (cosmogonie) – séparer le ciel et la terre, disposer les étoiles dans le ciel, distinguer la nuit et le jour, ériger les montagnes, créer les fleuves… – et des hommes (anthropogonie). Un processus de théogonie, qui voit différentes générations de dieux se succéder jusqu’à ce qu’un ordre définitif se mette en place, complète la grande fresque des temps primordiaux et fondateurs. Les hommes sont conçus d’emblée comme les serviteurs des dieux, qu’ils nourrissent, dont ils prennent soin en leur dédiant des espaces propres, dont ils attendent divers bienfaits. Les divinités sont donc fondamentalement des puissances divines, c’est-à-dire des entités supérieures, surhumaines, caractérisées, sauf rares exceptions, par leur statut immortel et par une vie bienheureuse. Les hommes leur imputent la capacité d’agir dans et sur le monde, donc d’influencer leur destin, collectif ou individuel.

Qu’est-ce que la religion ?

Parce qu’ils sont supérieurs et puissants, les dieux doivent être honorés. Ce que nous appelons la « religion » est donc une obligation sociale qui relève du champ de la tradition, des normes ancestrales. Si le terme « religion » dérive du latin religio, ce dernier terme ne désigne cependant pas un « système de croyances et de pratiques propre à un groupe social » (définition de « religion » dans Le Robert), mais plutôt le scrupule respectueux qui pousse les hommes à ne pas négliger les dieux. Les oublier serait une impiété, les craindre à chaque instant, une superstition. Il n’y a pas, en grec ou en latin, en sumérien ou en égyptien, de concept exprimant l’idée de « religion », parce qu’il ne s’agit pas de « religions du livre », adossées à des dogmes et à une doctrine canonique, mais plutôt de « religions du faire » où ce qui compte, c’est avant tout le culte, donc le soin que l’on prend des dieux au jour le jour. La religion est ainsi affaire de communication : on s’adresse aux dieux, à travers des prières, des offrandes, des gestes divers et variés, pour capter leur attention et obtenir d’eux des bienfaits : une bénédiction, une naissance, une guérison, une récolte abondante, une paix ou une victoire au combat, une traversée en mer sans encombre… En mille et une circonstances, on se tourne vers les dieux du foyer domestique, de la famille, ou l’on se rend dans les sanctuaires, pour engager un rapport en quelque sorte contractuel avec les dieux, comme le dit l’adage latin : do ut des, « je donne pour que tu donnes », sachant cependant que ce commerce avec les dieux est hiérarchisé puisque comme l’écrit Pindare dans la VIe Néméenne1 :

Une la race des hommes, une la race des dieux ; d’une seule mère nous tirons notre souffle,

Les uns et les autres. Mais entre eux, il y a toute l’étendue

De la puissance. D’un côté, rien, de l’autre, le ciel d’airain

Appuyé sur des fondements inébranlables.

La religion, comme activité sociale cruciale pour le devenir des individus et des groupes, met en contact des interlocuteurs de nature différente. C’est pourquoi l’homme propose, mais les dieux disposent, puisqu’ils décident d’écouter ou non une prière, d’accepter ou non une requête. Dans cette dynamique d’interaction, les représentations des dieux jouent un rôle essentiel.

Présentifier les dieux

En tant que puissances divines, les dieux relèvent d’une réalité bien différente de celles des hommes. Ils sont invisibles aux humains et ceux qui ont l’arrogance de regarder en face l’éclat divin en meurent ou deviennent aveugles, comme le devin Tirésias qui avait vu Athéna se baignant dans une source de de l’Hélicon. La résidence privilégiée des dieux est le mont Olympe, dont la hauteur exprime la distance qui sépare les hommes des dieux. Homère, dans l’Iliade, décrit à de multiples reprises les dieux intervenant sur le champ de bataille, mais sans que les héros puissent les voir ou les reconnaître. Pourtant, dans le cadre des cultes, quand il s’agit d’accomplir des offrandes sur un autel ou d’adresser une prière à une divinité, la médiation des images est indispensable. Avec Jean-Pierre Vernant, on peut dire que ces représentations, anthropomorphiques ou non, servent à présentifier la divinité, à la rendre accessible pour créer les conditions d’une interaction que l’on espère efficace. Les Anciens ne pensaient pas, ou pas tous, pas toujours, pas partout, pas vraiment (selon les milieux sociaux notamment) qu’une statue est le dieu. Sur un cratère apulien à figures rouges conservé à New York et datant de 360-350 av. n.è., on voit un artiste en train de décorer une statue d’Héraclès (en blanc, car en marbre), Héraclès lui-même observant la scène en arrière-plan et portant un doigt à la bouche, comme pour exprimer son étonnement2. Ici, l’effet de dédoublement est souligné par le peintre à travers ce geste. En Mésopotamie comme en Égypte, des rituels visaient à laver la bouche et insuffler le souffle vital dans les statues. Pour souligner leur transformation d’artefact en présence vivante du dieu, on tranchait symboliquement les mains des artisans au cours du rituel avec une épée de bois, pour indiquer qu’ils n’avaient pas pris part au processus de création. Chaque artisan jurait solennellement que les dieux artisans avaient façonné la statue divine qui était alors installée dans son sanctuaire pour remplir ses fonctions.

Des dieux à l’image des hommes ?

Quand on déambule dans un musée, on a parfois du mal à distinguer une statue représentant une divinité de celles qui figurent un roi ou une impératrice. C’est que l’anthropomorphisme est l’option dominante, qui consiste à attribuer aux dieux un corps humain. Cependant, à bien y regarder, ce corps est plus-qu’humain : par ses dimensions, par sa perfection, sa beauté, son éclat dû au choix de matériaux comme l’or, l’argent, le bronze, l’ivoire, les pierres précieuses, et la polychromie qui rehaussait leur rayonnement (voir l’article sur les Couleurs dans l’Antiquité*). On peut, avec Jean-Pierre Vernant et Charles Malamoud, parler de surcorps. L’image sert donc d’emblée à souligner la nature divine, surhumaine, de celles et ceux auxquels on adresse un culte. Leur statut supérieur s’exprime aussi par les ornements – souvent perdus aujourd’hui : vêtements, bijoux parures – et par les attributs* (sceptre, corne d’abondance, arme, animal, instrument de musique, etc.) qui renvoient aux domaines d’intervention des divinités. Il s’agit là de codes complexes qui sont souvent polysémiques, qui peuvent être partagés par plusieurs divinités et forment une sorte de langage fluide et polyvalent. Ainsi, même quand ils empruntent une apparence humaine, les dieux sont construits par les hommes, dans les textes comme dans les images, comme des entités supérieures, proches et distances, semblables et différentes. Dans certaines cultures, des stratégies alternatives sont adoptées pour exprimer en images cet écart. Dans le monde égyptien, on a recours au zoomorphisme qui consiste à attribuer aux dieux des traits animaliers : Horus, le faucon, Apis, le taureau, Sobek, le crocodile… Aux yeux des Grecs, notamment d’Hérodote, qui visite la vallée du Nil autour de 450 av. n.è., ces images sont surprenantes, voire choquantes ; elles expriment en fait l’altérité du monde divin à travers une hybridité qui traduit la puissance de ceux qui sont radicalement différents des humains. L’hybridité ou thériomorphisme (d’après le grec therion, « animal, « bête », « monstre ») est aussi fréquemment utilisée en Mésopotamie pour différentes entités divines ; le monde grec n’y est pas étranger avec des figures comme la sphinge, le Minotaure, les Centaures… Enfin, diverses cultures, y compris grecque et romaine, font le choix de l’aniconisme, un terme que l’on utilise à la fois pour désigner le refus/l’absence d’images divines – comme dans la religion juive – précisément parce que toute image serait inadéquate (comme tout nom l’est aussi) et pour faire référence aux images qui ne sont ni thério- ni anthropomorphiques, en particulier les pierres brutes. Dans les deux cas, la stratégie est identique : se tenir à distance de toute image humaine, comme l’exprime bien le Psaume 115 (3-7)3 :

Notre Dieu, il est dans les cieux, tout ce qui lui plaît, il le fait

Leurs idoles, or et argent, une œuvre de main d'homme ! Elles ont une bouche et ne parlent pas, elles ont des yeux et ne voient pas

elles ont des oreilles et n'entendent pas, elles ont un nez et ne sentent pas.

Leurs mains, mais elles ne touchent point, leurs pieds, mais ils ne marchent point, de leur gosier, pas un murmure !

Les pierres, parfois appelées « bétyles », d’après le sémitique qui signifie « maison du dieu », dont certaines seraient des météorites tombées du ciel, recèlent donc une puissance intrinsèque apte à exprimer la nature divine. Parfois cependant, comme pour les humaniser, on les pourvoit d’yeux, d’oreilles et/ou de bouche afin que la communication avec les hommes soit rendue possible.

Un ou plusieurs : les dieux en contexte

La plupart des religions de l’Antiquité sont polythéistes, ce qui implique non seulement qu’il y a une pluralité de divinités, mais aussi que chaque divinité est en soi plurielle en ce qu’elle assume diverses fonctions, reçoit divers noms et est représentée à travers diverses images. Pour saisir le sens d’une représentation, il est donc fondamental de la contextualiser. D’abord il faut la situer dans un espace (un sanctuaire, une chapelle, un espace public ou domestique, au centre ou sur le côté, à la vue de tous ou pas…) en prêtant attention aux types d’interactions possibles avec les hommes : on la voit, ou pas, on la touche, ou pas, on la vêtit, on l’oint, on la promène en procession, on la déplace d’un lieu à l’autre, on la reproduit, on en vend des répliques, on la représente sur des monnaies ou des jetons, on la restaure, on la détruit, on l’ensevelit dans une décharge (bothros en grec)… Ensuite, il faut examiner son entourage, les gestes, les postures : Apollon est-il avec Artémis et Léto, sa sœur et sa mère, ou avec Zeus son père ? Aphrodite est-elle accompagnée de son cortège de petits Éros (Erotes au pluriel en grec) ? Pourquoi sur la stèle d’Hammourabi, roi de Babylone, le dieu Shamash pose-t-il les pieds sur une montagne ? Qu’expriment les images où Osiris momiforme est en compagnie d’Isis ? Chaque image fait sens dans son contexte et par rapport à un horizon culturel fait de codes ; chaque image traduit des relations au sein de systèmes polythéistes qui constituent précisément une vaste toile de dieux se définissant les uns par rapport aux autres, les uns avec les autres. Si l’on sait qu’Héphaïstos, le dieu forgeron, crée pour son père, Zeus, un instrument puissant tel que l’égide, une sorte de peau de chèvre dont les bords sont hérissés de serpents et le centre pourvu de la tête effrayante et paralysante de la Gorgone, un véritable talisman qu’habitent Déroute, Discorde, Vaillance et Poursuite, selon le chant V de l’Iliade (739-742), c’est à sa fille Athéna, née toute armée de son crâne, que Zeus confie l’égide, symbole si parlant de la complicité intime et de la complémentarité fonctionnelle entre le père et la fille. Il faut donc se garder d’interpréter une image comme une pièce de musée et s’efforcer de la restituer dans son contexte d’usage comme un élément du riche dispositif qui permettait aux hommes de connaître les dieux pour mieux tirer profit de leur puissance.

Le lecteur du présent dossier pourra se reporter avec profit à deux articles qui proposent de telles contextualisations : l’étude d’un relief votif témoin de l’Athènes du IVe s. av. n.è. d’une part, celle d’une représentation de dieu punique d’autre part.

Pour aller plus loin

Sébastien Delmas (Lycée Jean de Prades, Castelsarrasin) propose des pistes d’utilisation pédagogique de cet article sur le site Imago : https://imago-latin.fr/questions-d-images/images-antiques/representer-les-dieux/.

BELAYCHE, Nicole, PIRENNE-DELFORGE, Vinciane, dir., Fabriquer du divin : Constructions et ajustements de la représentation des dieux dans l’Antiquité. Nouvelle édition [en ligne]. Liège : Presses universitaires de Liège, 2015 (généré le 08 mai 2023). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pulg/8512&gt;. ISBN : 9791036560729. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pulg.8512.

ESTIENNE, Sylvia et al., dir., Image et religion. Nouvelle édition [en ligne]. Naples, Publications du Centre Jean Bérard, 2008 (généré le 08 mai 2023). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pcjb/4401&gt;. ISBN : 9782918887935. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pcjb.4401.

MALAMOUD, Charles, VERNANT, Jean-Pierre, dir., Corps des dieux, nouvelle édition, Paris, Gallimard, 2003.

VERNANT, Jean-Pierre, « De la présentification de l’invisible à l’imitation de l’apparence », in : Image et signification. Rencontres de l’École du Louvre, Paris, 1983, p. 25-37, repris in : Mythe et pensée chez les Grecs. Étude de psychologie historique, Paris, 1996, p. 339-349.

Notes

1

Traduction Corinne Bonnet.

3

Traduction de la Bible de Jérusalem.

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